Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les grands rendez-vous de l'actualité européenne, à la Grande Arche de la Défense le 9 avril 1998.

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Circonstance : Lancement de la Campagne d'information sur l'Europe intitulée "Vivre en Europe" au siège de Sources d'Europe à la Grande Arche de la Défense le 9 avril 1998

Texte intégral

Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui à "Sources d'Europe", dans le socle de la Grande Arche de la Défense. Ce centre d'information sur l'Europe, cofinancé par le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Affaires européennes, avec la Commission, est le plus important dans l'Union européenne. Il m'a paru être le cadre désigné pour lancer cette campagne de communication sur l'Europe, sous la signature "Vivre l'Europe".
Comme vous le savez, j'ai conduit depuis septembre dernier, en chaussant un peu les bottes de mon prédécesseur, une première série d'actions pour mieux faire comprendre l'Europe et adhérer à notre projet. J'ai souhaité reprendre l'initiative, en cherchant à coller au plus près des préoccupations des Français et de l'actualité européenne, tout en m'inspirant directement des enseignements de mon expérience de terrain de ces derniers mois pour cette campagne, qui démarre maintenant.
Le contexte s'y prête tout particulièrement. Nous avons peu parlé de l'Europe au cours des trois derniers mois, mais il est clair que l'année qui vient sera une année où la politique européenne et la politique intérieure se rejoindront d'une façon extraordinairement étroite.
Nous avons tous en tête les échéances qui jalonnent un calendrier européen qui sera extraordinairement chargé et stratégique.
Au premier rang de l'actualité, se situe, bien sûr, l'avènement de l'euro. Le Conseil européen, plutôt une réunion spécifique des chefs d'Etats et de gouvernements, choisira le 2 mai, les pays participants au premier train de la monnaie unique et décidera des parités bilatérales. Après la récente publication des rapports de la Commission et de l'Institut monétaire européen, les contours de la zone euro sont maintenant clairement esquissés. On voit le chemin parcouru, et pas seulement depuis le plan Werner à la fin des années 70 ou la création du SME en 1978. On peut se souvenir simplement et plus près de nous des interrogations et des doutes qui, il y a encore moins d'un an, persistaient chez nous et chez certains de nos partenaires.
Nous avons toutes les raisons de nous réjouir de ces évolutions qui récompensent nos efforts et ceux des pays qui participeront à l'euro. Notre première satisfaction, c'est évidemment de voir la France figurer dans cette liste aux côtés de dix autres Etats membres. Ces évolutions dessinent aussi, j'y insiste, un euro dans lequel le gouvernement de Lionel Jospin peut se reconnaître mieux que l'euro qui paraissait s'annoncer il y a un an. Cela étant, je reste tout à fait réaliste, cette entreprise historique qu'est le passage à l'euro ne peut pas se réduire à un examen de passage et l'euro n'est pas une fin en soi. Ce qui signifie que la décision qui sera prise le 2 mai est fondamentale. Mais, c'est à ce moment-là que les difficultés commenceront. Nous allons sortir des débats idéologiques, macro-économiques sur tel ou tel critère, pour passer à des débats tout à fait pratiques : comment faire, qu'est-ce qui va se passer, quelles conséquences pour les citoyens, quel type de politique au plan micro-économique et pour chaque agent ?... Ainsi, d'autres enjeux sont devant nous pour faire en sorte que la nouvelle monnaie soit bénéfique à la prospérité et au rayonnement de l'Europe et, en son sein, de notre pays. Nous nous y emploierons.
L'euro c'est à la fois l'illustration la plus spectaculaire de l'Union économique et monétaire, et en même temps une manifestation plus concrète et tangible de la construction européenne dans notre vie quotidienne. C'est pourquoi je pense qu'il est essentiel de redonner à ce projet, l'euro, toute la portée politique qu'il n'aurait jamais dû perdre. Car il s'agit bien de remettre au coeur de nos priorités européennes la recherche de la croissance, de l'emploi et de la cohésion sociale, autant d'objectifs qui figurent en tête des attentes de nos concitoyens. C'est bien sûr le message dominant que j'entends, au nom du gouvernement, porter dans la période actuelle.
Le gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour impulser cette réorientation au cours de ces derniers mois. Je ne citerais en un mot que le Sommet sur l'emploi à Luxembourg, qui va connaître une paternité avec la présentation à Cardiff des plans nationaux sur l'emploi. La France va transmettre le sien à Bruxelles dans les tous prochains jours. Il a été travaillé en interministériel au sein du gouvernement, présenté dans une réunion du gouvernement la semaine dernière et il est en cours de concertation avec les partenaires sociaux et de présentation aux assemblées.
