Texte intégral
A. Hausser -. Les transports sont au coeur de l'actualité française, mais l'Irak est au coeur de l'actualité tout court. L'Elysée a rappelé ce matin qu'il s'agit d'un ultimatum contraire aux principes de l'ONU, faisant allusion, bien sûr, aux propos de G. Bush cette nuit. Vous n'avez pas le sentiment que la France, qui est tout à fait contre ce conflit, a quand même hâte qu'on en finisse, pour qu'on revienne dans le jeu diplomatique ?
- "La France a hâte surtout que le droit soit respecté. G. Bush prend une décision qui, non seulement est contraire à l'ONU, c'est-à-dire qu'il ne respecte pas l'instance qui est justement faite pour faire de la concertation et aboutir à des dispositions communes, et l'opinion publique internationale est contre son avis. On est donc vraiment dans la loi du plus fort, qui n'est pas forcément la meilleure."
Redoutez-vous des conséquences ?
- "Non, je ne pense pas qu'il y aura des conséquences importantes. On peut toujours se dire que cette loi du plus fort peut ensuite être contagieuse par rapport à l'Europe. D'abord, au plan économique, les affaires et la vie économiques sont de plus en plus déconnectées de la vie politique et que, naturellement, après, de cette crise, peut naître aussi une remise en cause du système de décision internationale ; à la fois, l'Europe sera engagée vers plus de cohésion, parce qu'on s'aperçoit tous, qu'on soit Anglais, Espagnol ou Allemand et Français, que l'Europe, sur le plan de la politique étrangère et sur le plan de la politique de la défense, n'est pas encore - et loin s'en faut - aboutit, comme elle l'est sur la Politique agricole commune, sur les institutions, etc."
Le Conseil européen de cette semaine sera une épreuve de vérité ?
- "Le Conseil européen sera forcément une occasion de s'expliquer mais en même temps, de se concerter. Et de cette épreuve, peut naître - nous l'espérons tous et nous y travaillons chacun, dans nos domaines respectifs, chaque ministre essaye, avec ses homologues de l'Europe, de maintenir un dialogue très fort, pour l'Europe sorte de cela non affaiblie et, si possible, un jour renforcée."
L'Europe des transports, c'est l'ouverture du transport ferroviaire à la concurrence. Aujourd'hui, il y a un mouvement qui est très suivi, pour la défense des intérêts...
- "C'est ce que j'appelle une "grève préventive", qui est inspirée peut-être par la crainte de cette ouverture à la concurrence. Je crois que les agents de la SNCF n'ont rien à craindre de cette ouverture très progressive aux marchandises, au fret. Mais au contraire, comme à la SNCF ils sont bons - à part les comptes, bien sûr - dans leur métier, dans leur profession, c'est une occasion formidable de conquête. Ils étaient réduits à trouver des marchés à l'intérieur de l'Hexagone, avec 60 millions d'habitants. Et demain, et même aujourd'hui, ils peuvent commencer à conquérir des marchés dans une Europe de 350, demain 450 millions d'habitants. C'est donc une chance de développement supplémentaire pour la SNCF. A condition que cette extension de l'activité possible de la SNCF soit assortie de règles de sécurité, et en même temps, de règles sociales équilibrées dans toute l'Europe."
Comment expliquez-vous ce dialogue de sourds ?
- "Ce n'est pas un dialogue de sourds, c'est une crainte qu'éprouvent les agents de la SNCF, devant cette concurrence qui arrive. Je leur dis, le président L. Gallois leur dit aussi, qu'ils n'ont rien à craindre, puisqu'on est bon au niveau du service sur notre territoire. On peut encore s'améliorer, certes, beaucoup, mais on peut aussi conquérir des marchés ailleurs. Donc, cette grève, aujourd'hui, est une grève de crainte, à mon sens peu fondée, et qui va, hélas ! - c'est à eux que je pense - faire des victimes de la marche à pieds et beaucoup d'encombrements et de difficultés pour les usagers habituels de la SNCF. Et ça, je le regrette profondément."
Quand vous parlez de "grève préventive", cela veut dire qu'il n'y a pas de procédure d'alerte, pas de service minimum possible ?
- "La concertation est en cours. Le président Gallois a entamé, l'été dernier, une négociation avec les partenaires sociaux, pour aboutir - j'espère rapidement - à ce qu'il y ait, au sein de la SNCF, des mesures d'alerte. C'est-à-dire qu'avant de faire une grève, en vue d'un problème qui pourrait arriver, on commencerait par se concerter - et Dieu sait que la concertation est en cours et, en tout cas, le président Gallois est un homme de concertation, tout le monde le sait. Au ministère des Transports également, j'ai déjà rencontré plusieurs fois les partenaires sociaux, D. Bussereau a rencontré plusieurs les partenaires sociaux, pour les rassurer. Ils ont besoin d'être rassurés. Je pense que c'est plus important que faire grève, que de les rassurer sur des points très concrets, comme la sécurité et comme les mesures sociales harmonisées au niveau européen, de façon à ce que la concurrence ne soit pas en distorsion."
