Texte intégral
Je me réjouis de la présence à Paris, aujourd'hui, de mon homologue suisse, Mme Micheline Calmy-Rey, à un double titre. D'abord, c'est la première visite en France qu'elle effectue en tant que conseillère fédérale, cheffe du Département fédéral des Affaires étrangères depuis sa prise de fonction en janvier dernier. D'autre part, cette visite s'inscrit dans le contexte d'échanges bilatéraux très denses avec la Suisse, notamment dans la perspective de la préparation du prochain Sommet du G8 à Evian.
Comme vous le savez, la Suisse est un pays important pour la France. Notre histoire commune, notre voisinage géographique, l'ancienneté de nos liens politiques, sont le fondement de relations bilatérales très intenses. La coopération transfrontalière en est une bonne illustration et je vous rappelle que la France a parrainé avec beaucoup d'enthousiasme l'entrée de la Suisse aux Nations unies le 10 septembre dernier. Cela a été un honneur pour moi, et je l'ai fait avec beaucoup de fierté et de plaisir.
La Suisse est un très important partenaire commercial pour la France. En 2001, la France était le troisième client, le deuxième fournisseur et le quatrième investisseur de la Confédération. Exemplaire par sa diversité culturelle et son plurilinguisme, la Suisse a en partage avec nous, par ailleurs, la Francophonie. Elle a d'ailleurs accueilli en décembre dernier la Conférence ministérielle de la Francophonie à Lausanne.
Notre coopération culturelle et scientifique très décentralisée est riche et diversifiée, elle implique des acteurs tant privés que publics. L'organisation du Sommet du G8 à Evian, en juin prochain, a constitué l'un des thèmes centraux de nos discussions. Nous avons aussi évoqué le rôle de la Genève internationale.
Concernant le G8, nous avons adopté une déclaration commune pour souligner notre volonté de coopérer étroitement en vue d'assurer le bon déroulement du Sommet d'Evian. Une structure bilatérale de travail a été créée pour renforcer cette concertation. Nous avons l'intention de parvenir, dès que possible, à la conclusion d'un accord cadre, en cours de négociation, pour formaliser cette coopération dans tous ses aspects.
Sur la Genève internationale, nous avons exprimé notre attachement commun au renforcement du pôle genevois.
En ce qui concerne les questions internationales et européennes, nous avons, bien sûr, procédé à un échange de vues approfondi sur l'Iraq, sur le Proche-Orient, sur les négociations sectorielles de la Suisse avec l'Union européenne et nous avons abordé la Convention sur l'avenir de l'Europe.
J'ai rappelé la position de la France en faveur du désarmement pacifique de l'Iraq. Nous constatons qu'il y a aujourd'hui une chance à saisir, celle de poursuivre ces inspections avec détermination, continuer d'adresser des messages de grande fermeté à Saddam Hussein. Nous voyons dans l'acceptation, par l'Iraq, de la destruction de ses missiles, un signe important et nous souhaitons que cette destruction se déroule bien à la date convenue par les inspecteurs, à la date choisie par eux, c'est-à-dire dès le 1er mars. Il est donc essentiel que la communauté internationale, que le Conseil de sécurité continuent d'oeuvrer dans le sens de l'objectif que nous visons tous, le désarmement.
Le Proche-Orient, nous l'avons bien sûr évoqué, pour saluer l'initiative suisse pour le respect du droit humanitaire international. C'est une initiative particulièrement opportune qui rejoint nos propres préoccupations. Nous lui apportons notre soutien et nous avons fait des propositions, en ce sens, à nos partenaires européens.
Concernant les négociations sectorielles de la Suisse avec l'Union européenne, nous veillons à ce que la mise en oeuvre du premier paquet d'accords entrés en vigueur en 2002 soit un succès. Nous espérons qu'un accord sera trouvé, rapidement, entre la Suisse et l'Union, sur la fiscalité de l'épargne, ce qui permettrait de faire avancer la deuxième série de négociations.
