Déclaration de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, sur les chantiers mis en place par le gouvernement pour mieux maîtriser les dépenses de l'Etat : réforme de la procédure budgétaire, transparence des chiffres ou de la procédure de mise en réserve de crédits et sur la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution financière basée sur l'efficacité, la transparence et la lisibilité, Paris, le 29 janvier 2003.

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Circonstance : Conférence organisée par "The Economist" intitulée "Quelles innovations budgétaires pour réformer la France" à Paris le 29 janvier 2003

Texte intégral

Mesdames, messieurs,
Vouloir " Réformer la France " n'est pas chose nouvelle. Depuis des décennies, l'idée de réforme scande les discours politiques de la majorité en place comme de l'opposition.
Introduire la matière budgétaire comme levier de la réforme est une nouveauté. Surtout lorsqu'elle se traduit en actes concrets.
Merci de me permettre de décrire ces innovations budgétaires, en nous souvenant qu'il s'agit de veiller au bon emploi des 273 milliards d'euros de budget de l'Etat, prélevés sur le fruit du travail des Français. Le débat sur les finances publiques se résume trop souvent aux impôts réputés à réformer, aux dépenses nouvelles, mais peu sur les idées de réformes, c'est-à-dire les économies structurelles.
Je veux témoigner que le Gouvernement a l'idée de réforme chevillée au corps. Sa volonté politique est totale. Sa méthode transparente. Des actes concrets l'illustrent. Des démarches innovantes doivent nous permettre de maîtriser la dépense publique.
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a tracé la route que doit emprunter la réforme de l'Etat. Cette route comprend quatre voies :
la décentralisation ;
les simplifications administratives ; un premier projet de loi d'habilitation à simplifier par ordonnance serait rapidement présenté en Conseil des Ministres ;
la gestion des ressources humaines dans l'administration ;
et la réforme budgétaire dont j'ai la charge.
Examinons ensemble pourquoi la réforme budgétaire est aujourd'hui une absolue nécessité. Comment elle se traduit déjà dans la démarche de vérité du Gouvernement sur les finances publiques. Comment enfin s'annonce la révolution profonde qu'inaugure la mise en oeuvre de notre nouvelle Constitution financière.
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1. La maîtrise des dépenses publiques est aujourd'hui une nécessité absolue pour notre pays.
Le niveau des dépenses est trop élevé. Le poids des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale dépasse de 8 points la moyenne des autres pays développés. Or les thèmes abordés au cours de ce forum le montrent : pour préparer l'avenir, pour renforcer la croissance française et l'attractivité de notre territoire, les déficits comme les impôts et les charges doivent diminuer. Et pour ce faire, il n'existe qu'une seule solution : la réduction du poids des dépenses publiques.
Dans le programme de stabilité pour les années 2004-2006 le Gouvernement a choisi une stratégie claire et une éthique de vérité.
Les objectifs budgétaires sont clairs : la progression des dépenses publiques doit rester inférieure à la croissance économique. C'est la seule manière de financer durablement la réduction du déficit et la baisse des impôts et charges prévues sur la législature. Cet objectif ne sera cependant crédible qu'adossé à de vraies réformes. Autrement dit : " faire mieux avec moins ".
L'année 2003 marquera une rupture avec la précédente gestion :
les dépenses des administrations publiques n'augmenteront que de 1,2 % en volume, contre + 3,6 % en 2002 ;
les efforts de redéploiement au sein du budget de l'Etat doivent financer les priorités gouvernementales ;
la tendance à la hausse des effectifs de l'Etat est inversée.
Au-delà de 2003, quelle est la traduction pour l'Etat du programme de stabilité ? Ses dépenses ne progresseront que de 0,3 % en volume par an, en moyenne.
C'est un objectif ambitieux, je le reconnais, attendu l'accélération des charges de la dette et des pensions. Il suppose de contenir, par exemple, la hausse de la masse salariale au niveau de l'inflation et de stabiliser en euros courants les dépenses de fonctionnement, d'intervention et d'investissement, y compris les priorités gouvernementales, ce qui impose un intense effort de redéploiement.
Dès lors, les gains de pouvoir d'achat de nos administrations seront liés à leurs gains de productivité, la réorganisation de l'Etat s'appuyant sur les nombreux départs en retraite prévus dans les prochaines années.
Une revue des missions et programmes d'intervention de l'Etat sera parallèlement menée dès 2003. Elle portera ses fruits de manière progressive et croissante sur les années 2004-2006.
Cette démarche impliquera chaque membre du gouvernement et associera le Parlement. Elle répond aux exigences de notre Constitution financière puisque la définition des programmes précisera les missions de l'Etat et adaptera les structures ministérielles.
La mise sous contrainte de la gestion publique et l'effort de ré ingénierie de notre administration est indissociable d'une éthique de vérité.
