Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur l'insscription du développemment durable dans la Constitution, le traitement des questions d'environnement au niveau international et la participation des citoyens à la mise en place d'initiatives en faveur de l'écologie et de l'environnement dans le cadre de la décentralisation, Cergy-Pontoise le 25 février 2003.

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Circonstance : Assises d'Ile-de-France pour le développement durable à Cergy-Pontoise (Val d'Oise) le 25 février 2003

Texte intégral

- "Mesdames les ministres,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le professeur Coppens,
que je salue avec gratitude pour l'effort qu'il a engagé et avec immensément de considération, moi dont les journées ne finissent pas, dont les semaines semblent durer des mois, vous, vous comptez en millions d'années Quelle supériorité par rapport à un locataire de Matignon !
Je voudrais remercier R. Bachelot et T. Saïfi de cette importante consultation nationale. Je crois que, en effet, nous sommes sur un sujet difficile à une période où les mentalités bougent. Il faut que l'on frotte un peu nos cervelles pour définir la pensée environnementale qui doit être, au cur de notre République, aujourd'hui, un repère, une ligne d'avenir. C'est pour cela que ces Assises sont très importantes. Nous voulons construire cette Charte qui va être cette ligne travée pour les perspectives de défense de notre planète, pour ce que nous souhaitons affirmer comme conviction en matière de développement durable. Nous avons besoin d'un texte fondateur, structurant. Pour cela, il faut écouter, comprendre, débattre et, avec tolérance, accepter ici ou là les positions des uns et des autres.Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui ont voulu participer à ces Assises, ici, notamment en Ile-de-France, à Cergy-Pontoise.
- je salue le maire, le députés et tous les élus - dans ce qui est la plus grande circonscription de France et qui réussit, à la fois à être très urbaine, avec un parc naturel régional, avec donc un certain nombre de complexités particulières.
Je voudrais vous faire part de la conviction gouvernementale qui est la notre sur ce sujet. L'environnement, c'est un mouvement aujourd'hui très important. Il y a un peu plus de 30 ans finalement, le scepticisme dominait. L'environnement était une idée neuve, et aujourd'hui c'est une idée forte. Il y a trente ans, l'environnement était un espoir. Aujourd'hui c'est un droit et un droit fondamental. C'est pourquoi nous voulons l'inscrire dans la Constitution. Pourquoi sommes-nous si attachés à l'environnement et pourquoi finalement notre société a-t-elle pris ce ton pour digérer cette perspective ? Parce que, au fond, progressivement, l'environnement s'est affirmé comme une triple exigence : une exigence d'égalité, de justice, et une exigence vitale, une exigence pour la vie. Je crois que cet attachement, finalement, à ces valeurs que porte l'environnement a beaucoup aidé à ce que l'environnement devienne aujourd'hui une cause partagée. L'environnement, ce n'est pas finalement quelque chose qui nous est extérieur. Ce n'est pas quelque chose que l'on regarde sans se sentir concerné. On n'est pas spectateur de l'environnement ;on ne peut pas échapper à notre statut d'acteur de l'environnement. C'est la richesse de la complexité, de la vie au fond qui, aujourd'hui, impose cette valeur fondamentale. Et s'y attaquer, c'est évidemment menacer le fragile équilibre de notre système, c'est mettre en danger la chaîne de la vie, c'est mettre en danger, par exemple, la biodiversité. C'est, je crois, très important de bien lier aujourd'hui, au fond, la notion d'environnement à cette valeur à laquelle nous sommes tous attachés qui est la vie, et cette conception, pour la vie, de la biodiversité.
