Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'était il y a cent ans... Un siècle de fer se terminait dans le bonheur bourgeois des fastes de la Belle Epoque. On y rêvait de "voyage en Italie" et cet appel séduisait tout ce que l'Europe comptait alors de beaux esprits. Aux campagnes militaires de jadis qui entraînaient nos plus grands artistes en Italie pour ramener en France ce raffinement de goût qui n'appartenait qu'à elle, succédèrent nos ambassadeurs. Diplomatie et bel esprit étaient alors confondus : Jean-Jacques Rousseau était secrétaire d'ambassade à Venise, Stendhal consul à Civita Vecchia et Chateaubriand ambassadeur à Rome. Tant d'autres encore... A tel point qu'un de nos éditeurs a eu l'heureuse idée de faire paraître une sélection ô combien volumineuse de ces "voyages en Italie" sans le ravissement desquels un honnête homme ne saurait être tout à fait honnête.
Les relations qui nous sont faites de l'Italie témoignent toutes du bonheur ineffable, d'une hospitalité parfaite, du ravissement sans cesse répété devant ces églises, ces places,... Que n'ai-je leur talent pour vous dire en humble amoureuse de l'Italie combien on se sent ici transporté. La plus petite ville a un parfum d'éternité et les ruines parlent à l'âme avant de s'adresser à la mémoire.
Ainsi donc ce sentiment particulier ne s'est pas estompé, quand bien même le temps de transport et donc d'attente et de rêve n'est plus le même. Le Paris-Rome en diligence de Jean-Jacques Rousseau, le Rome-Paris du Bernin n'est pas celui d'Air France ou d'Alitalia. Nous n'avons gagné du temps que pour mieux le perdre et la vitesse dont nous avons un temps tiré tant de fierté n'est que la douloureuse peau de chagrin de notre aptitude à dire le beau. Mais l'attrait qu'exerce l'Italie, ses tableaux, sa culture sur les Français est intacte, comme insensible à ces changements techniques qui ne sauraient porter atteinte à l'essence même du beau. C'est elle qui nous réunit ensemble pour chercher comment l'éternité peut se donner une histoire...
Cette fascination qu'exerce l'Italie sur les Français nous la savons jumelle de celle qu'exerce la France sur l'Italie. Aussi cette réplique romaine du colloque parisien initié il y a quelques 18 mois n'est que la traduction d'une gémellité très profonde. Qui parle aussi bien français que les intellectuels italiens ? Dans quel pays l'uvre de Lacan ou de Foucault a-t-elle eu un retentissement aussi fort qu'ici en cette heure ? En cette veille de 3ème millénaire toute manifestation culturelle fait l'objet de la curiosité immédiate du voisin. On parle tant et tant d'Europe à faire. En matière culturelle, entre nos deux pays les choses sont déjà plus que largement engagées et le sommet est peut-être en retard sur la base. Les exemples sont légion :
Si l'on s'en tient au seul semestre en cours, des expositions présentent les oeuvres de Picasso à Venise, de Pissaro à Ferrare, de Cézanne à Livourne, mais aussi de César à Milan et de Buren à Rome. En France, le Louvre accueille Salviati puis Bassani, cependant que le Couvent des Cordeliers reçoit le nouveau design italien. En cette année 1998, la France est l'invitée d'honneur du salon du livre de Turin, le festival Intercity de Florence se consacre à la France, le festival Roma-Europa donne une large place aux chorégraphes français, le festival d'automne présente une impotante programmation théâtrale française à Rome, Florence et Bologne. Pour sa part, le festival Paris Quartier d'été est largement ouvert à l'Italie, la Cinémathèque française programme une rétrospective d'une ampleur inédite sur le cinéma italien, tandis que les rencontres du cinéma italien d'Annecy se promettent d'être, comme chaque année, un rendez-vous particulièrement attractif, comme l'est le festival France-cinéma de Florence.
Les échanges artistiques sont donc extrêmement développés, fruits de l'attraction réciproque qu'éprouvent nos deux pays. Echanges qui s'établissent le plus souvent sur la base d'initiatives directes dues à des professionnels attentifs et entreprenants.
Le tissu de cette attention réciproque se fait sans cesse plus resserré. Il convient d'encourager plus encore ces efforts en élargissant les cadres théoriques et les moyens pragmatiques de nouvelles coopérations dans le domaine culturel. Je le fais en parfaite complicité avec Walter Veltroni dont je salue l'engagement personnel total en faveur d'un rapprochement volontariste entre professionnels et pouvoirs publics culturels de nos deux pays. La tâche est immense et les soucis ne manqueront pas : aussi, si le dynamisme ne cesse de croître dans les échanges dans le domaine des Arts plastiques et du spectacle vivant grâce à une qualité sans cesse grandissante de l'offre, il convient de ne pas oublier qu'il s'agit là de l'évolution presque naturelle d'un travail d'échange et de reconnaissance mutuelle entamé il y a des dizaines d'années. Qu'il me soit permis de saluer au passage la mémoire de Giorgio Strehler, infatigable trait d'union entre Italie et France, du Piccolo Theatro à l'Odéon Théâtre de l'Europe... et retour.
