Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre sur la volonté de réforme du gouvernement et les priorités pour 1997, l'emploi, la monnaie unique et l'indépendance de la justice, Bordeaux le 11 janvier 1997.

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Circonstance : Rassemblement des élus locaux pour l'Aquitaine, Bordeaux le 11 janvier 1997

Texte intégral

M. JUPPÉ.- ... Le Conseil Régional d'Aquitaine, puisque nous sommes ici au RELPA, c'est-à-dire le Rassemblement des Élus Locaux pour l'Aquitaine, qu'il conduit avec habileté et efficacité et qu'il conduira, demain, avec les mêmes qualités.
Je voudrais saluer aussi tous les élus locaux présents dans cette salle, j'allais dire qu'ils soient majoritaires ou d'opposition, je m'entends, qu'ils soient dans la majorité de leur collectivité ou dans l'opposition, avec un petit sentiment particulier d'affection pour ceux qui sont dans l'opposition parce que je sais que ce n'est pas facile. Il faut souvent se battre avec courage.
Merci à Jérôme Bignon qui, à la suite de Dominique Perben, anime notre Association nationale pour la démocratie locale, avec toute la sagesse, tout le bon sens, toute l'expérience qui le caractérisent. Vous avez pu en juger tout à l'heure en l'écoutant.
Et puis merci aux ministres qui se sont joints à nous. L'un est élu d'Aquitaine, je vous demanderai donc de le saluer, Jean-Jacques de Peretti qui vient de nous rejoindre. L'autre est venu d'un petit peu plus loin, Dominique Perben, à qui j'ai confié, au sein du Gouvernement, une tâche difficile, lourde : celle de traiter de tous les problèmes qui concernent la fonction publique, mais aussi les collectivités territoriales et puis la réforme de l'État. Il y a longtemps qu'il préside aux destinées d'une collectivité territoriale importante, la ville de Chalon-sur-Saône. Il a donc une expérience acquise sur le terrain. J'ai pu, tout au long de ces années, apprécier son bon sens, sa lucidité, son réalisme. Il nous en a donné tout à l'heure une bonne démonstration.
J'avoue que, parfois, il m'arrive de me perdre un petit peu dans tous les sujets qu'il a évoqués parce qu'ils sont d'une complexité effroyable. Tout à l'heure, je buvais du petit lait en l'écoutant parce que je me disais : "Enfin, j'ai l'impression de commencer à comprendre ce que nous allons faire et ce qui va se passer". Je voulais l'en remercier, j'en suis sûr aussi, en votre nom à tous.
J'ai compris d'autant plus facilement que j'ai tout de même observé qu'il avait suivi les orientations que je lui avais fixées.
Je disais récemment, en m'adressant à l'ensemble des membres du Gouvernement - je crois que c'était mercredi dernier au cours d'une réunion de travail - que toute notre action, au cours de l'année 1997, devrait être placée sous le signe de trois préoccupations très simples, très quotidiennes, si je puis dire : Proximité, simplicité, précisément, et participation.
Proximité, d'abord, parce que vous le sentez bien, il y a très fortement ancrée dans la tête de beaucoup de nos concitoyens l'idée que la distance entre ceux qui gouvernent et ceux pour qui ils gouvernent est trop grande, qu'il y a trop d'éloignement entre Paris et puis la réalité du terrain. Il nous faut donc faire un effort considérable pour réduire cette distance et introduire, dans notre façon de voir les problèmes et dans les décisions que nous prenons, davantage de sens du terrain, de proximité. Les Français reprochent trop souvent à leurs hommes politiques d'être trop éloignés de leurs préoccupations quotidiennes, de ne pas être assez proches.
Simplicité ensuite, cela a été, je crois, le leitmotiv de toute cette rencontre du RELPA : tout est trop compliqué pour nous, en tant que gestionnaires de collectivités locales, mais aussi pour nos concitoyens, dans toutes les démarches qu'ils doivent faire où ils ont le sentiment d'un poids de la bureaucratie, des tracasseries, des complications qui s'accroît chaque jour davantage. Il va donc falloir, Dominique Perben l'a dit, et c'est compliqué paradoxalement, simplifier, simplifier et simplifier.
