Texte intégral
Q - Vous démarrez cette semaine les rencontres pour l'Europe en perspective de l'élargissement de l'Union, mais vous le faites dans un contexte vraiment désagréable et délicat, au moment où l'Europe s'agrandit et elle se fissure en même temps. C'est évidemment la question iraquienne qui est au centre de ce désaccord, qu'allez vous expliquer aux gens ?
R - Je vais expliquer que l'Europe s'élargit pour tenir compte d'un événement extraordinaire que l'on a sans doute trop oublié aujourd'hui, c'est la chute du Mur de Berlin ; c'est qu'enfin l'Europe retrouve les dimensions du continent européen et que des pays qui ont été séparés de nous pendant des décennies vont vivre avec nous et aborder, vous l'avez évoqué à l'instant, les grands problèmes du monde et aussi les problèmes de l'Europe, c'est à dire son développement, le bien être social de ses habitants, les échanges culturels et la diversité culturelle qui est au fondement de la civilisation de l'Europe.
Q - Mais dans ma question il y a aussi les divisions de l'Europe, puisque aujourd'hui 18 pays de la future Europe sont contre la France et l'Allemagne, en gros, à propos de la question iraquienne.
R - Je voudrais un peu nuancer votre propos. Il y a une question qui est posée au monde, qui est celle du désarmement de l'Iraq et comment cet objectif, qui est un objectif tout à fait impératif aujourd'hui, peut être atteint. Il y a en Europe un consensus et dans le monde, avec nos amis américains, autour de l'idée qu'il faut désarmer l'Iraq. Les Européens se sont unanimement prononcés à Quinze - l'Union européenne -, le 27 janvier, pour indiquer que ce désarmement devait passer par les termes de la résolution des Nations unies 1441, que le Conseil de sécurité devait assumer ses responsabilités au titre de la communauté internationale et qu'il fallait donc faire confiance aux inspecteurs qui doivent, je voudrais le souligner ici, rendre un nouveau rapport le 14 février. Donc, attendons ce nouveau rapport. C'est le message des Quinze, c'est aussi d'ailleurs ce qui est en train de se faire : on attend le nouveau rapport des inspecteurs.
Q - C'est désarmer l'Iraq ou se débarrasser de Saddam Hussein ?
R - C'est désarmer l'Iraq, c'est assurer la stabilité et la sécurité du monde. Désarmer l'Iraq, c'est cela l'objectif.
Q - La "vieille Europe", comme l'appelle Donald Rumsfeld reçoit le soutien, le renfort de Vladimir Poutine ; est-ce qu'il y a ou non un plan franco-allemand ou franco-allemand-russe pour contrer l'initiative américaine ?
R - Je ne veux pas rentrer dans la polémique de la "vieille Europe", puisque l'Europe est une civilisation extrêmement ancienne depuis l'antiquité et même avant. Nous sommes tous des nations de vieilles cultures, nous avons tous, hélas, une expérience très proche et multiple de la guerre, des conflits ; nous nous sommes combattus pendant des années, pendant des siècles et pendant des décennies. C'est la raison pour laquelle il y a cette forte sensibilité face à la crise iraquienne. Il n'y a pas de plan franco-allemand, M. de Villepin, le ministre des Affaires étrangères s'est exprimé devant le Conseil de sécurité le 5 février, pour des propositions qui doivent viser à permettre un réel désarmement de l'Iraq, faire pression sur l'Iraq pour qu'elle coopère davantage - ce qui est d'ailleurs en train de se passer. Il y a des conversations, effectivement, au sein du Conseil de sécurité ; vous savez qu'à l'heure actuelle, c'est à l'Allemagne que revient de présider le Conseil de sécurité, puisque l'Allemagne figure parmi les membres non permanents de ce Conseil.
Q - Pourquoi ces propositions arrivent-elles si tard ?
R - Ces propositions n'arrivent pas tard, elles arrivent au moment où les inspecteurs sont en train de poursuivre leur mission et où nous souhaitons, nous Français, qu'avant d'en arriver à une solution ultime qui n'est jamais une bonne solution c'est-à-dire la guerre, ces inspecteurs puissent avoir le maximum de moyens pour faire pression sur l'Iraq pour qu'elle coopère pleinement avec les missions d'inspection pour éviter ce que nous ne souhaitons pas, en tout état de cause, c'est-à-dire la guerre.
Q - Mais justement, c'est en dernière extrémité que ces propositions sont arrivées. Est-ce qu'elles existaient avant, est-ce qu'elles étaient secrètes ?
R - Non, elles ne sont pas en dernière extrémité. Elles viennent après les déclarations du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, qui a donné des indications qui ne nous ont pas paru entièrement probantes, mais qui sont quand même solides. Il a donné des indications et nous voulons, en fonction de ces indications et en fonction des débats qui ont eu lieu au Conseil de sécurité, aller jusqu'au bout des missions d'inspection. C'est le moins que l'on puisse faire et c'est en droite ligne avec la résolution 1441 qui a été adoptée à l'unanimité du Conseil de sécurité en novembre.
Q - On va maintenant vers une deuxième résolution quelle sera l'attitude de la France ?
R - La deuxième résolution n'est pas d'actualité. Ce qui est vrai, c'est que la France a demandé que rien ne se fasse, qu'aucun recours à une solution ultime ne puisse être envisagé sans une seconde résolution. Mais nous avons fait des propositions pour intensifier et renforcer les missions d'inspection, précisément parce que le temps n'est pas venu, selon nous, de cette seconde résolution.
