Interviews de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à TV5 le 17, RTL et "Radio classique" le 21 octobre 2002, sur la victoire du "oui" lors du référendum sur le Traité de Nice en Irlande, le rôle de la France dans la construction européenne et ses propositions pour la réforme des institutions communautaires, l'élargissement de l'Union européenne et les relations franco-allemandes.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Radio Classique - RTL - Télévision - TV5

Texte intégral

Entretien sur TV5 le 17 octobre :
Q - A propos de l'élargissement
R - Je trouve formidablement encourageant que le président de la Commission européenne demande plus de France pour faire l'Europe, pour continuer à faire l'Europe. Notre pays a été un des inventeurs de cette formidable entreprise qu'est l'Europe. Aujourd'hui, à la veille de l'élargissement, il faut que de nouveau notre pays retrouve sa force de proposition et c'est ce que nous sommes en train de faire, notamment dans le cadre de la Convention où l'on va proposer d'aller plus loin pour que les institutions européennes soient plus efficaces et plus démocratiques. Certains sondages ont fait valoir que les Français seraient moins enthousiastes que les autres citoyens face à l'élargissement. Il faut certainement beaucoup mieux informer et expliquer ce que nous sommes en train de faire. Accueillir enfin après tant d'années, tant de décennies, les pays de l'Europe centrale et orientale qui ont été séparés de nous par un mur, c'est vraiment le plus grand projet de ce début de siècle pour les vrais Européens
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 2002)
Interview à RTL le 21 octobre :
R. Elkrief.-L'Irlande a dit "oui" hier soir. C'est la peur d'être boudée par le reste de l'Europe, pour vous ?
- "Je pense que les Irlandais ont pris conscience de leur implication européenne. C'est un message extrêmement positif pour eux et pour leur gouvernement qui a mené une campagne très active, qui a beaucoup parlé d'Europe comme on va en parler maintenant avec les citoyens. Et c'est aussi un message qui est très favorable aux pays qui vont nous rejoindre parce qu'il faut les accueillir. C'est notre mission d'aujourd'hui : on ne peut pas faire l'élargissement sans considérer que ces pays appartiennent à la grande famille et sans se préparer à les accueillir. Ce que viennent de faire les Irlandais."
La France prépare une campagne d'explications, d'informations sur cet élargissement. On a quand même le sentiment que c'est peut-être un peu folklorique, que vous allez raconter en province ce qu'est la Slovénie, la Slovaquie, la Tchéquie... Cela suffira ?
- "Non, ce n'est pas du tout folklorique. D'ailleurs, je vous signale que le folklore c'est toujours les autres, alors on est peut être folkloriques pour les Slovènes et les Slovaques. C'est très sérieux car était temps que l'on parle d'Europe, il était temps que les médias s'intéressent à l'Europe. Il était temps aussi qu'on mette les citoyens face à des responsabilités historiques qui sont les nôtres. Qui aurait imaginé, il y a quelques dix ans environ, que le Mur de Berlin s'effondre et que ces pays rejoignent l'Union européenne ? Personne. Maintenant on y est. Ne boudons pas notre plaisir et expliquons ce dont il s'agit : il s'agit de solidarité, il s'agit aussi de sécurité. J'ai l'absolue conviction que si on ne fait pas la grande Europe, l'Europe réunie, on aura de graves problèmes de conflits au coeur de l'Europe. Il faut aussi aider ces pays à se mettre au niveau de notre démocratie. Pendant des décennies, ils ont été à l'écart et je crois qu'il y a un enjeu pour eux mais il y aussi un enjeu très fort pour nous."
Ils sont sensés avoir fait un très grand nombre de progrès. C'est ce qu'a dit la Commission qui recommande l'adhésion des dix pays candidats - 10 sur 12, en tout cas, tout de suite. Mais de notre côté, nous, ceux qui sommes déjà à l'intérieur de l'Union européenne, du côté des Français et des Allemands par exemple, un peu le couple majeur - représenté comme tel jusqu'à présent -, on n'est pas d'accord sur grand-chose. Alors quel exemple donne-t-on ? Prenons l'exemple la Politique agricole commune : les Français ne veulent pas que ça bouge parce qu'on en est bénéficiaires et les Allemands, par exemple, voudraient bien que l'on dépense un peu d'argent alors que ces pays arrivent et qu'il faudra dépenser beaucoup d'argent. Ce n'est pas un très bon exemple !