Dans d'autres domaines la situation est plus préoccupante : ainsi le cinéma italien est devenu marginal en France et le cinéma français a perdu de son pouvoir d'attraction en Italie. Preuve en est que laissée à elle même ou à la loi du marché (ce qui est la même chose) aucune situation ne saurait être tenue pour acquise. C'est pourquoi nous avons pris, nous prendrons des mesures vigoureuses pour permettre aux professionnels concernés de mieux se connaître, de multiplier coproductions et diffusions croisées. En témoignent la création du bureau du cinéma franco-italien, les engagements de Canal + dans la production et la diffusion du cinéma italien ainsi que la signature par la RAI, qui est l'instigateur de ce colloque, d'un accord de coopération avec Arte d'une part, France Télévision d'autre part.
Dans le domaine des arts de la scène également, des initiatives ont dû être prises pour rapprocher les milieux professionnels concernés. L'Ente Teatrale Italiano (ETI) et l'Office National de Diffusion Artistique (ONDA) ont organisé, avec le soutien de nos deux ministères, des journées professionnelles à Spolète en avril dernier. Elles seront suivies en juin prochain d'une deuxième rencontre à Chambéry. Un accord-cadre de coopération dans le domaine du théâtre sera signé à l'occasion de ce colloque, afin notamment d'encourager la connaissance mutuelle des jeunes générations de metteurs en scène et d'auteurs dramatiques de chaque pays.
Dans les secteurs du patrimoine et des musées enfin, la coopération s'est également intensifiée au cours de ces derniers mois, grâce à la réunion régulière de comités mixtes qui ont prévu la mise en place de projets ambitieux, tels le symposium qui doit être organisé à Rome sur "l'architecture contemporaine et le patrimoine", le séminaire sur le patrimoine transfrontalier prévu à Turin, ou les grandes expositions sur Picasso à la Galerie d'art moderne de Rome et sur la fin du XIXe siècle italien au Musée d'Orsay.
Ces quelques remarques me paraissaient nécessaires pour montrer si besoin était que cette rencontre n'est ni artificielle, ni fortuite. Elle creuse le lit d'un fleuve qui nous entraîne vers plus de connaissance et de découvertes mutuelles, vers plus d'enrichissement donc. Et je vais m'efforcer dans les minutes qui suivent d'être fidèle à l'intitulé de ce colloque et de vous dire non pas ce qu'est la Culture française à l'horizon de l'an 2000 mais ce qu'elle voudrait et devrait être.
Il convient d'abord de repenser la dimension du temps pour dire qu'une culture est aussi une histoire ? Histoire ouverte aussi bien spatialement que temporellement, histoire faisant fi des tentations de repli sur son passé, qui aussi riche soit-il, s'épuise de n'être pas renouvelé. Mais à rebours on ne saurait imaginer, je ne sais quel geste ou posture esthétique iconoclaste consistant "à faire du passé table rase" pour construire un monde nouveau qui ne serait redevable de rien à ses pères.
La culture française à l'horizon de l'an 2000 voudrait être dans la posture de la maturité telle que la définissait voilà 2300 ans Aristote : entre la frilosité de la répétition propre au vieillard et le bouillonnement désordonné de l'adolescence. Non que l'une ou l'autre de ces positions ne soient sympathique ou estimable mais il s'agit avant tout d'asseoir l'assise et la légitimité de la culture comme dimension constitutive de la nature humaine. Contre les censeurs trop compressés, trop empressés souvent à l'écoute des sirènes anglo-saxonnes qui prétendent que le véritable art ne saurait être laissé qu'à lui même (ce qui signifie simultanément spontanéité et loi intégrale du marché) nous réaffirmons notre attachement à l'institution culturelle, creuset d'exigence voire d'excellence (c'est un mot que je ne renie pas et qui ne me fait pas peur) notre attachement aussi à une aide publique massive qui n'irait pas seulement à l'entretien et à la mise en valeur du patrimoine mais aussi aux autres formes d'art, du lyrique au cinéma en passant par le théâtre et la commande publique.
Aide publique donc, pour témoigner notre fidélité au passé mais aussi pour parler à l'avenir; pour stimuler la créativité, pour donner des possibilités nouvelles à tous ceux qui sont porteurs de formes en devenir. Il ne s'agit ni de recréer un art officiel dont la seule idée est ridicule en cette fin de siècle délicieusement voué à l'individualisme. Il ne s'agit pas plus de consacrer comme héros des temps modernes tel ou tel artiste. Simplement d'être en état de veille par rapport à tout ce qui est en gestation, par rapport à toutes ces forces souvent indistinctes dans leur finalité dont certaines prendront forme et rejoindront celles d'hier dans la grande galerie des accomplissements de l'esprit humain.
En mettant en valeur son patrimoine, en rénovant ses musées, en commémorant les grands événements de son histoire, la France ne tourne pas le dos à l'avenir. Elle prend au contraire en compte une forte demande sociale, un besoin général de retrouver des repères pour assumer le présent et aborder le futur dans un monde en évolution rapide.
L'accroissement considérable du nombre des visiteurs de nos musées montre qu'une demande répond à l'offre. Doit-on disqualifier cette demande, y voir le signe d'un passéisme coupable, d'une muséification de notre société ? C'est à mon sens un bien mauvais procès qui oublie de prendre en compte l'importance croissante du temps libre, que je préfère pour ma part qualifier de temps social, l'évolution générale de nos sociétés, et les progrès réalisés pour la mise en valeur et l'exploitation des collections publiques. Nous continuerons donc sans complexe nos efforts pour accroître la fréquentation de nos musées et la réappropriation de notre patrimoine.