Q - On le voit bien, l'Europe est divisée et cette division obère le travail de la Convention présidée par Valery Giscard d'Estaing, il ne s'en cache pas. Est-ce que tout peut voler en éclat avec cette décision ?
R - Non. Il y a une crise internationale qui est grave, il n'y a pas de dissensions sur le fond, sur l'essentiel entre les Européens, et les travaux de la Convention sont menés d'une façon extrêmement efficace puisqu'on en est aujourd'hui à la rédaction des premiers articles de la Convention. Il y a eu certaines observations, nos amis britanniques ont trouvé qu'on allait un peu loin, mais dans l'ensemble...
Q - En matière sociale ?
R - En matière sociale ou pour étendre les compétences de l'Union européenne, c'est quand même l'objet du nouveau traité constitutionnel. On ne peut pas élargir l'Europe et ne pas renforcer dans le même temps les institutions. C'était d'ailleurs l'objet de la création de cette Convention présidée par le président Giscard d'Estaing. On peut dire que cette convention a magnifiquement réussi puisqu'elle est parvenue à cette phase finale de ses travaux et qu'il y a une intensification de ses travaux, et qu'il y a eu un consensus sur des sujets majeurs : à savoir que l'Union doit être une entité juridique qui a son mot à dire dans le monde - c'est un sujet d'actualité - et qui a aussi des compétences suffisamment fortes, fondées sur des institutions suffisamment renforcées pour que la famille à Vingt-cinq puisse marcher d'un pas uni, ou en tous les cas, en toute cohérence.
Q - Comment expliquez-vous alors le pessimisme des conventionnels ?
R - Les conventionnels ne sont pas pessimistes. En tous les cas, je réunis les conventionnels...
Q - C'est ce qui ressort de leurs déclarations.
R - Non, le président Giscard d'Estaing a regretté que la politique extérieure commune de l'Europe ne s'exprime pas d'une façon suffisamment uniforme. Il y a un débat aujourd'hui, mais on n'a jamais porté atteinte à ce qui a été décidé en commun par les Quinze le 27 janvier, à savoir que le désarmement de l'Iraq est un impératif et une préoccupation majeure et que c'est au Conseil de sécurité, c'est-à-dire à la communauté internationale de prendre ses responsabilités. Jusqu'à présent, vous remarquerez qu'il n'a été porté nulle atteinte à ces deux principes.
Q - Une dernière question : les premiers articles et le préambule de la Constitution ne font pas référence à la religion, à Dieu ; c'est une bonne chose ? Il faut respecter la laïcité ?
R - Il faut respecter la diversité culturelle, religieuse et non religieuse. Nous pensons que c'est sage, le président de la République française l'a rappelé. Cela étant, il est déjà indiqué dans la Charte que nous avons un héritage spirituel, ce qui englobe la religion. Cela me paraît une formule tout à fait convenable.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2003)
Q - Vous animez en ce moment les rencontres pour l'Europe, vous allez parcourir la France dans les prochaines semaines pour nouer un dialogue européen avec les citoyens. Ces rencontres pour l'Europe tombent à pic, l'Europe est assez divisée pour le moment sur la question d'une guerre en Iraq. Comment expliquer cette division européenne alors que justement l'opinion publique semble largement contre cette guerre ?
R - Il y a des différences d'approche qui sont marquées mais ce qu'il faut retenir de la crise actuelle, c'est que l'Europe est à la recherche d'une identité politique forte, la politique étrangère européenne dont tout le monde parle aujourd'hui et que tout le monde ignorait il y a encore quelques années. Nous savons qu'elle doit exister, elle n'est pas facile surtout quand il s'agit de décider si on trouve une solution pacifique au problème du désarmement de l'Iraq ou si on va jusqu'à une intervention militaire. Donc les différences d'approche actuelles sont la manifestation de la gestation de ce dont nous avons besoin : une Europe présente sur la scène internationale. C'est pourquoi je remercie M. Kassoulides, ministre des Affaires étrangères de Chypre d'être ici sur le plateau de la télévision française.
Q - Alors justement vous diriez que cette crise à l'intérieur de l'Union européenne n'est pas très grave et que l'Europe va se faire dans la crise et que cette crise pourra être bénéfique pour l'Europe ? Est-ce que les opinions publiques ne sont pas en avance sur leurs représentants politiques ?
R - Je crois que ce qui est positif dans la situation actuelle, c'est qu'il y a une recherche d'Europe, il y a une demande d'Europe et que les opinions publiques sont capables d'adresser un message non seulement à leurs gouvernants mais à l'Europe : à savoir que la guerre n'est jamais une bonne solution. Mais ce n'est pas pour cela que nous avons cette position ; actuellement les dirigeants français ont mis en avant le fait qu'il y a toujours une recherche d'alternative possible et qu'elle doit être menée jusqu'au bout pour voir si elle est viable et nous souhaitons qu'elle le soit.
Q - Nous parlons beaucoup en ce moment de l'axe franco-allemand par rapport aux Etats-Unis, est-ce que vous pensez que dans cet esprit, la France pourrait aller jusqu'au bout dans cette logique et opposer par exemple son droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU ?
