Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à France 2 le 30 avril 2003, sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France.

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Circonstance : Présentation en conseil des ministres du projet de loi loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, à Paris le 30 avril 2003

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard.- C'est aujourd'hui que N. Sarkozy présente son projet de loi sur l'immigration clandestine. C'est un projet important pour le gouvernement, qui fait de cette priorité de la lutte contre l'immigration clandestine un des points de son action. Vous êtes plutôt contre. Cela risque d'être mal compris, quand on sait que les Français, eux, sont plutôt pour ?
- "Oui, mais c'est une technique qui est propre au gouvernement sur plusieurs sujets délicats : c'est ce qu'on appelle la "technique de l'emballage". D'un côté, on vous dit qu'on va améliorer la condition de ceux qui sont aujourd'hui victimes de la double peine, ce qui est un progrès et ce que n'a pas fait la gauche, il faut le reconnaître au ministre de l'Intérieur ; et de l'autre, non seulement on réduit la possibilité de l'immigration dans notre pays, mais on fragilise la condition de ceux qui sont sur notre sol. On les transforme en quelque sorte en des personnes qui sont en permanence soupçonnables. Quand on regarde de près..."
Ce n'est pas ce que dit le gouvernement...
- "Oui, ce n'est peut-être pas ce qu'il dit, mais quand on regarde de près..."
Lui, ce qu'il dit, c'est que ceux qui sont en situation régulière n'ont rien à craindre et que c'est simplement ceux qui sont des clandestins qui seront gênés.
- "On est dans un monde particulièrement inégal. Je vous donne un chiffre : une vache européenne gagne en subventions 2,5 dollars par jour et 75% du continent africain vit avec moins de 2 dollars par jour. Donc, tant qu'il y aura des inégalités aussi criantes entre les pays riches et les pays pauvres, il ne faudra pas s'étonner que les migrations se poursuivent et que l'on cherche des latitudes plus clémentes et des endroits où l'on peut vivre décemment. Donc, le problème est de canaliser cette immigration, mais dans des conditions qui ne transforment pas l'étranger en une sorte d'indésirable. Et cette question de l'étranger vécu comme quelqu'un d'indésirable, c'est assez propre à la culture de la droite. En voulant nous faire croire qu'il est en train de changer l'état d'esprit de la droite, le ministre de l'Intérieur ne fait que confirmer ce qui est dans leurs traditions. Par exemple, quand vous regardez bien le texte - et puis on va l'étudier au mois de juin au Parlement et on sera vigilant et on posera des amendements -, vous vous apercevez que M. Sarkozy a réintroduit des dispositions qui avaient été celles de MM. Pasqua et Debré, contre lesquelles nous avions protesté. Comme par exemple, la possibilité pour un maire de dire "celui-là je n'en veux pas, il ne pourra pas aller chez un de ses amis qui demande un certificat d'hébergement" ; un maire pourra dire et décider que tel mariage est un mariage blanc, on pourra même accuser certains étrangers de vouloir des paternités de complaisance. Je trouve que c'est absolument scandaleux, de la même manière qu'est scandaleuse cette idée qui consiste à dire que lorsque vous avez une carte de séjour, il faudra faire apporter des preuves absolument irréfutables, ce qui est très difficile, pour obtenir une carte de séjour, une carte de résident. Je trouve qu'on est en train de fragiliser la condition de ceux qui vivent dans notre pays et on est en train d'essayer de procéder à l'amalgame entre le droit d'asile et l'immigration, ce qui n'est pas tout à fait la même chose."
Cela dit, il faut quand même faire quelque chose contre l'immigration clandestine, puisqu'on sait que c'est un des facteurs de la montée de l'extrême-droite. D'ailleurs le gouvernement dit, en luttant contre l'immigration clandestine, finalement on lutte contre le Front national.