S'agissant des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, nous avons eu un échange de vues ouvert sur l'ensemble des sujets relatifs à l'avenir institutionnel de l'Union.
(...) Permettez-moi de confirmer ce que Micheline Calmy-Rey vient de dire. Je crois que nous sommes tout à fait d'accord pour aborder ensemble ces questions, qu'il s'agisse des aspects financiers, qu'il s'agisse de l'attitude à avoir vis-à-vis de tous les groupes, de tous les participants à des manifestations, à l'occasion du Sommet du G8.
En ce qui concerne les aspects financiers, il faut être clair. La France assume et assumera pleinement ses responsabilités pour la part liée au coût exceptionnel qui peut incomber à la Suisse sur ces questions. Nicolas Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, doit se rendre dans les prochains jours en Suisse pour évoquer ces questions. Il y a, de ce point de vue, un total accord de vues entre la France et la Suisse.
En ce qui concerne les manifestants, je crois que, là encore, c'est le même esprit d'ouverture. Nous participons de la même tradition, de la même exigence, du même souci de tolérance et de respect des points de vue et sur des affaires aussi importantes que celles que traite le G8 ; nous comprenons pleinement le point de vue, la vision, l'inquiétude qui peuvent s'exprimer à travers le monde sur des questions qui touchent à la vie de la planète. Et c'est donc dans cet esprit d'ouverture, de tolérance, de respect, que nous voulons aborder ce Sommet et faire toute leur place, leur juste place, à ceux qui veulent exprimer ce point de vue. Nous sommes, Micheline Calmy-Rey et moi-même, totalement disposés à ce dialogue, à aborder les choses tout au long des prochains mois avec tous ceux qui ont un point de vue à exprimer et qui souhaitent l'exprimer. C'est la volonté du gouvernement français, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, l'a dit. Je sais que c'est l'esprit aussi du côté suisse, donc, je pense que jamais Sommet ne s'est préparé dans de pareilles conditions d'ouverture, de disponibilité.
Q - Très concrètement, à quel moment peut se tenir la grande manifestation "altermondialiste" ?
R - Nous avons dit clairement en ce qui concerne la France, que nous ferons tout pour faire en sorte que cela reste dans l'orbite de notre responsabilité, c'est-à-dire vraiment garantir à nos amis suisses que nous ferons en sorte que les choses ne s'étendent pas sur leur propre territoire. Nous sommes très conscients des inquiétudes qui peuvent s'exprimer et de ce point de vue, tant que faire se peut - et ce sont bien là les dispositions qui sont prises aujourd'hui -, nous allons faire en sorte que les choses puissent être maîtrisées, canalisées, organisées. Nous comptons, bien sûr, sur la compréhension, sur la bonne volonté qui s'exprimeront du côté des manifestants pour arriver à trouver les solutions qui puissent respecter les consignes de sécurité. Je crois que tout ceci doit se faire dans la concertation, doit être préparé et c'est cet esprit de concertation qu'avec Micheline Calmy-Rey nous voulons exprimer aujourd'hui.
Q - Nous constatons que l'Union européenne mène énormément de discussions et d'efforts en son sein. En parallèle, on voit les Etats-Unis envoyer beaucoup d'envoyés spéciaux dans les pays non permanents, notamment l'Afrique. Est-ce que cela ne risque pas de renverser un petit peu la balance et la majorité ?
