Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 8 décembre 1999, sur la nécessité de traiter la délinquance et de faire appliquer la loi pénale, de désembouteiller les tribunaux, d'humaniser les prisons et de créer des centres d'éducation renforcée pour les mineurs.

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LE FIGARO. L'annonce par le gouvernement de la création de 1 000 postes de policiers auxiliaires et l'ouverture de 60 centres éducatifs renforcés ne répondent-elles point à vos attentes ?
Alain MADELIN: Cette annonce n'est pas nouvelle, et en tout cas, elle n'est pas à la hauteur des problèmes. La vérité, c'est que l'Etat n'a plus aujourd'hui les moyens de traiter la délinquance et de faire respecter la loi pénale. En quelques jours, on a vu à Marseille deux jeunes de 15 ans, qui avaient agressé et volé trois dames âgées, libérés faute de place dans les foyers d'accueil, et à Nantes, 164 dossiers risquent d'échapper à la justice à cause de l'engorgement du tribunal.
On assiste, impuissants, à une sorte de gigantesque embouteillage de la justice. Conséquence : le risque d'être condamné et d'exécuter une peine à la mesure des faits reprochés diminue. Et quand ce risque diminue, la délinquance augmente au risque d'embouteiller un peu plus la justice.
En dix ans, les principaux indicateurs de la délinquance ont augmenté grosso modo de 100 %. Dans le même temps, le nombre de personnes incarcérées a augmenté seulement de 15 %, en raison essentiellement de l'allongement de la durée de détention.
Notre système pénitentiaire affiche plus que complet, avec 57 844 détenus pour seulement 49 793 places. Et souvent, d'ailleurs, dans des conditions de détention humainement inacceptables, qui font qu'on hésite légitimement avant d'envoyer un jeune en prison. Des peines de prison prononcées ne sont pas exécutées faute de place, et la Justice ne dispose toujours pas d'établissements adaptés en nombre suffisant pour faire face à la délinquance des mineurs. Les tribunaux sont engorgés, les parquets sont en sous-effectif chronique. Il en résulte une dévaluation en cascade de la justice et du droit. Police et justice ajustent les sanctions aux moyens dont elles disposent. Cela explique l'augmentation du nombre de plaintes aujourd'hui classées sans suite. Comme l'a dit le procureur général de la cour d'appel de Colmar, " le procureur n'est plus l'instigateur et l'ordonnateur d'une politique pénale adaptée , il gère des flux et des stocks dans un sens contraire à l'intérêt public. Il devient enfuit le magasinier de la justice ".
Résultat : une police souvent démoralisée ou démobilisée, et des victimes découragées de porter plainte. Les petits délits sont appelés " incivilités ", et les quartiers de non-droit pudiquement baptisés " quartier de moindre droit ".
Une politique libérale de la sécurité est elle Possible ? Et si oui, selon quelle approche ?
Pour que la délinquance recule, E faut qu'une infraction soit suivie d'un vrai risque d'arrestation, de condamnation, et d'une punition proportionnelle à sa gravité.
Mais comment pouvez-vous mettre en oeuvre une politique de sécurité libérale ?
La sécurité est aujourd'hui l'enjeu public numéro un. C'est un choix libéral que de redéployer le budget de l'Etat vers ses vraies missions Songez que le budget consacré à la justice et à la police un peu moins de 60 milliards est chaque année inférieur à l'argent que l'on donne à la SNCF ! Si on veut vraiment inverser la tendance et décourager la délinquance, il faut accepter un effort budgétaire important en faveur d'une sorte de plan Orsec pour la justice.
Pour désengorger les tribunaux d'abord. C'est là une affaire de moyens, et aussi, pour une part, affaire de modification des procédures (traitement en temps réel, modes alternatifs de résolution des conflits, extension de la procédure simplifiée, introduction de l'ordonnance pénale, dépénalisation de certaines infractions).
Pour humaniser les prisons et augmenter le nombre d'étatblissements et le nombre de places disponibles. Les atteintes aux droits de Homme, les violences, l'insalubrité, la prise en charge sanitaire déplorable, sont le lot quotidien de notre système carcéral. Un plan Orsec pour la justice, c'est d'abord un plan Orsec pour les prisons, afin d'accélérer leur rénovation, l'implantation de, quartiers pour mineurs et d'unités de visite familiale. C'est aussi chercher à améliorer les conditions des familles de prisonniers, favoriser la réinsertion à la sortie de prison, et l'aménagement des peines (permission de sortie, serai-liberté, bracelet de contrôle électronique ... ). C'est enfin créer une instance de contrôle extome et indépendante de l'administration pénitentiaire. Pour assurer une meilleure prise en charge des mineurs, par un programme ambitieux de création d'établissements spécialisés et diversifiés des
centres d'éducation renforcée aux centres de placement immédiat plus nu moins ouverts en fonction de l'âge, de la situation des mineurs et de la gravité des faits reprochés. Pour aider les familles à sortir leurs enfants d'un environnement qui risquerait de les faire basculer dans la délinquance, en développant un programme d'ouverture d'internats dans le cadre de l'Éducation nationale. Au total, c'est un effort de 12 milliards par an qu'il faudrait consacrer à la justice. C'est là un choix fort, mais qui ne représente en réalité que 10 % des sommes que l'on s'apprête à consacrer, chaque année, aux 35 heures!
La réduction du nombre des fonctionnaires est-elle toujours indispensable, selon vous, à toute politique d'alternance ?
La réduction du nombre de fonctionnaires n'est pour moi que le résultat d'une réforme de l'Etat et de son recentrage sur ses vraies missions. Nous proposons d'ailleurs que la construction et la gestion de nouvelles prisons et d'établissements pour les mineurs puissent faire largement appel au secteur privé et associatif.
Vous prônez un effort financier pour la justice. Est-ce à dire que vous considérez que le ministère de l'intérieur peut s'acquitter de ses missions sans moyens supplémentaires ?
renforcer la sécurité, c'est bien entendu aussi redéployer les forces de police sur le terrain, ou redéfinir le rôle des polices municipales. Mais il n'y aura pas de solution aux problèmes de la sécurité tant que l'on ne se donnera pas les moyens de sortir du grand embouteillage de la justice française.
(Source http://www.demlib.com, le 7 février 2001)