Nous sommes donc tous responsables de notre environnement et au fond, on considère tous que l'Etat, sur le sujet, doit s'affirmer comme stratège. Je pense que c'est un élément très important. Quand on parle de la réforme de l'Etat, on voit bien cet appel de la société à l'Etat, et on voit bien que sur un certain nombre de grands sujets, il y a un besoin d'Etat stratège. Car finalement, ni le marché, ni les collectivités territoriales ne peuvent avoir cette perspective de long terme qui est nécessaire pour penser l'environnement, cette nécessité d'avoir un Etat stratège. Il faut évidemment s'attacher à la relation entre la nature et l'homme et on a parlé à juste titre d'économie humaniste. Je crois que c'est très important de ne pas opposer l'ordre naturel à cette démarche volontaire d'épanouissement de la personne. Je ne crois pas à une espèce donc d'âge d'or perdu qu'il faudrait retrouver là ; c'est une écologie qui serait trop nostalgique. Mais je pense qu'il nous fait réfléchir en permanence a finalement ce qui lie l'homme à la nature, et cette responsabilité. Je vois beaucoup de définitions sur tous ces sujets sur le plan théorique. J'aime bien celle de J.-C. Guillebaud, dans son Principe d'humanité : "l'homme est sans doute dans la nature, mais entre elle et lui demeure une distance". C'est cette marge qui définit notre liberté et notre humanité. C'est cette distance que nous avons avec la nature, cette capacité à nous éloigner d'elle, à la regarder, à agir sur elle, cette capacité de distance, de différence, qui au fond nous donne une conscience, qui est au fond une responsabilité. C'est, je crois, vraiment une vision la plus humaniste de l'écologique de bien mesurer la responsabilité que nous impose cette conscience de notre différence entre l'homme et la nature.
L'écologie commence, je crois, par cette prise de conscience. Elle est notre bien commun, même si, évidemment, dans les difficultés qui sont les nôtres, il peut y avoir des chemins différents pour agir en sa faveur. Je crois qu'elle vient aujourd'hui compléter ce que nous connaissions déjà comme préoccupation de la société, autour de l'idée de fracture sociale - la précarité, les bas salaires, l'illettrisme, l'insécurité, les mauvais logements, les transports difficiles -. Tout ceci frappait déjà une grande partie de citoyens de notre société et aujourd'hui on prend conscience qu'il faut ajouter à cette liste tout ce qui concerne l'environnement le plus dégradé : le bruit, l'absence d'espaces verts et les pollutions de toute sorte, le saturnisme par exemple et l'ensemble de ce qu'on pourrait appeler, au-delà de la fracture sociale mais qui est finalement intégrée, la fracture écologique. Vous en avez débattu, et je suis très intéressé par l'ensemble, de ces conclusions qui viendront de ces assises pour nous aider, au fond, à construire ce message du développement durable qui est un message dans lequel la France aujourd'hui s'engage avec beaucoup de détermination.
Pour moi, le discours de Johannesburg du président de la République a été un moment fort sur ces sujets-là. Je crois qu'il y a eu des conséquences d'ailleurs très pratiques. Depuis ce jour-là, on a commencé à discuter avec nos collègues allemands, de l'avenir de la politique agricole commune, à discuter d'un certain nombre de ces sujets qui étaient à l'intérieur même de ces convictions portées par le discours de Johannesburg. Au fond, je crois qu'il y a un message de la France sur ces sujets. Le message de la France aujourd'hui, c'est d'aller chercher un droit international capable de protéger la planète. Au fond, la bataille pour l'organisation mondiale de l'environnement, ou pour une organisation mondiale du commerce qui tienne davantage compte des pays du Sud ou pour le débat actuel, si important, concernant les tensions du monde et le Conseil de sécurité à l'ONU, finalement il y a une même conception aujourd'hui de la France de tous ces sujets : c'est de se dire que nous avons besoin d'une gouvernance mondiale, de ne pas laisser la planète tiraillée par des puissances aveugles, ne pas laisser l'organisation des tensions sans qu'il y ait des règles de droit, et que ces règles de droit au fond soient des règles de responsabilité. C'est vrai pour la paix, c'est vrai pour le développement, c'est vrai pour l'écologie et l'environnement. Je crois qu'il y a là une vision et ça fait partie peut-être des messages que doit porter la France et que porte aujourd'hui la France sur la scène internationale. C'est pour çela que nous sommes aujourd'hui entendus et qu'il y a des retours dans des pays comme le Brésil.