Mais ces efforts sont menés en parallèle avec un intérêt tout aussi soutenu pour la création contemporaine sous toutes ses formes. L'attention portée aux secteurs du patrimoine et des musées est complétée par le souci constant de permettre aux créateurs de travailler dans les meilleures conditions, et au public de connaître, d'apprécier et de comprendre leur travail.
C'est ainsi qu'une politique ambitieuse a été entreprise en direction de la création contemporaine avec la généralisation des fonds régionaux d'art contemporain, les FRAC, et la multiplication des centres d'art avec un rétablissement à niveau convenable des crédits consacrés aux commandes publiques et aux acquisitions d'oeuvres d'art. L'attention portée au multimédia participe de ce souci tout comme la volonté d'abattre les frontières artificielles entre les formes d'art réputées hier encore indépendantes comme le théâtre, la danse voire le cirque. La fusion entre architecture et patrimoine, celle entre musique, théâtre et danse est une traduction administrative forte de cette volonté. Déjà, elle commence à porter ses fruits...
Cette affirmation ne saurait à elle seule tenir lieu de politique culturelle mais il m'apparaissait important de souligner d'entrée l'importance que nous attachons à la création contemporaine sous toutes ses formes et à la circulation que nous entendons encourager entre les différentes topiques artistiques. Il y a une "carte du tendre" de la culture, une géographie urbaine et parfois rurale que l'on parcourt... Contre la répétition isotopique de formes culturelles de première nécessité qui reviendrait à faire dans chaque quartier les mêmes équipements à minima, nous préconisons une intelligence d'implantation des équipements, nous souhaitons que l'on raisonne en termes de bassins de vie culturelle. Les opéras par exemple doivent être des structures intercommunales et régionales, et il faut concevoir les équipements lourds en termes de complémentarité et non de concurrence. Le déplacement des personnes est une des données fondamentales de ce troisième millénaire qui s'ouvre, il doit servir la culture. A nous donc, de faire comprendre aux gens que leur mobilité dans l'espace, le fait qu'ils aillent à la rencontre des formes culturelles est déjà en soi une forme culturelle.
Mais ces migrations restreintes que j'appelle de mes voeux ne sauraient être seulement celles d'une élite. C'est pourquoi mon effort constant va vers un élargissement des publics, indispensable aussi bien comme expression d'égalité sociale que comme avènement d'une société de loisirs ou si vous préférez d'un temps social élargi. Là encore, la nécessité d'une présence de l'Etat s'avère déterminante : non pour surprotéger les milieux culturels mais pour offrir aux créateurs et aux spectateurs l'occasion d'une rencontre. La culture n'est pas le médecin de l'âme ou le guérisseur des pathologies du champ social, mais elle n'a sens que de créer le lien social ou comme on l'a dit parfois d'un très beau mot aujourd'hui hélas galvaudé, de la convivialité. C'est pourquoi il convient de démocratiser l'accès à la culture et de promouvoir le pluralisme culturel.
Ces deux buts proclamés expliquent à eux seuls la haine que suscite notre action auprès de l'extrême droite qui jette l'anathème sur des artistes nommément désignés et stigmatise sans relâche la prétendue escroquerie de toute contemporanéité. A quelle source s'alimente une haine aussi forte si ce n'est au fait que la culture cosmopolite et désintéressée arrache l'homme à des peurs et à ses pulsions les plus instinctives, celles même que prétend entretenir l'extrême droite, parce qu'elle en vit. En ceci, le combat pour la culture est un combat politique de part en part. Art engagé, ou art bourgeois, l'art comme appel à une transcendance même vide, dérange. Il est ce mouvement qui déplace les formes et c'est pourquoi nous nous reconnaissons en lui.
Je ne prétendrai pas avoir fait là une découverte révolutionnaire : la démocratisation de la culture est une ambition ancienne du ministère de la culture. Elle figure parmi ses principes fondateurs ; elle s'est notamment traduite par une politique de l'offre, qui s'est concrétisée par la construction d'équipements culturels sur l'ensemble du territoire national, grâce aux efforts conjugués de l'Etat et des collectivités territoriales auxquelles la décentralisation a donné, dans le domaine de l'action culturelle, un dynamisme remarquable. C'est toute la carte culturelle du pays qui s'est trouvée ainsi densifiée au cours des dernières décennies et je m'en réjouis. Mais cette politique d'aménagement, particulièrement féconde en matière de lecture publique, a aussi montré ses limites. La fréquentation des équipements culturels reste marquée par de profondes disparités, à la fois sociales et géographiques.
Démocratiser l'accès à la culture demande un effort de médiation important. Il faut informer, former, éduquer. L'éducation artistique me paraît être le passage obligé d'une politique ouverte, soucieuse de réduire les inégalités, attachée à promouvoir ce qui ne saurait rester au stade de la simple proclamation, voire du slogan : la culture n'est pas un privilège, c'est un droit. Or un droit, on le sait, ne vaut que s'il est partagé par tous.
Beaucoup reste à faire en France en ce domaine. Il s'agit là, j'en ai pleine conscience, d'un chantier à long terme, d'un chantier difficile, parce qu'il faut convaincre, mais il me paraît enthousiasmant de fixer pour objectif de reculer la ligne d'horizon, de fracturer des murs invisibles mais pesants.
Je souhaite également que les structures de diffusion de l'art et de la culture soient mobilisées pour combattre l'exclusion. J'ai voulu que le droit à la culture, qui figure dans la Constitution, soit inscrit parmi les droits fondamentaux dans la loi contre les exclusions. Des programmes d'actions durables et efficaces seront mis en place, sur la base d'analyses précises des situations locales, des populations concernées et des offres culturelles disponibles et à développer.