Aujourd'hui, à l'Assemblée, il y a le vote solennel sur la privatisation d'Air France. Quand le marché permettra...
- "...Si vous le permettez, ce n'est pas un "vote" sur la privatisation. Le vote sur la privatisation a eu lieu en 1993. Personne n'y est revenu depuis, quel que soit le gouvernement."
Parce que cela ne bougeait pas...
- "D'ailleurs, la gauche a déjà vendu une partie des actions d'Air France. Aujourd'hui, au contraire, la loi va permettre, d'une part, de protéger l'aspect français de la compagnie Air France, pour qu'elle reste française, en ne permettant pas que des capitaux étrangers prennent la majorité ; et deuxièmement, de non seulement protéger le personnel d'Air France, mais lui permettra, lorsqu'on vendra des actions, de faire des échanges salaire contre actions et, ensuite, de donner au personnel des actions à des prix tout à fait préférentiels. C'est cela, la loi qu'on va voter tout à l'heure."
C'est-à-dire que ce sont des restrictions à une véritable privatisation ?
- "Ce sont des protections pour les salariés. Et c'est une protection franco-française de la compagnie Air France, pour qu'elle reste française, quels que soient les actionnaires à venir."
Pensez-vous que la compagnie sera vraiment mise sur le marché au deuxième semestre ?
- "On verra. Cela dépend vraiment du marché, cela de la Bourse. On ne va évidemment pas brader et on va, dans toute la mesure du possible, choisir le moment le plus opportun, pour que les contribuables français s'y retrouvent le mieux possible."
Aujourd'hui, on attend toujours la mise en place de la cellule de reclassement pour les salariés d'Air Lib.
- "Non, elle est en cours. Ils viennent de recevoir leur lettre de licenciement. Par conséquent, c'est lorsque le licenciement a lieu qu'ils peuvent être reclassés, parce que sinon, ils perdent des droits. Donc, cela marche très bien et j'ai la conviction que dans un an, ou un an et demi au maximum, 80 % du personnel sera reclassé, sauf cataclysme international. Il y a un petit problème, ce sont les pilotes. Il y a aussi des compagnies aériennes qui s'intéressent aujourd'hui à certaines anciennes activités d'Air Lib. Je suis relativement et raisonnablement optimiste pour le personnel."
Demain, l'Assemblée commence la discussion sur le texte sur la sécurité routière, un texte qui aggrave considérablement les peines.
- "Il n'y a pas que des aggravations. Il y a vraiment aussi des mesures très préventives, comme par exemple le permis probatoire ou des mesures en faveur la santé des conducteurs, de façon à ce que l'on ne retrouve pas sur la route des gens qui seraient en mauvaise santé... Alors, ne parlons pas que de répression !"
Oui, mais vous ne me laissez pas poser ma question : je voulais vous interroger sur la chute record du nombre de tués sur les routes. Est-ce que vous pensez que l'annonce de ces mesures a été suffisante ou est-ce que c'est un effet psychologique qu'on a déjà constaté et qui n'a jamais été suivi d'effets ?
- "Il y a une chute spectaculaire, mais largement insuffisante. C'est le début du début de la sagesse, et pas plus. Il faut arriver à beaucoup mieux car il y a encore beaucoup trop de victimes. C'est vrai qu'aujourd'hui, on sauve à peu près 200 vies humaines par mois, par rapport à la situation précédente d'il y a un an. Pourquoi sauvons-nous 200 personnes et aussi 8.000 ou 10.000 blessés en moins ? Probablement parce qu'il y a eu une forte présence policière et de gendarmes sur les routes. Le ministre de l'Intérieur, N. Sarkozy, est évidemment au premier rang de cette présence. C'est lui qui la souhaite et qui la met en place. Il y a ensuite une vraie volonté, on peut dire nationale, de combattre ce fléau. Les associations jouent un rôle très important, les média jouent un rôle très important. Et les Français commencent à se dire qu'il faut, sur la route aussi, se respecter les uns les autres ; respecter le droit, pas pour respecter les textes, mais pour respecter les vies humaines, les personnes ou les conducteurs qui passent, qu'ils croisent, qui sont devant vous. Là, on va dans le bon sens, à condition de ne pas relâcher la pression qu'on met sur les conducteurs et, en même temps, la pédagogie que nous cherchons à faire auprès d'eux."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2003)