Texte intégral
Monsieur le Directeur général,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Léon Blum, en ayant proposé au nom du gouvernement français il y a un peu plus de cinquante ans que l'Unesco ait son siège à Paris, et en ayant obtenu l'accord des pères fondateurs de celle-ci, a imposé aux représentants de la France un devoir particulier à l'égard de cette organisation. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité venir aujourd'hui à Stockholm participer à cette conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement.
Je me réjouis de retrouver ou de connaître ici tant de collègues éminents et de l'occasion qui m'est donnée de traiter de sujets d'une grande actualité.
Cette conférence montre à quel point l'Unesco sait affronter les vrais débats de société. Quelques jours avant les Assises européennes de l'audiovisuel à Birmingham, et alors que les négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement à l'OCDE précédent de nouveaux débats à l'Organisation Mondiale du Commerce, la conférence de Stockholm nous donne l'occasion de réfléchir sur la notion du pluralisme culturel, qui me parait devoir être au coeur de nos débats.
Je tiens à souligner en outre que les thèmes dont nous allons discuter sont en relation directe avec les grands axes de la politique que je mène au ministère français de la culture et de la communication, et avec ma conception d'une politique culturelle ambitieuse et tournée vers le développement.
Mon intervention s'articulera autour de deux notions-clés qui me semblent essentielles aussi bien pour notre débat ici-même que pour la politique que je mène à Paris : la démocratisation et le pluralisme. Mais je souhaiterais auparavant rendre hommage à l'activité de l'Unesco dans le domaine de la culture et rappeler le contexte dans lequel s'insère notre conférence.
L'Unesco n'a cessé, depuis cinquante ans, d'oeuvrer au rapprochement des cultures et des hommes, de promouvoir le développement de la circulation des idées et des oeuvres. Elle apparaît aux yeux de l'opinion mondiale comme la plus importante organisation internationale à vocation culturelle.
Chacun connaît, en particulier, son action dans le domaine de la protection du patrimoine. Il n'est pas nécessaire de rappeler ici tous les chantiers auxquels elle s'est consacrée. La France est associée aujourd'hui notamment à ceux qui concernent la restauration des temples d'Angkor, la reconstruction de la bibliothèque d'Alexandrie ou de la réhabilitation de la bibliothèque de Sarajevo. L'action de l'Unesco est sans doute plus modeste dans le domaine de la création . L'aide aux créateurs garantit pourtant la constitution du patrimoine de demain, et un accroissement des moyens consacrés par l'Unesco à la création serait nécessaire.
Mais l'Unesco a incontestablement eu un rôle pionnier pour la prise en compte de la notion de culture dans le développement. L'Unesco a, la première, promu l'idée que le développement, pour être durable, ne saurait répondre à des impératifs purement quantitatifs et économiques, mais devrait se réorienter vers l'individu et favoriser son épanouissement, dont l'accès à la culture est l'une des garanties.
La France a participé avec enthousiasme à la conférence mondiale de Mexico sur les politiques culturelles, en 1982, qui a contribué à faire émerger la notion d'identité culturelle et à affirmer le lien entre culture et développement.
Mon pays s'est également engagé activement dans la préparation et la mise en oeuvre de la décennie mondiale du développement culturel, qui s'est achevée l'an dernier. Deux initiatives d'envergure ont particulièrement retenu notre attention : les projets concernant l'art à l'hôpital et les cultures de quartier. C'est dans le cadre de cette décennie qu'a été mise également en place la Formation internationale culture qui accueille chaque année une vingtaine de professionnels culturels de tous les pays du monde pour se former à la gestion culturelle pendant un an.
La Commission mondiale de la culture et du développement a ensuite élaboré un intéressant rapport, intitulé " Notre diversité créatrice ". Un séminaire national a été organisé à Paris au début de cette année pour en discuter les conclusions et préparer cette conférence. Je tiens par ailleurs à mentionner l'excellent rapport intitulé " La culture au coeur " que le Conseil de l'Europe a élaboré en marge de la mission de M. Perez de Cuellar.
A l'initiative conjointe de l'Unesco et des autorités suédoises, que je souhaite saluer chaleureusement, nous allons maintenant pouvoir tirer les conclusions de cet effort de réflexion entrepris depuis quinze ans et le faire déboucher sur des objectifs concrets, en tenant compte du rôle fondamental de la culture pour toute société.
