Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la réforme de la fiscalité locale, nécessaire à une plus grande autonomie des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation, Paris le 10 avril 2003.

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Circonstance : Présentation du numéro spécial de la revue française de finances publiques "Vingt ans de finances locales : enjeux pour l'avenir" au Sénat le 10 avril 2003

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher Alain LAMBERT,
Monsieur le Président, cher Jean-Pierre FOURCADE,
Monsieur le rapporteur général, cher Philippe MARINI,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Monsieur le directeur, cher Michel BOUVIER,
Mesdames et messieurs,
Permettez-moi de vous dire le plaisir qui est le mien de vous accueillir, ce soir, à la présidence du Sénat.
Sans attendre, je veux saluer M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire de nous faire l'honneur de sa présence dans une maison qui est la sienne, la nôtre.
Je veux aussi dire ma reconnaissance à MM. Jean-Pierre FOURCADE, président du Comité des Finances locales, Philippe LAURENT, maire de Sceaux, président de la commission Finances de l'Association des maires de France, et Philippe VALLETOUX, vice-président du directoire de Dexia - Crédit local d'avoir accepté notre invitation.
J'ai bien dit notre invitation, car ce soir, sans Michel BOUVIER, professeur émérite à l'université de Paris I et dynamique directeur de la Revue française de finances publiques, rien n'aurait possible ou si peu. Je tiens donc à le féliciter pour son engagement constant en faveur des finances publiques. La qualité de sa revue et de ses recherches font autorité.
Ses analyses contribuent à " vulgariser " une matière parfois ardue et constituent une boîte à outils utile à la décision.
Alors, c'est vrai, lorsqu'il m'a proposé de contribuer au numéro spécial, je n'ai pas hésité longtemps.
Car ce numéro spécial intitulé " Vingt ans de finances locales : enjeux pour l'avenir " s'inscrit dans un contexte tout à fait opportun, après la ratification par le Parlement réuni en Congrès, le 17 mars dernier, de la loi sur " l'organisation décentralisée de la République ".
Quel chemin parcouru !
Cette révision représente, en effet, le point d'orgue de notre combat, au Sénat, en faveur de la libre administration des collectivités locales et de l'autonomie locale, avec le dépôt en octobre 2000 et en juillet 2002 de deux propositions de loi constitutionnelles destinées à tracer une "ligne jaune" que les gouvernements ne pourraient plus franchir à l'avenir.
Concrètement, il s'agissait:
- de conférer une valeur constitutionnelle au principe de compensation des charges transférées par l'État,
- de préserver l'autonomie fiscale des collectivités locales en reconnaissant le principe de la "prépondérance" des recettes fiscales propres au sein de leurs ressources de fonctionnement,
- de poser le principe du remplacement d'un impôt local librement perçu par une autre ressource fiscale afin de mettre un terme au processus de démantèlement de la fiscalité locale.
Au-delà du débat "sémantique" entre les notions de " prépondérance " et de "déterminance" finalement retenue, le gouvernement a largement repris nos propositions. Ce dont je ne peux que me réjouir.
Le premier étage de la fusée " mis en orbite ", il nous restera à en décliner les grands principes dans le cadre des lois de transferts et d'expérimentations à venir. Mais pour pleinement réussir cet acte deux de la décentralisation, il est aussi urgent, à mes yeux, de remettre à plat l'ensemble de l'architecture du financement du secteur public local.
Sans réforme des finances et de la fiscalité locale, point d'autonomie, point de libre administration !
Monsieur le Ministre, cher Alain, je veux simplement vous dire : ne pas engager une telle réforme, ou la différer reviendrait à annihiler l'avancée historique que représente l'ancrage constitutionnel des principes d'autonomie fiscale et financière.
En tant que Président du Sénat, je souhaite qu'une réflexion d'ensemble s'engage donc sans délais et sans arrière-pensées.
J'appelle le gouvernement à concrétiser sa volonté de réformer, enfin, la fiscalité locale qui apparaît, à maints égards, aussi archaïque voire obsolète, qu'injuste.
L'ampleur du défi n'a d'égal que sa nécessité. Mais de grâce, ne nous laissons pas enfermer dans les carcans et les schémas de pensée préétablis !