Les pratiques en amateur constituant l'un des modes privilégiés d'appropriation de l'art, elles devront être davantage soutenues et enfin réellement prises en compte.
Afin qu'elles participent pleinement à cet effort de démocratisation de l'accès à la culture, j'ai demandé aux théâtres et centres chorégraphiques subventionnés par le ministère de la culture d'appliquer, un jour par semaine, un tarif accessible à tous.
J'ai également souhaité définir une charte des missions du service public pour préciser clairement la répartition des responsabilités et fixer les obligations de chacun. Cette charte sera un texte de référence, d'où découleront les contrats que le ministère passera avec les institutions du spectacle vivant.
La démocratisation de l'accès à la culture présente de très nombreuses implications si l'on souhaite réellement la mener à bien. Elle va de pair avec la déconcentration de l'action de l'Etat, et le développement de la décentralisation, dans le cadre de règles et de principe clairement définis. Il s'agit bien d'un enjeu majeur en cette veille de troisième millénaire.
La préservation et la promotion du pluralisme culturel en est un autre. Nos sociétés ne sauraient accepter passivement les effets pervers de la mondialisation et la perspective d'une uniformisation culturelle. La diversité des identités culturelles doit être impérativement protégée, non comme refuge mais comme tremplin, les nouvelles techniques doivent nous y aider au lieu de nous en empêcher.
Il ne s'agit en aucun cas d'un combat d'arrière-garde, d'une crispation protectionniste, d'une fermeture sur le monde ou sur les réalités contemporaines. Les caricatures de la position française qu'on peut lire dans une certaine presse anglo-saxonne, où l'archaïsme et l'immobilisme français sont opposés à l'innovation et à la mondialisation, relèvent d'une fable idéologique dont l'arrogance est vaine.
L'Europe, et la France en particulier, sont sans doute les régions les plus ouvertes du monde. Les investissements étrangers y sont largement accueillis, les artistes étrangers y sont les bienvenus. Mon ministère consacre d'importants moyens à la promotion des cultures étrangères en France, et nous savons combien l'ouverture aux autres nous enrichit mutuellement. La mondialisation en cours nécessite de multiples évolutions.
Mais notre monde de demain doit rester riche et pluriel. Les différentes cultures du monde forment un patrimoine de l'humanité que sa diversité rend particulièrement précieux. Ce combat en faveur du pluralisme culturel est ouvert et généreux, il n'a aucun rapport avec les crispations identitaires fondées sur l'ignorance et l'hostilité aux autres.
La préservation du pluralisme culturel passe, vous le savez, par la nécessité d'une exception culturelle dans les négociations commerciales internationales, afin que la culture ne soit pas traitée comme une marchandise comme les autres. Cette exception culturelle, qui doit être globale, s'impose aussi bien dans le cadre de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement en cours de discussion à l'OCDE, que dans celui des futures négociations à l'Organisation Mondiale de Commerce, ainsi que dans le cadre de l'hypothétique Nouveau Marché Transatlantique que la Commission européenne a crue, malencontreusement, opportun d'engager.
Un véritable consensus existe dans mon pays sur ces questions; ce consensus ne s'accompagne d'aucune résignation : ce combat n'est nullement perdu d'avance. Je note en effet chez mes partenaires une prise de conscience croissante des enjeux concernés.
Que ce soit à Manchester il y a un mois devant mes collègues de l'Union européenne, à Stockholm il y a deux semaines dans le cadre d'une conférence mondiale organisée par l'Unesco, ou à Birmingham la semaine dernière en présence de nombreux professionnels réunis pour les assises européennes de l'audiovisuel, je ne manque pas une occasion de rappeler l'importance de cette question et la détermination française qui s'y attache, et je sens que je ne prêche pas dans le désert. Le résultat des assises de Birmingham est à cet égard très encourageant. Je sais que mon collègue Walter Veltroni partage entièrement ma position sur ce point.
Ce tableau des orages annoncés et des arcs-en-ciel désirés nous a peut-être amené trop loin du Pausilippe et de la mer d'Italie. Tout notre travail prend sens dès lors que nous prenons conscience avec modestie de ce que nous sommes comptables de toutes les merveilles du monde que nous avons reçues en héritage de l'Avignon des Papes schismatiques à la Florence des Pizzi. Qu'attendons-nous de cet effort si ce n'est le bonheur répété à chaque génération, de la découverte d'une culture passée ou présente. Devant les tableaux de Botticelli, Stendhal est pris d'une défaillance comme si la surhumanité qui tout à coup entre en lui était trop grande pour lui. Et nous appelons "syndrome de Stendhal" cette émotion qui serait trop petite pour la beauté si elle n 'était trop grande pour l'homme. C'est elle encore que retrouve un Pascal Quignard lorsque plus de cent ans après Stendhal, étreint par la beauté des fresques de Pompei, il fait l'éloge de la sidération du regard des personnages, qui ne sont autres que nous-mêmes. C'est ce moment, cet instant tout à la fois imperceptible et éternel qui existait pour l'homme des cavernes lorsqu'il contemplait Lascaux aussi bien que pour notre contemporain qui voit "l'Incompris" de Comencini, qui donne prix à nos efforts, nos échecs et nos succès. Et c'est assez pour notre temps d'être les vigiles attentifs d'un art dans tous ses états.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'était il y a cent ans... Un siècle de fer se terminait dans le bonheur bourgeois des fastes de la Belle Epoque. On y rêvait de "voyage en Italie" et cet appel séduisait tout ce que l'Europe comptait alors de beaux esprits. Aux campagnes militaires de jadis qui entraînaient nos plus grands artistes en Italie pour ramener en France ce raffinement de goût qui n'appartenait qu'à elle, succédèrent nos ambassadeurs. Diplomatie et bel esprit étaient alors confondus : Jean-Jacques Rousseau était secrétaire d'ambassade à Venise, Stendhal consul à Civita Vecchia et Chateaubriand ambassadeur à Rome. Tant d'autres encore... A tel point qu'un de nos éditeurs a eu l'heureuse idée de faire paraître une sélection ô combien volumineuse de ces "voyages en Italie" sans le ravissement desquels un honnête homme ne saurait être tout à fait honnête.
