Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs,
Renforcer la sécurité de notre système d'information financière pour renforcer la sécurité de notre système financier est un objectif prioritaire. Nous ne retrouverons le chemin d'une croissance forte et durable que si la confiance dans les mécanismes de l'économie de marché est restaurée.
Cette confiance ne reviendra pas tant que le doute subsistera sur la sincérité et la transparence des comptes.
François Goulard, qui connaît bien ces questions, a noté que cette conviction est très largement partagée. Il existe je crois une convergence croissante sur les réformes nécessaires, même si le consensus n'est pas encore total. Je sais, pour avoir rencontré plusieurs d'entre eux, que les commissaires aux comptes trouvent que la mise en cause collective dont la profession a fait l'objet dans la période récente est injustifiée, et qu'ils trouvent que certaines des réformes envisagées sont excessivement rigoureuses. Cette profession ne mérite pas en effet cet excès de critiques. Je dis et répète que notre dispositif présente des sécurités que bien d'autres nous envient, et que la profession n'a pas démérité. Mais, il y a, ici comme ailleurs, des marges de progrès importantes et nécessaires. Et, bien sûr, la sécurité de l'information financière repose sur bien d'autres acteurs. Nos efforts ne doivent pas se limiter à une catégorie d'entre eux qui joueraient le rôle de boucs émissaires pour des défaillances qui sont aussi ailleurs. C'est non seulement notre intérêt mais notre devoir dans un monde qui a besoin de s'organiser.
Car la crise que nous avons vécue est à la fois une crise financière et une crise de la régulation.
Crise financière avec la chute des marchés d'actions, exceptionnelle, au moins dans l'histoire récente, par son ampleur et sa durée. Crise de la régulation, dont les signes sont eux aussi évidents : des faillites retentissantes ont révélé l'inadaptation de certaines règles, notamment en matière de normes comptables, et le dévoiement de certains comportements, en matière de gouvernement d'entreprise, d'audit des comptes, et d'analyse financière.
Au-delà de ces manifestations de crise, les changements profonds qui affectent les marchés financiers sont autant de facteurs de propagation de la crise financière et de défis nouveaux à relever, car la sophistication des produits financiers et des techniques de négociation diffusent informations et tendances plus rapidement, plus brutalement et surtout plus largement.
Le moment est donc venu de soumettre à un examen critique l'ensemble de nos instruments de régulation, et d'apprécier point par point ce qu'il est justifié de laisser au marché, ce qui peut être laissé à l'autorégulation des acteurs, et ce qui doit être régulé par les autorités.
Vous avez déjà échangé beaucoup d'idées depuis ce matin et je ne prolongerai pas trop longtemps une journée déjà bien remplie. J'insisterai sur trois priorités qui me paraissent essentielles, dans la perspective du projet de loi de sécurité financière que je présenterai au Conseil des Ministres la semaine prochaine.
Pour renforcer la sécurité de nos systèmes, il nous faut des règles du jeu claires, des autorités de régulation fortes et des acteurs responsabilisés.
1. Renforcer notre système d'information financière, c'est d'abord instaurer des règles du jeu claires
Notre droit offre un haut niveau de régulation des différents intermédiaires de marché, et donc de protection pour les émetteurs et les investisseurs et épargnants qui y recourent.
Mais je prendrai trois domaines prioritaires dans lesquels l'Etat doit intervenir pour fixer un cadre sûr pour l'information financière, dans un environnement évolutif.
Première priorité, établir des règles du jeu rigoureuses en matière d'organisation et d'information du marché. Notre horizon est ici européen, car c'est dans ce cadre que se décident les textes qui structurent nos marchés et leur sécurité. Il suffit de citer quelques projets en cours d'adoption ou de gestation pour mesurer l'importance de ce mouvement : les directives adoptées sur les abus de marché et sur les prospectus, les directives en débat sur les offres publiques, la communication des sociétés cotées, ou les services d'investissement, sont des textes essentiels, sur lesquels nous devons être totalement mobilisés. Le marché unique des services financiers que nous construisons doit renforcer la croissance de l'économie européenne, sans dégrader le contrôle de l'information des marchés et l'égalité de traitement des différents types d'actionnaires, et donc sans risquer de déstabiliser le système.
