Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur l'emploi des jeunes et la mobilisation de tous les acteurs, notamment les préfets, Paris le 10 février 1997.

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Circonstance : Conférence nationale pour l'emploi des jeunes à l'Hôtel Matignon le 10 février 1997

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner ce qui est l'une des questions centrales de la société française en cette fin de siècle, celle qui engage son présent et son avenir, la question de l'emploi des jeunes.
Notre pays connaît là un grave échec collectif.
Nous sommes l'une des sociétés développées dans le monde qui traite le plus mal sa jeunesse, en ceci qu'elle ne fait pas tout ce qu'elle pourrait faire pour l'insérer dans la vie de travail. Les chiffres sont connus. Ils sont inacceptables.
Jusqu'à présent, toutes les initiatives lancées en faveur de l'emploi des jeunes se sont globalement soldées par des échecs.
Certes, des formules ont été plus heureuses que d'autres, des embellies ont pu être constatées et nous avons de ce point de vue enregistré récemment des résultats positifs, mais le problème demeure, et il nous angoisse tous.
L'emploi des jeunes a été, c'est vrai, la préoccupation des gouvernements qui se sont succédés, mais en raison de leur insuccès, c'est aujourd'hui la cohésion même de notre société qui est en cause. Combien de nos concitoyens pourraient se reconnaître dans cette lettre que m'adressait vendredi une mère de famille pour "y crier son désarroi, sa colère en voyant son fils galérer pour du travail, pour un logement, pour tout" et s'entendre dire à un guichet : "Cherchez, vous avez le temps, vous n'êtes pas encore grand-père".
Reconnaître un échec collectif est-ce une erreur ? Je ne le crois pas. J'y vois plutôt le moyen de se poser toutes les interrogations, de remettre les choses à plat, de se demander si l'approche ne doit pas être totalement revue.
Nous avons tous le désir de trouver des solutions, nous sommes les uns et les autres déterminés, nous y mettons toute notre énergie et aussi beaucoup de moyens financiers et pourtant cela ne suffit pas.
Que se passe-t-il ?
La tenue aujourd'hui de la Conférence nationale pour l'Emploi des Jeunes doit être l'occasion de définir une nouvelle méthode ; une méthode qui ne soit pas incantatoire, mais pragmatique ; une méthode qui ne soit pas globale mais adaptée à la diversité des jeunes ; une méthode qui ne soit pas celle du monde de l'après-guerre, mais du monde en pleine mutation d'aujourd'hui.
Ce que je souhaite aujourd'hui, c'est que nous parvenions à sceller tous ensemble un véritable accord de méthode, pour que nos engagements et nos réponses à l'emploi des jeunes soient au niveau de l'attente de nos enfants.
Premier élément de méthode : cessons de regarder notre jeunesse comme un ensemble monolithique et uniforme qui souffrirait collectivement du même mal.
Les jeunes hommes et les jeunes femmes de notre pays ne sont pas tous confrontés aux mêmes problèmes. Ils connaissent des situations spécifiques. Les jeunes en grande difficulté et en échec scolaire ne sont pas les jeunes diplômés, à qui l'on reproche une absence d'expérience professionnelle. Et ces derniers ne sont pas les jeunes sans qualification à l'issue de leur scolarité.
Ce constat de bon sens me paraît avoir un corollaire immédiat : il ne s'agit pas de trouver une solution, mais des solutions, parce que notre jeunesse n'est pas unique, elle est plurielle.
Il ne faut pas du prêt-à-porter, mais du sur-mesure.
Deuxième élément de méthode :
Il faut que nous réalisions une bonne fois pour toutes que le monde d'aujourd'hui n'est plus celui d'il y a vingt ou trente ans, et que le travail d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui et encore moins celui de demain.
