Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la position française concernant la réforme de la PAC, fondée sur le respect du calendrier de réforme voté en 1999 et sur la volonté de promouvoir le développement rural, Paris le 3 octobre 2002.

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  • Hervé Gaymard - Ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

Circonstance : Conférence de "The Economist" - Quel projet agricole pour l'Europe - à Paris le 3 octobre 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord remercier les organisateurs de The Economist pour la qualité des sujets qu'ils ont sélectionnés, les personnalités de haut niveau qu'ils ont rassemblées et dire à John ANDREWS combien j'ai été sensible à son accueil chaleureux. Le débat sur la politique agricole, au coeur des inquiétudes des citoyens sur la mondialisation et l'urbanisation de nos modes de vie, vaut mieux que les caricatures commerciales, budgétaires, tiers-mondistes ou écologistes dans lesquelles il a trop souvent versé, ces derniers mois.
Merci de nous avoir permis, l'espace d'une journée de réflexion, d'arrêter ce jeu de dupes qui consiste à présenter la PAC comme la cause de tous les malheurs de la planète en général et de l'Europe en particulier.
Avec six ministres européens, j'ai publié il y a quinze jours une tribune pour rappeler les valeurs essentielles qui sous-tendent cette politique. Oui, je le reconnais, il s'agissait bien d'un papier vif et franc, qui résume à lui seul le message que je souhaite vous délivrer aujourd'hui : pour construire l'agriculture de demain, écologiquement responsable et économiquement forte, il faut sortir du politiquement correct qui oppose le libéralisme-vert au corporatisme de producteurs tentés par le repli sur soi face à l'inconnu.
Alors, intellectuellement, je vous le demande, ouvrons les fenêtres. Un peu d'air, s'il vous plaît, dans ce débat dont devra naître le modèle de notre civilisation de demain.
Ma contribution à votre débat portera sur le court et le moyen terme. Pour répondre à vos interrogations les plus pressantes, je présenterai d'abord la position de la France sur la revue à mi-parcours qu'appelle de ses voeux la Commission européenne, comme vient de vous le rappeler Pascal LAMY. A plus long terme, j'aimerai rétablir certaines vérités sur l'agriculture européenne et mondiale, sans lesquelles toute réforme de la PAC après 2006 me paraît d'avance vouée à l'échec.

[La revue à mi-parcours de la PAC]
La revue à mi-parcours de la PAC constituera, si elle a lieu, l'un des enjeux majeurs de mon ministère et l'un des débats actuels les plus saillants au sein de l'Union.
Contrairement à ce que certains aimeraient faire croire, la France n'est pas " à côté de la PAC "... Nous savons bien que la politique agricole est aujourd'hui confrontée à des interrogations aussi cruciales que celles qui ont donné naissance à la PAC, il y a quarante ans.
Mais à l'instar des pères fondateurs de l'Europe, et en Européen convaincu, je crois au primat du politique sur le technique. J'attends donc que la politique agricole de l'Union soit conduite à partir de décisions politiques, car ce qui est en cause, ne nous y trompons pas, c'est un mode de vie rural qui fonde notre identité européenne.
Aussi, les décisions qui s'y rapportent doivent-elles être prises au niveau des Etats et non de la Commission, et donner lieu à un débat à la fois ouvert et serein avec les citoyens. Et c'est pour cela, et non par conservatisme, que je plaide pour le respect du calendrier de réforme voté par les chefs d'Etat des Quinze en 1999.
Si elle parvient à respecter ce rythme, je souhaite que la revue à mi-parcours ne se limite pas au seul examen de statistiques agricoles, mais qu'elle porte une nouvelle ambition pour l'agriculture en Europe, en réformant les organisations de marché défaillantes, en assurant une vraie rentabilité de l'agriculture en milieu rural, en réconciliant ce secteur avec les consommateurs, promeneurs, contribuables, qui constituent ses premiers " clients ".
Plus généralement, le deuxième pilier de la PAC est, dans son principe, conforme à ma volonté de promouvoir le développement rural.
Mais, en pratique, là encore, les propositions du Commissaire FISCHLER ne répondent pas à l'objectif que nous lui avons assigné. La France entend, avec d'autres gouvernements et en consultation étroite avec la société, promouvoir un projet alternatif qui pose les jalons d'un deuxième pilier efficace.
La France, vous le voyez, n'est en rien repliée sur son passé, comme on le prétend trop souvent. Elle n'est pas davantage isolée, car prendre ses distances avec Bruxelles n'empêche pas de rester représentatif de la majorité européenne, bien au contraire.