Car il n'y a, en la matière, aucun tabou. Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution sociale généralisée (CSG), aucune de ces impositions n'appartient, par essence, définitivement et en totalité à l'État !
Il convient seulement de maintenir une fiscalité " de proximité et localisable ".
Néanmoins, cet objectif passe aussi, à l'évidence, par la révision des valeurs locatives cadastrales, souvent promise et toujours remise.
Alors, au lieu d'imaginer une énième " usine à gaz " vouée à l'échec, soyons pragmatique !
En ce sens, je veux vous livrer deux pistes de réflexion : soit une réévaluation de la valeur locative à l'occasion de la mutation des biens ; soit, plus efficace et surtout plus rapide, une formule " déclarative contrôlée " en référence à une valeur vénale.
Trancher, sans délai, cette " épineuse " question conditionne pour partie le succès de la réforme d'ensemble qui passe également par une refonte des concours financiers de l'État en faveur des collectivités locales, totalement incompréhensibles pour les élus locaux.
Actuellement, le système de dotations de l'État poursuit des objectifs parfois divergents, voire contradictoires : compensation des mesures d'exonérations ou d'allégement, compensation des charges transférées, péréquation...la liste n'est pas exhaustive !
La dernière réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), principal concours financier de l'État, remonte maintenant à dix ans. A l'époque, il s'agissait à la fois de faciliter le développement de l'intercommunalité et de favoriser la péréquation.
Le premier objectif semble être atteint mais au détriment de l'architecture générale des concours financiers de l'État, car depuis 2001, la part des dotations intercommunalité dépasse celle consacrée à la péréquation. Ce n'est d'ailleurs un secret pour personne : la dotation globale de fonctionnement est au bord de l'implosion.
En revanche, le second reste à confirmer.
Aujourd'hui, les inégalités entre les territoires n'ont jamais été aussi criantes. Je ne vous en donnerai que deux exemples saisissants :
- 10 % des communes concentrent 90 % des bases de taxe professionnelle,
- le potentiel fiscal par habitant varie encore, selon les communes, de 1 à 14.
Dans ces conditions, la constitutionnalisation du principe de péréquation permettra-t-elle de remédier à ces disparités spatiales ? Rien n'est moins sûr !
Car le foisonnement des mécanismes de péréquation financière et fiscale rend difficile d'en mesurer l'efficacité réelle.
Pour le Commissariat général du Plan, toujours optimiste, les mécanismes de péréquation auraient permis de réduire de 30 % les inégalités entre les collectivités locales.
Au-delà des chiffres, il nous revient de mettre à plat un système " à bout de souffle ". Car les différentes dotations ont été abondées, " à la petite semaine ".
Il apparaît aujourd'hui urgent de mettre fin à la concurrence objective entre péréquation et intercommunalité qui constitue en soi une forme de péréquation.
En ce sens, il pourrait être utile de définir, à l'image de la dotation des Départements, une enveloppe autonome dédiée à l'intercommunalité.
D'une manière plus générale, je forme le voeu que le gouvernement parvienne à concilier autonomie locale et péréquation, apparemment antagonistes mais désormais tous deux constitutionnels. Une piste de réflexion pourrait consister à " lisser " les bases, par collectivité et pour chaque taxe. Ce mécanisme permettrait de réattribuer des bases " fictives " aux collectivités les plus " pauvres ".
Lesquelles pourraient, ainsi, exercer pleinement leur libre arbitre fiscal et voir leur autonomie et leur responsabilité renforcées. La répartition de ces bases pourrait, par exemple, être déterminée au niveau local en fonction de critères de richesse fiscale rénovés.
Vous l'avez compris, sans réforme d'ensemble des finances publiques locales, la relance de la décentralisation restera au milieu du gué. Notre Constitution révisée ouvre de nouveaux " champs des possibles " et décuple les espérances des élus locaux.
Alors à vous, Monsieur le Ministre, de ne pas les décevoir !
A vous les experts, les universitaires de nous aider à dessiner ensemble un système financier et fiscal plus transparent, plus efficace et plus démocratique.
Soyez assuré que le Sénat, fidèle avocat des collectivités locales, prendra ses responsabilités pour pleinement gagner le pari de la " République territoriale " que nos concitoyens attendent de nous, une République plus efficiente, plus solidaire et plus proche.

(source http://www.senat.fr, le 28 avril 2003)