Et puis le besoin de participation. Nous avons, d'un certain point de vue, changé d'époque. Nous ne sommes plus au temps où l'information ne circulait pas, où la formation, elle-même, était réservée à de petites élites ; tout le monde, aujourd'hui, a son opinion sur tout. Et cela nous conduit à changer la manière de préparer nos décisions. Nous en avons l'expérience, peut-être, dans les deux ou trois années passées, et c'est particulièrement vrai - je vais y revenir - dans la gestion des collectivités territoriales. On ne peut plus aujourd'hui mettre une décision sur la table en disant : "C'est comme ça et pas autrement".
Bien sûr, il faut que quelqu'un décide à un moment donné, mais il faut que cette décision ait été préparée, expliquée, concertée, et cela nous ramène au mot qui, pour certains d'entre nous, est un peu au cur de l'engagement politique, je veux parler du mot de participation.
Proximité donc, simplicité, participation. Si je réévoque ici ce que j'évoquais cette semaine devant les ministres, c'est parce que les élus locaux sont, de ce point de vue, en première ligne. Qui, mieux que les élus locaux, est en charge de ce souci de proximité de nos concitoyens ? C'est notre raison d'être. Qui, mieux que nous, peut simplifier en jouant ce rôle de relais entre ce qui est éloigné et puis le terrain ? Qui, mieux que nous, est confronté à cette demande quasi quotidienne de participation ?
J'en avais déjà l'expérience dans des fonctions antérieures, et depuis que j'ai la responsabilité et la joie d'être maire de Bordeaux, je le vois pratiquement tous les jours. Il y a, dans nos quartiers de nos grandes villes ou dans nos campagnes, ce besoin de savoir ce que l'on va faire, pourquoi on va le faire, pourquoi on ne le fait pas autrement. Ce besoin, précisément, de participation à la décision.
Nous sommes donc là sur ces trois fronts, je le répète, en première ligne. C'est dire toute la dignité, toute l'importance, pour le bon fonctionnement de notre démocratie, des élus locaux.
Ce métier, qui n'est pas un métier d'ailleurs, cette fonction, cette mission d'élu local est difficile. Et plusieurs des problèmes auxquels nous sommes confrontés ont été évoqués en termes excellents, ce matin, par les rapporteurs que j'ai eu l'occasion d'entendre tout à l'heure, par Dominique Perben qui a apporté des éléments de réponse.
Je ne vais pas reprendre ce qu'il a dit excellemment. Je voudrais tout de même mettre le projecteur sur deux ou trois sujets :
D'abord, les moyens financiers. Nous avons tous beaucoup d'idées, beaucoup de projets, et puis malheureusement nous nous retournons vers nos finances et nous voyons qu'elles ne suivent pas toujours. Structurellement, les budgets des collectivités territoriales sont victimes d'une sorte d'effet de ciseaux, nos dépenses progressent plus vite que nos recettes. C'est cela qui nous crée à tous des difficultés et la nécessité de rendre des arbitrages souvent difficiles.
Alors on dit beaucoup et souvent : "Mais c'est la faute de l'État". Nous avons regardé cela de manière précise. Nous avons confié à la Commission d'évaluation des charges des collectivités territoriales de regarder exactement ce qui s'était passé depuis quelques années. Un rapport a été élaboré sous la signature d'un sénateur, Paul Girod, qui dit quoi ? Je crois qu'il faudrait que nous le rappelions un peu plus souvent que nous ne le faisons. Il dit que "de 1989 à 1993, il y a eu constamment plus de transferts de charges qu'il n'y a eu de transferts de ressources".
Quand j'entends parfois des discours - en Gironde par exemple - où on nous donne des leçons en disant : "Tout cela est de la faute du Gouvernement", j'aimerais bien que nous reprenions un peu une perspective historique et que nous rappelions d'où cela vient : 1989-1993, voilà ce qui s'est passé : on a transféré plus de charges que de ressources aux collectivités territoriales.
Ma première consigne, lorsque mon Gouvernement a été constitué, a été précisément d'essayer de mettre un terme à ce processus, d'où le pacte de stabilité dont a parlé excellemment, tout à l'heure, Dominique Perben, et qui, en 1996 comme en 1997, a été respecté.