R - De ce point de vue, et j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, sur une question aussi grave, sur un enjeu aussi grave que la guerre et la paix en Iraq, le Conseil de sécurité a fixé un chemin. Ce chemin c'est la résolution 1441. Elle fixe un cadre clair en deux temps : un premier temps qui est celui des inspections, et nous nous situons résolument dans ce temps des inspections. Si nous venions à être dans l'impasse, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, nous le constatons tous, alors il faudrait envisager bien sûr toutes les autres options possibles, y compris le recours à la force. En ce qui concerne le Conseil de sécurité et la campagne, l'agitation que certains peuvent observer, je veux dire de la façon la plus claire et la plus nette que la France respecte ses partenaires du Conseil de sécurité et il n'est pas question pour elle, à aucun moment, de faire pression d'aucune façon que ce soit sur ses partenaires. Chacun, au sein du Conseil de sécurité, est conscient des enjeux. Ce sont des enjeux fondamentaux. La guerre et la paix, ce ne sont pas des choses que l'on fait à la légère. Or, depuis quelques semaines et nous l'avons vu lors du rapport des inspecteurs remis le 14 février les inspections marchent. Pourquoi la communauté internationale, pourquoi le Conseil de sécurité interrompraient-ils cette marche des inspections alors qu'elle donne des résultats, pour choisir la voie de la guerre ? Alors que, nous l'avons dit dans toutes les enceintes, nous l'avons dit aux Nations unies, nous l'avons dit au sein de l'Union européenne, à travers la déclaration de l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement adoptée le 17 février, par consensus, "continuons dans la voie des inspections tant que cela est possible". Nous voyons que cela est possible, nous devons donc rester mobilisés pour utiliser toutes les ressources qui peuvent permettre à ce désarmement d'aboutir. Les Iraquiens viennent d'accepter la destruction de leurs missiles Al-Samoud, c'est une étape importante. Nous ne devons pas le négliger. Cela montre que les inspecteurs peuvent travailler. Continuons dans ce sens, continuons à avancer et nous verrons bien, si les choses devaient aboutir à une impasse, nous prendrions alors toutes nos responsabilités. Mais nous l'avons dit, pour le moment, une deuxième résolution n'est pas d'actualité. La proposition qui a été faite par la Grande-Bretagne, soutenue par les Etats-Unis et par l'Espagne, ne nous paraît pas conforme à la situation actuelle. En liaison avec nos grands partenaires, qu'il s'agisse de la Russie, de l'Allemagne, et de l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, nous constatons que la très grande majorité des pays membres du Conseil de sécurité souhaitent la poursuite des inspections, dans la mesure où les inspecteurs peuvent travailler. Nous allons écouter le 7 mars leur rapport, s'il est présenté à cette date. Dès demain, un pré-rapport est présenté. Nous allons donc suivre l'ensemble de ces présentations. Nous souhaitons, bien sûr, sur la base des rapports du Conseil de sécurité, avancer dans cette voie du désarmement et des inspections.
Q - J'ai une question par rapport à la Francophonie. Je me rappelle qu'à la Conférence de Bamako, il a été question du volet politique et le ministre suisse des Affaires étrangères, M. Deiss, disait à Lausanne tout récemment "il faut nous donner les moyens de créer les Droits de l'Homme et la démocratie dans l'espace francophone". Aujourd'hui, nous voyons que le continent africain, la côte ouest, est en turbulence, vous n'en avez pas parlé. J'aimerais savoir si aujourd'hui vous êtes fiers des actions qui sont entreprises au niveau de la Francophonie et quel est l'avenir même de ces régions ?
R - En ce qui concerne le problème des Droits de l'Homme en Afrique, nous l'avons évoqué aujourd'hui avec Mme Calmy-Rey sur un certain nombre de crises dans le monde. Il est bien évident que c'est un problème qui se pose à l'ensemble de la communauté internationale et c'est bien pour cela que la France a été amenée, face à la situation en Côte d'Ivoire, à saisir le Haut Commissariat des Droits de l'Homme, c'est notre responsabilité collective et nous l'avons assumée. Une mission a été envoyée en Côte d'Ivoire. La situation dans les autres pays africains où des problèmes pourraient se poser relève de la même compétence et c'est une chose sur laquelle nous ne pouvons pas fermer les yeux, pas plus en Afrique qu'ailleurs. Nous devons prendre nos responsabilités, mais pour cela, nous devons faire en sorte que cela passe par les moyens adéquats, par les ressources adéquates. Dans le même esprit, la France a soutenu le projet de Cour pénale internationale. Nous sommes convaincus qu'il ne peut pas y avoir d'impunité. Le président de la République l'a redit très fortement lors de sa conférence de presse à l'occasion du Sommet Afrique-France "pas d'impunité pour tous ceux qui veulent porter atteinte aux Droits de l'Homme". Il y a là une nécessité, une évidence et je crois que la Suisse et la France partagent, sur ce point de vue, les mêmes exigences et les mêmes valeurs.