Les relations qui nous sont faites de l'Italie témoignent toutes du bonheur ineffable, d'une hospitalité parfaite, du ravissement sans cesse répété devant ces églises, ces places,... Que n'ai-je leur talent pour vous dire en humble amoureuse de l'Italie combien on se sent ici transporté. La plus petite ville a un parfum d'éternité et les ruines parlent à l'âme avant de s'adresser à la mémoire.
Ainsi donc ce sentiment particulier ne s'est pas estompé, quand bien même le temps de transport et donc d'attente et de rêve n'est plus le même. Le Paris-Rome en diligence de Jean-Jacques Rousseau, le Rome-Paris du Bernin n'est pas celui d'Air France ou d'Alitalia. Nous n'avons gagné du temps que pour mieux le perdre et la vitesse dont nous avons un temps tiré tant de fierté n'est que la douloureuse peau de chagrin de notre aptitude à dire le beau. Mais l'attrait qu'exerce l'Italie, ses tableaux, sa culture sur les Français est intacte, comme insensible à ces changements techniques qui ne sauraient porter atteinte à l'essence même du beau. C'est elle qui nous réunit ensemble pour chercher comment l'éternité peut se donner une histoire...
Cette fascination qu'exerce l'Italie sur les Français nous la savons jumelle de celle qu'exerce la France sur l'Italie. Aussi cette réplique romaine du colloque parisien initié il y a quelques 18 mois n'est que la traduction d'une gémellité très profonde. Qui parle aussi bien français que les intellectuels italiens ? Dans quel pays l'uvre de Lacan ou de Foucault a-t-elle eu un retentissement aussi fort qu'ici en cette heure ? En cette veille de 3ème millénaire toute manifestation culturelle fait l'objet de la curiosité immédiate du voisin. On parle tant et tant d'Europe à faire. En matière culturelle, entre nos deux pays les choses sont déjà plus que largement engagées et le sommet est peut-être en retard sur la base. Les exemples sont légion :
Si l'on s'en tient au seul semestre en cours, des expositions présentent les oeuvres de Picasso à Venise, de Pissaro à Ferrare, de Cézanne à Livourne, mais aussi de César à Milan et de Buren à Rome. En France, le Louvre accueille Salviati puis Bassani, cependant que le Couvent des Cordeliers reçoit le nouveau design italien. En cette année 1998, la France est l'invitée d'honneur du salon du livre de Turin, le festival Intercity de Florence se consacre à la France, le festival Roma-Europa donne une large place aux chorégraphes français, le festival d'automne présente une impotante programmation théâtrale française à Rome, Florence et Bologne. Pour sa part, le festival Paris Quartier d'été est largement ouvert à l'Italie, la Cinémathèque française programme une rétrospective d'une ampleur inédite sur le cinéma italien, tandis que les rencontres du cinéma italien d'Annecy se promettent d'être, comme chaque année, un rendez-vous particulièrement attractif, comme l'est le festival France-cinéma de Florence.
Les échanges artistiques sont donc extrêmement développés, fruits de l'attraction réciproque qu'éprouvent nos deux pays. Echanges qui s'établissent le plus souvent sur la base d'initiatives directes dues à des professionnels attentifs et entreprenants.
Le tissu de cette attention réciproque se fait sans cesse plus resserré. Il convient d'encourager plus encore ces efforts en élargissant les cadres théoriques et les moyens pragmatiques de nouvelles coopérations dans le domaine culturel. Je le fais en parfaite complicité avec Walter Veltroni dont je salue l'engagement personnel total en faveur d'un rapprochement volontariste entre professionnels et pouvoirs publics culturels de nos deux pays. La tâche est immense et les soucis ne manqueront pas : aussi, si le dynamisme ne cesse de croître dans les échanges dans le domaine des Arts plastiques et du spectacle vivant grâce à une qualité sans cesse grandissante de l'offre, il convient de ne pas oublier qu'il s'agit là de l'évolution presque naturelle d'un travail d'échange et de reconnaissance mutuelle entamé il y a des dizaines d'années. Qu'il me soit permis de saluer au passage la mémoire de Giorgio Strehler, infatigable trait d'union entre Italie et France, du Piccolo Theatro à l'Odéon Théâtre de l'Europe... et retour.