J'étais, il y a peu de temps, en Inde : je sens que ce message de la France est aujourd'hui entendu, à la fois comme un message de paix, de justice et de développement, mais aussi une conscience, aujourd'hui très significative, de l'avenir de la planète - quand on milite pour la ratification du protocole de Kyoto, par exemple auprès de V. Poutine. La France est dans son rôle aujourd'hui pour faire en sorte qu'il y ait cette conscience de son rôle, aujourd'hui sur la planète, pour affirmer ce message.
Au fond, on voit bien que les questions d'environnement aujourd'hui doivent être traitées au niveau international et, dans notre pays aujourd'hui, on le voit bien sur des exemples récents, des exemples très douloureux - je pense à des dossiers comme celui du Prestige, ou de Metaleurop - qui, finalement, nous montrent bien la dimension internationale de ces sujets. Des enjeux plus globaux, et à plus long terme comme la perte de la biodiversité, ou le changement climatique lié à l'effet de serre nous l'imposent.
Donc, cette action, qui est en fait une action internationale mais dans laquelle nous devons chercher à être exemplaire, est, je pense un élément très important de notre crédibilité. On ne peut pas porter la thèse du développement durable si nous-mêmes, nous ne faisons pas les efforts nécessaires aujourd'hui pour nous préparer à des défis. Je pense par exemple à ce que nous voulons faire avec le véhicule propre et à l'ensemble des initiatives que nous devons prendre pour pouvoir nous donner les moyens d'être crédibles sur les messages que nous défendons.
Je pense que, de ce point de vue là, il nous faut peut-être améliorer notre relation avec l'Europe en ce qui concerne l'environnement. Car l'Europe est finalement un rempart important pour nous. Quand on relit le traité, on voit qu'il y a des données fondamentales qui sont aujourd'hui à mettre en avant - je cite - sur les principes de précaution et d'actions préventives, sur le principe de correction par rapport à la priorité de l'environnement et à ses atteintes. Il faut assumer par exemple le principe du pollueur-payeur. Il y a un certain nombre de valeurs aujourd'hui qui sont dans la charte européenne, dans l'organisation, dans nos traités et je compte bien sur l'organisation prochaine à l'issue de la Convention des institutions européennes pour son propre avenir, pour ce traité constitutionnel, qu'on puisse y trouver la place pour une vraie diplomatie de l'environnement, pour faire en sorte que l'Europe puisse porter un certain nombre d'idées pour le respect de normes écologiques précises, pour le principe d'éco-développement, pour un certain nombre d'idées qui nous semble très importantes aujourd'hui dans la valorisation de cette vision d'un monde qui respecte l'environnement et qui s'engage sur la voie de l'écologie.