- "Deux points. Premièrement, on va se mettre d'accord, comme toujours, on a toujours discuté..."
...On va se mettre d'accord quand ?
- "On va se mettre d'accord pour la clôture des négociations d'adhésion à la fin de l'année."
Donc au Sommet de Copenhague et pas avant ?
- "Je ne peux pas vous donner de date exacte. Il faut que les auditeurs soient conscients d'une chose : l'Europe, c'est un espace de discussions, de concertation, de dialogue. Chacun - et ce ne sont pas les citoyens français qui vont me contredire - a sa sensibilité, ses traditions, ses intérêts. On a une agriculture très prospère dont on doit être fiers ; on doit être fiers de la Politique agricole commune qui a permis à l'Europe de garder une agriculture qui est une véritable activité économique."
Est-ce que pour autant que cela veut dire que l'on ne change rien alors que les autres arrivent avec des agricultures fortes ?
- "Il ne s'agit pas de rien changer, des évolutions sont d'ailleurs prévues, comme vous le savez, tous les 5 ans. Il y a une évolution qui est prévue pour l'après-2006. Il faut discuter, il faut discuter avec nos voisins. Croyez bien que tout le monde discute. Les Espagnols que j'ai rencontrés il y a peu, sont aussi très arrêtés sur une Politique agricole commune à laquelle ils tiennent ; les Allemands ont aussi des demandes très fortes..."
Mais eux, ils veulent dépenser moins d'argent ! Ils veulent que cette Politique agricole n'explosent pas et qu'il y ait moins de dépenses.
- "Les Allemands ont des contraintes budgétaires et ils assument le coût de leur réunification qui s'élève..."
J. Chirac et G. Schröder se voient, ce jeudi, avant le Sommet de Bruxelles. On peut avoir un résultat dès jeudi soir ?
- "Ce sont des rencontres au sommet qui sont des rencontres à la fois amicales et au cours desquelles ils parlent de sujets très importants. Ils vont aborder tous les sujets de l'élargissement, effectivement."
Parlons aussi de la conséquence directe, c'est-à-dire la construction politique : comment va-t-on s'arranger pour prendre des décisions à 25, puis à 27, alors qu'à 15, souvent, on peine à y arriver ? A. Duhamel disait à l'instant que la France manque à l'Europe, qu'elle ne propose pas et qu'on n'entend pas la voix de la France sur les propositions institutionnelles.
- "Détrompez-vous. D'ailleurs, A. Duhamel vient de le dire lui-même : nous avons fait des propositions extrêmement précises sur un chapitre nouveau de l'histoire européenne. C'est essentiellement l'Europe présente sur la scène internationale, la politique étrangère et de sécurité commune, et aussi - cela a été moins visible - la politique de défense. C'est le grand enjeu de l'Europe d'aujourd'hui. Le continent européen, comme personnalité politique - puisque la France s'est prononcée en faveur de la personnification juridique de l'Union européenne -, doit compter sur la scène internationale. Avec nos grands alliés américains, bien sûr, mais nous devons compter et nous devons nous armer pour compter sur la scène internationale."
On va avoir un représentant ? On va fusionner le poste de commissaire aux Affaires extérieures et le représentant de la politique étrangère commune ? On va avoir un poste un peu prestigieux donné à une personnalité ? C'est un peu ce que l'on dit pour le moment mais quelle va être la répartition des pouvoirs? Que propose la France ? Est-ce que la Commission européenne ne va pas être affaiblie ? Est-ce qu'en fait la France ne propose pas cet affaiblissement d'une certaine façon ?