R - Comme l'ont dit le président de la République et le ministre des Affaires étrangères, nous n'en sommes pas là et dans les circonstances présentes, nous nous inscrivons dans l'application de la résolution 1441, c'est-à-dire qu'il y a des inspections en cours, nous allons regarder et juger le rapport des inspecteurs vendredi. Donc à l'heure actuelle, si je puis dire, la question n'est pas posée.
Q - Chypre va entrer dans l'Europe officiellement le 1er mai 2004, ce pays va devoir ratifier le traité d'adhésion par le Parlement.
R - Chypre est un berceau de la civilisation européenne ; toutes les influences qui ont construit cette civilisation très diversifiée qui est celle de l'Europe se sont manifestées à Chypre au long des siècles depuis l'Antiquité gréco-romaine jusqu'à nos jours, c'est presque un symbole de ce qu'est la nouvelle Europe.
Q - Est-ce que finalement ce n'est pas l'intérêt de la planète tout entière d'avoir cette Europe forte, puissante, pour contrebalancer l'hyper-puissance américaine que nous constatons. Ou bien pouvons-nous dire que nous avons suffisamment de valeurs et d'intérêts en commun avec les Américains pour finalement ne pas s'opposer ?
R - La vérité est souvent entre les deux, je crois qu'il n'est pas question de rompre la relation transatlantique qui est une relation privilégiée. Les Américains sont nos alliés et nous ne l'avons jamais nié et aujourd'hui nous continuons de l'affirmer. En revanche nous pensons que les crises mondiales doivent être gérées par la communauté internationale et en l'occurrence au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, c'est la responsabilité de tous et non pas d'une seule ou de quelques nations, même si notre objectif est le désarmement de l'Iraq. En revanche, il faut que, dans cette recherche d'équilibre du monde après la chute de l'Union soviétique, chacun assume ses responsabilités et nous croyons très fermement que dans un monde multipolaire, nous sommes interdépendants. C'est cela la réalité géopolitique et géostratégique d'aujourd'hui et ce que nous vivons d'ailleurs au travers de ce qui est exprimé face à cette crise.
Q - Vous serez à Quimper, on parle beaucoup de sécurité maritime en ce moment, qu'est ce que sur un sujet comme celui-là l'Europe peut apporter dans sa dimension internationale pour traiter un problème qui concerne tout le monde ?
R - C'est un problème international, l'Europe doit parler d'une voix unique. Je vais remettre à M. Kassoulidès une lettre, qui est cosignée par le Premier ministre espagnol, M. Aznar, le Premier ministre portugais, M. Baroso, et le président de la République française, lettre adressée au président grec de l'Union européenne. Nous demandons que l'Europe fasse cause commune pour réviser les règles du droit international de la mer, pour maintenir le principe de libre circulation mais une libre circulation surveillée car il y a des décennies nous transportions beaucoup moins de pétrole, de produits chimiques. Aujourd'hui évidemment il faut surveiller cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)
Q - Lundi se tient un sommet européen extraordinaire sur l'Iraq. La présidence grecque de l'Union européenne redoute une "crise profonde" en cas d'échec d'une position commune des Quinze. Est-ce aussi ce que vous craignez ?
R - Il est normal que la présidence grecque mette ainsi la pression sur les Etats pour les rappeler à la raison. On peut parler de crise à la fois devant le danger iraquien et devant une politique étrangère européenne, qui est à la recherche de son identité. Si ce sommet est organisé, c'est que les Etats membres de l'Union ont envie au moins de s'accorder sur l'essentiel. Forger une politique étrangère commune est à l'ordre du jour de ce conseil.
Q - Pensez-vous qu'après la lettre des huit pays européens du 30 janvier s'alignant sur les Etats-Unis, dont cinq membres de l'Union, on peut encore, lundi, réparer les pots cassés ?
R - Je ne voudrais pas minimiser cette péripétie mais la restituer dans son contexte. Il n'y a pas encore de vraie politique étrangère commune, européenne, bien qu'elle soit inscrite dans les traités depuis une dizaine d'années. On n'a pas encore résolu, dans la société postcommuniste dans laquelle nous vivons, une question : quelle est la relation nouvelle à instaurer entre l'Europe et les Etats-Unis ? L'Europe est née du plan Marshall. Nous avons des valeurs communes de part et d'autre de l'Atlantique. Aujourd'hui, l'affirmation de l'Europe ne vise pas à se faire au détriment d'une relation transatlantique privilégiée. Mais il n'y aura pas d'Europe si elle n'a pas sa part d'autonomie. Entre les Quinze, il n'y pas de pots cassés. Il y a une différence d'appréciation : certains pensent qu'il faut passer par le militaire avant d'arriver au politique, géré par les Nations unies. D'autres, comme nous et la majorité des Etats du Conseil de sécurité à ce jour, pensent qu'il vaut mieux une solution politique, c'est-à-dire pacifique ; tant qu'elle est jouable.
Q - Faudrait-il aussi, en cas de guerre, suspendre le pacte de stabilité ?
R - Il faut modifier le pacte le moins possible. Certains Etats, qui avaient des déficits importants, ont fait de très gros efforts et ils voudraient que nous aussi déployions des efforts. Il faut que tous les Etats respectent une discipline budgétaire collective qui n'est plus seulement une discipline budgétaire nationale.
Q - Dans le projet de Constitution européenne, l'article 2 sur les valeurs ne prévoit pas de référence au religieux. N'est-ce pas en réduire la portée ?