Une écologie qui, ainsi, s'affirme avec l'Europe, avec l'ensemble des mobilisations et au fond avec la sortie d'un clivage idéologique. On parle même d'écologie de différentes couleurs, il y a la verte, il y a la bleue, il y a celle du drapeau européen, il y a celle du drapeau de l'ONU. Enfin, finalement au fond, l'écologie devient une valeur partagée et c'est, je crois, très important. C'est le signe d'une grande évolution des mentalités. C'est pour ça que je crois que le temps est venu d'inscrire, comme l'a proposé le président de la République, dans la Constitution le droit à l'environnement. C'est, je crois, un élément très important. La Constitution, permettra de protéger ce droit à l'environnement, non seulement de le montrer comme étant fondamental dans notre règle de vie commune, mais c'est aussi le moyen de faire en sorte que ce droit s'impose aux autres décisions publiques. Car, au fond, la saisine du conseil constitutionnel permettra, en référence à ce texte, de pouvoir contester d'autres dispositifs qui le mettraient en cause. C'est un des éléments particulièrement important de cette logique du droit à l'environnement qui, s'il n'est pas une nouveauté en France, va trouver une nouvelle puissance juridique grâce au travail que fait le professeur Coppens et l'ensemble de sa commission. Je pense qu'il y a là une démarche qui va donner une force du législatif au réglementaire pour que l'environnement puisse être finalement quelque chose qui soit opposable, non seulement aux tiers, mais qui puisse être opposable finalement à des décisions publiques par le texte fondamental, le texte qui s'impose à tous. C'est pour ça qu'il y a là une ligne d'avenir qui est très importante, et en de nombreux sujets, je crois qu'il sera très important de pouvoir faire référence à la démarche constitutionnelle. Je pense que sur des sujets comme la qualité de l'eau, l'organisation de la lutte contre certaines pollutions, on voit bien qu'il y a aujourd'hui des grands vides juridiques ; on voit bien qu'il y a des difficultés pour tracer une ligne claire pour l'action publique. Il y a, je crois possibilité, grâce à cette action d'inscription de ce droit à l'environnement dans la Constitution, par cette charte qui va en définir le contenu pour en préciser la démarche, de donner au droit à l'environnement une véritable protection et un véritable contenu.
Notre ambition est de garantir un véritable droit de l'homme à l'environnement sain et de qualité, qui sera donc reconnu. C'est, je pense, une démarche un peu historique après la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen en 1789. Je crois que là, après le préambule de la Constitution de 1946, nous avons l'occasion de donner à cette démarche constitutionnelle, cette troisième étape vers un droit fondamental qu'est l'affirmation dans la Constitution de la République du droit à l'environnement Je pense que la France, pays des Droits de l'homme, peut ainsi être le premier à reconnaître à ce niveau là de son organisation juridique et constitutionnelle, le droit à l'environnement. C'est un élément essentiel pour cette prise de conscience de la dimension environnementale qui je crois conditionne notre prospérité, le bien-être de la société et son avenir. Je sais que ces sujets-là sont en train de gagner dans la société. Nous avons de plus en plus aujourd'hui de gens qui partagent ce type d'idées. Il faut continuer ce militantisme pour faire partager ces idées. Mais je vois bien que pour chaque citoyen, qu'il soit usager, consommateur, élu, décideur, donneur d'ordre, au fond, cette mention dans la Constitution sera quelque part la possibilité, non seulement d'avoir une certaine protection, mais surtout d'avoir un changement de mentalité. Nous n'allons plus vivre, et nous essayons de ne plus vivre, la contrainte environnementale comme quelque chose qui apparaît justement comme une contrainte, mais maintenant comme un droit. Donc c'est tout le changement. Et, dans la société française, raisonner en terme de droit, cela exige quelquefois aussi de raisonner en terme de devoir, mais c'est souvent le moyen de bien se faire comprendre et le moyen de faire partager une valeur.
Aucun problème ne peut être résolu sans changer l'état d'esprit qui l'a engendré. Et c'est, je crois, ce qui doit nous conduire aujourd'hui à travailler sur les mentalités, pour permettre un certain nombre d'initiatives pour les faire changer et, finalement, affirmer l'esprit de l'environnement, fondé sur la responsabilité et la juste utilisation des ressources de notre planète. C'est au fond une lutte contre les comportements irresponsables et la construction d'une conscience positive de l'environnement. C'est un travail important ; c'est un travail de type socioculturel puisque c'est un travail qui doit nous conduire à ce qu'on puisse utiliser cet esprit de l'environnement comme une référence, non seulement en matière de conviction, de pensée, de repère juridique avec la Constitution, mais aussi en ce qui concerne une lecture de la vie quotidienne. C'est là, je crois, où il nous faudra faire cet effort pédagogique pour bien relier cette vision constitutionnelle et une vision de pensée, de clarté à une action quotidienne. C'est, je pense, important pour que les citoyens puissent s'appuyer sur ce droit pour que des mesures soient prises, par exemple pour que l'environnement dans lequel ils vivent ne porte pas atteinte à leur santé. La santé du citoyen est, par exemple, un des éléments très important, je crois, qui pourra faire comprendre l'intérêt de cette reconnaissance constitutionnelle, de même que l'environnement considéré comme un bien public mondial [est] un élément très important mais personne ne pourra se prétendre propriétaire exclusif des ressources naturelles vitales pour l'humanité -. Je pense à l'intégration de l'environnement dans toutes les décisions. Toutes les politiques publiques devront intégrer, dès leur conception, le respect de l'environnement car naturellement autrement, elles pourront être cassées par la procédure juridique.
