Tribune de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales, dans "Le Figaro" le 3 septembre 2003 sur le rôle de l'Etat pour maintenir la diversité et la richesse du monde rural et intitulée "La ruralité, une chance pour la France".

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"La ruralité, une chance française"
Depuis vingt ans, le monde rural vit dans le sentiment d'être délaissé, dans un univers où la mondialisation et l'uniformisation des comportements rendraient anachroniques les repères et les traditions de la civilisation française. En même temps, les Français recherchent de plus en plus dans les campagnes un retour aux vraies valeurs et à une autre appréciation du temps. C'était l'intuition de Jacques Chirac, exprimée dans son discours d'Ussel du 13 avril 2002. C'est pourquoi le Premier ministre a voulu que son gouvernement mette en uvre un programme d'action pour le développement du monde rural.
Le rural est un terreau propice aux idées toutes faites. Le procès en archaïsme est facile : on fustige le bouilleur du cru, le privilège, l'apanage et le droit féodal au sein de la République des notables. Tout semble dit dans une sorte de clivage entre ville et campagne, le rat des villes et le rat des champs. La ville serait mouvement et liberté, quand la campagne aurait mission éternelle d'incarner la tradition. Cela mérite examen. Faut-il rappeler que l'agriculture et la ruralité sont intimement liées à l'intelligence et au génie français ? De Sully à Olivier de Serres, de Quesnay à Mirabeau, c'est toute l'histoire de France qui défile.
Sortons des clichés et considérons le monde rural pour ce qu'il est, c'est-à-dire pas seulement porteur de nostalgie des saveurs d'antan ni même du goût des saveurs vraies, mais comme une chance pour la France, creuset de sa modernité.
Le monde rural n'est pas unique. Il est la diversité et la richesse de la France. Bien plus que sa mémoire, il est son authenticité, celle d'aujourd'hui et celle de demain. Les visages de la ruralité moderne sont multiples : le cadre d'une société high-tech cohabite harmonieusement avec l'agriculteur, l'épicier. Ils s'apprennent mutuellement des regards différents sur le monde d'aujourd'hui. Les enfants des cités-dortoirs y découvrent, grâce à l'action des associations, des bonheurs simples et naturels, où l'argent n'est pas la mesure de toute chose.
La créativité et la fabrication de richesses ne sont pas l'apanage d'une mondialisation déshumanisée. Elles sont le fruit de l'esprit humain, pourvu qu'on lui en donne les moyens. La richesse de l'artisanat, celle de la gastronomie française en sont les témoignages les plus évidents.
En même temps, la mobilité dans et entre ces territoires s'accroît. Selon l'âge, la situation de l'emploi, la structure de la famille, le revenu, des nouveaux choix se font. On change de lieu de résidence et on ne reste plus nécessairement citadin ou rural toute sa vie. Les espaces se décloisonnent.
Les politiques doivent le comprendre. Aujourd'hui, la politique rurale concerne les populations rurales et la société dans son ensemble.
Mais si nul aujourd'hui ne conteste la chance unique en Europe que représentent nos territoires ruraux, certains s'interrogent sur le rôle que peut encore jouer l'Etat dans leur développement.
Serait-il forclos, dans un monde où la mobilité ne cesse de s'accroître, où les technologies de l'information et de la communication raccourcissent l'espace, où les modes de vie, les attentes, les perceptions tendent à s'homogénéiser ?
Les collectivités locales, les entreprises, les associations et l'Europe ont désormais pris la mesure du développement local : qui peut nier en effet les réussites éclatantes de nombreux territoires ruraux, dues avant tout à des élus locaux inspirés, à des chefs d'entreprise volontaires, à des associations mobilisées efficacement sur des projets économiques, culturels ou patrimoniaux ?
La conviction du gouvernement est que l'action de l'Etat reste cependant nécessaire.
Peut-être même s'impose-t-elle plus que jamais, du fait de la diversité croissante de nos espaces ruraux, qui ont beaucoup changé, par rapport à l'image que l'on en garde.
Mais l'Etat doit se tenir à égale distance de la pure déclamation, qui menace toujours quand il s'agit du monde rural, et de la substitution tatillonne à l'action irremplaçable des acteurs locaux.
C'est dans cet esprit que le gouvernement a travaillé. Il a fait le choix d'une approche pragmatique, interministérielle et cohérente avec ses choix en matière de décentralisation et de politique agricole commune. Nous faisons le choix de campagnes vivantes, qui est inséparable d'une agriculture forte, réconciliée avec la société et non chargée de tous les maux dont l'accablent ceux qui sont coupés de la nature.
Il est dans la vocation de l'Etat de donner des chances nouvelles aux territoires les plus déshérités. C'est le sens par exemple des dispositions relatives à la modernisation du dispositif des zones de revitalisation rurale qui ne peuvent ignorer les évolutions démographiques intervenues depuis leur création, et qui doivent désormais tenir compte du développement, souhaitable, de l'intercommunalité ou de celles relatives à la modernisation des maisons de service public, qui pourront accueillir conjointement des activités publiques et privées.
Il est dans la vocation de l'Etat de donner aux acteurs du développement local des outils supplémentaires propres à libérer les énergies locales. C'est le sens des dispositions qui tendent à favoriser les partenariats, à encourager la pluriactivité, notamment dans le tourisme, devenu élément clé de l'économie rurale, à mettre en valeur le patrimoine rural bâti, à encourager l'installation des professionnels de santé, ou à améliorer la couverture des territoires par la téléphonie mobile et l'accès au haut débit.
Il est dans la vocation de l'Etat de désigner les espaces qui, du fait de leur intérêt environnemental, mais aussi des contraintes particulières qui pèsent sur eux doivent bénéficier d'une politique particulière, telles que les zones de montagne et les zones humides.
Mais l'action de l'Etat ne relève pas en ces matières du seul domaine législatif.
C'est pourquoi le gouvernement a fait le choix de réconcilier la politique d'aménagement du territoire avec le monde rural.
En présidant le jour même de l'adoption en Conseil des ministres de ce projet de loi, pour la première fois depuis très longtemps, un comité interministériel d'aménagement du territoire entièrement consacré au monde rural que nous avons étroitement préparé avec Jean-Paul Delevoye, ministre de l'Aménagement du territoire, le Premier ministre entend mobiliser l'ensemble des ministres concernés au service de la politique rurale, interministérielle par nature.
Garant de l'espace national et du temps long, l'Etat entend ainsi dans un contexte marqué par le rôle croissant en la matière des collectivités locales et de l'échelon européen, continuer à jouer tout son rôle, en s'attachant, selon les cas, à réguler, redistribuer, à accompagner ou faciliter les initiatives locales et les projets de terrain. Aux antipodes d'une approche déclamatoire, il s'agit d'offrir à tous les acteurs des territoires ruraux - collectivités locales, exploitants agricoles, entreprises - des facilités et des moyens pour renforcer l'unité française, d'améliorer l'égalité des chances au profit de nos concitoyens qui vivent et travaillent dans les territoires ruraux, et de contribuer ainsi à refonder pour l'ensemble des Français un pacte de solidarité et de développement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 03 septembre 2003)