Mme Calmy-Rey a évoqué tout à l'heure cette question du respect du droit humanitaire dans le cadre de la crise iraquienne. Et si l'intervention militaire devait avoir lieu, je veux redire, à ses côtés, que nous sommes convaincus qu'il faudra que la communauté internationale prenne, sur cette question, toutes ses responsabilités. Il est évident qu'un pays peut imaginer, seul, gagner une guerre. Mais gagner la paix, construire la paix, c'est bien la responsabilité collective de la communauté internationale et nous serons très vigilants, comme la Suisse, sur le respect du droit international, sur le respect du droit humanitaire, sur l'aspect irremplaçable, incontournable devrais-je dire, des Nations unies à toutes les étapes de la crise iraquienne. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'autre solution et que c'est l'intérêt même de ceux qui pourraient être tentés d'user de la force dans cette région.
Q - Monsieur le Ministre, nous avons vu aujourd'hui que vous êtes sur la même longueur d'onde que la Grèce et la Suisse. Pourriez-vous nous tenir au courant de la relation avec la Grande-Bretagne ?
R - Je suis en contact très étroit avec mon ami Jack Straw. Nous échangeons de très utiles informations sur la situation et essayons de travailler de manière à trouver la meilleure solution pour la communauté internationale dans cette douloureuse crise iraquienne. Vous savez, naturellement, que la France et la Grande-Bretagne ont des positions différentes. Nous pensons que la force ne peut être utilisée qu'en dernier ressort et que tout, au moment où je parle, n'a pas été tenté. Nous pensons que nous pouvons faire plus. C'est pourquoi nous avons proposé, dans notre dernier mémorandum qui a reçu le soutien des Allemands et des Russes, ainsi que celui des Chinois, d'essayer de trouver des critères pour le travail des inspecteurs. Nous pensons que nous pouvons faire plus et que la décision des Iraquiens de détruire les missiles - et nous espérons fermement qu'ils commenceront à détruire ces missiles le 1er mars - est un pas positif et significatif. Cette décision nous conforte dans la position que nous avons adoptée tout au long de la crise. Cela montre que les inspections peuvent marcher et qu'elles marchent. Pourquoi devrions-nous aller à la guerre, si une autre solution, une solution pacifique est possible ? La guerre, je le répète, ne devrait être qu'un dernier recours. Et nous pensons aussi que tous les pays européens sont investis d'une très grande responsabilité. MM. Blair et Aznar, les deux Premiers ministres se sont vus hier et ce matin. Ils ont, naturellement, une responsabilité particulière. L'Europe peut changer le destin et la manière dont nous traitons cette crise. Je pense que nous devrions rester fidèles aux principes et aux idéaux sur lesquels nous sommes tombés d'accord, collectivement, le 17 février au Conseil extraordinaire de Bruxelles, lorsque nous avons dit que tout devait être tenté pour donner une chance aux inspections, que tout devait être tenté pour réussir le désarmement. Nous pensons que nous sommes toujours dans le temps des inspections. Nous ne sommes pas dans le temps des préparatifs de guerre. Mais nous avons toujours tenu à dire, très clairement, que si les inspections échouaient, nous prendrions nos responsabilités, nous examinerions toutes les options, en accord avec le Conseil de sécurité, nous examinerions une deuxième résolution. Toutes les options, y compris l'usage de la force. Mais le temps n'en est pas encore venu. L'heure n'est pas à l'examen d'une deuxième résolution. Aujourd'hui, ce serait un premier pas vers la guerre. Ce n'est pas ce que nous souhaitons, et ce n'est pas, aujourd'hui, ce dont nous avons besoin. Il y a encore des possibilités en faveur d'une solution pacifique.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2003)