R - Dans le préambule de la charte européenne, il y a une référence au "patrimoine spirituel" et la liberté des religions figure à l'intérieur de la charte. Il faut s'en tenir là. L'Europe devient tellement diverse et la plupart des pays qui nous rejoignent ont une conception de la minorité religieuse si différente de la nôtre qu'il ne faut sans doute pas charger la barque dans le texte constitutionnel.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 février 2003)
Q - On a une double impression après la réunion de Bruxelles : d'abord une sorte de remontrance du président français à l'égard d'un certain nombre de pays, qui sont à la fois candidats et qui, par voie de lettre, ont approuvé la politique américaine et, de l'autre côté, un communiqué qui est intervenu aujourd'hui qui essaye de recoller les morceaux. Alors quelle est la vérité entre ces deux points de vue ?
R - Je crois que le président de la République a exprimé ce qui doit être exprimé quand on se rapporte à la signification même de l'Europe, c'est-à-dire que les dix nouveaux membres doivent adopter une démarche solidaire, sans cela il n'y a pas d'Europe. L'Europe doit transcender nos différences. Mais par ailleurs, c'est vrai qu'il faut que nous travaillions ensemble, il faut que nous dialoguions et c'est un peu cela le message qui ressort des propos d'hier soir et des suites d'aujourd'hui.
Q - Mais dans un premier temps nous leur avons interdit (aux 13 candidats) à participer à la réunion d'hier et nous les avons simplement accueillis aujourd'hui. Beaucoup ont vécu cela comme une vexation. Disons que cela commence plutôt mal parce que nous avons entendu que les présidents roumain, polonais, letton ne sont pas contents. Il y a donc toute une fronde qui se monte après cette phrase.
R - Il y a un texte commun qui a été adopté par les Quinze et les futurs membres. Ces derniers ont affirmé leur détermination à éviter à l'avenir les divisions et ont admis qu'il y avait des querelles, qu'il y avait eu des modes d'expression dispersés et que cela n'allait pas dans le sens de ce qui est la finalité de l'Europe : son existence, son identité politique. Donc je crois, que les Quinze ainsi que les treize pays candidats ont admis qu'il y avait eu quelques bévues.
Q - Certains disent qu'on aurait pu discuter avec les candidats un peu avant et leur poser un certain nombre de conditions. Par exemple, ce qui a beaucoup choqué, c'est la Pologne, qui après avoir signé sa possibilité d'entrer dans l'Union européenne, a acheté des avions américains. Certains disent qu'on aurait pu s'assurer de la fibre européenne de ces pays avant de leur dire "oui".
R - Le message que nous leur envoyons, c'est que l'Europe est un lieu de dialogue mais qui doit permettre de transcender les différences et qu'il faut jouer le jeu de la solidarité européenne. Il y a eu effectivement une petite déception d'une attitude qui n'a pas été franchement ouverte de la part de nos amis polonais. Cela dit, entre amis, ce qui est le cas de la France vis-à-vis des pays candidats ou des futurs membres, nous pouvons nous parler franchement et c'est ce qui a été fait. Il faut leur dire haut et fort que s'ils ont des opinions publiques - qui, pour partie, doivent être convaincues de la validité de l'élargissement - nous aussi, notamment en France, avons aussi une opinion publique et une campagne d'explication à mener auprès d'elle.
Q - A 21h00, il y a une nouvelle réunion du Conseil de sécurité, les Américains ont fait savoir aujourd'hui qu'ils étaient sur le point de déposer peut-être dans la semaine une nouvelle résolution. Est-ce qu'encore une fois, on va avoir une Europe qui répond à plusieurs vitesses ou avons-nous une chance de retrouver un front commun qui pourrait aller non seulement de la France à l'Allemagne mais aussi à l'Italie, à l'Espagne et, pourquoi pas, avec un front commun soutenu par les futurs candidats ?
R - Je n'imagine pas qu'en l'espace d'une journée nous puissions complètement changer. Il y a eu des principes et vous noterez que ces principes ont été réaffirmés à peu près dans les mêmes termes entre le 27 janvier et hier, à savoir que le désarmement de l'Iraq est un impératif pour la sécurité du monde et que cela passe par des inspections, par un travail des inspecteurs qui est soutenu de nouveau pleinement et sans aucune restriction par l'Union. Et puis il y a l'idée d'un ordre international que souhaite l'Europe et qui passe par des décisions prises par la communauté internationale. Cela est dit. Il y a des tonalités différentes qui vont s'exprimer. Mais je vois difficilement les Européens revenir sur l'idée d'une voix unique de l'Europe.
Q - Il y a treize candidats et d'autres qui attendent. Est-ce que, finalement, ces dossiers de candidatures, vu ce qui se passe actuellement avec l'Iraq, pourraient être totalement revus ? Est- ce qu'il y a des pays qui pourraient être rejetés ?