Notre politique budgétaire est fondée sur deux principes :
des comptes sincères, grâce notamment à l'évaluation prudente des recettes fiscales ;
la rupture avec les baisses d'impôts non financées, en maîtrisant concomitamment les dépenses publiques.
La conjoncture économique euphorique des années passées, a masqué la dérive des dépenses et des baisses d'impôts financées par des plus values conjoncturelles. Le résultat est connu, le déficit public " structurel ", c'est-à-dire corrigé des effets de la conjoncture, s'est dégradé de plus de 1 point de PIB entre 1999 et 2002.
L'année 2003 marque un coup d'arrêt avec cette pratique :
Aujourd'hui, notre politique budgétaire s'inscrit avec détermination dans la vérité. Pas de réduction d'impôt sans baisse pérenne de la dépense. Le programme de stabilité sur lequel nous sommes engagés calibre d'ailleurs la progression des dépenses et les baisses d'impôts, afin que notre solde structurel s'améliore de ½ point de PIB par an sur 2004-2006.
Avons-nous été suffisamment ambitieux ? Devrions nous aller plus vite ? Comme vous le savez, la Commission européenne souhaite que nous soyons proches de l'équilibre dès 2006.
La commission européenne fait son travail et il n'y a pas lieu de critiquer cette démarche. La France est attachée aux règles du programme de stabilité et on ne doit pas en douter. Cependant nous nous obligeons, encore une fois, à un devoir de vérité. Il me serait facile de vous annoncer l'équilibre dès 2006. Cependant le gouvernement ne veut s'engager que sur des objectifs accessibles :
personne ne conteste qu'il a hérité d'une situation budgétaire dégradée ;
la conjoncture économique n'est pas excellente ;
en dépit de ces facteurs défavorables, notre engagement d'améliorer notre solde structurel de 1/2 point de PIB par an de 2004-2006 est fort. Cette performance est déjà remarquable au regard des 20 dernières années.

Pour asseoir une maîtrise intelligente des dépenses de l'Etat, le gouvernement dispose de 2 leviers puissants : de nouvelles pratiques budgétaires et notre nouvelle Constitution financière.
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2. Nous avons commencé à casser la spirale du mensonge budgétaire
Dès mon arrivée au gouvernement, j'ai estimé essentiel de rétablir une relation de confiance avec les Français sur la sincérité de leurs comptes publics. Je souhaite profondément rompre avec une pratique des pouvoirs publics qui ne permettait plus aux observateurs d'avoir des repères satisfaisants, mais aussi qui donnait bien des excuses aux Politiques pour se mentir à eux-mêmes, et, au-delà, faussait la vision des Français.
Trois types de mesures illustrent mon propos : transparence des chiffres, réforme de la procédure budgétaire et conduite de la mise en réserve de crédits.
a) Tout d'abord, tenir un discours de vérité sur les comptes. Deux exemples :
Le collectif budgétaire de cet été a entériné les constats de l'audit de Messieurs Bonnet et Nasse ;
En collectif de fin d'année, nous avons pour la première fois dans l'histoire budgétaire, rectifié à la baisse les prévisions de recettes de l'Etat par rapport à celles qui avaient servies à l'élaboration du projet de loi de finances pour 2003 ; dans un même mouvement, et par coordination, nous avons recalé à la baisse les prévisions de recettes du budget 2003 encore en cours d'examen par le Parlement.
J'entends poursuivre cet effort de transparence. J'ai ainsi annoncé que, à la mi année 2003, je publierai un rapport sur l'exécution en cours afin d'informer les parlementaires et, à travers eux, les Français, de l'état de nos comptes.
b) Parallèlement à la transparence des chiffres, une modification en profondeur de nos procédures budgétaires. L'objectif est de faciliter la mise en oeuvre de réformes structurelles en avançant de cinq mois les échéances. Traditionnellement, les ministres dits dépensiers viennent discuter avec le ministre du budget du montant de leurs crédits au mois de juin. Ces rencontres tenues à quelques semaines du bouclage définitif du budget rendaient difficile, faute de temps, les réformes.
Dorénavant, et dès la semaine prochaine, je recevrai mes collègues afin d'examiner avec eux leurs projets de réformes et l'avancement des engagements pris lors de la discussion budgétaire précédente. Il s'agit d'une première dans l'histoire budgétaire, et le principe de telles réunions est un " acquis " budgétaire précieux. Nous ferons d'abord ce que les anglo-saxons appellent une mid-term review, en regardant l'état d'avancement des engagements pris dans le budget en cours d'exécution. Puis nous examinerons les possibilités de réorganisations internes et de réforme des missions et interventions de l'Etat. Ces rencontres devraient donc accélérer le processus de réforme et lancer les études et concertations nécessaires avant d'en tirer les conséquences budgétaires en juin prochain.
c) Enfin, troisième exemple, la procédure de mise en réserve de crédits. La pratique des mises en réserve n'est certes pas nouvelle, tous les gouvernements y ont recouru. La modernisation porte sur la transparence de la procédure. Dès la discussion budgétaire, j'ai annoncé que le gouvernement procéderait à une mise en réserve de crédits qui, comme le veut notre nouvelle Constitution financière, sera transmise aux commissions des finances du Parlement.