La responsabilité écologique, la responsabilité civile actuelle ne couvre pas par exemple les dommages qu'on porte aux biens publics globaux, à notre patrimoine environnemental - le climat, l'océan, la biodiversité - pour lesquels il n'y a pas de propriétaire désigné. Lorsque les actions de prévention auront échoué, la règle pollueur-payeur deviendra la règle générale et s'imposera donc aux règles précédentes qui étaient plutôt des règles de mutualisation collective. Comme ces exemples peuvent le montrer, je pense qu'il est important que nous puissions ainsi avoir une référence pour sécuriser les principes fondamentaux du droit de l'environnement. C'est quelque chose qui apparaîtra probablement pour un certain nombre de citoyens encore théorique, parce que la Constitution n'est pas un véhicule juridique dont on se sert tous les jours, mais ce sera aux élus, aux associations, à l'ensemble des acteurs à bien faire partager [l'idée] qu'au fond, il y a là un appel à la règle suprême pour se protéger et ça donnera de la force à tous ceux qui veulent prendre conscience de cette exigence de l'écologie et de donner au droit à l'environnement, à l'esprit de l'environnement, une réalité concrète. C'est la ligne dans laquelle nous avons engagé l'action du gouvernement.
Sur cette politique de l'environnement, je voudrais vous dire que nous sommes très déterminés sur cette action, d'abord juridique, puis ensuite donc d'un certain nombre de priorités que nous voulons développer dans le cadre de l'action gouvernementale. Premier élément, c'est notre attachement au développement durable, à cette politique du développement durable que nous avons élaborée progressivement, à l'occasion notamment d'un séminaire gouvernemental. On pense que, au fond, au-delà de tout ce qui est aujourd'hui l'éducation, l'information, tout ce qui peut être la sensibilisation, il faut aller au-delà de tous ces sujets, et puis peut-être au-delà aussi simplement de la vision seulement réglementaire des décisions, pour qu'on puisse affirmer une dimension claire du développement durable, pour qu'on essaye de valoriser une compréhension auprès des citoyens. On voit bien ce que peut être aujourd'hui le développement durable. Je ne suis pas sûr que dans notre pays, aujourd'hui, on voit bien que le développement durable peut être à la fois un attachement à la protection des grandes valeurs de l'environnement, à cet esprit de l'environnement, mais aussi aux règles de la vie commune. Il ne faut pas forcément opposer les uns aux autres. Il faut simplement définir ce que peut être pour nous la stratégie nationale du développement durable - et c'est ce que bâtissent R. Bachelot et T. Saïfi - qui sera élaboré dans les semaines prochaines. C'est un élément très important que nous définissions ensemble, collectivement, pour avoir une vraie démarche structurée, ce que peut-être pour la France le développement durable. On a déjà 64 mesures qui ont été arrêtées initialement. Il y a un certain nombre d'autres décisions qui doivent être prises. Je pense que c'est très important pour qu'on puisse avoir un contenu précis et concret qui puisse être partagé par les citoyens. C'est toute la difficulté de ce concept, mais au fond on voit bien - et les assises l'ont montré - que, progressivement, cette idée du développement durable, notamment par la conscience de ce qu'est le développement non durable, peut aujourd'hui avancer et être partagée par les citoyens.