Deuxième priorité, adopter des normes comptables qui permettent de mesurer les risques de manière lisible et sans effets pervers. De nombreux débats sont en cours dans ce domaine, pour mieux prendre en compte les risques hors bilan, l'amortissement des survaleurs, l'impact des stocks options, ou la notion de juste valeur. Ces questions sont complexes et austères mais vitales. Nous avons fait le choix en Europe des normes IAS pour les comptes consolidés des sociétés qui font appel public à l'épargne. Ce n'est ni un choix aveugle, ni un saut dans le vide. Je vous rappelle que les décisions sont in fine dans les mains des Etats membres de l'Union européenne, et que le processus communautaire prévoit des mécanismes, certes insuffisants, mais réels, de concertation avec les utilisateurs des normes. Il nous appartient de faire vivre ces mécanismes, de nous impliquer totalement dans ces questions, et de ne pas redouter des débats indispensables et légitimes.
Nous devons aussi accélérer nos réflexions sur les conséquences de cette évolution sur les comptes sociaux et les comptes des petites et moyennes entreprises. Des travaux vont être conduits en ce sens sous l'égide du Conseil national de la comptabilité. Je vous encourage tous à y participer activement.
Mais sans attendre, nos propres règles doivent permettre de mieux appréhender et rendre compte des risques. Les règles de consolidation seront donc renforcées dès cette année dans la loi de sécurité financière de façon à ne plus conditionner la consolidation à l'actionnariat, mais à des critères de risque conformes aux normes IAS. Ceci permettra d'éviter que ne puissent subsister des risques qui ne seraient consolidés par aucune entité.
Troisième priorité, établir des règles du jeu qui couvrent tous les instruments et tous les acteurs qui concourent à l'équilibre du système.
Personne ne supprimera la volatilité. Consubstantielle aux marchés financiers, elle n'est ni critiquable ni nocive en soi, tant qu'elle ne déstabilise pas les acteurs des marchés. Il ne s'agit pas de remettre en question la sophistication croissante des produits et d'un certain nombre d'instruments. Mais il faut mieux connaître leurs effets sur la stabilité financière pour, le cas échéant, mieux les maîtriser. Nos régulateurs, comme leurs homologues, réfléchissent à des questions comme les ventes à découvert et les prêts de titres. J'attends leurs recommandations d'action sur ces questions importantes, après la phase d'analyse qui a été menée à son terme fin 2002.
Autre sujet d'attention, il demeure au-delà du champ de la régulation des "entités non régulées" dont l'activité est régulièrement considérée comme un facteur de déstabilisation des marchés financiers ou, au moins, d'amplification de leurs évolutions. Il faut bien évidemment laisser l'innovation financière et les talents individuels de gestion s'exprimer librement. Néanmoins, la réflexion doit être approfondie, au niveau international, sur les obligations de transparence de ces entités, et sur les techniques qui leur permettent de prendre des positions parfois massives. Cette réflexion doit permettre également de veiller à ce que les activités financières d'entités dont ce n'est pas la vocation première soient effectivement régulées lorsque cette partie de leur activité devient significative.
2- Les règles du jeu doivent être claires, il faut ensuite des régulateurs forts pour les faire respecter.
Nous vivons en effet dans un monde où la réglementation économique a volé en éclats avec le développement des activités privées, l'intégration européenne et la mondialisation. De cette nouvelle situation est né un besoin de règles du jeu, permettant de rejeter à la fois la réglementation et le laisser faire. Les arbitres de ces nouvelles règles du jeu sont bien souvent des autorités de régulation, qui contribuent à un nouveau mode d'exercice de la puissance publique, plus proche du terrain, plus légitime grâce à la présence de professionnels qui ont une connaissance concrète des réalités. L'Etat peut ainsi assurer avec plus d'efficacité ses missions d'intérêt général, le contrôle du Parlement et du juge sur ces autorités marquant bien qu'il ne s'agit pas d'un transfert sans contrôle.
En matière financière, nous allons renforcer nos autorités de régulation dans le projet de loi qui sera débattu au Parlement en mars.