Deuxième problème : la complexité des structures. C'est vrai que, quelle que soit mon ardeur réformatrice, et j'y reviendrai tout à l'heure, on ne peut pas non plus s'attaquer à des montagnes dont on sait très bien qu'on ne les déplacera pas, et prétendre rayer d'un trait de plume des siècles et des siècles d'Histoire, en refabriquant une carte administrative conforme à l'idéal et non pas à la réalité. Ce serait se condamner à l'échec. Il n'en reste pas moins que nous devons favoriser la simplification, là aussi, des structures intercommunales. Et je crois que la manière dont Dominique Perben, après de multiples contacts, a engagé les choses va tout à fait dans le bon sens.
J'évoquerai un troisième sujet qui a été traité ce matin, un peu moins évoqué cet après-midi, qui est à la fois celui de la complexité et du contrôle. Il faut, bien entendu, que la gestion des collectivités territoriales soit contrôlée. Elle l'est d'abord par les électeurs, c'est la démocratie. Et puis elle l'est par un certain nombre de mécanismes qu'il nous faut tout à fait respecter, c'est notre intérêt même. Mais je me demande si, aujourd'hui, nous ne glissons pas dans une situation où, d'une certaine manière, en amont de nos décisions, il y a un certain déficit de contrôle de légalité et où, en aval de ces décisions, il y a un certain excédent de contrôle d'opportunité. Vous voyez ce que je veux dire ? Je ne développerai pas davantage.
Je me demande si, là, il n'y a pas une réflexion à engager et une clarification à opérer. C'est difficile parce que nous ne devons certainement pas donner le sentiment que nous voulons échapper au contrôle. La transparence est une vertu que nous devons pratiquer. Mais encore qu'on nous en donne les moyens et qu'on ne nous mette pas dans des situations tout à fait inextricables.
Voilà un sujet, peut-être, de réflexion supplémentaire que je livre à votre attention.
Voilà en tout cas qui vous prouve que, depuis deux ans, sous l'impulsion du Président de la République - et je n'ai pas repris tous les chantiers qu'a évoqués Dominique Perben - nous n'avons pas négligé la situation des collectivités territoriales et que nous avons engagé toute une série d'actions ou de réformes qui essaient de permettre aux élus locaux de mieux jouer leur rôle.
Je ne développerai pas plus sur ce thème parce que je voudrais aussi m'adresser à chacune et à chacun d'entre vous en tant qu'élu engagé dans le soutien à l'action gouvernementale et à l'action du Président de la République. Je sais qu'ici plusieurs sensibilités politiques sont représentées, plusieurs formations politiques, mais il me semble que notre dénominateur commun, c'est cet engagement derrière l'action de la majorité nationale et derrière le Président de la République. Et vous avez, dans ce domaine, un rôle essentiel à jouer.
On me dit toujours que ce qui pêche, c'est la communication. Dans un petit livre où j'ai laissé parler mon cur et courir ma plume récemment, j'exprimais quelques doutes sur ce point parce que, lorsqu'on a une décision difficile à prendre, on a beau communiquer 24 heures sur 24, elle reste toujours difficile. Et une mesure impopulaire n'est pas rendue populaire par l'alchimie de la communication. Cela dit, il faut de la communication, bien sûr, il faut de l'explication.
Je disais donc qu'il nous faut expliquer, et nul mieux que les élus, les élus nationaux bien entendu, mais aussi les élus locaux, ne peuvent être les relais de l'action gouvernementale auprès des citoyens. Et ne me dites pas, de grâce, que vous n'avez pas les éléments pour faire ce travail d'information ou de formation. Nous vous envoyons, les partis politiques, les associations d'élus vous envoient en permanence des documents qui essaient de vous expliquer ce que nous sommes en train de faire, alors il faut aller au charbon pour l'expliquer.
Pour 1997, nous nous sommes fixé, conformément aux orientations du Président de la République, trois grandes priorités qui sont d'ailleurs dans la continuité de ce que nous avons fait en 1996.
La première d'entre elles - cela ne vous surprendra pas parce que, en tant que maires ou en tant qu'élus départementaux ou régionaux, parlementaires, c'est pour vous aussi une obsession quasi quotidienne - c'est l'emploi.