Un examen attentif du projet de plan d'action présenté par le secrétariat général nous a conduit à présenter un grand nombre d'amendements à ce projet, afin notamment de lui permettre d'aboutir à des recommandations plus précises et plus opérationnelles.
Je n'entrerai pas dans le détail de ces amendements, qui concernent chacun des objectifs retenus. Mais je voudrais vous faire part de ma réflexion concernant deux sujets majeurs qui me semblent devoir inspirer notre plan d'action : la démocratisation de l'accès à la culture d'une part, le respect et le développement du pluralisme culturel d'autre part.
La démocratisation de la culture
Le terme de démocratisation peut paraître usé à force d'être employé. Et pourtant il n'est pas dépassé, et concerne bien tous les pays de la terre, quel que soit leur niveau de développement. J'en ai fait, pour ma part, un objectif prioritaire de mon action, et il me paraîtrait juste que cet objectif figure clairement parmi ceux que nous allons retenir à Stockholm.
Dans une société où les repères éclatent sous la pression du chômage, et quand la relégation économique et sociale s'accompagne presque mécaniquement d'une relégation culturelle, la quête de sens, de liens sociaux, de représentation collective, s'impose encore plus fortement et pose l'exigence démocratique d'accès à la culture avec une nouvelle acuité.
La démocratisation des pratiques artistiques et culturelles ne peut pas se faire sans un effort important d'éducation et de formation. L'école, premier lieu de réduction des inégalités, doit devenir une véritable institution culturelle, favorisant les pratiques artistiques et donnant à chacun la possibilité et le goût de développer son accès à la culture.
L'éducation doit permettre d'éveiller la sensibilité et de développer le jugement critique, pour former des adultes actifs et conscients qui ne soient pas des consommateurs passifs. Cette nécessité d'une conscience critique est particulièrement nécessaire face à l'évolution des pratiques culturelles, qui voient l'émergence d'une société de l'image et la croissance des pratiques culturelles individuelles en relation avec le développement de la société de l'information.
Le travail d'éducation et de sensibilisation ne concerne pas que l'école. Toutes les formes de médiation doivent être encouragées. Sans cet effort d'éducation et de médiation, le discours sur la démocratisation n'est que théorie. L'éducation populaire doit être encouragée, ainsi que les activités amateur.
La démocratisation de l'accès à la culture passe certes aussi par la constitution d'un réseau serré de lieux de diffusion, avec une décentralisation qui permette l'émergence d'une culture de proximité et d'initiatives relevant de la culture de quartier. La diversification de l'offre par la multiplication des équipements culturels a été une priorité des politiques culturelles menées en France depuis quarante ans. Mais cette étape nécessaire n'est pas suffisante : les équipements doivent impérativement être complétés par une médiation qui permette aux publics de se les approprier.
Une véritable démocratisation des pratiques culturelles est indispensable s'il on veut que la culture joue pleinement son rôle dans la lutte contre l'exclusion.
La lutte contre l'exclusion ne saurait, certes, relever des seules politiques culturelles. La culture n'est pas un substitut, les artistes ne sont pas des médecins du social que l'on peut envoyer en dernier recours comme alibi de notre impuissance. Mais l'action culturelle peut à juste titre être sollicitée pour participer à la reconstruction du lien social. Des programmes d'actions durables et efficaces peuvent être mis en place en s'appuyant sur un large partenariat entre l'Etat, les collectivités locales, les associations de solidarité, les structures sociales et de prévention et les établissements éducatifs et culturels.
De manière symbolique, j'ai souhaité que le droit à la culture figure parmi les droits fondamentaux inscrits dans la loi qui doit prochainement intervenir en France pour la prévention et la lutte contre les exclusions.
L'Unesco a su s'intéresser à la culture des quartiers et réfléchir dans le cadre de ce programme au rôle de la culture contre l'exclusion. Je souhaite l'encourager à poursuivre dans cette voie, et le plan d'action que nous allons adopter devrait y faire référence. L'action publique dans le domaine culturel doit assumer une dimension sociale en ne se bornant pas à répondre aux besoins d'un public acquis aux pratiques culturelles.