Le Premier ministre a suggéré de constituer une réserve budgétaire de précaution et une réserve d'innovation, destinées tout à la fois à moderniser nos procédures budgétaires et à mieux assurer, en exécution, le respect des grands équilibres de la loi de finances votée par le Parlement.
L'application du principe de précaution à la gestion de nos finances publiques, face à une situation caractérisée par l'incertitude, est indispensable. Elle doit nous aider à faire face aux aléas de la gestion en respectant l'autorisation parlementaire. Elle affermira notre capacité à poursuivre notre programme de baisses d'impôts.
La création d'une réserve d'innovation doit, quant à elle, nous permettre, sans dégrader l'équilibre de la loi de finances, de répondre à des opportunités ou de procéder à des interventions nouvelles indispensables. Elle a notamment vocation à financer les ouvertures de crédits qui seraient proposées au Parlement en collectif de fin d'année.
Pour la constitution de ces réserves, la contribution des différents ministères sera déterminée sur des bases homogènes, en fonction du montant des crédits ne finançant pas des dépenses obligatoires. Les priorités du Gouvernement sont néanmoins préservées : la défense, la sécurité, la justice et l'aide publique au développement font l'objet de réserves uniquement destinées à financer par redéploiement leurs propres dépenses supplémentaires.
Ainsi, c'est dès 2002 que le gouvernement a entendu procéder à des innovations budgétaires de nature à restaurer la confiance des Français et à poser les bases de réformes structurelles destinées à adapter le rôle de l'Etat tout en maîtrisant la dépense publique.
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3. Au-delà de ces mesures, la mise en uvre de notre nouvelle Constitution financière aidera a la réforme
La mise en oeuvre de notre nouvelle Constitution financière s'apparente à une révolution maîtrisée. Parmi les changements qu'elle va occasionner, je citerai :
obliger à formuler des objectifs de politiques publiques avant de demander des crédits ;
s'engager sur un niveau de performance et rendre des comptes ;
passer à un principe de budget de responsabilité où les gestionnaires font face au sein de leur enveloppe aux dérapages ;
justifier la dépense publique au premier euro ;
se pencher sur les organisations administratives en fonction des missions qu'elles exercent et identifier les doublons.
Les exemples concrets ne manquent pas.
Cette réforme majeure repose ainsi sur trois piliers indissociables :
- l'efficacité : avec une responsabilisation accrue des gestionnaires auxquels est accordée une plus grande liberté de gestion assortie d'un engagement sur des objectifs de résultats et un niveau de performance ;
- la transparence : avec un rôle plus actif des parlementaires dans l'autorisation et le contrôle de la dépense ;
- la lisibilité : avec une plus grande clarté des choix stratégiques par la création d'outils d'analyse des charges et des ressources de l'Etat ainsi que des coûts des politiques publiques.
Pour réussir cette réforme, quatre volets parallèles sont à réaliser.
i) Le premier a trait à la présentation des budgets ministériels. Le budget de l'Etat sera structuré en programmes et non plus par nature de dépenses. Il faut donc revisiter l'ensemble de la nomenclature budgétaire en cherchant à identifier les politiques conduites.
ii) Parallèlement, la nouvelle Constitution financière revoit en profondeur le système comptable : le plan comptable de l'Etat reprendra, en l'adaptant à ses spécificités, celui des entreprises. Il devra garantir la sincérité et la clarté de la gestion publique.
iii) La traduction opérationnelle de ces changements se verra dans de nouveaux modes de gestion. Un nouveau management et un nouveau mode d'action publique se mettront en place avec l'instauration d'un vrai dialogue de gestion entre administration centrale et services déconcentrés.
iv) Enfin, le système d'information budgétaire et comptable sera revu afin d'améliorer l'exécution de la dépense et la connaissance des coûts.
Le gouvernement s'est donné les moyens de réussir ce chantier, baptisé Moderfie : une structure de projet, un dispositif de formation, un dispositif de communication, des échéances claires, une feuille de route précise, les enseignements des nombreuses expérimentations, autant d'outils à notre disposition.
Cette révolution maîtrisée appelle la mobilisation de tous, les agents de l'Etat et les élus au premier chef, mais aussi les observateurs attentifs de la dépense publique que sont les chefs d'entreprise, les journalistes, les universitaires. Nous avons besoin de votre implication personnelle pour la réussite de cette occasion unique de mettre notre Etat sur de nouveaux rails pour plusieurs années.
En conclusion, que chacun soit convaincu : ce que nous ne choisirions pas de faire aujourd'hui, nous devrions le faire, encore plus difficilement, demain.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 31 janvier 2003)