La création de l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de la COB, du CMF et du CDGF, dotera notre pays d'un régulateur à la mesure des enjeux nouveaux des marchés financiers. Sa mission sera triple : la protection de l'épargne investie en produits financiers, l'information des investisseurs, et le bon fonctionnement des marchés. Grâce à la fusion des différentes institutions actuelles, notre système sera plus efficace, avec une capacité de contrôle accrue et un mécanisme de sanctions rapide et sûr.
En raison de l'importance de ses missions, j'ai souhaité que l'Autorité des marchés financiers puisse disposer, sur le plan juridique et financier, de tous les moyens nécessaires. Le Gouvernement propose à cette fin qu'elle soit dotée de la personnalité morale : il est en effet indispensable qu'une autorité de cette taille puisse recruter ses collaborateurs librement, en bénéficiant directement des ressources prélevées sur les opérateurs qu'elle contrôle, sans devoir dépendre de contributions budgétaires. Je ne doute pas que l'AMF, qui aura aussi à représenter le point de vue et les intérêts de la France à l'étranger, saura parfaitement assumer ses importantes responsabilités.
Du côté prudentiel, essentiel dans un contexte où la stabilité financière repose largement sur la solidité des institutions financières, le projet de loi permettra de rationaliser la surveillance du secteur de l'assurance, en fusionnant les deux autorités de contrôle du secteur, la CCA et la CCMIP. Je n'insiste pas, mais cette réforme importante facilitera également les coopérations entre le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, et le nouveau superviseur du secteur de l'assurance.
S'il faut des régulateurs forts pour faire respecter les règles, il faut aussi des acteurs solides sur tous les maillons de la chaîne de l'information financière.
3. Les acteurs clés de l'information financière doivent être responsabilisés.
Premier acteur, bien sûr, les entreprises, qui sont à la source de l'information. Mais renforcer la sécurité de l'information financière suppose aussi que les autres acteurs chargés de la diffusion et du contrôle de l'information jouent pleinement leur rôle.
Pour les entreprises, la loi doit fixer le cadre d'un contrôle qui passe à la fois par les actionnaires et par des contre-pouvoirs internes forts. Un gouvernement d'entreprise fort est certainement l'une des principales réponses à la crise de confiance.
Le marché doit permettre aux actionnaires de sanctionner la mauvaise gestion. Pour cela, ils doivent pouvoir jouer leur rôle. C'est le sens des dispositions du projet de loi qui confirment le caractère de pivot central de l'assemblée générale, lieu fondamental de l'expression du contrôle des décisions du management.
L'application du règlement intérieur, l'organisation des travaux du conseil, du contrôle interne, les délégations de pouvoirs, feront ainsi pour les sociétés cotées l'objet d'une information sous le contrôle de l'AMF. Pour donner des repères au marché, celle-ci veillera à la qualité de l'information en matière de gouvernement d'entreprise et fera un rapport annuel sur les pratiques dans ce domaine.
Cette réflexion vaut bien sûr aussi pour l'Etat actionnaire. Vous savez que j'ai demandé à René BARBIER DE LA SERRE de faire un bilan de la manière dont l'Etat assume son rôle d'actionnaire et des propositions concrètes d'évolution. Je m'en inspirerai fortement pour prendre les mesures adaptées à la nécessaire amélioration des procédures actuelles.
Au-delà de la détermination des règles essentielles par la loi, chaque entreprise doit s'engager résolument à mettre en oeuvre les meilleures pratiques. Le rapport de Daniel Bouton pose des principes ambitieux, reste à les appliquer. L'élément clé de la séparation des pouvoirs est l'indépendance, la compétence des hommes et les moyens qui leurs sont alloués. L'indépendance, la compétence et la représentativité du conseil d'administration et des comités du conseil sont les ingrédients essentiels d'une protection contre les excès du capitalisme financier. J'invite donc les entreprises et les entrepreneurs à faire preuve d'audace, et à ne pas attendre que la loi impose demain ce qu'elles doivent faire aujourd'hui.
D'autres acteurs jouent un rôle clé dans l'accès à l'information.