- "Je voudrais dire deux choses. D'abord, la France est en propositions, elle est en proposition publiques puisque nous avons déjà versé des contributions en liaison, d'ailleurs, avec nos amis allemands. Elle est aussi en propositions vis-à-vis de ses partenaires puisque nous envisageons de déposer des contributions communes, par exemple, avec l'Allemagne mais aussi avec d'autres pays. Les propositions que nous avons faites expressément sont des propositions de simplification. Il faut que le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, qui disent leurs mots de plus en plus sur la scène internationale - parlons du Proche-Orient, par exemple - aient une représentation stable avec un ministre des Affaires étrangères qui puisse exprimer la voix commune de l'Europe. Je dois dire que cette proposition a eu un certain succès puisque J. Straw, le ministre des Affaires étrangères britannique, s'y est rallié dans un récent article, ainsi que le Chancelier Schröder. Maintenant, on avance sur l'architecture institutionnelle : comment les instances politiques de l'Europe, la Commission, le Parlement européen, le Conseil européen vont se répartir les pouvoirs. Nous sommes pour une Commission forte. J'ai travaillé, pour ma part, pendant plus de dix ans auprès de la Commission et chacun sait - et j'en suis persuadée - que sans la Commission, il n'y aurait pas d'Europe."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 octobre 2002)
Interview à "Radio classique" le 21 octobre :
Q - Depuis hier on dit beaucoup que c'est un "ouf" de soulagement un peu partout en Europe chez les partisans de l'élargissement, j'imagine que c'est votre cas aussi ?
R - C'est un signal extrêmement positif de la part du peuple irlandais et c'est aussi évidemment, un message d'accueil très fort pour les nouveaux pays, les dix qui vont nous rejoindre en 2004.
Q - Et quelle a été selon vous, la véritable raison du "oui" irlandais, hier ?
R- Je crois qu'il y a eu une très bonne campagne de la part du gouvernement et des grands partis. Il y a eu une sensibilisation du peuple irlandais à ses responsabilités, je dirais presque morales, vis à vis de l'ensemble de l'Europe et à cet égard, il est tout à fait encourageant de voir que le dialogue est possible sur l'Europe, sur l'élargissement, à un moment qui est non seulement historique mais qui demande à nous tous, pays membres de l'Union, un effort de solidarité nouveau.
Q - Alors, un obstacle est levé en vue de cet élargissement mais il y en a d'autres. On va parler peut être du Conseil européen, au programme cette semaine, pour parler cette fois du financement ?
R - Ce ne sont pas des obstacles, à proprement parler, il y a encore des discussions pour boucler les négociations d'adhésion qui permettront aux dix nouveaux Etats de nous rejoindre en temps utile, en 2004, et parmi les éléments de négociation qui subsistent, il y a l'avenir de l'agriculture, de la PAC et la façon dont les nouveaux pays pourront bénéficier de cette politique. Il y a aussi la question du financement de l'élargissement.
Q - Sur la question des aides directes, on vient d'évoquer les aides agricoles, est-ce que vous pensez que la France va devoir, in fine, faire des concessions ?
R - Il y aura des négociations, il y aura une entente sur cette question très importante. Je voudrais souligner deux points : le premier c'est que la Politique agricole commune qui est à la base de la solidarité et de l'Europe dès sa création, a été une politique extrêmement bénéfique parce qu'elle a permis à l'Europe, ce qui n'était pas donné au départ, d'avoir un secteur agricole extrêmement dynamique débouchant sur une industrie agro-alimentaire qui est la première au monde. Je crois que cela, il ne faut pas l'effacer, il faut maintenir des politiques communes, une Politique agricole commune. Il y aura des évolutions, bien entendu.
Q - Le couple franco-allemand a été mis à mal ces derniers temps, qu'en pensez-vous, est-ce que du couple franco-allemand dépend la réussite de l'élargissement européen ?
R - Il y a toujours eu un couple franco-allemand et il y a toujours eu entre les Français et les Allemands le souci de parvenir à une approche commune à partir de sensibilités différentes et à partir d'intérêts nationaux qui se conjuguent ; c'est exactement le même souci qui conduit, aujourd'hui, à des rencontres très fréquentes entre le chancelier Schroeder et le président de la République française. Dominique de Villepin a également des liens, pratiquement quotidiens, avec M. Fischer. De même que moi, je vois les responsables des Affaires européennes plusieurs fois par mois, c'est cela la façon dont l'Europe a marché depuis le début. On parlait alors de réconciliation et maintenant on parle de dialogue et de position commune. Cela a toujours fonctionné ainsi pour l'Europe de la défense, pour la culture, pour l'euro et maintenant nous sommes face au grand projet politique de l'élargissement et nous allons continuer à travailler ensemble au bouclage des négociations en vue de l'élargissement et sur un sujet qui est la grande affaire de l'Europe, à savoir la future Constitution européenne
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2002)