Je voudrais mentionner à cet égard l'intérêt des statistiques sur les pratiques culturelles. Le ministère de la culture se livre en France périodiquement à de vastes enquêtes sur les pratiques culturelles des Français.
Quelles que soient les conclusions qu'ont peut en tirer, ces études et statistiques culturelles sont extrêmement intéressantes. L'Unesco serait parfaitement dans son rôle en développant son activité dans ce domaine. L'échange d'information en matière de politiques culturelles, la définition d'indicateurs culturels simples et fiables, les études comparatives devraient être encouragés, et le plan d'action que nous allons adopter pourrait utilement intégrer une recommandation en ce sens.
L'impératif de démocratisation de l'accès à la culture nécessite une politique active des pouvoirs publics. Sans méconnaître l'importance de l'action d'autres partenaires de l'action culturelle, je suis convaincue que la responsabilité des pouvoirs publics ne peut que rester éminente pour assurer un développement culturel harmonieux.
Des objectifs réalistes mais ambitieux doivent être fixés pour cette intervention des pouvoirs publics. La France s'est fixée depuis plusieurs années un objectif qui a le mérite de la simplicité : consacrer 1 % du budget de l'Etat à la culture. Même si cet objectif n'est pas tout à fait atteint, il constitue une référence largement partagée. Sans avoir la prétention de l'ériger en modèle, parce que chaque société a sa spécificité, je voudrais néanmoins le proposer pour notre plan d'action.
Je voudrais aborder maintenant un second thème qui me paraît fondamental, celui du pluralisme culturel.
Le pluralisme culturel
Réfléchissant aux rapports entre la culture et le développement, on se trouve rapidement confronté à la question de la diversité culturelle. Le développement ne saurait passer en effet par l'imposition d'un modèle culturel unique, la négation des identités culturelles. Ce serait nier la notion même de la culture, puisque celle-ci suppose la possibilité de confrontation, d'enrichissement mutuel.
L'objectif du pluralisme culturel peut cependant avoir plusieurs interprétations. Il est essentiel que nous ne nous trompions pas de cible et que, comme nous y invite le caractère universel de l'Unesco, nous abordions bien cette question d'un point de vue mondial, en fonction de l'évolution globale de nos sociétés.
Les documents préparatoires qui nous ont été communiqués insistent sur les droits des minorités culturelles à l'intérieur d'un même Etat. Je suis tout à fait favorable à une reconnaissance de l'expression des minorités culturelles. Certes, la minorité culturelle ne doit pas passer avant l'individu et le citoyen : la reconnaissance des minorités culturelles ne doit pas faire obstacle au respect de l'universalisme des droits de l'homme. Le communautarisme comporte de nombreux dangers, et l'isolement par repli identitaire est générateur de conflits. Mais la cohabitation d'entités culturelles diverses est riche d'échanges potentiels et d'enrichissement mutuel, et le pluralisme culturel doit être donc être reconnu et soutenu dans chacun de nos Etats.
Mais le pluralisme culturel s'impose aussi et surtout, selon moi, à l'échelle du monde. Si les inquiétudes nées de la mondialisation ne doivent pas être exagérées, il y a incontestablement un risque d'uniformisation des cultures par l'imposition d'un modèle dominant contre lequel il faut impérativement lutter. Je me réjouis de disposer de cette tribune pour réaffirmer la nécessité d'une grande vigilance dans ce domaine.
Afin que ma position soit bien comprise, je veux rappeler qu'il ne s'agit pas d'une attitude défensive et passéiste, émanant d'un représentant d'une nation qui serait crispée sur son héritage glorieux. Il s'agit au contraire d'un combat d'avenir, exigeant de faire preuve d'ouverture et d'inventivité pour que notre monde de demain soit riche et pluriel.
Les voies d'action à cette fin sont multiples. La promotion de multilinguisme est à cet égard essentielle. La société de l'information peut dans ce domaine être source de progrès et d'espoir. La lutte contre les concentrations et les positions dominantes peut être mise au service du pluralisme culturel, ainsi que de nombreuses formes d'aide comme celles qui ont pu être mises en place dans de nombreux Etats ou dans la Communauté européenne.