Dans d'autres domaines la situation est plus préoccupante : ainsi le cinéma italien est devenu marginal en France et le cinéma français a perdu de son pouvoir d'attraction en Italie. Preuve en est que laissée à elle même ou à la loi du marché (ce qui est la même chose) aucune situation ne saurait être tenue pour acquise. C'est pourquoi nous avons pris, nous prendrons des mesures vigoureuses pour permettre aux professionnels concernés de mieux se connaître, de multiplier coproductions et diffusions croisées. En témoignent la création du bureau du cinéma franco-italien, les engagements de Canal + dans la production et la diffusion du cinéma italien ainsi que la signature par la RAI, qui est l'instigateur de ce colloque, d'un accord de coopération avec Arte d'une part, France Télévision d'autre part.
Dans le domaine des arts de la scène également, des initiatives ont dû être prises pour rapprocher les milieux professionnels concernés. L'Ente Teatrale Italiano (ETI) et l'Office National de Diffusion Artistique (ONDA) ont organisé, avec le soutien de nos deux ministères, des journées professionnelles à Spolète en avril dernier. Elles seront suivies en juin prochain d'une deuxième rencontre à Chambéry. Un accord-cadre de coopération dans le domaine du théâtre sera signé à l'occasion de ce colloque, afin notamment d'encourager la connaissance mutuelle des jeunes générations de metteurs en scène et d'auteurs dramatiques de chaque pays.
Dans les secteurs du patrimoine et des musées enfin, la coopération s'est également intensifiée au cours de ces derniers mois, grâce à la réunion régulière de comités mixtes qui ont prévu la mise en place de projets ambitieux, tels le symposium qui doit être organisé à Rome sur "l'architecture contemporaine et le patrimoine", le séminaire sur le patrimoine transfrontalier prévu à Turin, ou les grandes expositions sur Picasso à la Galerie d'art moderne de Rome et sur la fin du XIXe siècle italien au Musée d'Orsay.
Ces quelques remarques me paraissaient nécessaires pour montrer si besoin était que cette rencontre n'est ni artificielle, ni fortuite. Elle creuse le lit d'un fleuve qui nous entraîne vers plus de connaissance et de découvertes mutuelles, vers plus d'enrichissement donc. Et je vais m'efforcer dans les minutes qui suivent d'être fidèle à l'intitulé de ce colloque et de vous dire non pas ce qu'est la Culture française à l'horizon de l'an 2000 mais ce qu'elle voudrait et devrait être.
Il convient d'abord de repenser la dimension du temps pour dire qu'une culture est aussi une histoire ? Histoire ouverte aussi bien spatialement que temporellement, histoire faisant fi des tentations de repli sur son passé, qui aussi riche soit-il, s'épuise de n'être pas renouvelé. Mais à rebours on ne saurait imaginer, je ne sais quel geste ou posture esthétique iconoclaste consistant "à faire du passé table rase" pour construire un monde nouveau qui ne serait redevable de rien à ses pères.
La culture française à l'horizon de l'an 2000 voudrait être dans la posture de la maturité telle que la définissait voilà 2300 ans Aristote : entre la frilosité de la répétition propre au vieillard et le bouillonnement désordonné de l'adolescence. Non que l'une ou l'autre de ces positions ne soient sympathique ou estimable mais il s'agit avant tout d'asseoir l'assise et la légitimité de la culture comme dimension constitutive de la nature humaine. Contre les censeurs trop compressés, trop empressés souvent à l'écoute des sirènes anglo-saxonnes qui prétendent que le véritable art ne saurait être laissé qu'à lui même (ce qui signifie simultanément spontanéité et loi intégrale du marché) nous réaffirmons notre attachement à l'institution culturelle, creuset d'exigence voire d'excellence (c'est un mot que je ne renie pas et qui ne me fait pas peur) notre attachement aussi à une aide publique massive qui n'irait pas seulement à l'entretien et à la mise en valeur du patrimoine mais aussi aux autres formes d'art, du lyrique au cinéma en passant par le théâtre et la commande publique.
Aide publique donc, pour témoigner notre fidélité au passé mais aussi pour parler à l'avenir; pour stimuler la créativité, pour donner des possibilités nouvelles à tous ceux qui sont porteurs de formes en devenir. Il ne s'agit ni de recréer un art officiel dont la seule idée est ridicule en cette fin de siècle délicieusement voué à l'individualisme. Il ne s'agit pas plus de consacrer comme héros des temps modernes tel ou tel artiste. Simplement d'être en état de veille par rapport à tout ce qui est en gestation, par rapport à toutes ces forces souvent indistinctes dans leur finalité dont certaines prendront forme et rejoindront celles d'hier dans la grande galerie des accomplissements de l'esprit humain.
En mettant en valeur son patrimoine, en rénovant ses musées, en commémorant les grands événements de son histoire, la France ne tourne pas le dos à l'avenir. Elle prend au contraire en compte une forte demande sociale, un besoin général de retrouver des repères pour assumer le présent et aborder le futur dans un monde en évolution rapide.
L'accroissement considérable du nombre des visiteurs de nos musées montre qu'une demande répond à l'offre. Doit-on disqualifier cette demande, y voir le signe d'un passéisme coupable, d'une muséification de notre société ? C'est à mon sens un bien mauvais procès qui oublie de prendre en compte l'importance croissante du temps libre, que je préfère pour ma part qualifier de temps social, l'évolution générale de nos sociétés, et les progrès réalisés pour la mise en valeur et l'exploitation des collections publiques. Nous continuerons donc sans complexe nos efforts pour accroître la fréquentation de nos musées et la réappropriation de notre patrimoine.