Les commissaires aux comptes sont ici en première ligne, car ils jouent un rôle déterminant dans la confiance des investisseurs dans la sincérité des comptes des entreprises. Dominique Perben vous a parlé ce matin de ce qui nous paraît devoir être renforcé, je me contenterai donc de rappeler ce qui me semble essentiel.
Premier point, l'interdiction, élargie aux réseaux, d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil, à l'exception de ce qui concoure à la mission d'audit. Elle aura sans aucun doute un coût, mais elle ne remet pas en cause la pluridisciplinarité des cabinets, gage de compétence et d'efficacité de ses membres. Il faut assumer ce coût, il est dans l'intérêt de tous.
Deuxième point, la création d'une autorité de contrôle externe à la profession, garante de l'indépendance, de la discipline et de l'autorité des commissaires aux comptes. Parce qu'elle est primordiale pour la stabilité financière, la problématique particulière des entreprises faisant appel public à l'épargne sera pleinement prise en compte, grâce à l'instauration de relations étroites entre le Haut Conseil de commissariat aux comptes et l'AMF, et à l'attribution à l'AMF de pouvoirs autonomes à l'égard des commissaires aux comptes des entreprises faisant appel public à l'épargne, par exemple en matière d'enquêtes.
Troisième point, des dispositions de bon sens en matière de rotation des auditeurs, comme on en trouve désormais aux Etats-Unis, comme le recommande aussi la Commission européenne.
On peut beaucoup demander à la vigilance des commissaires aux comptes, mais il ne faut pas tout en attendre.
Les analystes et les agences de notation jouent un rôle clé dans cette chaîne des " auxiliaires de la transparence ", vous en avez parlé ce matin.
S'agissant des analystes financiers, des réformes ont été menées en France en 2002, au terme d'une consultation des professionnels conduite par le Conseil des marchés financiers. Elles vont dans le bon sens, et pourraient utilement trouver un prolongement pour les analystes financiers travaillant pour des établissements de gestion, ce que l'on appelle le 'buy-side'.
S'agissant des agences de notation, suite au vote de la loi Sarbanes Oxley, la SEC remet cette semaine son rapport sur ces acteurs majeurs de notre système économique. Cette réflexion est légitime, compte tenu de leur influence sur les mouvements de marché. Mais nous ne devons pas nous résigner à une situation où la SEC, seul régulateur mondial de fait en la matière, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. Nous souhaitons engager le dialogue au niveau international sur ce sujet.
Sur ces deux questions, comme sur les autres, les réflexions sont donc engagées, mais il n'existe pas à ce stade de consensus. Or, la régulation dans ce domaine ne peut se concevoir que dans un cadre élargi : j'y veillerai dans le cadre de la présidence française du G7 en 2003, où nous souhaitons faire une priorité de la gouvernance des entreprises et des marchés. Il nous faut en effet bien réfléchir aux domaines qui peuvent justifier une action coordonnée au niveau international, et tenir compte des intérêts et des cultures juridiques parfois différentes de nos partenaires. Mais certains sujets comme les agences de notation, la réassurance ou les hedge funds viennent naturellement à l'esprit.
La mission que j'ai confiée à Michel Prada a d'ailleurs permis de dresser un état des lieux et d'engager en temps masqué le débat avec nos partenaires. Je l'en remercie. J'en parlerai avec mes collègues du G7 à Paris le mois prochain, mais il nous revient d'être exemplaires dans notre propre pays.
Mesdames et Messieurs, vous me permettrez pour conclure, d'invoquer Alain Peyrefitte qui, dans ses leçons au Collège de France sur le " miracle en économie ", soulignait l'importance déterminante de ce qu'il appelait " l'éthos de confiance compétitive ". Sans confiance des membres d'une société les uns dans les autres et de tous dans leur avenir commun, il n'y a pas de croissance possible. Pour restaurer la confiance, il nous faut clarifier certaines règles, en édicter d'autres. Il faut aussi, et surtout, que nos comportements soient à la mesure des enjeux de nos économies modernes, car aucune règle ne permettra de pallier une éthique défaillante. Je suis confiant dans notre capacité collective à relever ce défi.
