Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de me trouver parmi vous :
parce que la BEI est une institution que j'apprécie particulièrement. Parce qu'elle est l'instrument d'une solidarité européenne concrète et efficace. Parce qu'elle a fait la preuve de ses capacités d'adaptation, par exemple pour le financement des nouvelles technologies, du capital-risque et des PME. Parce qu'elle contribue depuis longtemps au succès de l'euro sur les marchés.
Avec ces atouts, je ne doute pas qu'elle saura faire face aux deux grands défis qu'elle devra affronter au cours des prochaines années : contribuer à l'Europe de la croissance et de l'emploi ; favoriser l'élargissement de l'Union européenne sans oublier nos voisins du sud de la Méditerranée.
parce que, de manière plus personnelle, je voudrais saluer certains de vos dirigeants. Sir Brian Unwin tout d'abord qui a su, par son action, donner tous ces atouts à la BEI. Ariane Obolensky ensuite, dont je sais à quel point elle a contribué à donner à la Banque le rayonnement que tous ses partenaires lui reconnaissent et dont je me félicite qu'elle ait accepté la tâche délicate de présidente de la BDPME. Francis Mayer enfin à qui je souhaite beaucoup de succès.
Dans le cadre de ce forum, vous vous interrogez sur : " Les marchés de l'euro : ce qui va changer ". Je ne vous ferai pas l'injure de disserter sur les marchés : vous connaissez cela beaucoup mieux que moi. En revanche, j'aimerais vous dire ce qui, selon moi, " va changer ". A une date butoir - le 1er janvier 1999, lancement de l'euro - doit succéder une dynamique. Pour faire bref, je dirais que 1999 a été l'année de l'euro et que 2000 doit être l'année de l'Europe dynamique et solidaire.
1. 1999, année de l'euro.
- a) Une victoire de la régulation.
Nous nous sommes beaucoup félicités collectivement de la réussite du lancement de la monnaie unique. Il est inutile de s'y attarder, sauf à prendre le risque de l'immobilisme. Disons simplement que le fait que l'Europe ait réussi l'euro, en dépit de toutes les pronostics catastrophistes, est un signe de ce qu'elle peut faire lorsqu'elle est mobilisée autour d'un projet commun.
L'euro lui donne les moyens de se fixer de nouvelles ambitions. Il constitue une régulation internationale qu'il a fallu un quart de siècle à construire, après la fin du système de Bretton Woods. Nous avons ainsi trois atouts : (i) une coordination entre les politiques économiques plutôt qu'une concurrence par les dévaluations compétitives ; (ii) le pouvoir d'une autorité publique, à laquelle la France est partie prenante, plutôt que celui des seuls marchés financiers ; (iii) une construction fondée sur le droit et appuyée sur des règles équitables plutôt que des rapports de force, générateurs de conflits, voire d'hégémonies.
L'euro est donc une victoire de la régulation publique sur le jeu désordonné des seuls marchés. Et le conseil de l'euro, qui est venu compléter notre dispositif institutionnel, constitue avec la BCE le garant de cette régulation.
- b) Un atout de plus pour la France.
Au cours des deux dernières années, l'euro - car il est en fait né dès 1998 - a été le bouclier de la reprise. Il a protégé l'Europe des crises financières qui ont agité le reste du monde. La France, traditionnellement touchée par ces effets de contagion, a été bénéficiaire de ce contexte nouveau.
Ceci nous a permis de tirer les dividendes des choix de politique économique faits par le gouvernement de Lionel Jospin : l'accent mis d'emblée sur la demande intérieure, la consommation des ménages et l'emploi ; des réformes profondes, mais bien rythmées, qui ont concilié une accélération de la croissance et de la création d'emplois avec une solidarité accrue.
2. 2000 doit être l'année d'une Europe dynamique et solidaire.
Jacques Delors comme Raymond Barre disent souvent que les Européens ne savent bien faire qu'une seule chose à la fois. C'est vrai. L'originalité de la construction européenne, ce projet d'un avenir commun librement consenti, implique de mobiliser les efforts de tous vers un objectif fort.
La décennie 1990 a été celle de la monnaie unique, de l'union monétaire. La décennie 2000 doit être celle du plein emploi en Europe. Et donc l'année 2000 doit être celle d'une Union économique prenant tout son sens, à la fois efficace et solidaire, forte dans le monde et soucieuse de tous. La construction de cette Europe est au cur des priorités du gouvernement de Lionel Jospin, notamment dans la perspective de la présidence de l'Union assumée par la France au 2nd semestre 2000. Elle est au cur de mes priorités dans le cadre de mes responsabilités.