Mais ces efforts sont menés en parallèle avec un intérêt tout aussi soutenu pour la création contemporaine sous toutes ses formes. L'attention portée aux secteurs du patrimoine et des musées est complétée par le souci constant de permettre aux créateurs de travailler dans les meilleures conditions, et au public de connaître, d'apprécier et de comprendre leur travail.
C'est ainsi qu'une politique ambitieuse a été entreprise en direction de la création contemporaine avec la généralisation des fonds régionaux d'art contemporain, les FRAC, et la multiplication des centres d'art avec un rétablissement à niveau convenable des crédits consacrés aux commandes publiques et aux acquisitions d'oeuvres d'art. L'attention portée au multimédia participe de ce souci tout comme la volonté d'abattre les frontières artificielles entre les formes d'art réputées hier encore indépendantes comme le théâtre, la danse voire le cirque. La fusion entre architecture et patrimoine, celle entre musique, théâtre et danse est une traduction administrative forte de cette volonté. Déjà, elle commence à porter ses fruits...
Cette affirmation ne saurait à elle seule tenir lieu de politique culturelle mais il m'apparaissait important de souligner d'entrée l'importance que nous attachons à la création contemporaine sous toutes ses formes et à la circulation que nous entendons encourager entre les différentes topiques artistiques. Il y a une "carte du tendre" de la culture, une géographie urbaine et parfois rurale que l'on parcourt... Contre la répétition isotopique de formes culturelles de première nécessité qui reviendrait à faire dans chaque quartier les mêmes équipements à minima, nous préconisons une intelligence d'implantation des équipements, nous souhaitons que l'on raisonne en termes de bassins de vie culturelle. Les opéras par exemple doivent être des structures intercommunales et régionales, et il faut concevoir les équipements lourds en termes de complémentarité et non de concurrence. Le déplacement des personnes est une des données fondamentales de ce troisième millénaire qui s'ouvre, il doit servir la culture. A nous donc, de faire comprendre aux gens que leur mobilité dans l'espace, le fait qu'ils aillent à la rencontre des formes culturelles est déjà en soi une forme culturelle.
Mais ces migrations restreintes que j'appelle de mes voeux ne sauraient être seulement celles d'une élite. C'est pourquoi mon effort constant va vers un élargissement des publics, indispensable aussi bien comme expression d'égalité sociale que comme avènement d'une société de loisirs ou si vous préférez d'un temps social élargi. Là encore, la nécessité d'une présence de l'Etat s'avère déterminante : non pour surprotéger les milieux culturels mais pour offrir aux créateurs et aux spectateurs l'occasion d'une rencontre. La culture n'est pas le médecin de l'âme ou le guérisseur des pathologies du champ social, mais elle n'a sens que de créer le lien social ou comme on l'a dit parfois d'un très beau mot aujourd'hui hélas galvaudé, de la convivialité. C'est pourquoi il convient de démocratiser l'accès à la culture et de promouvoir le pluralisme culturel.
Ces deux buts proclamés expliquent à eux seuls la haine que suscite notre action auprès de l'extrême droite qui jette l'anathème sur des artistes nommément désignés et stigmatise sans relâche la prétendue escroquerie de toute contemporanéité. A quelle source s'alimente une haine aussi forte si ce n'est au fait que la culture cosmopolite et désintéressée arrache l'homme à des peurs et à ses pulsions les plus instinctives, celles même que prétend entretenir l'extrême droite, parce qu'elle en vit. En ceci, le combat pour la culture est un combat politique de part en part. Art engagé, ou art bourgeois, l'art comme appel à une transcendance même vide, dérange. Il est ce mouvement qui déplace les formes et c'est pourquoi nous nous reconnaissons en lui.
Je ne prétendrai pas avoir fait là une découverte révolutionnaire : la démocratisation de la culture est une ambition ancienne du ministère de la culture. Elle figure parmi ses principes fondateurs ; elle s'est notamment traduite par une politique de l'offre, qui s'est concrétisée par la construction d'équipements culturels sur l'ensemble du territoire national, grâce aux efforts conjugués de l'Etat et des collectivités territoriales auxquelles la décentralisation a donné, dans le domaine de l'action culturelle, un dynamisme remarquable. C'est toute la carte culturelle du pays qui s'est trouvée ainsi densifiée au cours des dernières décennies et je m'en réjouis. Mais cette politique d'aménagement, particulièrement féconde en matière de lecture publique, a aussi montré ses limites. La fréquentation des équipements culturels reste marquée par de profondes disparités, à la fois sociales et géographiques.
Démocratiser l'accès à la culture demande un effort de médiation important. Il faut informer, former, éduquer. L'éducation artistique me paraît être le passage obligé d'une politique ouverte, soucieuse de réduire les inégalités, attachée à promouvoir ce qui ne saurait rester au stade de la simple proclamation, voire du slogan : la culture n'est pas un privilège, c'est un droit. Or un droit, on le sait, ne vaut que s'il est partagé par tous.
Beaucoup reste à faire en France en ce domaine. Il s'agit là, j'en ai pleine conscience, d'un chantier à long terme, d'un chantier difficile, parce qu'il faut convaincre, mais il me paraît enthousiasmant de fixer pour objectif de reculer la ligne d'horizon, de fracturer des murs invisibles mais pesants.
Je souhaite également que les structures de diffusion de l'art et de la culture soient mobilisées pour combattre l'exclusion. J'ai voulu que le droit à la culture, qui figure dans la Constitution, soit inscrit parmi les droits fondamentaux dans la loi contre les exclusions. Des programmes d'actions durables et efficaces seront mis en place, sur la base d'analyses précises des situations locales, des populations concernées et des offres culturelles disponibles et à développer.