Depuis deux ans, nous avons tout fait ou presque tout pour essayer de remonter la pente. Nous avons allégé les charges des entreprises, et notamment des petites et des moyennes. Et, depuis le 1er octobre dernier, le dispositif est entièrement en place. Nous avons essayé d'agir sur le temps de travail avec des initiatives législatives très audacieuses, comme la loi de Robien qui n'est sans doute pas une panacée, mais qui peut apporter ici ou là, en fonction de la situation spécifique des entreprises, des éléments de réponse. Nous avons développé l'alternance. Une réforme "simplification de l'apprentissage" a été faite et elle marque des points 1996 a été une bonne année pour l'apprentissage et l'alternance. Nous avons également essayé de développer les emplois de proximité, comme on dit : les contrats d'initiative locale au titre du pacte de relance de la ville, bientôt les emplois de dépendance, grâce à la prestation autonomie que le Sénat a déjà votée.
Bref, nous nous sommes battus sur tous les fronts, et il est vrai que cela n'a pas donné encore les résultats que nous attendions. Et c'est pourquoi il faut aller plus loin. Plus loin, en particulier, sur l'emploi des jeunes. Et, dès la fin du mois de janvier, dès les premiers jours du mois de février, comme je l'avais annoncé, je vais réunir l'ensemble des partenaires sociaux, et même un peu au-delà, les forces vives du pays pour voir ce que nous pouvons faire de plus et de mieux, afin de mettre le pied à l'étrier des jeunes qui n'ont pas encore même la possibilité d'accéder à leur premier emploi.
J'ai souvent cité, et je crois que je l'ai écrit, une petite anecdote qui m'avait beaucoup frappé. Un jour, j'étais dans un service où l'on recevait les jeunes, où l'on mettait à leur disposition des terminaux d'ordinateurs pour rechercher des offres d'emplois. J'étais avec eux en train de pianoter et j'avais vu défiler des offres d'emplois - c'était dans une filière, peu importe sa nature - et chaque fois la même chose revenait : "offre d'emploi, expérience professionnelle exigée, deux ans minimum". Or, quand vous n'avez jamais commencé, quand vous n'avez jamais été inséré dans le circuit, comment pouvez-vous apporter deux ans d'expérience professionnelle ? Et c'est là qu'il faut que nous trouvions une réponse. C'est ce à quoi nous réfléchissons, c'est ce à quoi les organisations professionnelles et certains syndicats ont travaillé. C'est ce qu'on appelle en ce moment - c'est une formule - les stages diplômants. Je sais que cela suscite de l'inquiétude, mais je dis très clairement que, du point de vue du Gouvernement qui n'a pas été encore saisi d'une proposition concrète des partenaires sociaux, cela ne saurait, en aucune manière, être un contrat de travail au rabais proposé à des jeunes. Cela doit être, dans le cadre d'un cursus de formation, une période de stage et de formation.
Et, là, je pense que cela peut être utile car je suis sûr que vous avez tous rencontré des jeunes qui vous ont dit : "Dans le cadre de notre formation, nous devons faire un stage et nous n'en trouvons pas". Il faut bien, donc, que nous leur répondions et que nous les aidions à faire cela. Voilà dans quel esprit nous travaillons et avec aucune autre arrière-pensée. Donc, l'emploi.
Deuxième priorité, deuxième préoccupation majeure en 1997, c'est l'avancée décisive que nous allons faire au cours de cette année sur la voie de la monnaie européenne. On me dit souvent : "Il ne faut pas trop en parler parce que cela ne plaît pas". D'abord, ce n'est pas tout à fait ma conception de la politique. Je ne pense pas que le rôle d'un homme politique se résume à parler exclusivement de ce qui plaît, il faut parler de ce qui est vrai. Or, ce qui est vrai, c'est que nous avons besoin, si nous voulons compter dans le monde, de nous "intégrer" - ce mot déplaira peut-être - à un ensemble plus vaste qui pèse davantage sur la scène mondiale.
J'ai écrit cela de manière toute bête, mais après tout les formules les plus simples sont parfois les plus vraies : l'union fait la force. L'union des Nations aujourd'hui fera la force des peuples européens demain, et la monnaie européenne est un trait d'union absolument essentiel pour la stabilité de nos économies, pour la prospérité de demain, et donc pour l'avenir de nos enfants et pour leur emploi.