Je ne perds évidemment pas de vue les autres grands dossiers du moment, parmi lesquels l'élargissement : le processus est lancé (la Conférence européenne le 12 mars à Londres, le début des négociations le 30 et 31 mars à Bruxelles), et l'Agenda 2000, c'est-à-dire la réforme des politiques communes, la réforme de la Politique agricole commune, mais aussi les fonds structurels du cadre financier de l'Europe toute entière.
Il est clair que tous ces enjeux ont, à terme, des conséquences importantes pour la physionomie future de l'Union pour la place de notre pays dans cet ensemble. Mais c'est là où l'on voit la complexité du sujet : l'Europe n'a jamais eu probablement, depuis qu'elle existe, depuis 40 ans, à affronter des enjeux aussi difficiles. En même temps, ce sont des enjeux très complexes, liés entre eux et ils ne recevront pas nécessairement des réponses, en tout cas pas tous, dans les tous prochains mois. C'est pourquoi, quand nous avons réfléchi à la communication, nous avons décidé de mettre tout particulièrement l'accent sur les préoccupations les plus immédiates de nos concitoyens.
A la lumière de l'expérience de ces derniers mois, notamment de mes visites en région, je suis en effet convaincu qu'il est aujourd'hui nécessaire de passer à un autre mode de communication sur l'Europe que celui de la période précédente, qui a le grand mérite d'avoir insisté sur la décentralisation mais qui doit à mon sens être réorienté. Mes multiples contacts ont confirmé le constat que le Premier ministre avait fait dès sa prise de fonction : les Français, par rapport à l'Europe j'y insiste, ont une exigence de compréhension. Ils sont disponibles pour le dialogue, attentifs à tout effort réel d'explication. Il faut y répondre et donc se garder de délivrer un quelconque "prêt-à-penser", dont le but serait de "vendre" une Europe désincarnée, de présenter une construction abstraite et mythifiée. Nous l'avons beaucoup fait, les uns et les autres ; cette stratégie rencontre ses limites, elle ne passe plus. Maintenant, il est nécessaire d'aller à la rencontre des franges de l'opinion encore les plus réservées face à l'Europe, c'est-à-dire souvent les plus populaires.
Car, l'état de l'opinion est connu dans ses grands traits. Toutes les études confirment celle que je vous avais présentée à la fin de l'année dernière et convergent pour mettre en évidence deux choses :
- d'une part, un intérêt général pour les questions européennes et une perception globale plutôt positive : ce tableau, corroboré par toute une série d'enquêtes, infirme l'idée communément répandue de la montée du sentiment anti-européen en France. Je mets en garde tous ceux qui seraient tentés de "surfer" là-dessus. Plus précisément, il existe une prise de conscience des bénéfices attendus de l'Europe dans des domaines particuliers, ainsi qu'une adhésion au projet de monnaie unique et à la politique du gouvernement pour favoriser l'avènement de l'euro même si les choses paraissent encore abstraites.
- d'autre part, la deuxième composante de l'opinion c'est que l'attachement à l'Europe reste fragile et flou. Il serait illusoire de considérer que le sentiment d'inéluctabilité et d'irréversibilité de la construction européenne qui se dégage est synonyme d'adhésion. Si je prends l'euro comme exemple, les Français savent qu'il se fera à 85%. Ils y sont favorables à des proportions bien moindres, 65%, et si on cherchait encore un peu plus dans la qualité de cette adhésion on trouverait probablement des chiffres encore moins élevés. Entre un pronostic et un goût et un désir, il y a une différence forte. C'est celle-là qu'il faut combler. Si on regarde les choses d'un peu plus près, les clivages, mis en lumière, à l'occasion du référendum sur le Traité de Maastricht, persistent durablement. Ils sont à la fois de nature sociologique, économique et politique. S'y mélangent des craintes, des incompréhensions, des perceptions déformées, mais aussi des espoirs. Il y a clairement dans tout cela l'attente d'une Europe qui rassure, d'une Europe qui offre de nouveaux degrés de libertés pour agir sur une réalité qui donne trop souvent l'impression de nous échapper.