Les pratiques en amateur constituant l'un des modes privilégiés d'appropriation de l'art, elles devront être davantage soutenues et enfin réellement prises en compte.
Afin qu'elles participent pleinement à cet effort de démocratisation de l'accès à la culture, j'ai demandé aux théâtres et centres chorégraphiques subventionnés par le ministère de la culture d'appliquer, un jour par semaine, un tarif accessible à tous.
J'ai également souhaité définir une charte des missions du service public pour préciser clairement la répartition des responsabilités et fixer les obligations de chacun. Cette charte sera un texte de référence, d'où découleront les contrats que le ministère passera avec les institutions du spectacle vivant.
La démocratisation de l'accès à la culture présente de très nombreuses implications si l'on souhaite réellement la mener à bien. Elle va de pair avec la déconcentration de l'action de l'Etat, et le développement de la décentralisation, dans le cadre de règles et de principe clairement définis. Il s'agit bien d'un enjeu majeur en cette veille de troisième millénaire.
La préservation et la promotion du pluralisme culturel en est un autre. Nos sociétés ne sauraient accepter passivement les effets pervers de la mondialisation et la perspective d'une uniformisation culturelle. La diversité des identités culturelles doit être impérativement protégée, non comme refuge mais comme tremplin, les nouvelles techniques doivent nous y aider au lieu de nous en empêcher.
Il ne s'agit en aucun cas d'un combat d'arrière-garde, d'une crispation protectionniste, d'une fermeture sur le monde ou sur les réalités contemporaines. Les caricatures de la position française qu'on peut lire dans une certaine presse anglo-saxonne, où l'archaïsme et l'immobilisme français sont opposés à l'innovation et à la mondialisation, relèvent d'une fable idéologique dont l'arrogance est vaine.
L'Europe, et la France en particulier, sont sans doute les régions les plus ouvertes du monde. Les investissements étrangers y sont largement accueillis, les artistes étrangers y sont les bienvenus. Mon ministère consacre d'importants moyens à la promotion des cultures étrangères en France, et nous savons combien l'ouverture aux autres nous enrichit mutuellement. La mondialisation en cours nécessite de multiples évolutions.
Mais notre monde de demain doit rester riche et pluriel. Les différentes cultures du monde forment un patrimoine de l'humanité que sa diversité rend particulièrement précieux. Ce combat en faveur du pluralisme culturel est ouvert et généreux, il n'a aucun rapport avec les crispations identitaires fondées sur l'ignorance et l'hostilité aux autres.
La préservation du pluralisme culturel passe, vous le savez, par la nécessité d'une exception culturelle dans les négociations commerciales internationales, afin que la culture ne soit pas traitée comme une marchandise comme les autres. Cette exception culturelle, qui doit être globale, s'impose aussi bien dans le cadre de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement en cours de discussion à l'OCDE, que dans celui des futures négociations à l'Organisation Mondiale de Commerce, ainsi que dans le cadre de l'hypothétique Nouveau Marché Transatlantique que la Commission européenne a crue, malencontreusement, opportun d'engager.
Un véritable consensus existe dans mon pays sur ces questions; ce consensus ne s'accompagne d'aucune résignation : ce combat n'est nullement perdu d'avance. Je note en effet chez mes partenaires une prise de conscience croissante des enjeux concernés.
Que ce soit à Manchester il y a un mois devant mes collègues de l'Union européenne, à Stockholm il y a deux semaines dans le cadre d'une conférence mondiale organisée par l'Unesco, ou à Birmingham la semaine dernière en présence de nombreux professionnels réunis pour les assises européennes de l'audiovisuel, je ne manque pas une occasion de rappeler l'importance de cette question et la détermination française qui s'y attache, et je sens que je ne prêche pas dans le désert. Le résultat des assises de Birmingham est à cet égard très encourageant. Je sais que mon collègue Walter Veltroni partage entièrement ma position sur ce point.
Ce tableau des orages annoncés et des arcs-en-ciel désirés nous a peut-être amené trop loin du Pausilippe et de la mer d'Italie. Tout notre travail prend sens dès lors que nous prenons conscience avec modestie de ce que nous sommes comptables de toutes les merveilles du monde que nous avons reçues en héritage de l'Avignon des Papes schismatiques à la Florence des Pizzi. Qu'attendons-nous de cet effort si ce n'est le bonheur répété à chaque génération, de la découverte d'une culture passée ou présente. Devant les tableaux de Botticelli, Stendhal est pris d'une défaillance comme si la surhumanité qui tout à coup entre en lui était trop grande pour lui. Et nous appelons "syndrome de Stendhal" cette émotion qui serait trop petite pour la beauté si elle n 'était trop grande pour l'homme. C'est elle encore que retrouve un Pascal Quignard lorsque plus de cent ans après Stendhal, étreint par la beauté des fresques de Pompei, il fait l'éloge de la sidération du regard des personnages, qui ne sont autres que nous-mêmes. C'est ce moment, cet instant tout à la fois imperceptible et éternel qui existait pour l'homme des cavernes lorsqu'il contemplait Lascaux aussi bien que pour notre contemporain qui voit "l'Incompris" de Comencini, qui donne prix à nos efforts, nos échecs et nos succès. Et c'est assez pour notre temps d'être les vigiles attentifs d'un art dans tous ses états.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2001)