J'avoue que j'ai été, même si j'attache aux sondages le crédit limité que vous imaginez, un peu rasséréné quand j'ai vu que 61 % - je cite de mémoire - des Français étaient plutôt favorables à la monnaie européenne. Ce qui, d'ailleurs, dissipe une idée largement répandue selon laquelle trois quarts des Français n'en voudraient pas. Je sais bien qu'on me dira : "Avant le référendum sur le Traité d'Union européenne, c'était pareil, et puis cela s'est terminé à 50/50", très bien ! N'en tirons pas de conséquences trop définitives, mais cela vaut mieux que le contraire ! Et c'est, je crois, une réaction de bon sens.
Il va falloir, en 1997, que nous continuions sur la voie que nous avons prise, qui demande des efforts, c'est vrai ! qui explique des disciplines. Si je pouvais creuser les déficits et augmenter les dépenses sans compter, croyez bien que ma tâche serait facile et que j'aurais peut-être évité certains des désagréments que j'ai connus l'an dernier. Mais je crois que ce serait un péché contre l'avenir et contre l'avenir de nos enfants. Nous ne pouvons pas ne pas réduire nos déficits et donc ne pas maîtriser nos dépenses pour être au rendez-vous qui sera demain, j'en suis sûr, celui de la croissance et celui de la prospérité.
Enfin, troisième voie essentielle de ce que nous avons à faire durant ces douze mois et après, bien sûr, poursuivre l'action réformatrice. Notre pays a besoin de réformes. Pendant pratiquement deux décennies ou pas tout à fait, 14 à 15 ans - je ne vois pas pourquoi je dis : 14 à 15, c'est un peu de politesse - nous avons été victimes du conservatisme et de l'immobilisme dans bien des domaines. Et, aujourd'hui, nous nous réveillons à un moment où il faut absolument que ces réformes progressent parce que le monde a changé autour de nous et que si nous ne nous adaptons pas, nous serons dépassés, avec toutes les conséquences que cela entraînera. Je crois que les Français le sentent bien.
Nous avons, c'est vrai, depuis un an et demi, ouvert de considérables chantiers. Nous avons engagé une réforme de la protection sociale qui, dans un premier temps, a suscité les applaudissements de tout le monde, qui ensuite, comme je l'avais prévu d'ailleurs, a provoqué le choc en retour des corporatismes et des conservatismes, mais dont on voit bien aujourd'hui qu'elle est la chance de notre système de protection sociale si nous voulons véritablement le sauver. Alors, on progresse, on a fait déjà beaucoup depuis un an, puisque je l'avais annoncé en novembre 1995, et nous allons continuer sur cette voie en essayant de l'expliquer mieux. En essayant notamment d'expliquer aux médecins qu'ils ne sont pas les boucs émissaires de cette réforme, qu'ils ne sont pas désignés comme les responsables des déficits, loin de là, qu'ils doivent être les partenaires de la réforme, mais qu'ils doivent comprendre avec nous, et en association avec nous, que c'est sans doute l'une des dernières chances du système de protection sociale tel que nous l'avons conçu, c'est-à-dire l'exercice libéral de la médecine, joint à une solidarité financière nationale.
Nous avons ensuite engagé la réforme de la Défense nationale parce qu'il est évident que 1989 a tout changé et qu'il fallait donc adapter notre armée, nos armées, nos industries, à la nouvelle donne internationale, et le Président de la République a eu la lucidité de tracer la voie. Nous avançons là aussi dans ce domaine.
Nous avons engagé la réforme de l'Éducation nationale, après la présentation que François Bayrou en a fait à mes côtés, l'an dernier, à la Sorbonne, et nous progressons.
Nous avons engagé la réforme des entreprises publiques. Il y a une grande réforme dont on ne parle plus parce que ce qui est réussi - je touche du bois - dans notre pays n'intéresse plus personne: Je pense à France Télécom. On s'y était repris à plusieurs fois dans les années passées pour essayer de faire évoluer l'entreprise, comme ses concurrentes allemande ou britannique ont évolué. Et on s'était planté, il faut bien le dire ! Sans pousser de cocorico, je voudrais faire remarquer que, nous, nous avons réussi et que, à la fois, l'entreprise France Télécom s'est profondément rénovée. Un accord avec plusieurs syndicats vient d'être signé au sein de l'entreprise. Son capital sera ouvert à d'autres participations, et notamment à celle de ses salariés d'ici quelques mois. Et nous avons également réformé toute la législation de ce secteur qui devait être adapté à la technologie telle qu'elle est aujourd'hui.