Encore faut-il que soit clairement reconnu le fait que les produits culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, que la culture ne peut pas être traitée dans les négociations internationales comme un secteur économique comme les autres. Les systèmes d'aide au développement culturel doivent pouvoir être préservés, et la France est bien décidée à se battre pour l'exception culturelle dans les négociations actuelles sur l'Accord Multilatéral sur l'Investissement dans le cadre de l'OCDE comme dans les futures négociations qui s'ouvriront dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce.
La protection du droit des auteurs mérite une mention particulière. Il s'agit en effet d'une condition indispensable pour le développement de la création, et donc pour celui des industries culturelles et en particulier des nouveaux services. C'est pourquoi la France milite dans les négociations que je viens d'évoquer pour une exception culturelle globale, ne se limitant pas au statu quo et excluant les droits d'auteurs des investissements couverts par les accords.
Je considère que l'Unesco a un rôle fondamental à jouer dans ce domaine, en rappelant clairement et hautement la spécificité des valeurs culturelles. L'Unesco a su faire prendre conscience à la communauté internationale de la nécessité de lutter contre les trafics illicites d'oeuvres d'art ; il faut qu'elle concoure à lui faire prendre conscience aujourd'hui de la nécessité de lutter contre la banalisation de la culture et sa dilution dans l'économie de marché.
Le pluriculturalisme et le plurilinguisme doivent impérativement être préservés face aux effets pervers de la mondialisation, afin que le dialogue entre les cultures, qui est à la base des missions de l'Unesco, puisse continuer à se développer.
En conclusion de mon intervention, que j'ai voulu centrer sur les deux notions de démocratisation et de pluralisme, parce qu'elles me tiennent particulièrement à coeur, je voudrais vous rappeler que les différentes cultures du monde constituent un véritable patrimoine de l'humanité, qui s'enrichit continuellement par les apports de chacune, et que sa diversité et une certaine fragilité rendent particulièrement précieux. La mission de l'Unesco, qui consiste à en permettre le développement harmonieux dans un dialogue fécond, est particulièrement noble. Elle pourra compter sur le soutien déterminé de la France pour poursuivre cette mission.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Léon Blum, en ayant proposé au nom du gouvernement français il y a un peu plus de cinquante ans que l'Unesco ait son siège à Paris, et en ayant obtenu l'accord des pères fondateurs de celle-ci, a imposé aux représentants de la France un devoir particulier à l'égard de cette organisation. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité venir aujourd'hui à Stockholm participer à cette conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement.
Je me réjouis de retrouver ou de connaître ici tant de collègues éminents et de l'occasion qui m'est donnée de traiter de sujets d'une grande actualité.
Cette conférence montre à quel point l'Unesco sait affronter les vrais débats de société. Quelques jours avant les Assises européennes de l'audiovisuel à Birmingham, et alors que les négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement à l'OCDE précédent de nouveaux débats à l'Organisation Mondiale du Commerce, la conférence de Stockholm nous donne l'occasion de réfléchir sur la notion du pluralisme culturel, qui me parait devoir être au coeur de nos débats.
Je tiens à souligner en outre que les thèmes dont nous allons discuter sont en relation directe avec les grands axes de la politique que je mène au ministère français de la culture et de la communication, et avec ma conception d'une politique culturelle ambitieuse et tournée vers le développement.
Mon intervention s'articulera autour de deux notions-clés qui me semblent essentielles aussi bien pour notre débat ici-même que pour la politique que je mène à Paris : la démocratisation et le pluralisme. Mais je souhaiterais auparavant rendre hommage à l'activité de l'Unesco dans le domaine de la culture et rappeler le contexte dans lequel s'insère notre conférence.
L'Unesco n'a cessé, depuis cinquante ans, d'oeuvrer au rapprochement des cultures et des hommes, de promouvoir le développement de la circulation des idées et des oeuvres. Elle apparaît aux yeux de l'opinion mondiale comme la plus importante organisation internationale à vocation culturelle.
