Interview de M. Yves Cochet, député des Verts, à La Chaîne info le 12 mai 2003, sur l'indemnisation des victimes de la marée noire par le FIPOL, le projet de loi sur la chasse, la charte de l'environnement, la mobilisation contre la réforme des retraites et sur les relations entre les partis de gauche.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Quand on a appris que le FIPOL n'indemniserait les victimes de la marée noire provoquée par Le Prestige qu'à hauteur de 15 % des dégâts, on a assisté à un tollé. Mais finalement, on se rend compte que ce FIPOL n'est pas doté et que l'indignation ne sert à rien s'il n'y a pas d'argent dans la caisse.
- "Bien sûr. C'est scandaleux. Cela n'a pas été la cas au moment de l'Erika, parce que là, il y avait un responsable principal, Total, qui avait finalement tout payé ou presque. En ce qui concerne le FIPOL, les Etats vont se réunir cet après-midi et, j'espère, multiplier par six le fonds d'indemnisation, afin que tout le monde soit indemnisé..."
De toute façon, tout le monde dit que ce ne sera qu'à partir de 2004. Donc, il faudra bien compenser le manque à gagner du FIPOL ?
- "Evidemment, ce seront les Etats qui le feront, pour des raisons aussi bien commerciales qu'industrielles, pour les pêcheurs etc. Mais j'espère que ces Etats redemanderont au FIPOL, dans un an, l'argent qu'ils auront versé maintenant."
Quand vous étiez ministre, vous étiez favorable à une substitution européenne, à un organisme européen ?
- "Ce serait plus facile, parce que c'est évidemment en Europe qu'il y a beaucoup de trafic, notamment de pétroliers. On l'a vu encore hier, du côté de la Côte d'Azur. Ce serait plus facile du point de vue politique. Ce le serait moins du point de vue international, car il n'y a pas que dans les mers européennes qu'il y a des marées noires."
Donc, cela ne vous paraît pas réaliste ?
- "Non."
Vous faisiez allusion à la Côte d'Azur. Là, il s'agit de dégazage et on est très démuni face aux cargos qui envoient leurs boulettes sur la côte...
- "Les dégazages sont encore plus nombreux, du point de vue du volume de la pollution générée que finalement les catastrophes plus spectaculaires. Mais c'est bien ceux-là qu'il faut, de manière chronique, régler. On peut quand même, par l'analyse des pétroles, savoir qui a fait cela."
Vous allez examiner, cette semaine, la loi sur la chasse, présentée par R. Bachelot. Cela va commencer par l'Assemblée. Un des faits marquants de cette loi est la suppression du mercredi comme jour de non-chasse. Cela provoque l'indignation des écologistes et des anti-chasse en général. La ministre de l'Ecologie dit que ce mercredi de non-chasse était plus restrictif qu'auparavant ?
- "Il faut voir qu'au moment de la loi Voynet, en 2000, c'est la droite qui à l'époque était dans la minorité, qui avait fait un recours devant le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel avait dit qu'on ferait un jour unique qui sera, partout sur le territoire, le mercredi. Cela nous avait satisfait. D'ailleurs, cela nous satisfait tellement, nous et l'opinion publique - nos enquêtes montrent que les 98 % de non-chasseurs en France en sont satisfaits -, que nous avons proposé un amendement, qu'on débattra dès mercredi, qui consiste à rajouter un second jour de non-chasse, un jour de week-end, le samedi ou le dimanche. Je vois qu'on a maintenant une politique régressive de la part du Gouvernement actuel, de madame Bachelot, qui veut - peut-être pas elle-même d'ailleurs - ce sont plutôt les députés de l'UMP, soyons très précis, qui veulent supprimer le jour de non-chasse. Ce serait une régression tout à fait inacceptable, aussi bien pour l'ensemble de la population, les amoureux de la nature, les protecteurs de l'environnement. J'espère que l'Assemblée, ou en tout cas même que le Gouvernement - car madame Bachelot ne semble pas favorable à cet amendement des députés de l'UMP - renoncera à éliminer totalement le jour de non-chasse."
Elle n'y avait pas l'air tout à fait hostile quand elle était à votre place, vendredi dernier !
- "Eh bien, oui, parce qu'elle veut le donner aux préfets. C'est-à-dire que ce soit pas département..."
Ce serait plus réaliste, non ?
- "Non, je ne le crois pas, parce qu'évidemment, cela dépendrait, au point de vue des promenades, encore une fois du tourisme, du fait qu'on puisse aller ici ou là dans tel ou tel département, les gens ne sauraient plus très bien si on est en jour de chasse ou de non-chasse."
Quand le président de la République veut inscrire l'environnement dans la Constitution, cela vous semble une bonne initiative ?
- "Oui, la Charte de l'environnement est une bonne initiative, à condition que ce soit la version haute, la version forte, celle où les grands principes du Sommet de Rio, d'il y a dix ans, soient respectés, le principe du pollueur-payeur et le principe de précaution. Dans ce cas-là, oui."