Nous avons également - Dominique Perben en a parlé, je n'y reviendrai pas - engagé la réforme de l'État, et puis amorcé également la réforme de notre fiscalité, dans l'incrédulité générale. J'espère que cette incrédulité reculera un petit peu lorsque, au mois de mars, à la réception du premier tiers provisionnel, les redevables verront que l'engagement pris est tenu et que l'impôt baisse, contrairement, je le répète, à tout ce qui est affirmé ici ou là.
Cette action réformatrice, qui a été considérable depuis un an et demi, il nous faut encore l'amplifier. Jacques Chirac a annoncé un nouveau chantier qui concerne la justice, qui est important parce que, aujourd'hui, de ce point de vue-là, les choses ne vont pas très bien. Les Français ont le sentiment que la Justice est trop lente, et c'est vrai. J'étais hier à la rentrée solennelle de la Cour d'Appel de Bordeaux où on y donnait des chiffres inquiétants pour les affaires civiles, les affaires familiales parfois : il faut près de deux ans pour obtenir un jugement définitif. C'est donc une forme de déni de justice.
Les Français ont aussi le sentiment que la justice est trop soumise aux pouvoirs politiques, ce qui est une illusion, mais qui est un sentiment dont il faut tenir compte. Et puis ils ont le sentiment qu'elle n'est pas la même pour tout le monde. Et quand il y a doute dans un peuple sur la qualité de sa justice, c'est grave, parce que cela porte atteinte à la qualité de la démocratie.
Alors, nous allons, là aussi, ouvrir ce chantier. D'abord en essayant, compte tenu de nos contraintes, de donner davantage de moyens à la justice pour qu'elle soit plus rapide. Ce qui ne signifie pas d'ailleurs, et j'étais très attentif à ce que disait hier un haut magistrat, uniquement des postes ou de l'argent supplémentaires. Ce qui peut signifier aussi une réforme des procédures, et peut-être une déjudiciarisation - je ne sais pas si on dit comme cela ? - le fait de ne plus soumettre systématiquement à la justice des litiges qui pourraient être traités par d'autres voies. Donc, il y a, là, tout un ensemble de réformes à faire.
Puis il y a les deux grandes réformes politiques que le Président de la République a décidé de soumettre à une commission de réflexion qui regroupera des personnalités de toutes sensibilités et qui porte sur deux questions majeures, fondamentales en démocratie :
La première, que j'évoquais à l'instant, est celle de la relation entre la justice et le pouvoir politique. On pense, à tort ou à raison - je crois que c'est à tort - que la justice n'est pas libre vis-à-vis du Pouvoir. Comme ce soupçon se résume en fait à un point qui est l'autorité hiérarchique que le garde des Sceaux exerce sur les procureurs généraux et les procureurs, posons-nous la question de savoir s'il ne faut pas couper ce lien et supprimer cette autorité hiérarchique ? Certains sont pour, d'autres sont contre. Cela mérite une réflexion. Cela mérite surtout qu'on en voit bien les implications. Parce que si on coupe totalement ce lien hiérarchique, cela signifie que l'Institution judiciaire devient en quelque sorte un pouvoir judiciaire. Or, il n'y a pas pouvoir sans responsabilité. Les parlementaires sont responsables devant leurs électeurs, le Gouvernement est responsable devant le Président de la République et devant le Parlement. Le Président de la République est responsable devant ses électeurs. S'il y a pouvoir judiciaire, où est la responsabilité ? Une question difficile, et qu'il faut se poser.
La deuxième question que le Président de la République a souhaité poser à cette commission, c'est celle de la présomption d'innocence. Aujourd'hui, parce que nous sommes dans un monde qui est comme il est et qu'on ne changera pas de ce point de vue-là, avec notamment une sorte " d'immédiateté médiatique ", si je peux m'exprimer ainsi, de l'information, nous sommes arrivés à un point où la mise en examen égale présomption de culpabilité. Ce qui est une grave violation des principes fondamentaux de notre démocratie. Et donc il faut même aller, jusque dans certaines situations, à des cas où le seul fait d'être convoqué comme témoin est déjà ressenti comme quelque chose qui, moralement, n'est pas tout à fait convenable. Alors, là, il y a un vrai problème, d'où la question que le Président de la République pose : Comment garantir la présomption d'innocence ? Est-ce en renforçant le secret de l'instruction ? Ou, au contraire, est-ce en le supprimant complètement pour que tout soit contradictoire et que tout puisse être mis sur la place publique ? Je ne réponds pas à ces questions, mais je crois qu'il faut les formuler.