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 29 janvier 2003)
Mesdames et Messieurs,
Renforcer la sécurité de notre système d'information financière pour renforcer la sécurité de notre système financier est un objectif prioritaire. Nous ne retrouverons le chemin d'une croissance forte et durable que si la confiance dans les mécanismes de l'économie de marché est restaurée.
Cette confiance ne reviendra pas tant que le doute subsistera sur la sincérité et la transparence des comptes.
François Goulard, qui connaît bien ces questions, a noté que cette conviction est très largement partagée. Il existe je crois une convergence croissante sur les réformes nécessaires, même si le consensus n'est pas encore total. Je sais, pour avoir rencontré plusieurs d'entre eux, que les commissaires aux comptes trouvent que la mise en cause collective dont la profession a fait l'objet dans la période récente est injustifiée, et qu'ils trouvent que certaines des réformes envisagées sont excessivement rigoureuses. Cette profession ne mérite pas en effet cet excès de critiques. Je dis et répète que notre dispositif présente des sécurités que bien d'autres nous envient, et que la profession n'a pas démérité. Mais, il y a, ici comme ailleurs, des marges de progrès importantes et nécessaires. Et, bien sûr, la sécurité de l'information financière repose sur bien d'autres acteurs. Nos efforts ne doivent pas se limiter à une catégorie d'entre eux qui joueraient le rôle de boucs émissaires pour des défaillances qui sont aussi ailleurs. C'est non seulement notre intérêt mais notre devoir dans un monde qui a besoin de s'organiser.
Car la crise que nous avons vécue est à la fois une crise financière et une crise de la régulation.
Crise financière avec la chute des marchés d'actions, exceptionnelle, au moins dans l'histoire récente, par son ampleur et sa durée. Crise de la régulation, dont les signes sont eux aussi évidents : des faillites retentissantes ont révélé l'inadaptation de certaines règles, notamment en matière de normes comptables, et le dévoiement de certains comportements, en matière de gouvernement d'entreprise, d'audit des comptes, et d'analyse financière.
Au-delà de ces manifestations de crise, les changements profonds qui affectent les marchés financiers sont autant de facteurs de propagation de la crise financière et de défis nouveaux à relever, car la sophistication des produits financiers et des techniques de négociation diffusent informations et tendances plus rapidement, plus brutalement et surtout plus largement.
Le moment est donc venu de soumettre à un examen critique l'ensemble de nos instruments de régulation, et d'apprécier point par point ce qu'il est justifié de laisser au marché, ce qui peut être laissé à l'autorégulation des acteurs, et ce qui doit être régulé par les autorités.
Vous avez déjà échangé beaucoup d'idées depuis ce matin et je ne prolongerai pas trop longtemps une journée déjà bien remplie. J'insisterai sur trois priorités qui me paraissent essentielles, dans la perspective du projet de loi de sécurité financière que je présenterai au Conseil des Ministres la semaine prochaine.
Pour renforcer la sécurité de nos systèmes, il nous faut des règles du jeu claires, des autorités de régulation fortes et des acteurs responsabilisés.
1. Renforcer notre système d'information financière, c'est d'abord instaurer des règles du jeu claires
Notre droit offre un haut niveau de régulation des différents intermédiaires de marché, et donc de protection pour les émetteurs et les investisseurs et épargnants qui y recourent.
Mais je prendrai trois domaines prioritaires dans lesquels l'Etat doit intervenir pour fixer un cadre sûr pour l'information financière, dans un environnement évolutif.
Première priorité, établir des règles du jeu rigoureuses en matière d'organisation et d'information du marché. Notre horizon est ici européen, car c'est dans ce cadre que se décident les textes qui structurent nos marchés et leur sécurité. Il suffit de citer quelques projets en cours d'adoption ou de gestation pour mesurer l'importance de ce mouvement : les directives adoptées sur les abus de marché et sur les prospectus, les directives en débat sur les offres publiques, la communication des sociétés cotées, ou les services d'investissement, sont des textes essentiels, sur lesquels nous devons être totalement mobilisés. Le marché unique des services financiers que nous construisons doit renforcer la croissance de l'économie européenne, sans dégrader le contrôle de l'information des marchés et l'égalité de traitement des différents types d'actionnaires, et donc sans risquer de déstabiliser le système.