Finalement, il fait plus que vous ne l'avez fait ?
- "Non, parce que cela avait déjà été traduit dans le code de l'environnement, par la loi Barnier de 1995. Mais on ne peut pas considérer que ce qui va être adossé à la Constitution soit régressive par rapport au code de l'environnement. Il faut donc ce que l'on appelle la "version haute". Or, la commission Coppens a donné deux versions au Gouvernement..."
Et il semblerait que ce soit la haute qui sera adoptée...
- "Je l'espère bien. On va de toute façon en débattre à l'Assemblée et on se fera entendre."
On va parler des problèmes plus généraux. Demain, c'est une journée de grande mobilisation contre la réforme des retraites. Serez-vous dans la rue ?
- "Oui, bien sûr. Et j'espère surtout qu'on sera nombreux, car c'est une journée-test, aussi bien pour le Gouvernement, MM. Raffarin et Fillon, que pour les syndicats et la population en général. C'est donc quand même le nombre qui va compter."
Il ne faut rien faire, il ne faut pas bouger ?
- "Mais personne ne dit ça ! Il faut examiner le problème des retraites - il y a eu beaucoup de rapports -, mais pas dans le sens proposé par le Gouvernement, celui de la double peine : c'est-à-dire qu'à la fois, on rallonge le temps de travail sur l'ensemble de la vie et, en même temps, on diminue les pensions. Tout ceci est inacceptable."
Que proposez-vous ?
- "Nous proposons la suppression de la loi Balladur de 1993, c'est-à-dire qu'il y ait en effet une égalité entre le privé et le public, mais une égalité à la hausse du point de vue du progrès social, c'est-à-dire 37,5 ans pour tout le monde. Alors, on va me dire qu'il y a un problème de financement. "
C'est ce qu'on dit et c'est vrai.
- "On ne le nie pas. Actuellement, les retraites, c'est 12 % du PIB. Le COR, Comité d'orientation des retraites, dit lui-même qu'en 2020, ce sera 14 % et, en 2040, 16 %. Je pense que même ces 16 % peuvent être assimilés et assimilables par la société française qui est riche, à condition d'élargir l'assiette des cotisations patronales à ce que l'on appelle la "valeur ajoutée", pas uniquement le travail, pas uniquement les salaires, la valeur ajoutée, les produits financiers."
Et c'est tout ?
- "Ce n'est pas tout. Mais en quelques mots, c'est l'essentiel."
Dans la mobilisation, êtes-vous prêt à aller jusqu'au bout ?
- "Mon espoir est qu'il y ait une mobilisation qui dure et qui soit aussi forte qu'en 1995, peut-être même Mai 68 comme il y a 35 ans, pourquoi pas !"
Vous ne rêvez pas, là ?!
- "Il faut rêver. J'espère que sur des sujets importants, comme les retraites - mais il y en a bien d'autres, dans l'Education nationale par exemple -, on puisse avoir de nouvelles utopies, qui permettent de mobiliser et de s'opposer à la politique régressive actuelle."
Vous parlez de "nouvelles utopies". Autrement dit, si vous étiez au PS, vous auriez soutenue la motion Utopia ?
- "C'est une des plus intéressantes. Elle n'a fait que 1 % mais, en effet, elle parlait de la place du travail dans la vie. C'est une question tout à fait centrale, on le voit à propos des retraites, on le voit à propos des 35 heures. Nous sommes pour continuer cette politique de réduction du temps de travail, qui améliore à la fois la santé des populations, mais aussi, contrairement à ce que l'on croit, la productivité économique des travailleurs."
Mais qui ne profite pas à tout le monde...
- "Cela a été mal fait. Mais il faut continuer, c'est fondamental pour la société."
Les Verts ont fait leur après-21 avril, vous avez changé de direction. Le Parti socialiste, lui, ne va pas changer de direction, puisque F. Hollande obtient la majorité pour ce prochain congrès. J.-C. Cambadélis a relancé l'idée d'un grand parti de gauche, d'un parti unique. Cela vous paraît utopique, ça aussi ?
- "Ce n'est pas utopique, c'est vain à l'époque actuelle. Je ne crois pas qu'entre le Parti communiste, les Verts et le Parti socialiste, il puisse y avoir autre chose que simplement des discussions de fond, qui n'ont pas encore eu lieu. On était tous, les uns et les autres, depuis le 21 avril, en attente de nos congrès respectifs. Les trois vont maintenant être passés. Pour le PC c'est fait, pour le PS c'est fait ou ça va se faire, les Verts c'est fait. Il faut maintenant qu'on discute sur le fond. Cela ne prendra pas simplement des mois. C'est une re-création de la gauche qu'il faut faire dans la perspective de 2007. Cela va prendre quelques années et j'espère qu'en 2006, on sera prêts. Mais pas dans un parti unique ; dans un contrat de législature."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 mai 2003)