Cette nouvelle approche de l'écologie, qui est en fait une nouvelle méthode de gouvernance écologique, est désormais en uvre dans un grand nombre de lieux. Je pense à des sites géographiques et des collectivités locales. Je pense à des vies associatives, à des initiatives des uns ou des autres, par exemple aussi à des initiatives éducatives où on voit se mettre en avant un certain nombre de forces qui sont des forces liées finalement au terrain, aux structures de décentralisation qui portent ces idées, qui portent ces initiatives. Je crois que ça c'est très important. Nous ne pourrons pas affirmer une vraie dynamique de l'écologie en France sans nous appuyer sur tout ce qui vit sur le terrain et notamment les forces de la décentralisation. Je souhaite que, dans les initiatives que nous prendrons dans les semaines prochaines sur la décentralisation, on fasse en sorte que l'environnement soit l'occasion d'associer les citoyens à cette démarche importante de nouvelle architecture de nos pouvoirs publics. C'est, je crois, sans doute par l'environnement que le citoyen peut se sentir le mieux acteur d'un certain nombre d'initiatives. Je pense au référendum pour les collectivités locales, je pense à un certain nombre d'éléments de démocratie qui font partie du développement durable, puisqu'ils font partie de la capacité que peuvent avoir les citoyens à prendre position sur un développement qui les concerne.
L'idée qui est la nôtre dans ce contexte-là est de faire en sorte que l'on puisse avoir un partage de l'environnement à tous les échelons de l'organisation administrative. Il ne faut pas une collectivité territoriale qui soit responsable de l'environnement. Je pense que l'environnement, ce n'est pas aujourd'hui une discipline verticale que l'on peut confier aux départements, ou que l'on peut confier à la région. Donc, nous souhaitons qu'il y ait une mobilisation de l'ensemble des acteurs : l'Etat à la fois par ses réglementations mais aussi par sa capacité stratégique, la région par l'ensemble de ses schémas, par l'ensemble de ses visions de moyen terme - la région étant avec l'Etat le premier partenaire de la proximité - mais aussi le département dans la gestion des déchets, dans un certain nombre de politiques de proximité, de service public régional, de service public départemental pour qu'il puisse y avoir une place pour l'environnement dans l'organisation de cette dynamique de décentralisation. Je pense qu'il y a là une place tout à fait importante pour la société civile. Je voudrais insister sur ce point pour dire que nous savons sans doute que c'est dans le domaine de l'environnement, peut-être aussi dans le domaine de l'action humanitaire, que nous avons en France le plus de dynamisme associatif. C'est une richesse pour notre pays. Je souhaite qu'on puisse la valoriser, notamment au niveau local mais aussi au niveau national, et je recevrais prochainement les principales associations qui militent pour l'environnement afin de partager avec elles une réflexion sur, justement, la place de la vie associative dans notre vision du développement durable, que ce soit au niveau national, au niveau gouvernemental comme au niveau local. C'est un des éléments très importants qui doit être établi. Il semblerait que ce n'ait pas été toujours le cas. Je pense qu'il y a là une nécessité, aujourd'hui, pour que la vie associative qui est souvent organisée par différents échelons nationaux, régionaux, et territoriaux puisse être associée à cette vision qui est la notre, d'une logique qui soit une logique véritablement ouverte et avec un vrai partage des décisions, avec une vraie gouvernance associative.