R - Je ne le souhaite pas. Je pense que les choses ont été dites franchement, ouvertement, ce qui est bien préférable aux conciliabules. Je crois que la tâche va être un peu plus difficile, car il faut se relever d'épisodes qui ne vont pas dans le sens d'une construction européenne. En revanche, je crois que l'élargissement est en marche, il a été acté et il faut qu'il se poursuive dans les meilleures conditions possibles. Et j'ajoute que pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, la politique étrangère commune, qui est une innovation datant d'à peine dix ans, s'est montrée au monde, avec ses difficultés mais avec aussi ses grandeurs, en temps réel à travers la télévision. Et l'on a vu que, malgré des différences notables d'approche, nous étions parvenus à émettre un message commun. C'est une nouvelle naissance de la politique étrangère de l'Europe. Espérons que ce signal sera suivi d'autres bonnes nouvelles !.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2003)
R - Je vais expliquer que l'Europe s'élargit pour tenir compte d'un événement extraordinaire que l'on a sans doute trop oublié aujourd'hui, c'est la chute du Mur de Berlin ; c'est qu'enfin l'Europe retrouve les dimensions du continent européen et que des pays qui ont été séparés de nous pendant des décennies vont vivre avec nous et aborder, vous l'avez évoqué à l'instant, les grands problèmes du monde et aussi les problèmes de l'Europe, c'est à dire son développement, le bien être social de ses habitants, les échanges culturels et la diversité culturelle qui est au fondement de la civilisation de l'Europe.
Q - Mais dans ma question il y a aussi les divisions de l'Europe, puisque aujourd'hui 18 pays de la future Europe sont contre la France et l'Allemagne, en gros, à propos de la question iraquienne.
R - Je voudrais un peu nuancer votre propos. Il y a une question qui est posée au monde, qui est celle du désarmement de l'Iraq et comment cet objectif, qui est un objectif tout à fait impératif aujourd'hui, peut être atteint. Il y a en Europe un consensus et dans le monde, avec nos amis américains, autour de l'idée qu'il faut désarmer l'Iraq. Les Européens se sont unanimement prononcés à Quinze - l'Union européenne -, le 27 janvier, pour indiquer que ce désarmement devait passer par les termes de la résolution des Nations unies 1441, que le Conseil de sécurité devait assumer ses responsabilités au titre de la communauté internationale et qu'il fallait donc faire confiance aux inspecteurs qui doivent, je voudrais le souligner ici, rendre un nouveau rapport le 14 février. Donc, attendons ce nouveau rapport. C'est le message des Quinze, c'est aussi d'ailleurs ce qui est en train de se faire : on attend le nouveau rapport des inspecteurs.
Q - C'est désarmer l'Iraq ou se débarrasser de Saddam Hussein ?
R - C'est désarmer l'Iraq, c'est assurer la stabilité et la sécurité du monde. Désarmer l'Iraq, c'est cela l'objectif.
Q - La "vieille Europe", comme l'appelle Donald Rumsfeld reçoit le soutien, le renfort de Vladimir Poutine ; est-ce qu'il y a ou non un plan franco-allemand ou franco-allemand-russe pour contrer l'initiative américaine ?
R - Je ne veux pas rentrer dans la polémique de la "vieille Europe", puisque l'Europe est une civilisation extrêmement ancienne depuis l'antiquité et même avant. Nous sommes tous des nations de vieilles cultures, nous avons tous, hélas, une expérience très proche et multiple de la guerre, des conflits ; nous nous sommes combattus pendant des années, pendant des siècles et pendant des décennies. C'est la raison pour laquelle il y a cette forte sensibilité face à la crise iraquienne. Il n'y a pas de plan franco-allemand, M. de Villepin, le ministre des Affaires étrangères s'est exprimé devant le Conseil de sécurité le 5 février, pour des propositions qui doivent viser à permettre un réel désarmement de l'Iraq, faire pression sur l'Iraq pour qu'elle coopère davantage - ce qui est d'ailleurs en train de se passer. Il y a des conversations, effectivement, au sein du Conseil de sécurité ; vous savez qu'à l'heure actuelle, c'est à l'Allemagne que revient de présider le Conseil de sécurité, puisque l'Allemagne figure parmi les membres non permanents de ce Conseil.
Q - Pourquoi ces propositions arrivent-elles si tard ?
R - Ces propositions n'arrivent pas tard, elles arrivent au moment où les inspecteurs sont en train de poursuivre leur mission et où nous souhaitons, nous Français, qu'avant d'en arriver à une solution ultime qui n'est jamais une bonne solution c'est-à-dire la guerre, ces inspecteurs puissent avoir le maximum de moyens pour faire pression sur l'Iraq pour qu'elle coopère pleinement avec les missions d'inspection pour éviter ce que nous ne souhaitons pas, en tout état de cause, c'est-à-dire la guerre.
Q - Mais justement, c'est en dernière extrémité que ces propositions sont arrivées. Est-ce qu'elles existaient avant, est-ce qu'elles étaient secrètes ?
R - Non, elles ne sont pas en dernière extrémité. Elles viennent après les déclarations du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, qui a donné des indications qui ne nous ont pas paru entièrement probantes, mais qui sont quand même solides. Il a donné des indications et nous voulons, en fonction de ces indications et en fonction des débats qui ont eu lieu au Conseil de sécurité, aller jusqu'au bout des missions d'inspection. C'est le moins que l'on puisse faire et c'est en droite ligne avec la résolution 1441 qui a été adoptée à l'unanimité du Conseil de sécurité en novembre.
Q - On va maintenant vers une deuxième résolution quelle sera l'attitude de la France ?
R - La deuxième résolution n'est pas d'actualité. Ce qui est vrai, c'est que la France a demandé que rien ne se fasse, qu'aucun recours à une solution ultime ne puisse être envisagé sans une seconde résolution. Mais nous avons fait des propositions pour intensifier et renforcer les missions d'inspection, précisément parce que le temps n'est pas venu, selon nous, de cette seconde résolution.