Chacun connaît, en particulier, son action dans le domaine de la protection du patrimoine. Il n'est pas nécessaire de rappeler ici tous les chantiers auxquels elle s'est consacrée. La France est associée aujourd'hui notamment à ceux qui concernent la restauration des temples d'Angkor, la reconstruction de la bibliothèque d'Alexandrie ou de la réhabilitation de la bibliothèque de Sarajevo. L'action de l'Unesco est sans doute plus modeste dans le domaine de la création . L'aide aux créateurs garantit pourtant la constitution du patrimoine de demain, et un accroissement des moyens consacrés par l'Unesco à la création serait nécessaire.
Mais l'Unesco a incontestablement eu un rôle pionnier pour la prise en compte de la notion de culture dans le développement. L'Unesco a, la première, promu l'idée que le développement, pour être durable, ne saurait répondre à des impératifs purement quantitatifs et économiques, mais devrait se réorienter vers l'individu et favoriser son épanouissement, dont l'accès à la culture est l'une des garanties.
La France a participé avec enthousiasme à la conférence mondiale de Mexico sur les politiques culturelles, en 1982, qui a contribué à faire émerger la notion d'identité culturelle et à affirmer le lien entre culture et développement.
Mon pays s'est également engagé activement dans la préparation et la mise en oeuvre de la décennie mondiale du développement culturel, qui s'est achevée l'an dernier. Deux initiatives d'envergure ont particulièrement retenu notre attention : les projets concernant l'art à l'hôpital et les cultures de quartier. C'est dans le cadre de cette décennie qu'a été mise également en place la Formation internationale culture qui accueille chaque année une vingtaine de professionnels culturels de tous les pays du monde pour se former à la gestion culturelle pendant un an.
La Commission mondiale de la culture et du développement a ensuite élaboré un intéressant rapport, intitulé " Notre diversité créatrice ". Un séminaire national a été organisé à Paris au début de cette année pour en discuter les conclusions et préparer cette conférence. Je tiens par ailleurs à mentionner l'excellent rapport intitulé " La culture au coeur " que le Conseil de l'Europe a élaboré en marge de la mission de M. Perez de Cuellar.
A l'initiative conjointe de l'Unesco et des autorités suédoises, que je souhaite saluer chaleureusement, nous allons maintenant pouvoir tirer les conclusions de cet effort de réflexion entrepris depuis quinze ans et le faire déboucher sur des objectifs concrets, en tenant compte du rôle fondamental de la culture pour toute société.
Un examen attentif du projet de plan d'action présenté par le secrétariat général nous a conduit à présenter un grand nombre d'amendements à ce projet, afin notamment de lui permettre d'aboutir à des recommandations plus précises et plus opérationnelles.
Je n'entrerai pas dans le détail de ces amendements, qui concernent chacun des objectifs retenus. Mais je voudrais vous faire part de ma réflexion concernant deux sujets majeurs qui me semblent devoir inspirer notre plan d'action : la démocratisation de l'accès à la culture d'une part, le respect et le développement du pluralisme culturel d'autre part.
La démocratisation de la culture
Le terme de démocratisation peut paraître usé à force d'être employé. Et pourtant il n'est pas dépassé, et concerne bien tous les pays de la terre, quel que soit leur niveau de développement. J'en ai fait, pour ma part, un objectif prioritaire de mon action, et il me paraîtrait juste que cet objectif figure clairement parmi ceux que nous allons retenir à Stockholm.
Dans une société où les repères éclatent sous la pression du chômage, et quand la relégation économique et sociale s'accompagne presque mécaniquement d'une relégation culturelle, la quête de sens, de liens sociaux, de représentation collective, s'impose encore plus fortement et pose l'exigence démocratique d'accès à la culture avec une nouvelle acuité.
La démocratisation des pratiques artistiques et culturelles ne peut pas se faire sans un effort important d'éducation et de formation. L'école, premier lieu de réduction des inégalités, doit devenir une véritable institution culturelle, favorisant les pratiques artistiques et donnant à chacun la possibilité et le goût de développer son accès à la culture.
L'éducation doit permettre d'éveiller la sensibilité et de développer le jugement critique, pour former des adultes actifs et conscients qui ne soient pas des consommateurs passifs. Cette nécessité d'une conscience critique est particulièrement nécessaire face à l'évolution des pratiques culturelles, qui voient l'émergence d'une société de l'image et la croissance des pratiques culturelles individuelles en relation avec le développement de la société de l'information.