Je voudrais dire que sur ces questions essentielles, nous avons besoin aussi de nous doter au niveau gouvernemental d'un certain nombre de méthodes de travail, d'outils, et de moyens. Nous y travaillons. Je crois que ce qui est très important c'est d'abord un des sujets sur lequel R. Bachelot a beaucoup travaillé depuis qu'elle est ministre : c'est tout ce qui concerne les indices et l'ensemble des mesures dont nous avons besoin. Le programme des Nations Unies pour l'environnement dit que ce qui n'est pas mesuré n'est pas géré. Il est évident que nous avons encore besoin d'un grand nombre d'indicateurs. En matière d'environnement, il nous faut agir sur ces sujets avec beaucoup de rigueur, de manière à ce qu'il puisse y avoir une analyse assez objective, et puis qu'on puisse évaluer un certain nombre de progrès. Aujourd'hui un certain nombre de fléaux qui portent atteinte à notre environnement sont mal mesurés, donc mal identifiés, et donc les politiques thérapeutiques sont encore trop opaques. Il nous faut aussi un certain nombre de moyens juridiques - je pense aux textes législatifs -. Nous avons un texte en discussion très prochainement sur la prévention des risques technologiques et naturels. Je pense à des textes qui sont en préparation également sur des sujets qui sont très importants. La politique des déchets, la politique de l'eau, du patrimoine naturel, la lutte contre les nuisances sonores qui font l'objet actuellement d'un certain nombre de concertation, avec R. Bachelot, et l'ensemble des partenaires concernés. Je crois que c'est un élément aussi important de notre dispositif législatif pour lequel nous avons un certain nombre de dispositifs à mettre en place. Je dois dire aussi que nous travaillons sur une réflexion fiscale, car la fiscalité doit pouvoir apporter sa pierre à cette dynamique de l'esprit de l'environnement et de faire en sorte qu'on puisse ainsi être incitatif pour valoriser les bonnes pratiques et pénaliser les mauvaises. Nous avons là je pense, une dynamique à renforcer. Tout ce qui est la dynamique contractuelle. Je crois qu'il y a dans notre pays, vraiment, à faire des progrès dans la capacité à bâtir des contrats. Nous avons eu de bonnes expériences, je pense aux contrats de Plan. Mais au fond, dans les contrats de plans, souvent l'environnement avait une petite part car l'environnement avait souvent ses logiques qui étaient à part. Je pense à des logiques par exemple de parcs régionaux. Il y a un certain nombre de structures parallèles.
Aujourd'hui on voit, notamment avec Natura 2000, la nécessité de développer des contrats. Natura 2000 est un sujet difficile. Sur le plan de la communication, il faudra faire l'histoire de Natura 2000. Pourquoi ce concept a-t-il été autant abîmé ? J'ai ma petite idée, parce que j'ai vécu tout ça sur le terrain pendant très longtemps. C'est vrai que quand on définit un périmètre sans vraiment définir ce qu'on met à l'intérieur, il y a beaucoup de gens qui ont peur. Alors il y a tous ceux qui créent des peurs pour ne pas définir le périmètre et puis il y a aussi tout le monde qui se voit là enfermé dans des procédures menaçantes puisqu'on annonce une démocratisation du dispositif ; mais, en fait, beaucoup de craintes sont formulées parce qu'on a peur que justement des contraintes viennent s'installer à l'intérieur du périmètre. Je crois qu'on n'en est plus là. Je pense qu'il faut faire là aussi bouger les mentalités pour qu'on puisse vraiment engager cette politique contractuelle. Je pense que les nouveaux contrats, en ce qui concerne les zones agricoles pour installer cette dimension durable, devraient permettre de surmonter un certain nombre de difficultés. Je crois qu'il y a une vraie pédagogie à développer sur ces sujets-là pour bien montrer que Natura 2000 n'est pas l'adversaire de toute activité et que Natura 2000 n'est pas une prison mais que c'est une logique contractuelle dans laquelle on peut essayer de trouver une sorte de gouvernance qui associent les uns et les autres, sans faire peur, comme Natura 2000 le fait.