Q - On le voit bien, l'Europe est divisée et cette division obère le travail de la Convention présidée par Valery Giscard d'Estaing, il ne s'en cache pas. Est-ce que tout peut voler en éclat avec cette décision ?
R - Non. Il y a une crise internationale qui est grave, il n'y a pas de dissensions sur le fond, sur l'essentiel entre les Européens, et les travaux de la Convention sont menés d'une façon extrêmement efficace puisqu'on en est aujourd'hui à la rédaction des premiers articles de la Convention. Il y a eu certaines observations, nos amis britanniques ont trouvé qu'on allait un peu loin, mais dans l'ensemble...
Q - En matière sociale ?
R - En matière sociale ou pour étendre les compétences de l'Union européenne, c'est quand même l'objet du nouveau traité constitutionnel. On ne peut pas élargir l'Europe et ne pas renforcer dans le même temps les institutions. C'était d'ailleurs l'objet de la création de cette Convention présidée par le président Giscard d'Estaing. On peut dire que cette convention a magnifiquement réussi puisqu'elle est parvenue à cette phase finale de ses travaux et qu'il y a une intensification de ses travaux, et qu'il y a eu un consensus sur des sujets majeurs : à savoir que l'Union doit être une entité juridique qui a son mot à dire dans le monde - c'est un sujet d'actualité - et qui a aussi des compétences suffisamment fortes, fondées sur des institutions suffisamment renforcées pour que la famille à Vingt-cinq puisse marcher d'un pas uni, ou en tous les cas, en toute cohérence.
Q - Comment expliquez-vous alors le pessimisme des conventionnels ?
R - Les conventionnels ne sont pas pessimistes. En tous les cas, je réunis les conventionnels...
Q - C'est ce qui ressort de leurs déclarations.
R - Non, le président Giscard d'Estaing a regretté que la politique extérieure commune de l'Europe ne s'exprime pas d'une façon suffisamment uniforme. Il y a un débat aujourd'hui, mais on n'a jamais porté atteinte à ce qui a été décidé en commun par les Quinze le 27 janvier, à savoir que le désarmement de l'Iraq est un impératif et une préoccupation majeure et que c'est au Conseil de sécurité, c'est-à-dire à la communauté internationale de prendre ses responsabilités. Jusqu'à présent, vous remarquerez qu'il n'a été porté nulle atteinte à ces deux principes.
Q - Une dernière question : les premiers articles et le préambule de la Constitution ne font pas référence à la religion, à Dieu ; c'est une bonne chose ? Il faut respecter la laïcité ?
R - Il faut respecter la diversité culturelle, religieuse et non religieuse. Nous pensons que c'est sage, le président de la République française l'a rappelé. Cela étant, il est déjà indiqué dans la Charte que nous avons un héritage spirituel, ce qui englobe la religion. Cela me paraît une formule tout à fait convenable.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2003)
Q - Vous animez en ce moment les rencontres pour l'Europe, vous allez parcourir la France dans les prochaines semaines pour nouer un dialogue européen avec les citoyens. Ces rencontres pour l'Europe tombent à pic, l'Europe est assez divisée pour le moment sur la question d'une guerre en Iraq. Comment expliquer cette division européenne alors que justement l'opinion publique semble largement contre cette guerre ?
R - Il y a des différences d'approche qui sont marquées mais ce qu'il faut retenir de la crise actuelle, c'est que l'Europe est à la recherche d'une identité politique forte, la politique étrangère européenne dont tout le monde parle aujourd'hui et que tout le monde ignorait il y a encore quelques années. Nous savons qu'elle doit exister, elle n'est pas facile surtout quand il s'agit de décider si on trouve une solution pacifique au problème du désarmement de l'Iraq ou si on va jusqu'à une intervention militaire. Donc les différences d'approche actuelles sont la manifestation de la gestation de ce dont nous avons besoin : une Europe présente sur la scène internationale. C'est pourquoi je remercie M. Kassoulides, ministre des Affaires étrangères de Chypre d'être ici sur le plateau de la télévision française.
Q - Alors justement vous diriez que cette crise à l'intérieur de l'Union européenne n'est pas très grave et que l'Europe va se faire dans la crise et que cette crise pourra être bénéfique pour l'Europe ? Est-ce que les opinions publiques ne sont pas en avance sur leurs représentants politiques ?
R - Je crois que ce qui est positif dans la situation actuelle, c'est qu'il y a une recherche d'Europe, il y a une demande d'Europe et que les opinions publiques sont capables d'adresser un message non seulement à leurs gouvernants mais à l'Europe : à savoir que la guerre n'est jamais une bonne solution. Mais ce n'est pas pour cela que nous avons cette position ; actuellement les dirigeants français ont mis en avant le fait qu'il y a toujours une recherche d'alternative possible et qu'elle doit être menée jusqu'au bout pour voir si elle est viable et nous souhaitons qu'elle le soit.
Q - Nous parlons beaucoup en ce moment de l'axe franco-allemand par rapport aux Etats-Unis, est-ce que vous pensez que dans cet esprit, la France pourrait aller jusqu'au bout dans cette logique et opposer par exemple son droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU ?
R - Comme l'ont dit le président de la République et le ministre des Affaires étrangères, nous n'en sommes pas là et dans les circonstances présentes, nous nous inscrivons dans l'application de la résolution 1441, c'est-à-dire qu'il y a des inspections en cours, nous allons regarder et juger le rapport des inspecteurs vendredi. Donc à l'heure actuelle, si je puis dire, la question n'est pas posée.