[Lutter contre les faux procès]
En retardant la publication des études d'impacts sur ses propositions de réforme agricole, la Commission européenne a laissé à chaque protagoniste le soin de se les constituer lui-même. Ce faisant, elle a indirectement contribué à une désinformation dont la PAC est actuellement victime.
Car chacun voit midi à sa porte, bien sûr. Qui pourrait s'étonner que les pays européens non agricoles dénoncent les excédents de productions, que les pays contributeurs nets au budget européen parlent " du coût exorbitant " de cette politique, ou encore que nos concurrents commerciaux s'indignent des parts de marchés agricoles de l'Europe à l'étranger ? A l'approche de rendez-vous européens et internationaux majeurs, la grande valse des intimidations a commencé. C'est le jeu. N'en soyons pas dupes et, ensemble, rétablissons, chiffres à l'appui, quelques vérités bonnes à entendre et à répéter.

1 - La PAC coûterait trop cher , nous dit-on, car son budget annuel oscille autour de 40 milliards d'euros par an. Trop cher par rapport à quoi ?
Si l'on compare les dépenses publiques agricoles des Quinze à l'ensemble de leurs dépenses publiques, on obtient un ratio de 1%, contre 1,5% aux Etats-Unis. A Johannesbourg, le président de la République Sudafricaine n'a-t-il pas lui-même déclaré : " Subventionner l'agriculture est toujours bénéfique. Je suis pour. Le problème, c'est que je n'en ai pas les moyens " ! 1% d'effort budgétaire à Quinze dont profite 60% de notre territoire national, est-ce vraiment trop, alors que, pour des politiques encore non communautarisées, la France dépense 14,7% de son budget pour la Défense, et 23% pour l'Education nationale ?
Plus surprenant encore, il m'arrive même de lire, comme dans la presse britannique avant hier, qu'avec la PAC, le citoyen " paie deux fois, en tant que contribuable, puis en tant que consommateur ".
Pourtant, le prix des produits agricoles est repassé en dessous de son plancher historique enregistré pendant la première guerre mondiale. De même, je tiens à souligner, car on oublie bien souvent de le mentionner, que l'alimentation ne représente plus que 16% dans le budget des ménages européens, contre plus de la moitié au moment de la mise en place de la PAC, il y a quarante ans.

2 - Subventionner l'agriculture ne serait plus légitime aujourd'hui.
Voilà un thème que l'on entend murmurer chez certains de nos voisins européens, notamment au Nord, et que l'on voit s'étaler dans la presse, reprenant les propos de gouvernants des pays du sud.
Et là, je serai intransigeant. Non, l'agriculture n'est pas un secteur comme un autre. Car l'alimentation, le paysage, les terroirs, la diversité du vivant, la terre que nous laisserons à nos enfants, tout cela n'est pas et ne sera jamais une marchandise dont le cours fluctuera à Wall Street. Même dans les pays du Sud, cette spécificité est une réalité quotidienne : quand la crise monétaire a violemment secoué l'Asie du sud-est en 1997, le pourcentage d'agriculteurs dans la population active de Thaïlande a augmenté de moitié en deux ans, car dans les pays du sud, comme dans ceux du Nord, la campagne fait toujours office de filet de sécurité social et culturel.
Le respect de l'humanité dans la modernisation n'a rien de ringard. Au contraire, il évacue les gadgets d'un progrès mal assumé.