- a) En Europe, la construction d'un pôle économique, efficace et solidaire.
Il ne s'agit pas de se payer de mots. Dans les prochains mois, nous aurons deux tests importants sur notre capacité commune à avancer dans cette voie :
1er test : la construction d'une Europe plus cohérente.
Il faut pour cela que les travaux entamés dans le domaine fiscal aboutissent au Sommet d'Helsinki en décembre prochain. C'est un enjeu essentiel. L'Union économique et monétaire ne peut laisser la place à une concurrence déloyale, qu'il s'agisse de fiscalité des sociétés ou de fiscalité de l'épargne. La régulation ne doit pas être un enjeu de concurrence. A des marchés européens doivent correspondre des règles européennes.
Il faut d'autre part que, dans le prolongement du Sommet de Tampere qui s'est tenu le week-end dernier, nous continuions de progresser dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et la criminalité financière. Les travaux pour éradiquer les centres offshore non coopératifs ont commencé au sein du groupe d'action financière internationale et du forum de stabilité financière. Il faut qu'ils aboutissent à des mesures concrètes susceptibles d'entrer en vigueur dès 2000. Le Parlement français le souhaite, dans le débat budgétaire en cours ; je compte en faire une des priorités de l'Ecofin sous présidence française.
2nd test : la construction d'une Europe de la croissance et de l'emploi. Les moyens pour cela sont connus, il faut les mettre en uvre :
D'abord, la coordination des politiques économiques.
Elle concerne les Gouvernements et la France a proposé à ses partenaires plusieurs mesures concrètes pour l'améliorer, notamment pour harmoniser les procédures créées à Cardiff, à Luxembourg ou à Cologne et pour nous doter d'une meilleure coordination des politiques budgétaires autour d'objectifs pluriannuels de dépenses.
Elle concerne aussi l'ensemble des partenaires sociaux. On ne peut construire une monnaie unique avec des sociétés qui s'ignorent. C'est pourquoi j'attache une telle importance au dialogue macro-économique, au niveau national (cf. conférence économique du 11 octobre) comme au niveau européen (cf. le dialogue prévu le 8 novembre). La monnaie est un lien social que nous devons faire vivre.
Elle concerne enfin les entreprises. Je suis heureux de voir se nouer de véritables partenariats entre entreprises européennes. De ce point de vue, la fusion entre Aérospatiale-Matra et Dasa est une excellente illustration.
Ensuite, les moyens de la croissance. Je pense particulièrement à l'innovation, à la formation, à la recherche. Ce sont des déterminants décisifs. Les économistes estiment aujourd'hui que les nouvelles technologies ont permis à la France d'améliorer son taux de croissance de 0,5 point. Ce chiffre est en augmentation rapide. Je souhaite qu'à l'échelle de l'Europe nous nous dotions des moyens de favoriser cette évolution.
Enfin, une croissance solidaire, plus riche en emplois, qui ne laisse personne au bord de la route. Cela veut dire que les stratégies de lutte contre le chômage doivent devenir plus préventives : amélioration des qualifications, émergence de nouveaux métiers, aménagement et réduction du temps de travail peuvent y contribuer.
- b) Dans le monde, une Europe qui favorise la régulation et la solidarité.
De ce point de vue, ce qu'il adviendra de l'OMC et des négociations qui doivent débuter à Seattle sera décisif. L'OMC peut être le vecteur d'une régulation respectueuse de l'identité européenne, au service des citoyens, du développement et de la croissance. J'ai la conviction que l'Europe saura, sous l'égide de Pascal Lamy, porter ce message d'une Europe ouverte sur le monde mais convaincue de ses valeurs, d'une Europe militante de la croissance et du développement, mais refusant une logique purement libérale, d'inégalités et d'insécurités.
Les termes de la position européenne sont connus. Ils sont dictés par ce souci. Je souhaite qu'ils emportent l'adhésion de nos partenaires. Je suis, de même que l'ensemble du Gouvernement français, déterminé à oeuvrer en ce sens.
Ces ambitions pour l'Europe sont des ambitions pour la France. Croissance, emploi, solidarité, régulation sont des mots-clefs de l'action du Gouvernement. Celui-ci poursuit son programme de réformes, avec détermination, mais sans précipitation, pour permettre à la France de garder durablement la place qu'elle a conquis en Europe au cours des deux dernières années : celle d'un grand pays, force de croissance et de proposition.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 26 octobre 1999)