Pour illustrer l'état d'esprit qui guide ma démarche, je rappellerais un certain nombre d'initiatives à la fin de l'année dernière : rencontre sur l'Europe sociale à Nantes ; dialogue avec les agents d'EDF-GDF à Tours autour du thème des services publics et de l'Europe ; rencontre avec des salariés d'une entreprise en difficulté à Mantes-la-Ville ; rencontre avec les associations à vocation européenne, les signataires de l'appel "Refondons l'Europe", et des associations féminines autour du thème de l'Europe et des droits civiques et sociaux. Ce que j'ai voulu, plutôt que de rencontrer les convaincus, qui sont très utiles, plus qu'utiles dans cette affaire-là car ils sont les militants de l'Europe, c'est aussi aller rencontrer ceux qui sont plus hésitants, ceux qui s'interrogent, ceux qui ont besoin de comprendre davantage.
J'entends poursuivre dans cette voie après la fin de la période des élections cantonales et régionales qui imposait des règles et des usages particuliers en matière de communication gouvernementale. Toute cette campagne a été conçue de manière à mettre en oeuvre une communication de proximité et j'y insiste, à la rencontre de nos concitoyens dans leur environnement quotidien, en adéquation avec mon objectif de rendre l'Europe populaire. Telle est la signification de sa signature : "Vivre l'Europe". Car "Vivre l'Europe", c'est d'abord un appel à découvrir, ou à reconnaître les avancées au quotidien de la construction européenne. C'est aussi une incitation à les utiliser pleinement.
Les partis pris méthodologiques, notamment le choix des canaux de communication, traduisent cette approche :
- tout d'abord, il y a le concept de partenariat qui occupe une place centrale : partenariat, au premier rang, avec les institutions européennes. Ces actions sont mises en oeuvre avec le soutien du Parlement européen et de la Commission. Elles entrent en effet dans le cadre des programmes prioritaires d'information du citoyen européen. Je tiens ici à saluer leurs représentants, M. Bernard Chevallier, pour le Parlement européen, et M. Jean-Louis Giraudy, pour la Commission. Je les remercie vivement pour leur appui constant et efficace, avec une pensée chaleureuse pour le commissaire Oreja, responsable de ces programmes à la Commission, que j'ai rencontré, il y a peu de temps, mais qui ne pouvait être des nôtres aujourd'hui, mais s'y associera ultérieurement.
- partenariat également avec le monde associatif. J'attache le plus grand intérêt à travailler avec les associations qui constituent à mes yeux la famille européenne, et plus généralement avec tous les acteurs qui ont à coeur d'intervenir dans nos débats de société. Ils jouent un rôle actif pour créer un espace public européen et contribuer à bâtir une Europe du citoyen. Je mentionnerais aujourd'hui, parce qu'ils sont là parmi nous, le Mouvement européen et la Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente qui ont déjà conclu les accords de partenariat avec nous. D'autres accords sont en préparation.
- partenariat, enfin, avec d'autres acteurs de proximité. Vous avez remarqué, comme moi, la multiplication d'initiatives visant à communiquer sur l'Europe prises par des entreprises, des banques, des médias. Je m'en réjouis. Cette situation reflète à la fois leur intérêt bien compris, car ce sont les entreprises, notamment les grandes, mais aussi les petites, qui ont intérêt à l'euro, mais aussi la conscience de leur responsabilité citoyenne. Dans cet esprit, j'ai souhaité développer un partenariat avec le groupe Leclerc. Cette grande enseigne de la distribution s'est distinguée, sous l'impulsion de Michel-Edouard Leclerc, par un engagement précoce, cela fait de nombreuses années que nous nous connaissons, en faveur de la cause européenne et une politique active de communication sur l'euro et son utilisation au quotidien. Nous envisageons également de travailler avec d'autres organismes pour utiliser des lieux publics, toujours avec cette idée forte d'être présents dans le cadre de la vie de tous les jours.
J'ajouterais enfin que cette campagne se conjuguera avec celle spécifiquement consacrée à l'euro, mise en oeuvre sous la responsabilité de Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget.
Une brochure "Vivre l'Europe", spécialement conçue pour cette campagne, reflète cet état d'esprit. Son objectif est d'illustrer de façon vivante, simple, concrète à travers un certain nombre d'exemples très pratiques, l'apport européen sans prétention à l'exhaustivité mais en insistant à chaque étape justement sur ce qui fait le prix pour les Français de l'Europe dans leur vie quotidienne. Tout cela a été testé de manière à être à la fois simple, complet et compréhensible.