3 - Les deniers de la PAC seraient " mal dépensés "
Voilà bien un constat que je partage pour quelques filières, même s'il ne m'inspire pas les mêmes suggestions que la Commission, ou certains de mes voisins.
Pour juger de la gestion de la PAC, il faut mesurer sa capacité à atteindre les objectifs que les traités européens lui ont fixés, de Rome à Göteborg, en passant par Amsterdam : soutenir l'activité agricole comme moteur économique des zones rurales et inciter les producteurs dans leurs missions " hors marché " qui sont, je le rappelle, le respect de l'environnement, la qualité sanitaire de nos produits et la préservation du patrimoine rural comme berceau de notre identité culturelle et d'un certain mode de vie.
Pour garantir la compétitivité des exploitations, la Commission européenne a récemment proposé de découpler les aides des montants produits.
Ce projet s'appuie sur l'hypothèse économique néo-classique selon laquelle un soutien direct permettrait à l'agriculteur de retrouver les signaux de marchés véhiculés par les prix, donc son libre-arbitre dans ses décisions d'investissement. Un agriculteur-entrepreneur, en somme, cheville ouvrière d'une révolution agricole par la base, efficace et peu coûteuse...
La théorie est alléchante, mais elle ne correspond malheureusement pas à la réalité, où la baisse du premier pilier de la PAC depuis dix ans, rognant les prix, s'est traduite mécaniquement par une croissance exponentielle de la part des subventions dans le revenu agricole.
Pour que l'exploitant conserve la possibilité d'adapter sa production aux exigences de la demande et aux contraintes du marché, ne devrions nous pas plutôt conditionner ses aides à sa production, pour ne pas faire de lui un écolo-jardinier qui ne prendra même plus la peine de lire les indices consciencieusement publiés chaque semaine dans la France agricole !
Dans sa deuxième mission, que les spécialistes de Bruxelles qualifient d'agri-environnementale, je vous ai déjà indiqué à quel point nous souhaitions être une force de proposition pour un deuxième pilier efficace et rentable pour le contribuable. Et sur ce sujet, notre expérience fâcheuse des Contrats territoriaux d'exploitation nous a enseigné que le temps et la réflexion étaient le seul rempart contre les lendemains qui déchantent...