Q - Chypre va entrer dans l'Europe officiellement le 1er mai 2004, ce pays va devoir ratifier le traité d'adhésion par le Parlement.
R - Chypre est un berceau de la civilisation européenne ; toutes les influences qui ont construit cette civilisation très diversifiée qui est celle de l'Europe se sont manifestées à Chypre au long des siècles depuis l'Antiquité gréco-romaine jusqu'à nos jours, c'est presque un symbole de ce qu'est la nouvelle Europe.
Q - Est-ce que finalement ce n'est pas l'intérêt de la planète tout entière d'avoir cette Europe forte, puissante, pour contrebalancer l'hyper-puissance américaine que nous constatons. Ou bien pouvons-nous dire que nous avons suffisamment de valeurs et d'intérêts en commun avec les Américains pour finalement ne pas s'opposer ?
R - La vérité est souvent entre les deux, je crois qu'il n'est pas question de rompre la relation transatlantique qui est une relation privilégiée. Les Américains sont nos alliés et nous ne l'avons jamais nié et aujourd'hui nous continuons de l'affirmer. En revanche nous pensons que les crises mondiales doivent être gérées par la communauté internationale et en l'occurrence au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, c'est la responsabilité de tous et non pas d'une seule ou de quelques nations, même si notre objectif est le désarmement de l'Iraq. En revanche, il faut que, dans cette recherche d'équilibre du monde après la chute de l'Union soviétique, chacun assume ses responsabilités et nous croyons très fermement que dans un monde multipolaire, nous sommes interdépendants. C'est cela la réalité géopolitique et géostratégique d'aujourd'hui et ce que nous vivons d'ailleurs au travers de ce qui est exprimé face à cette crise.
Q - Vous serez à Quimper, on parle beaucoup de sécurité maritime en ce moment, qu'est ce que sur un sujet comme celui-là l'Europe peut apporter dans sa dimension internationale pour traiter un problème qui concerne tout le monde ?
R - C'est un problème international, l'Europe doit parler d'une voix unique. Je vais remettre à M. Kassoulidès une lettre, qui est cosignée par le Premier ministre espagnol, M. Aznar, le Premier ministre portugais, M. Baroso, et le président de la République française, lettre adressée au président grec de l'Union européenne. Nous demandons que l'Europe fasse cause commune pour réviser les règles du droit international de la mer, pour maintenir le principe de libre circulation mais une libre circulation surveillée car il y a des décennies nous transportions beaucoup moins de pétrole, de produits chimiques. Aujourd'hui évidemment il faut surveiller cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)
Q - Lundi se tient un sommet européen extraordinaire sur l'Iraq. La présidence grecque de l'Union européenne redoute une "crise profonde" en cas d'échec d'une position commune des Quinze. Est-ce aussi ce que vous craignez ?
R - Il est normal que la présidence grecque mette ainsi la pression sur les Etats pour les rappeler à la raison. On peut parler de crise à la fois devant le danger iraquien et devant une politique étrangère européenne, qui est à la recherche de son identité. Si ce sommet est organisé, c'est que les Etats membres de l'Union ont envie au moins de s'accorder sur l'essentiel. Forger une politique étrangère commune est à l'ordre du jour de ce conseil.
Q - Pensez-vous qu'après la lettre des huit pays européens du 30 janvier s'alignant sur les Etats-Unis, dont cinq membres de l'Union, on peut encore, lundi, réparer les pots cassés ?
R - Je ne voudrais pas minimiser cette péripétie mais la restituer dans son contexte. Il n'y a pas encore de vraie politique étrangère commune, européenne, bien qu'elle soit inscrite dans les traités depuis une dizaine d'années. On n'a pas encore résolu, dans la société postcommuniste dans laquelle nous vivons, une question : quelle est la relation nouvelle à instaurer entre l'Europe et les Etats-Unis ? L'Europe est née du plan Marshall. Nous avons des valeurs communes de part et d'autre de l'Atlantique. Aujourd'hui, l'affirmation de l'Europe ne vise pas à se faire au détriment d'une relation transatlantique privilégiée. Mais il n'y aura pas d'Europe si elle n'a pas sa part d'autonomie. Entre les Quinze, il n'y pas de pots cassés. Il y a une différence d'appréciation : certains pensent qu'il faut passer par le militaire avant d'arriver au politique, géré par les Nations unies. D'autres, comme nous et la majorité des Etats du Conseil de sécurité à ce jour, pensent qu'il vaut mieux une solution politique, c'est-à-dire pacifique ; tant qu'elle est jouable.
Q - Faudrait-il aussi, en cas de guerre, suspendre le pacte de stabilité ?
R - Il faut modifier le pacte le moins possible. Certains Etats, qui avaient des déficits importants, ont fait de très gros efforts et ils voudraient que nous aussi déployions des efforts. Il faut que tous les Etats respectent une discipline budgétaire collective qui n'est plus seulement une discipline budgétaire nationale.
Q - Dans le projet de Constitution européenne, l'article 2 sur les valeurs ne prévoit pas de référence au religieux. N'est-ce pas en réduire la portée ?
