Texte intégral
Madame la Ministre. Mesdames et Messieurs
A la veille du lancement du nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, le gouvernement poursuit la concertation engagée depuis plusieurs mois avec l'opinion publique et les milieux professionnels. A ce titre je souhaiterais vous présenter les positions que nous défendrons à Seattle, en particulier sur la question culturelle.
Nous envisageons les prochaines négociations comme un nouveau cycle d'ouverture des marchés mais aussi comme un cycle de régulation de l'échange international.
L'économie française n'a pas à craindre l'ouverture, bien au contraire. Les évolutions des dernières années ont fait la preuve de la solidité de nos entreprises à l'international et l'ouverture de l'économie internationale a été un facteur de croissance, d'emploi et de modernisation pour notre économie.
Mais notre engagement dépasse la problématique de la libéralisation des échanges et de l'accès au marché.
Le prochain cycle doit fixer des règles du jeu en matière de concurrence et de marchés publics.
Surtout, il doit permettre de répondre à de nouvelles exigences qui mettent le renforcement du système commercial multilatéral à l'ordre du jour . Il faut que l'OMC prenne en considération les nouvelles dimensions de l'échange international. La tâche nous est confiée de promouvoir un développement durable, qui suppose des échanges équitables respectueux de l'environnement et des droits sociaux, et d'y travailler en coopération avec les autres organisations internationales.
Si nous plaidons pour un cycle global, c'est parce qu'il est le seul moyen de garantir une approche équilibrée, et non pas strictement commerciale, des échanges internationaux.
Cette démarche se traduira dans le domaine des services par un impératif de prudence. Nous avons des intérêts à l'exportation, dans ce secteur, sans doute, mais également le souci de préserver la qualité de nos services publics comme la santé et l'éducation, et bien sûr, notre liberté en matière de politique culturelle et audiovisuelle.
Cette perspective se manifestera également dans le traitement de la question agricole.
La nouvelle PAC, qui constitue la base de la position européenne, s'inspire de l'évidence que l'agriculture, en Europe, ne se résume plus seulement à une question de production. Elle est appelée à jouer un rôle de première importance dans la protection de l'environnement, dans l'aménagement du territoire et la conservation du patrimoine rural, autant de domaines qui ne relèvent pas de la libéralisation commerciale.
Cette attention que nous accordons à la nécessaire singularité de nos modèles de société, nous la réaffirmons a fortiori en matière culturelle.
Pour certains de nos partenaires, les flux culturels sont l'objet d'une approche strictement commerciale, car des intérêts économiques y sont indéniablement attachés. Les chiffres concernant les Etats-Unis sont à cet égard éloquents.
L'industrie de l' " entertainment " (cinéma, télévision, vidéo, livres, disques, logiciels, etc.) représente 4 % du PNB américain. Les exportations américaines dans ce secteur s'élèvent à environ 60 milliards de dollars et Hollywood réalise, à l'étranger, près de la moitié de ses recettes.
On conçoit sans difficulté quelle peut être l'importance du marché international pour cette industrie, et combien, eu égard à ces seuls chiffres, la tentation est grande de considérer que les biens culturels relèvent avant tout d'une logique commerciale.
De son côté, l'Union européenne a depuis longtemps considéré que les biens et services culturels n'étaient pas des produits comme les autres. Elle a exprimé cette position lors du précédent cycle de négociation et a pour cette raison préservé sa pleine capacité et celle des Etats membres à définir librement, aujourd'hui et à l'avenir, leurs politiques en matière audiovisuelle et culturelle.
Si les biens culturels ne sont pas des produits comme les autres, c'est parce qu'ils obéissent à des logiques de production et de diffusion qui ne sont pas strictement commerciales.
Nous avons posé comme principe la diversité culturelle. Or la loi de l'offre et de la demande ne peut à elle seule garantir le respect des patrimoines et la richesse des créations futures. Certains soutiennent que les compagnies qui visent le marché mondial savent parfaitement s'adapter aux habitudes et aux goûts locaux . Certes, il est vrai que MTV diffuse des programmes différents dans les différentes régions du monde, mais on n'a pas le droit de confondre une démarche qui relève du marketing avec la promotion de la diversité culturelle.
Toute la question est de savoir quel est le meilleur moyen de défendre et de promouvoir cette diversité. Faut-il, comme ont pu le proposer un temps nos partenaires canadiens, envisager un " commerce culturel " assorti d'une discipline multilatérale ou au contraire veiller à ce que les biens et les services culturels soient maintenus en dehors des négociations ?
Dans la première hypothèse, les principes mêmes de l'OMC, la non discrimination, la libéralisation des échanges, l'encadrement des subventions, conduiraient à remettre en cause la liberté dont disposent nos politiques culturelles.
A Marrakech, l'Union européenne a choisi la deuxième solution, en jouant sur deux possibilités inscrites dans l'accord sur les services : celle de ne faire aucune offre de libéralisation en matière audiovisuelle d'une part, celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée d'autre part.