Le travail d'éducation et de sensibilisation ne concerne pas que l'école. Toutes les formes de médiation doivent être encouragées. Sans cet effort d'éducation et de médiation, le discours sur la démocratisation n'est que théorie. L'éducation populaire doit être encouragée, ainsi que les activités amateur.
La démocratisation de l'accès à la culture passe certes aussi par la constitution d'un réseau serré de lieux de diffusion, avec une décentralisation qui permette l'émergence d'une culture de proximité et d'initiatives relevant de la culture de quartier. La diversification de l'offre par la multiplication des équipements culturels a été une priorité des politiques culturelles menées en France depuis quarante ans. Mais cette étape nécessaire n'est pas suffisante : les équipements doivent impérativement être complétés par une médiation qui permette aux publics de se les approprier.
Une véritable démocratisation des pratiques culturelles est indispensable s'il on veut que la culture joue pleinement son rôle dans la lutte contre l'exclusion.
La lutte contre l'exclusion ne saurait, certes, relever des seules politiques culturelles. La culture n'est pas un substitut, les artistes ne sont pas des médecins du social que l'on peut envoyer en dernier recours comme alibi de notre impuissance. Mais l'action culturelle peut à juste titre être sollicitée pour participer à la reconstruction du lien social. Des programmes d'actions durables et efficaces peuvent être mis en place en s'appuyant sur un large partenariat entre l'Etat, les collectivités locales, les associations de solidarité, les structures sociales et de prévention et les établissements éducatifs et culturels.
De manière symbolique, j'ai souhaité que le droit à la culture figure parmi les droits fondamentaux inscrits dans la loi qui doit prochainement intervenir en France pour la prévention et la lutte contre les exclusions.
L'Unesco a su s'intéresser à la culture des quartiers et réfléchir dans le cadre de ce programme au rôle de la culture contre l'exclusion. Je souhaite l'encourager à poursuivre dans cette voie, et le plan d'action que nous allons adopter devrait y faire référence. L'action publique dans le domaine culturel doit assumer une dimension sociale en ne se bornant pas à répondre aux besoins d'un public acquis aux pratiques culturelles.
Je voudrais mentionner à cet égard l'intérêt des statistiques sur les pratiques culturelles. Le ministère de la culture se livre en France périodiquement à de vastes enquêtes sur les pratiques culturelles des Français.
Quelles que soient les conclusions qu'ont peut en tirer, ces études et statistiques culturelles sont extrêmement intéressantes. L'Unesco serait parfaitement dans son rôle en développant son activité dans ce domaine. L'échange d'information en matière de politiques culturelles, la définition d'indicateurs culturels simples et fiables, les études comparatives devraient être encouragés, et le plan d'action que nous allons adopter pourrait utilement intégrer une recommandation en ce sens.
L'impératif de démocratisation de l'accès à la culture nécessite une politique active des pouvoirs publics. Sans méconnaître l'importance de l'action d'autres partenaires de l'action culturelle, je suis convaincue que la responsabilité des pouvoirs publics ne peut que rester éminente pour assurer un développement culturel harmonieux.
Des objectifs réalistes mais ambitieux doivent être fixés pour cette intervention des pouvoirs publics. La France s'est fixée depuis plusieurs années un objectif qui a le mérite de la simplicité : consacrer 1 % du budget de l'Etat à la culture. Même si cet objectif n'est pas tout à fait atteint, il constitue une référence largement partagée. Sans avoir la prétention de l'ériger en modèle, parce que chaque société a sa spécificité, je voudrais néanmoins le proposer pour notre plan d'action.
Je voudrais aborder maintenant un second thème qui me paraît fondamental, celui du pluralisme culturel.
Le pluralisme culturel
Réfléchissant aux rapports entre la culture et le développement, on se trouve rapidement confronté à la question de la diversité culturelle. Le développement ne saurait passer en effet par l'imposition d'un modèle culturel unique, la négation des identités culturelles. Ce serait nier la notion même de la culture, puisque celle-ci suppose la possibilité de confrontation, d'enrichissement mutuel.
L'objectif du pluralisme culturel peut cependant avoir plusieurs interprétations. Il est essentiel que nous ne nous trompions pas de cible et que, comme nous y invite le caractère universel de l'Unesco, nous abordions bien cette question d'un point de vue mondial, en fonction de l'évolution globale de nos sociétés.