C'est vous dire que 1997 sera pour nous l'occasion, là aussi, d'aller au fond des choses et d'engager sans doute une grande réforme, en tout cas d'en avoir les éléments. Il y aura d'autres sujets sur lesquels nous aurons aussi à aller de l'avant.
Je pense à une grande entreprise publique - j'ai parlé tout à l'heure de France Télécom qui s'est réformée - qui doit se réformer, c'est la SNCF. On ne peut pas continuer comme cela. Nous avons pour les cheminots beaucoup de respect, bien sûr, c'est un grand service public, mais il faut que certaines adaptations se fassent. Des réformes ont été préparées. Elles doivent donner lieu à toutes les concertations possibles. D'ailleurs, Bernard Pons a passé toute sa semaine à voir les organisations syndicales, mais il va falloir aller de l'avant parce que, là encore, l'immobilisme, c'est la ruine.
... mais j'avais interprété cela comme un encouragement - sera une grande année là encore. Et je voudrais terminer sur ce point parce que je vais sans doute lasser votre attention. On a beaucoup parlé de morosité en 1996. Si on en a tant parlé, c'est qu'il devait y avoir un fond de vérité, mais je pense que cette espèce de voile générale qui s'est étendu sur l'économie française mérite tout de même d'être un peu dissipé. Il y a des difficultés, et loin de moi l'idée de sous-estimer le désarroi des familles que je rencontre, comme vous tous, qui me disent souvent : "On a un fils qui a un bac + 2, bac + 3, cela fait six mois qu'il cherche, un an qu'il cherche, il ne trouve pas". Non seulement je ne suis pas insensible à ces difficultés mais, je l'ai dit, c'est pour nous un défi qu'il nous faut relever.
Mais il y a aussi en France - et heureusement, parce que si cela n'était pas le cas, alors nous ne pourrions pas traiter ces difficultés - une capacité d'initiative, un esprit de conquête, un esprit d'entreprise qui fait que notre pays est bon dans des tas de domaines. Enfin, un pays qui vend 400 avions Airbus à une compagnie américaine ne peut pas être complètement un pays en décadence ! Un pays qui est le deuxième exportateur mondial par tête d'habitant est un grand pays, compétitif, qui a des entreprises solides et productives. Et je pourrais allonger la liste. Alors, c'est cet esprit d'initiative et de conquête qu'il faut encourager, non pas pour ignorer les difficultés de ceux qui en ont, mais au contraire pour les y aider.
Il nous faut être conscients du défi qui nous est lancé. Nous assistons d'un côté à ce qu'on appelle, c'est devenu un mot à la mode et un mot juste, la mondialisation. Les frontières disparaissent. Mondialisation des économies, mondialisation des flux de population, mondialisation des cultures et des comportements. C'est une chance parce que c'est un facteur de croissance, mais c'est aussi quelque chose qui nous donne un sentiment d'impuissance et de peur. Et dans le même temps, alors, nous voyons, par une espèce de balancier, chacun rechercher ses racines et, parfois, on risque là un peu de repli sur soi et d'égoïsme, encore qu'il y ait du bon dans tout cela. On est attaché à son petit pays, à sa petite région. Voilà dans quoi nous sommes écartelés aujourd'hui : la mondialisation, d'un côté, et puis le retour aux ressources de l'autre, qui se développe parallèlement.
Alors où trouver le point d'équilibre ? Pour moi, le point d'équilibre est le sentiment national, c'est le projet national, c'est le pacte national et républicain. C'est autour de cette idée, qu'est l'idée de la France, que nous pouvons nous rassembler pour assumer à la fois les défis de la mondialisation et ce besoin de ressourcement que nous éprouvons.
Voilà ce que je voulais vous dire pour terminer : A nous tous qui sommes profondément pénétrés, je crois, de cette conviction, incombe la charge de dire aux Français : "Confiance, espérance. Confiance, espérance dans ce qui nous rassemble, c'est-à-dire dans la France".
Vive le RELPA, vive l'Aquitaine, vive la République et vive la France.