- "Le Gouvernement ne lutte pas contre le Front national, puisque toutes les enquêtes que vous avez pu lire [...] prouvent que le Front national, loin d'être anéanti, loin d'être affaibli, est toujours pareil. Vous avez des gens qui maintenant osent vous dire, en citant leur nom, leur âge et leur profession, qu'ils ont voté Le Pen le 21 avril et qu'ils recommenceront. Donc la politique qu'est en train de mener M. Sarkozy sur la question de l'immigration, c'est une politique qui essaie d'entrer dans les chaussons de M. Le Pen, mais comme le dit M. Le Pen avec le cynisme qu'on lui connaît, les Français préfèrent toujours l'original à la copie."
Mais vous ne pensez pas quand même que l'immigration clandestine mal contrôlée, c'est une des sources de la montée de l'extrême droite ?
- "Mais il n'y a pas une immigration clandestine plus importante aujourd'hui qu'hier. Toutes les enquêtes le montrent : l'immigration n'a pas augmenté de manière significative, elle est à peu près la même depuis 1973. Donc le problème est de dire qu'un pays comme le nôtre, qui est un pays démocratique, a le droit de fixer les règles pour l'accueil des étrangers. Mais que l'on ne transforme pas chaque étranger en quelqu'un de soupçonnable, en quelqu'un qui veut tricher, en quelqu'un qui veut s'opposer à ses expulsions, en quelqu'un qui veut ramener toute sa famille. Il faut que l'on pose des conditions qui soient des conditions qui correspondent à un minimum de respect des droits de l'homme. D'ailleurs, il y a une commission dans ce pays qui n'est déjà pas d'accord avec les propositions de M. Sarkozy, c'est la Commission nationale consultative des droits de l'homme."
Alors, à l'inverse, même à gauche il y en a qui trouvent que finalement, dans les propositions de N. Sarkozy, il y en a qui ne sont pas mauvaises.
- "Mais l'idée n'est pas de dire que parce qu'on est dans l'opposition, on va tout rejeter, sauf que la gauche au moment où elle aurait pu prendre un certain nombre de dispositions qui visaient à calmer le jeu, en tout cas à pacifier la question de l'immigration, ne l'a pas fait. Je vous donne un exemple. Vous avez aujourd'hui dans notre pays des hommes et des femmes qui sont là installés depuis 50 ans, qu'on est allé chercher pour être une force de travail. Nous allons d'ailleurs avoir des problèmes, puisque vous savez qu'on est posé au problème des retraites à cause des questions de générations. M. Juppé avait écrit un grand papier dans Le Monde pour dire qu'il fallait favoriser l'immigration. M. Sarkozy est en train de faire l'exact contraire."
L'immigration légale, il l'avait précisé...
- "Mais toutes les immigrations sont des immigrations, elles peuvent prendre des formes clandestines quand c'est difficile, elles peuvent prendre des formes régulières. Une immigration peut être d'abord clandestine et devenir régulière, donc l'idée est de faire en sorte que l'on crée les dispositions pour que cette immigration qui peut être clandestine au départ devienne régulière le plus rapidement possible, et non pas condamner les gens à une clandestinité longue."
Un mot sur les retraites. Demain, c'est le 1er mai. Les manifestations du 1er mai seront largement consacrées au problème des retraites. Serez-vous dans la rue ?
- "Je ne serai pas le 1er mai dans la rue, parce que, pour des raisons médicales, je ne pourrai pas y aller. Mais je pense qu'il faut que nous allions dans la rue pas simplement pour les retraites. Je vous rappelle que les chiffres du chômage viennent de tomber aujourd'hui : 1 % d'augmentation du chômage, on n'avait pas vu ça depuis novembre 2001. Autrement dit, la bulle de l'Irak qui avait fait de M. Chirac une icône européenne et mondiale, est en train d'exploser. On va s'apercevoir, en levant le couvercle de la marmite, que la soupe du gouvernement français ne sent pas très bon."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 avril 2003)