Les documents préparatoires qui nous ont été communiqués insistent sur les droits des minorités culturelles à l'intérieur d'un même Etat. Je suis tout à fait favorable à une reconnaissance de l'expression des minorités culturelles. Certes, la minorité culturelle ne doit pas passer avant l'individu et le citoyen : la reconnaissance des minorités culturelles ne doit pas faire obstacle au respect de l'universalisme des droits de l'homme. Le communautarisme comporte de nombreux dangers, et l'isolement par repli identitaire est générateur de conflits. Mais la cohabitation d'entités culturelles diverses est riche d'échanges potentiels et d'enrichissement mutuel, et le pluralisme culturel doit être donc être reconnu et soutenu dans chacun de nos Etats.
Mais le pluralisme culturel s'impose aussi et surtout, selon moi, à l'échelle du monde. Si les inquiétudes nées de la mondialisation ne doivent pas être exagérées, il y a incontestablement un risque d'uniformisation des cultures par l'imposition d'un modèle dominant contre lequel il faut impérativement lutter. Je me réjouis de disposer de cette tribune pour réaffirmer la nécessité d'une grande vigilance dans ce domaine.
Afin que ma position soit bien comprise, je veux rappeler qu'il ne s'agit pas d'une attitude défensive et passéiste, émanant d'un représentant d'une nation qui serait crispée sur son héritage glorieux. Il s'agit au contraire d'un combat d'avenir, exigeant de faire preuve d'ouverture et d'inventivité pour que notre monde de demain soit riche et pluriel.
Les voies d'action à cette fin sont multiples. La promotion de multilinguisme est à cet égard essentielle. La société de l'information peut dans ce domaine être source de progrès et d'espoir. La lutte contre les concentrations et les positions dominantes peut être mise au service du pluralisme culturel, ainsi que de nombreuses formes d'aide comme celles qui ont pu être mises en place dans de nombreux Etats ou dans la Communauté européenne.
Encore faut-il que soit clairement reconnu le fait que les produits culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, que la culture ne peut pas être traitée dans les négociations internationales comme un secteur économique comme les autres. Les systèmes d'aide au développement culturel doivent pouvoir être préservés, et la France est bien décidée à se battre pour l'exception culturelle dans les négociations actuelles sur l'Accord Multilatéral sur l'Investissement dans le cadre de l'OCDE comme dans les futures négociations qui s'ouvriront dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce.
La protection du droit des auteurs mérite une mention particulière. Il s'agit en effet d'une condition indispensable pour le développement de la création, et donc pour celui des industries culturelles et en particulier des nouveaux services. C'est pourquoi la France milite dans les négociations que je viens d'évoquer pour une exception culturelle globale, ne se limitant pas au statu quo et excluant les droits d'auteurs des investissements couverts par les accords.
Je considère que l'Unesco a un rôle fondamental à jouer dans ce domaine, en rappelant clairement et hautement la spécificité des valeurs culturelles. L'Unesco a su faire prendre conscience à la communauté internationale de la nécessité de lutter contre les trafics illicites d'oeuvres d'art ; il faut qu'elle concoure à lui faire prendre conscience aujourd'hui de la nécessité de lutter contre la banalisation de la culture et sa dilution dans l'économie de marché.
Le pluriculturalisme et le plurilinguisme doivent impérativement être préservés face aux effets pervers de la mondialisation, afin que le dialogue entre les cultures, qui est à la base des missions de l'Unesco, puisse continuer à se développer.
En conclusion de mon intervention, que j'ai voulu centrer sur les deux notions de démocratisation et de pluralisme, parce qu'elles me tiennent particulièrement à coeur, je voudrais vous rappeler que les différentes cultures du monde constituent un véritable patrimoine de l'humanité, qui s'enrichit continuellement par les apports de chacune, et que sa diversité et une certaine fragilité rendent particulièrement précieux. La mission de l'Unesco, qui consiste à en permettre le développement harmonieux dans un dialogue fécond, est particulièrement noble. Elle pourra compter sur le soutien déterminé de la France pour poursuivre cette mission.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2001)