R - Dans le préambule de la charte européenne, il y a une référence au "patrimoine spirituel" et la liberté des religions figure à l'intérieur de la charte. Il faut s'en tenir là. L'Europe devient tellement diverse et la plupart des pays qui nous rejoignent ont une conception de la minorité religieuse si différente de la nôtre qu'il ne faut sans doute pas charger la barque dans le texte constitutionnel.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 février 2003)
Q - On a une double impression après la réunion de Bruxelles : d'abord une sorte de remontrance du président français à l'égard d'un certain nombre de pays, qui sont à la fois candidats et qui, par voie de lettre, ont approuvé la politique américaine et, de l'autre côté, un communiqué qui est intervenu aujourd'hui qui essaye de recoller les morceaux. Alors quelle est la vérité entre ces deux points de vue ?
R - Je crois que le président de la République a exprimé ce qui doit être exprimé quand on se rapporte à la signification même de l'Europe, c'est-à-dire que les dix nouveaux membres doivent adopter une démarche solidaire, sans cela il n'y a pas d'Europe. L'Europe doit transcender nos différences. Mais par ailleurs, c'est vrai qu'il faut que nous travaillions ensemble, il faut que nous dialoguions et c'est un peu cela le message qui ressort des propos d'hier soir et des suites d'aujourd'hui.
Q - Mais dans un premier temps nous leur avons interdit (aux 13 candidats) à participer à la réunion d'hier et nous les avons simplement accueillis aujourd'hui. Beaucoup ont vécu cela comme une vexation. Disons que cela commence plutôt mal parce que nous avons entendu que les présidents roumain, polonais, letton ne sont pas contents. Il y a donc toute une fronde qui se monte après cette phrase.
R - Il y a un texte commun qui a été adopté par les Quinze et les futurs membres. Ces derniers ont affirmé leur détermination à éviter à l'avenir les divisions et ont admis qu'il y avait des querelles, qu'il y avait eu des modes d'expression dispersés et que cela n'allait pas dans le sens de ce qui est la finalité de l'Europe : son existence, son identité politique. Donc je crois, que les Quinze ainsi que les treize pays candidats ont admis qu'il y avait eu quelques bévues.
Q - Certains disent qu'on aurait pu discuter avec les candidats un peu avant et leur poser un certain nombre de conditions. Par exemple, ce qui a beaucoup choqué, c'est la Pologne, qui après avoir signé sa possibilité d'entrer dans l'Union européenne, a acheté des avions américains. Certains disent qu'on aurait pu s'assurer de la fibre européenne de ces pays avant de leur dire "oui".
R - Le message que nous leur envoyons, c'est que l'Europe est un lieu de dialogue mais qui doit permettre de transcender les différences et qu'il faut jouer le jeu de la solidarité européenne. Il y a eu effectivement une petite déception d'une attitude qui n'a pas été franchement ouverte de la part de nos amis polonais. Cela dit, entre amis, ce qui est le cas de la France vis-à-vis des pays candidats ou des futurs membres, nous pouvons nous parler franchement et c'est ce qui a été fait. Il faut leur dire haut et fort que s'ils ont des opinions publiques - qui, pour partie, doivent être convaincues de la validité de l'élargissement - nous aussi, notamment en France, avons aussi une opinion publique et une campagne d'explication à mener auprès d'elle.
Q - A 21h00, il y a une nouvelle réunion du Conseil de sécurité, les Américains ont fait savoir aujourd'hui qu'ils étaient sur le point de déposer peut-être dans la semaine une nouvelle résolution. Est-ce qu'encore une fois, on va avoir une Europe qui répond à plusieurs vitesses ou avons-nous une chance de retrouver un front commun qui pourrait aller non seulement de la France à l'Allemagne mais aussi à l'Italie, à l'Espagne et, pourquoi pas, avec un front commun soutenu par les futurs candidats ?
R - Je n'imagine pas qu'en l'espace d'une journée nous puissions complètement changer. Il y a eu des principes et vous noterez que ces principes ont été réaffirmés à peu près dans les mêmes termes entre le 27 janvier et hier, à savoir que le désarmement de l'Iraq est un impératif pour la sécurité du monde et que cela passe par des inspections, par un travail des inspecteurs qui est soutenu de nouveau pleinement et sans aucune restriction par l'Union. Et puis il y a l'idée d'un ordre international que souhaite l'Europe et qui passe par des décisions prises par la communauté internationale. Cela est dit. Il y a des tonalités différentes qui vont s'exprimer. Mais je vois difficilement les Européens revenir sur l'idée d'une voix unique de l'Europe.
Q - Il y a treize candidats et d'autres qui attendent. Est-ce que, finalement, ces dossiers de candidatures, vu ce qui se passe actuellement avec l'Iraq, pourraient être totalement revus ? Est- ce qu'il y a des pays qui pourraient être rejetés ?
R - Je ne le souhaite pas. Je pense que les choses ont été dites franchement, ouvertement, ce qui est bien préférable aux conciliabules. Je crois que la tâche va être un peu plus difficile, car il faut se relever d'épisodes qui ne vont pas dans le sens d'une construction européenne. En revanche, je crois que l'élargissement est en marche, il a été acté et il faut qu'il se poursuive dans les meilleures conditions possibles. Et j'ajoute que pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, la politique étrangère commune, qui est une innovation datant d'à peine dix ans, s'est montrée au monde, avec ses difficultés mais avec aussi ses grandeurs, en temps réel à travers la télévision. Et l'on a vu que, malgré des différences notables d'approche, nous étions parvenus à émettre un message commun. C'est une nouvelle naissance de la politique étrangère de l'Europe. Espérons que ce signal sera suivi d'autres bonnes nouvelles !.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2003)