Deuxième priorité, adopter des normes comptables qui permettent de mesurer les risques de manière lisible et sans effets pervers. De nombreux débats sont en cours dans ce domaine, pour mieux prendre en compte les risques hors bilan, l'amortissement des survaleurs, l'impact des stocks options, ou la notion de juste valeur. Ces questions sont complexes et austères mais vitales. Nous avons fait le choix en Europe des normes IAS pour les comptes consolidés des sociétés qui font appel public à l'épargne. Ce n'est ni un choix aveugle, ni un saut dans le vide. Je vous rappelle que les décisions sont in fine dans les mains des Etats membres de l'Union européenne, et que le processus communautaire prévoit des mécanismes, certes insuffisants, mais réels, de concertation avec les utilisateurs des normes. Il nous appartient de faire vivre ces mécanismes, de nous impliquer totalement dans ces questions, et de ne pas redouter des débats indispensables et légitimes.
Nous devons aussi accélérer nos réflexions sur les conséquences de cette évolution sur les comptes sociaux et les comptes des petites et moyennes entreprises. Des travaux vont être conduits en ce sens sous l'égide du Conseil national de la comptabilité. Je vous encourage tous à y participer activement.
Mais sans attendre, nos propres règles doivent permettre de mieux appréhender et rendre compte des risques. Les règles de consolidation seront donc renforcées dès cette année dans la loi de sécurité financière de façon à ne plus conditionner la consolidation à l'actionnariat, mais à des critères de risque conformes aux normes IAS. Ceci permettra d'éviter que ne puissent subsister des risques qui ne seraient consolidés par aucune entité.
Troisième priorité, établir des règles du jeu qui couvrent tous les instruments et tous les acteurs qui concourent à l'équilibre du système.
Personne ne supprimera la volatilité. Consubstantielle aux marchés financiers, elle n'est ni critiquable ni nocive en soi, tant qu'elle ne déstabilise pas les acteurs des marchés. Il ne s'agit pas de remettre en question la sophistication croissante des produits et d'un certain nombre d'instruments. Mais il faut mieux connaître leurs effets sur la stabilité financière pour, le cas échéant, mieux les maîtriser. Nos régulateurs, comme leurs homologues, réfléchissent à des questions comme les ventes à découvert et les prêts de titres. J'attends leurs recommandations d'action sur ces questions importantes, après la phase d'analyse qui a été menée à son terme fin 2002.
Autre sujet d'attention, il demeure au-delà du champ de la régulation des "entités non régulées" dont l'activité est régulièrement considérée comme un facteur de déstabilisation des marchés financiers ou, au moins, d'amplification de leurs évolutions. Il faut bien évidemment laisser l'innovation financière et les talents individuels de gestion s'exprimer librement. Néanmoins, la réflexion doit être approfondie, au niveau international, sur les obligations de transparence de ces entités, et sur les techniques qui leur permettent de prendre des positions parfois massives. Cette réflexion doit permettre également de veiller à ce que les activités financières d'entités dont ce n'est pas la vocation première soient effectivement régulées lorsque cette partie de leur activité devient significative.
2- Les règles du jeu doivent être claires, il faut ensuite des régulateurs forts pour les faire respecter.
Nous vivons en effet dans un monde où la réglementation économique a volé en éclats avec le développement des activités privées, l'intégration européenne et la mondialisation. De cette nouvelle situation est né un besoin de règles du jeu, permettant de rejeter à la fois la réglementation et le laisser faire. Les arbitres de ces nouvelles règles du jeu sont bien souvent des autorités de régulation, qui contribuent à un nouveau mode d'exercice de la puissance publique, plus proche du terrain, plus légitime grâce à la présence de professionnels qui ont une connaissance concrète des réalités. L'Etat peut ainsi assurer avec plus d'efficacité ses missions d'intérêt général, le contrôle du Parlement et du juge sur ces autorités marquant bien qu'il ne s'agit pas d'un transfert sans contrôle.
En matière financière, nous allons renforcer nos autorités de régulation dans le projet de loi qui sera débattu au Parlement en mars.