Près de six ans après la conclusion du précédent cycle, nous avons tout lieu de nous féliciter du résultat de cette stratégie.
Dans les faits, l'Union européenne et les Etats membres ont pu continuer librement de mettre en place de nouvelles politiques culturelles ; j'en veux pour preuve les différents mécanismes d'aide au cinéma qui ont été instaurés par plusieurs Etats membres de l'Union européenne depuis 1994 .
Aucun panel n'a été constitué contre l'Union européenne ayant trait à ses politiques en matière culturelle ; or, je tiens à rappeler ici que plus d'une centaine de procédures ont été ouvertes devant l'Organe de Règlement des Différends.
C'est dire qu'en réalité seule une minorité de pays considère notre politique culturelle comme un obstacle à la libéralisation des échanges. Au contraire nombre de nos partenaires ont compris ses véritables motivations et partagent notre aspiration à promouvoir la diversité culturelle.
Ainsi seuls 19 des 134 membres de l'OMC ont pris des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel. Autrement dit, 115 membres sur 134 sont dans la même situation que l'Union européenne, et ont ainsi juridiquement protégé leur souveraineté culturelle.
En matière d'audiovisuel, de presse écrite, de création artistique, les politiques de nos partenaires montrent à l'évidence que l'exception culturelle est plutôt la règle, et la libéralisation l'exception.
La France n'est donc pas le dernier bastion de la résistance culturelle. Au delà de l'Union européenne, de nombreux pays partagent notre souci de diversité en matière de patrimoine et de création.
Dans cette perspective, nous devons continuer à promouvoir notre conception pluraliste, afin de conforter la légitimité de notre position au sein de l'OMC.
Parce qu'une idée a besoin d'être défendue, le principe de la diversité culturelle exige que d'autres instances multilatérales, plus appropriées que l'OMC, soient le lieu d'une réflexion sur le statut des biens et des services culturels.
Dans l'immédiat, en termes de procédure et de préparation de la prochaine conférence ministérielle de Seattle, où en sommes-nous ?
Sur le plan communautaire, après la non-adoption des conclusions du Conseil lundi dernier, nous poursuivons la discussion avec nos partenaires pour obtenir la prise en compte, dans les " conclusions " du Conseil, de nos exigences en matière culturelle et audiovisuelle. Je vous rappelle que les conclusions du Conseil déterminent les orientations qui doivent guider la Commission dans son travail de préparation de la Conférence de Seattle. Elles constituent en quelque sorte le cadre de référence que les 15 Etats membres fixent à la Commission dans la perspectives des futures négociations.
J'ai défendu à Florence, il y a 15 jours, et à Luxembourg, ce lundi, notre position qui, je vous le rappelle, tient en trois points. Nous tenons à ce que les conclusions du Conseil mentionnent :
- la reconnaissance de l'importance particulière de la diversité culturelle (ce point là est acquis, et c'est déjà un progrès non négligeable).
- une référence à l'acquis de Marrakech
- une référence à la capacité de l'Union et des Etats membres à pouvoir continuer à mettre en uvre et à développer leurs politiques culturelles et audiovisuelles.
Comme vous le savez c'est notamment parce que nous n'avons pas eu satisfaction, lundi, sur cette question que le Conseil n'a pas été en mesure d'adopter l'ensemble des conclusions, alors même que nous sommes d'accord sur les autres sujets (hormis, certes, la question du traitement des normes sociales à l'OMC).
Il est important que nous poursuivions l'exercice de " conviction " de nos partenaires européens pour arriver rapidement à un résultat. En effet, sur ce sujet, tant qu'il n'y a pas de position communautaire arrêtée, la Commission n'est liée par aucun " mandat " : il n'est pas souhaitable que la voix européenne ne se fasse pas entendre, à Seattle, sur la question culturelle. Il serait de très loin préférable que nous puissions nous mettre d'accord très vite sur une formulation qui préserve nos intérêts et qui soit acceptée par nos partenaires.
C'est pourquoi, dans l'immédiat, nous poursuivons les contacts bilatéraux avec nos partenaires et la Commission. Nous souhaitons aboutir à des conclusions le plus rapidement possible.
Nous devrons en tout état de cause rester très vigilants, avant Seattle, à Seattle et après. Rien n'est définitivement acquis, en effet. Notre objectif consiste, je le rappelle, à faire en sorte que l'Union Européenne puisse conserver ses marges de manoeuvre présentes et futures, et qu' en matière de politique audiovisuelle, elle puisse le faire quels que soient les supports technologiques.
C'est pourquoi nous surveillons de très près les discussions sur le commerce électronique et veillons en particulier à ce qu'elles ne remettent pas en cause la frontière entre biens et services. De la même manière, nous serons très vigilants lors des éventuelles discussions sur les subventions dans le domaine des services. Enfin, et toujours pour les même raisons, nous avons fixé des objectifs précis aux négociations qui pourraient s'engager à l'OMC sur l'investissement.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 16 novembre 1999)