Le monde évolue de plus en plus vite, les formes et la place du travail également. Certes l'important pour nos jeunes, ce n'est pas ce qu'ils feront dans quarante ans. L'important c'est leur premier emploi : un premier emploi trouvé rapidement après la période de formation, un premier emploi réussi, un premier emploi formateur, un premier emploi qui ouvre des perspectives, un premier emploi qui soit plus que le premier pas, qui soit véritablement le pied à l'étrier, la première étape dans la vie professionnelle, de quoi ensuite beaucoup dépend.
Voilà ce qui doit par priorité nous mobiliser.
Troisième élément de méthode :
Il faut que nous partions du terrain. Il existe un formidable dynamisme local, un bouillonnement d'initiatives qui ont du mal à se frayer un chemin dans la lourdeur de nos réglementations et de nos procédures centralisées. Et trop souvent, au lieu d'aider l'emploi des jeunes, au lieu de soutenir les initiatives, au lieu de faire confiance, nous avons peur, nous nous méfions et nous n'acceptons que du bout des lèvres quelques expérimentations. Au cours de mes déplacements en régions, tous me l'ont dit : élus, préfets, partenaires sociaux... que de temps et d'énergie pour convaincre, débloquer les financements, mettre en uvre les idées nouvelles. Et que d'initiatives sans lendemain, parce que tout parait parfois fait pour décourager la volonté d'agir.
Il n'est plus possible de tout décider d'en haut. Ce dont les jeunes ont besoin, c'est de davantage de proximité. Les jeunes considèrent que les initiatives prises dans les palais nationaux, - celui qui nous héberge ou un autre - en dépit de l'intérêt qu'elles suscitent, sont a priori vouées à l'échec car elles n'aboutissent pas à une réponse concrète à leur propre attente.
Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'ils ont compris que l'emploi ne se décrète pas, et que c'est sur le terrain que l'on pourra trouver les solutions. D'abord, la solution que les jeunes eux-mêmes imaginent, car bien souvent, ils ont l'esprit des pionniers, ils inventent les voies et les métiers de l'avenir à condition que nous sachions les accompagner, chacun à notre place, mais en faisant converger nos efforts.
Cela nous conduit tout naturellement au quatrième élément de méthode que je propose à votre réflexion : même si elle est quotidienne et intense, la mobilisation du gouvernement ne suffit pas.
Nous avons déjà largement déconcentré nos actions, notamment par la mobilisation des Préfets, et par la signature des programmes régionaux pour l'emploi des jeunes.
Mais il faut aller beaucoup plus loin, mobiliser davantage l'ensemble des réseaux pour que 1997 soit vraiment, comme le propose le Président de la République, l'année de l'emploi des jeunes. Non pas une année éphémère, mais celle où se scelle un pacte de la nation tout entière pour l'emploi des jeunes.
1997 doit être ainsi en réalité la première année de l'emploi des jeunes, la première année d'une mobilisation permanente de tous les acteurs.
C'est pour cette raison que j'ai souhaité vous inviter aujourd'hui dans une configuration élargie, car vous êtes tous des éléments moteurs de la préparation, de l'accompagnement ou de la création du premier emploi de chaque jeune.
En conclusion, et avant de céder la parole à Jacques BARROT, je voudrais résumer les quatre points qui composent cet accord de méthode que je souhaite sceller avec vous :
- ne pas considérer les jeunes comme une entité unique ;
- sortir de nos schémas traditionnels pour nous mettre à la place des jeunes ;
- répondre à des besoins qui sont des besoins de proximité ;
- créer une mobilisation plus large et permanente.
Nous ne réussirons qu'à condition de savoir nouer un nouveau dialogue social à tous les niveaux : au niveau national comme aujourd'hui pour impulser le mouvement ; au niveau des forces vives de notre société, et je sais toute l'importance qu'y attachent en particulier les organisations syndicales et professionnelles et tout leur engagement ; au niveau des institutions, régionales, départementales ou locales, et au sein même des entreprises.
Ce nouveau dialogue doit savoir dépasser certains clivages, certaines habitudes ou certains conformismes. C'est la condition pour répondre aux attentes de notre jeunesse, c'est-à-dire de l'avenir de notre pays. C'est dans cet esprit que pour ma part j'ouvre nos travaux.