La création de l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de la COB, du CMF et du CDGF, dotera notre pays d'un régulateur à la mesure des enjeux nouveaux des marchés financiers. Sa mission sera triple : la protection de l'épargne investie en produits financiers, l'information des investisseurs, et le bon fonctionnement des marchés. Grâce à la fusion des différentes institutions actuelles, notre système sera plus efficace, avec une capacité de contrôle accrue et un mécanisme de sanctions rapide et sûr.
En raison de l'importance de ses missions, j'ai souhaité que l'Autorité des marchés financiers puisse disposer, sur le plan juridique et financier, de tous les moyens nécessaires. Le Gouvernement propose à cette fin qu'elle soit dotée de la personnalité morale : il est en effet indispensable qu'une autorité de cette taille puisse recruter ses collaborateurs librement, en bénéficiant directement des ressources prélevées sur les opérateurs qu'elle contrôle, sans devoir dépendre de contributions budgétaires. Je ne doute pas que l'AMF, qui aura aussi à représenter le point de vue et les intérêts de la France à l'étranger, saura parfaitement assumer ses importantes responsabilités.
Du côté prudentiel, essentiel dans un contexte où la stabilité financière repose largement sur la solidité des institutions financières, le projet de loi permettra de rationaliser la surveillance du secteur de l'assurance, en fusionnant les deux autorités de contrôle du secteur, la CCA et la CCMIP. Je n'insiste pas, mais cette réforme importante facilitera également les coopérations entre le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, et le nouveau superviseur du secteur de l'assurance.
S'il faut des régulateurs forts pour faire respecter les règles, il faut aussi des acteurs solides sur tous les maillons de la chaîne de l'information financière.
3. Les acteurs clés de l'information financière doivent être responsabilisés.
Premier acteur, bien sûr, les entreprises, qui sont à la source de l'information. Mais renforcer la sécurité de l'information financière suppose aussi que les autres acteurs chargés de la diffusion et du contrôle de l'information jouent pleinement leur rôle.
Pour les entreprises, la loi doit fixer le cadre d'un contrôle qui passe à la fois par les actionnaires et par des contre-pouvoirs internes forts. Un gouvernement d'entreprise fort est certainement l'une des principales réponses à la crise de confiance.
Le marché doit permettre aux actionnaires de sanctionner la mauvaise gestion. Pour cela, ils doivent pouvoir jouer leur rôle. C'est le sens des dispositions du projet de loi qui confirment le caractère de pivot central de l'assemblée générale, lieu fondamental de l'expression du contrôle des décisions du management.
L'application du règlement intérieur, l'organisation des travaux du conseil, du contrôle interne, les délégations de pouvoirs, feront ainsi pour les sociétés cotées l'objet d'une information sous le contrôle de l'AMF. Pour donner des repères au marché, celle-ci veillera à la qualité de l'information en matière de gouvernement d'entreprise et fera un rapport annuel sur les pratiques dans ce domaine.
Cette réflexion vaut bien sûr aussi pour l'Etat actionnaire. Vous savez que j'ai demandé à René BARBIER DE LA SERRE de faire un bilan de la manière dont l'Etat assume son rôle d'actionnaire et des propositions concrètes d'évolution. Je m'en inspirerai fortement pour prendre les mesures adaptées à la nécessaire amélioration des procédures actuelles.
Au-delà de la détermination des règles essentielles par la loi, chaque entreprise doit s'engager résolument à mettre en oeuvre les meilleures pratiques. Le rapport de Daniel Bouton pose des principes ambitieux, reste à les appliquer. L'élément clé de la séparation des pouvoirs est l'indépendance, la compétence des hommes et les moyens qui leurs sont alloués. L'indépendance, la compétence et la représentativité du conseil d'administration et des comités du conseil sont les ingrédients essentiels d'une protection contre les excès du capitalisme financier. J'invite donc les entreprises et les entrepreneurs à faire preuve d'audace, et à ne pas attendre que la loi impose demain ce qu'elles doivent faire aujourd'hui.
D'autres acteurs jouent un rôle clé dans l'accès à l'information.