Mais je pense qu'une des raisons fondamentales - et là on a sans doute des progrès à faire - est dans nos traditions. Finalement, Natura 2000 avec son inspiration européenne, a été très marquée au niveau européen par la culture associative. Et c'est vrai que l'Europe - j'ai été député européen - a beaucoup développé la logique associative et on peut s'en réjouir. D'ailleurs plusieurs grandes associations Il y avait, dans la région que j'avais l'honneur de présider, pendant un temps le siège social de la LPO : par exemple, la LPO avait ses contrats avec l'Europe qui étaient des contrats directs avec l'Europe et elle partageait - je pense au programme " life " et quelques autres programmes - des programmes avec l'Union européenne, ce qui surprenait quelquefois un peu le territoire. Quand je dis le territoire, c'était autant les élus que les préfets d'ailleurs ; c'était de se dire : "Mais comment une association peut-elle comme ça avoir des fonds européens sans passer par nous ?". Donc il y a eu toute cette culture de l'association et puis, au niveau national, notre culture administrative qui faisait qu'on cherchait aussi à faire en sorte que les périmètres, les programmes, les dispositions soient bien cadrés avec les querelles administratives, parce qu'il peut arriver que l'environnement et l'agriculture ne soient pas toujours d'accord. C'est rare bien sûr, mais ça peut quand même quelquefois arriver, et donc, sur place, le pauvre sous-préfet avec son DDA et son DIREN de l'autre côté, avait quelques difficultés. Au total, on trouvait les élus au milieu du dispositif qui se disaient finalement il y a un pouvoir national, administratif, qui veut tout régler, et il y a un pouvoir européen associatif qui veut tout prendre en main ; et nous, les élus, on n'est pas associé dans ce dispositif. Finalement, il y a eu un certain nombre de crispations et il faut surmonter tout cela. On a besoin de cette politique contractuelle, on a besoin de pouvoir progresser dans cette façon de définir un partenariat à l'intérieur d'un périmètre pour protéger un certain nombre d'espaces menacés. C'est, je crois, très important d'aller dans ce sens. C'est pour ça qu'il nous faut développer les initiatives contractuelles. Je pense vraiment que le contrat sera meilleur que la contrainte, et je pense vraiment que c'est une forme d'action en matière d'environnement qu'il nous faut aujourd'hui renforcer. Cela fait partie du développement durable. On ne peut pas prétendre vouloir que l'écologie soit l'association de tous, vraiment une forme d'expression très démocratique, sans avoir une volonté contractuelle et donc de mettre autour de la table l'ensemble des partenaires.
Voilà quelques réflexions que je voulais vous proposer à la suite des initiatives que prend le Gouvernement dans ce travail qui est un travail, autant stratégique que pratique, et c'est un travail de longue haleine. Je pense que ce qui est très important aujourd'hui, en dehors évidemment de toutes les difficultés que nous avons à affronter - je pense aux catastrophes, aux inondations, aux marées noires à tout ce qui fait vraiment aujourd'hui les révoltes de tous ceux qui sont attachés à notre patrimoine naturel et culturel, et nous avons là des occasions trop nombreuses d'être complètement révoltés par rapport à un certain nombre de situations qui nous sont imposées - mais au-delà de ça, je crois qu'il faut vraiment structurer aujourd'hui pour notre pays, une démarche environnementale qui soit vraiment une démarche d'avenir, qui soit une démarche de perspective. C'est pour cela qu'il y a dans ce que nous pouvons faire ensemble aujourd'hui notamment avec la charte - c'est ce que j'avais dit quand on avait participé à votre première réunion - c'est cet effort intellectuel un peu sur la capacité d'avoir une pensée en matière environnementale. Parce que, trop souvent, sur ces sujets, à un moment ou à un autre, on a le sentiment que la technique domine. Et au fond, quand la technique domine, très souvent, même si on en a toujours besoin, elle éloigne quelquefois le citoyen de la décision. Or, nous avons besoin que le citoyen soit proche de la démarche environnementale, puisse la partager et en général il ne demande que ça. C'est pour ça qu'il nous fait avoir cette clarté, cette capacité que nous avons à définir des orientations qui sont pour tous les vrais repères. M. Serres dit que l'honnête homme du 21ème siècle est celui qui jardine son expérience jusqu'à la clarté. Monsieur le professeur, je souhaite que vous puissiez jardiner votre commission et tous ses débats jusqu'à la clarté pour l'environnement, et pour notre planète. Ce sera aussi pour la France. Merci."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 mars 2003)