4 - La PAC ralentirait les pays pauvres dans leur développement
Mon homologue britannique, Margaret BECKETT, indiquait ces jours derniers que l'ouverture commerciale du Nord aux produits agricoles du Sud pourrait être " le moteur de la croissance et du développement durable " de ces pays.
Pour apprécier cette déclaration, il est d'abord utile de rappeler que l'Europe absorbe deux-tiers des exportations africaines, contre un quart pour les Etats-Unis, et que la France consacre à elle seule 0,33% de sa richesse à l'aide au développement, contre 0,10% pour les Etats-Unis.
Le lien entre commerce agricole et développement, au demeurant, est plus complexe qu'il n'y paraît. Les études d'impact de l'accord de Marrakech sur le commerce en Afrique, en particulier, sont éclairants: dans une étude publiée l'année dernière et qui fait aujourd'hui référence en la matière, les économistes WEISBROT, NEIMAN et KIM ont ainsi prouvé que le PIB par tête des pays en voie de développement était correlé à la croissance mondiale et non au rythme d'ouverture des échanges, mêmes agricoles.
En valeur, les échanges agricoles mondiaux se sont mêmes contractés depuis 1997, la baisse des tarifs douaniers s'étant d'abord traduite par une baisse des prix mondiaux, puis seulement après, par une hausse des volumes.
Et pourtant, Stefan TANGERMANN, le directeur de l'OCDE pour l'agriculture et l'alimentation, reconnaissait lui-même en février dernier que " les accords de l'Uruguay round ont été bien appliqués et ont assez rarement donné lieu à des différends ".
Plus préoccupant encore, comme le souligne Benoist DAVIRON, délégué pour la recherche économique du Cirad, la libéralisation des échanges initiée dans la dernière décennie a poussé les pays en développement à délaisser abusivement leur agriculture pour ne pas rater le train de l'industrialisation. Leurs gouvernements ont donc massivement taxé le secteur primaire pour soutenir le secondaire, pénalisant d'autant la compétitivité de leur production à l'export. Le Dr NORMAN, président de la " Zimbabwe agriculture society " a récemment parcouru la planète pour lancer ce cri d'alarme : " il n'y a rien de pire qu'une politique d'alimentation bon marché. Car elle dérape souvent en politique anti-agricole ". Il voulait ainsi dénoncer la " préférence pour l'urbain ", ce fameux " Urban bias " que de nombreux pays en développement reprochent désormais à leurs gouvernants.
La réforme de la PAC ou l'ouverture de l'accès à nos marchés pour se développer ne suffira pas à assurer le développement du Sud sans priorité claire dans leurs politiques nationales, sans gain de productivité, ou encore sans développement de leur réseau de commercialisation.
Décidément, vous le voyez, l'impact du commerce sur le développement mérite plus qu'une simple négociation tarifaire. C'est pourquoi je proposerai très prochainement à la Commission européenne et au Conseil d'engager une réflexion plus globale sur le lien entre agriculture et développement, qui prenne en compte les mesures de coopération indispensables à une distribution plus efficace des gains de la libéralisation agricole. Le Dr Firmino MUCAVELE, célèbre économiste du Mozambique, assure d'ailleurs que pour l'Afrique, " sans stabilité macro-économique, les réformes commerciales sont nécessairement vouées à l'échec ".
5 - Venons en à la défense des normes sanitaires ou les indications d'origine qui caractérisent nos positions dans les négociations internationales. Dans son intervention devant vous, M. PRATINI de MORAES, ministre brésilien de l'agriculture, a dit tout haut ce que le groupe de Cairns, qu'il représente ici, pense tout bas : sont elles des barrières commerciales déguisées pour compenser l'ouverture de l'accès ?
Pour juger de la pertinence des normes sanitaires, l'OMC s'est doté d'un organe de règlement des différends qui a déjà prouvé sa capacité à corriger les abus, au Nord comme au Sud.
Quant à l'interrogation sur les indications géographiques, compréhensible de la part de pays très éloignés de nous, je préfère répondre par un exemple qui m'est cher.
Je suis un élu de Savoie, région des Alpes qui abrite les stations de ski parmi les plus renommées au monde, mais qui rayonne également par sa production de Beaufort. Grâce à la protection de son appellation, le Beaufort bénéficie d'une niche de marché qui permet aux producteurs de lait de toucher deux fois plus qu'un producteur standard. Et c'est grâce à cette manne qu'il peut assurer chaque année, en pluriactivité ou par les retombées indirectes de cette politique agricole, la qualité des remontées mécaniques et la beauté d'un site contribuant à la richesse du patrimoine mondial.
Vous le voyez, l'exigence européenne sur l'origine ou la qualité des produits sanitaires n'est en rien un faux prétexte, mais au contraire la traduction d'une préoccupation majeure de nos concitoyens dans le modèle de civilisation qui est le leur.
Pour conclure, je voudrais évoquer devant vous le vrai danger qui, selon moi, menace la production agricole mondiale, et, à travers elle, l'avenir de nos campagnes.
Bien loin de se résumer à la PAC, ou au Farm Bill, qui, de toute évidence, devront l'un et l'autre être adaptés, le danger qui nous guette touche plutôt à la façon dont le monde entend réguler le prix des matières premières et, en particulier, les modes, les mouvements de panique, bref le caractère irrationnel qui perturbent leur stabilité.
En ce sens, le constat actuel sur certains excès de la mondialisation des échanges financiers me paraît riche d'enseignements. En 1998, le Professor Jagdish BHAGWATI, économiste anglo-indien renommé et ancien conseiller du directeur du Gatt, s'élevant contre l'hégémonie de l'ultra-libéralisme dans la pensée occidentale, feignait de s'interroger: " Pourquoi la libre circulation des capitaux peut-elle être mauvaise pour la santé ...". Pour la santé de l'Europe, de la planète, et de ses habitants, le dogmatisme qui gagne certains esprits sur la question agricole, si l'on n'y prend pas garde, me paraît tout aussi menaçant.
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 8 octobre 2002)