Les commissaires aux comptes sont ici en première ligne, car ils jouent un rôle déterminant dans la confiance des investisseurs dans la sincérité des comptes des entreprises. Dominique Perben vous a parlé ce matin de ce qui nous paraît devoir être renforcé, je me contenterai donc de rappeler ce qui me semble essentiel.
Premier point, l'interdiction, élargie aux réseaux, d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil, à l'exception de ce qui concoure à la mission d'audit. Elle aura sans aucun doute un coût, mais elle ne remet pas en cause la pluridisciplinarité des cabinets, gage de compétence et d'efficacité de ses membres. Il faut assumer ce coût, il est dans l'intérêt de tous.
Deuxième point, la création d'une autorité de contrôle externe à la profession, garante de l'indépendance, de la discipline et de l'autorité des commissaires aux comptes. Parce qu'elle est primordiale pour la stabilité financière, la problématique particulière des entreprises faisant appel public à l'épargne sera pleinement prise en compte, grâce à l'instauration de relations étroites entre le Haut Conseil de commissariat aux comptes et l'AMF, et à l'attribution à l'AMF de pouvoirs autonomes à l'égard des commissaires aux comptes des entreprises faisant appel public à l'épargne, par exemple en matière d'enquêtes.
Troisième point, des dispositions de bon sens en matière de rotation des auditeurs, comme on en trouve désormais aux Etats-Unis, comme le recommande aussi la Commission européenne.
On peut beaucoup demander à la vigilance des commissaires aux comptes, mais il ne faut pas tout en attendre.
Les analystes et les agences de notation jouent un rôle clé dans cette chaîne des " auxiliaires de la transparence ", vous en avez parlé ce matin.
S'agissant des analystes financiers, des réformes ont été menées en France en 2002, au terme d'une consultation des professionnels conduite par le Conseil des marchés financiers. Elles vont dans le bon sens, et pourraient utilement trouver un prolongement pour les analystes financiers travaillant pour des établissements de gestion, ce que l'on appelle le 'buy-side'.
S'agissant des agences de notation, suite au vote de la loi Sarbanes Oxley, la SEC remet cette semaine son rapport sur ces acteurs majeurs de notre système économique. Cette réflexion est légitime, compte tenu de leur influence sur les mouvements de marché. Mais nous ne devons pas nous résigner à une situation où la SEC, seul régulateur mondial de fait en la matière, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. Nous souhaitons engager le dialogue au niveau international sur ce sujet.
Sur ces deux questions, comme sur les autres, les réflexions sont donc engagées, mais il n'existe pas à ce stade de consensus. Or, la régulation dans ce domaine ne peut se concevoir que dans un cadre élargi : j'y veillerai dans le cadre de la présidence française du G7 en 2003, où nous souhaitons faire une priorité de la gouvernance des entreprises et des marchés. Il nous faut en effet bien réfléchir aux domaines qui peuvent justifier une action coordonnée au niveau international, et tenir compte des intérêts et des cultures juridiques parfois différentes de nos partenaires. Mais certains sujets comme les agences de notation, la réassurance ou les hedge funds viennent naturellement à l'esprit.
La mission que j'ai confiée à Michel Prada a d'ailleurs permis de dresser un état des lieux et d'engager en temps masqué le débat avec nos partenaires. Je l'en remercie. J'en parlerai avec mes collègues du G7 à Paris le mois prochain, mais il nous revient d'être exemplaires dans notre propre pays.
Mesdames et Messieurs, vous me permettrez pour conclure, d'invoquer Alain Peyrefitte qui, dans ses leçons au Collège de France sur le " miracle en économie ", soulignait l'importance déterminante de ce qu'il appelait " l'éthos de confiance compétitive ". Sans confiance des membres d'une société les uns dans les autres et de tous dans leur avenir commun, il n'y a pas de croissance possible. Pour restaurer la confiance, il nous faut clarifier certaines règles, en édicter d'autres. Il faut aussi, et surtout, que nos comportements soient à la mesure des enjeux de nos économies modernes, car aucune règle ne permettra de pallier une éthique défaillante. Je suis confiant dans notre capacité collective à relever ce défi.
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 29 janvier 2003)