Entretien de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec "Europe 1", le 5 juin 2000, sur la concertation franco-allemande pour avoir des positions communes relatives à la réforme des institutions européennes, le poids de l'Allemagne sur la scène internationale, les relations américano-russes et les relations entre l'Union européenne et la Russie.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - A quatre jours du Sommet de Mayence, il paraît que Français et Allemands se sont mis d'accord sur les points clés des six mois de la présidence française de l'Union européenne. Est-ce vrai ?
R - Cela n'est pas tout à fait exact, mais ce qui est exact c'est que nous avons eu, il y a maintenant 15 jours, à Rambouillet, une très très bonne rencontre - probablement la meilleure depuis des années - entre les Français et les Allemands. Depuis, nous travaillons donc avec une certaine intensité pour avoir des positions communes sur ce qu'on appelle "la Conférence intergouvernementale", la réforme des institutions européennes. Cela avance bien, même si les fuites qui ont paru dans certains journaux ne sont pas totalement justifiées.
Q - Elles sont d'origines allemandes vous voulez dire ?
R - Elles sont d'origine allemande, d'autant que les thèses qui étaient défendues n'étaient pas exactement les thèses françaises. Par exemple, nous n'avons pas accepté que la France ait moins de voix que l'Allemagne dans le Conseil européen, parce que la France est aussi un grand pays. Nous discutons de tout cela et il faut que les chefs d'Etats et de gouvernement en reparlent. Je pense qu'à Mayence on verra que la France et l'Allemagne sont prêtes à aborder la présidence française ensemble.
Q - Il y a un certain nombre de points qui sont acquis ?
R - Il y a un certain nombre de points qui sont acquis. Par exemple, nous pensons l'un et l'autre que la Commission européenne doit être réduite dans son nombre, réduite tout en faisant la place aux grands Etats membres.
Q - Il y a vingt Commissaires aujourd'hui, il y en aurait combien ?
R - Il faut qu'il en ait toujours vingt - ou moins de vingt - même si on est trente, parce qu'un gouvernement doit être resserré et en plus, il faut que cette Commission continue à être collégiale.
Q - La France accepterait de n'en avoir qu'un ?
R - La France accepterait de n'en avoir qu'un dans ces conditions et à condition aussi qu'on ait d'autres progrès, par exemple, sur la pondération des voix au Conseil, c'est-à-dire sur notre poids dans l'Europe. Il y a également deux autres sujets sur lesquels nous sommes d'accord avec les Allemands. D'abord, le vote à la majorité qualifiée : faire en sorte que ce ne soit plus l'unanimité qui préside aux décisions européennes. Sur ce point, nous voulons que ce soit quelque chose d'extrêmement large. Et puis, les fameuses coopérations renforcées, c'est-à-dire la capacité à agir à quelques-uns uns pour préparer une avant-garde dans une Europe qui sera forcément plus hétérogène et qui exigera plus de flexibilité, plus de souplesse. Nous avançons bien et je crois que nous allons trouver cet accord et qu'il sera extrêmement symbolique. Il voudra dire que nous avons la volonté, ensemble, de déboucher sur une réforme des institutions ambitieuse, parce qu'on ne peut pas faire une réforme au rabais.
Q - Cela veut dire que la France peut faire quelques concessions à l'Allemagne ?
R - C'est logique. Ce ne sont pas les positions françaises ni les positions allemandes, ce seront des positions franco-allemandes, ce qui suppose que chacun aura fait un pas vers l'autre. C'est un compromis.
Q - Vous n'avez pas l'impression que depuis quelques semaines l'Allemagne parle à voix plus forte et qu'elle devient de moins en moins commode ?
R - Je dirai que l'Allemagne s'affirme. Elle est aujourd'hui un pays de 80 millions d'habitants, donc, le plus peuplé d'Europe. C'est un pays puissant qui prend aussi son indépendance en politique internationale. J'ai noté avec beaucoup d'attention le discours du chancelier Schröder par rapport au président américain Clinton. C'est un pays qui retrouve son ancrage continental. On a parlé au début de l'arrivée de ce chancelier de sa tentation britannique, de sa volonté de faire un triangle en Europe. Finalement, on n'est pas dans le triangle, on retrouve le moteur ou le couple franco-allemand. Je sens qu'il y a une nouvelle impulsion franco-allemande et que cela donnera une nouvelle impulsion à l'Europe. C'est en tout cas ce que nous voulons.
Q - Clinton et Poutine à Moscou, cela a l'air plutôt glacial, mais ils vont créer un centre américano-russe de détection des missiles. Pourquoi n'y a-t-il pas d'Européen ?
R - Parce que le nucléaire est traditionnellement une affaire américano-russe. Mais il y a aussi d'autres puissances nucléaires qui sont la France et la Grande-Bretagne. On retrouve là des traditions qui sont celles d'échanges au sommet sur ces questions, même si la donne mondiale a beaucoup changé, que la Russie d'aujourd'hui n'est plus la Russie d'hier, que les Américains d'aujourd'hui ont affirmé leur puissance. Comme le dit Hubert Védrine, il n'y a plus deux supers puissances sur la planète, il y a une hyper puissance américaine.
Q - C'est ce qu'il dit dans "Les cartes de la France", son livre très intéressant. Il dit qu'il y a une "omnipuissance".
R - Une hyper puissance.
Q - D'autres traduisent par "omnipuissance". Est-ce que cela veut dire qu'on va revenir, à cause ou grâce, à Poutine, à un duo américano-russe ?
R - Je crois qu'il est logique que sur ces matière stratégiques, nucléaires, compte tenu des arsenaux de l'un et de l'autres, qu'il y ait ce dialogue. Mais en même temps, encore une fois, la Russie n'est plus la puissance d'hier. La Russie est une puissance qu'il faut respecter, un grand pays avec lequel il faut dialoguer. Nous aussi, nous aurons le moment venu, des dialogues avec lui. Mais ce n'est plus un condominium. On n'est pas revenu à la guerre froide, on est dans un monde beaucoup plus ouvert, dans un monde où l'Europe doit être une puissance, mais une puissance pacifique.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2000)