J'en viens maintenant au contenu et au calendrier de cette campagne. Les actions ont été conçues de manière à culminer dans la semaine du 2 au 9 mai. Cette semaine débutera par le Conseil européen extraordinaire décidant de la liste des pays participants au premier train de l'euro et s'achèvera le 9 mai avec la Journée de l'Europe. Il eut été absurde de rater cette occasion. Chaque année la Journée de l'Europe est la commémoration de la déclaration de Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, appelant le 9 mai 1950 à la mise en commun des ressources en charbon et en acier de la France et de l'Allemagne, pour sceller la réconciliation entre les deux pays. C'est la première étape de la construction européenne dont vous connaissez la postérité, la CECA puis les autres communautés.
- Le 4 mai, une série de conférences de presse régionales sera organisée à l'initiative des préfets. Elles permettront de mettre en valeur les apports concrets de la construction européenne, au plus proche des réalités locales. Je souhaite que tous les acteurs, notamment les associations s'y impliquent. Nous en parlerons avec les préfets.
- Le 5 mai, je serai aux côtés du Mouvement européen pour lancer l'édition 1998 de la Journée de l'Europe. Nous donnerons un conférence de presse à l'Hôtel de la Monnaie. Le soir même, je participerai à un forum sur le web.
- Du 6 au 9 mai, une série d'animations autour du thème de l'Europe familière sera organisée dans une trentaine d'hypermarchés du groupe Leclerc et d'autres lieux très fréquentés, comme des gares et des métros. Des stands y seront installés avec des supports interactifs de communication. Des acteurs du monde associatif seront, là encore présents, pour distribuer des brochures et dialoguer avec le public (1,8 million au total).
- Le 9 mai, la Journée de l'Europe devrait avoir un retentissement nouveau. Plus de 5000 manifestations sont actuellement recensées. Je fais confiance aux promoteurs d'initiatives décentralisées et souhaite les aider. Pour faire connaître les événements prévus, ils utiliseront le serveur vocal que nous mettrons à leur disposition, avec un numéro facile à retenir (0803 09 05 98), facile à retenir surtout pour les militants européens, ainsi que par une campagne d'annonces dans la presse quotidienne régionale que nous financerons. Parallèlement, j'ai prévu de poursuivre, d'ici l'été, mes tournées régionales.
Enfin, j'entends accorder une attention particulière à l'amélioration de la diffusion d'information sur l'Europe. "Sources d'Europe" est le lieu idéal pour cela. Ces programmes de communication, pour qu'ils aient tout leur sens et un impact durable, doivent être accompagnés d'un effort parallèle et simultané pour faire en sorte que chacune et chacun puisse avoir accès facilement, sur l'ensemble de notre territoire, à une information grand public sur l'Union européenne, sur son fonctionnement et sur ses réalisations.
Certains ne manqueront pas de remarquer, non sans raison, que les moyens modernes de diffusion, je pense d'abord à Internet, rendent cette question quelque peu dépassée.
Je partage totalement cette analyse. C'est pourquoi, nous avons ouvert avec la Commission un nouveau site Internet, sous l'égide de "Sources d'Europe". Avec la Commission, nous l'inaugurerons officiellement bientôt. Mais il faut bien reconnaître qu'Internet n'est pas encore répandu dans le grand public, qu'il n'est pas encore d'un usage familier, en tout cas pas dans les franges populaires que j'entends toucher.
C'est pourquoi j'ai lancé une réflexion dont l'objectif est de mettre en place un réseau d'information. Nous avons commencé à travailler pour faire en sorte que Sources d'Europe en soit le coeur, la salle des machines de ce réseau d'informations. Il sera composé de relais en région et dans les départements. Il ne s'agit pas de créer ex nihilo de nouveaux organismes grâce à un apport méthodologique et un soutien ciblé mais plutôt de promouvoir une mise en réseau, une cohérence des initiatives qui existent déjà.
Mes services engageront très bientôt des consultations avec les partenaires intéressés, qu'il s'agisse des administrations ou des acteurs du monde associatif, pour faire avancer ce projet auquel je tiens tout particulièrement.
Tels sont les temps forts de la période qui s'ouvre. Je n'ai pas évoqué d'autres actions, en apparence plus modestes, qui concourent au même objectif : actions en direction des milieux scolaires, c'est très important, avec par exemple le 5 mai une édition Europe du journal "mon quotidien" destiné aux élèves de 10-15 ans, des interventions pédagogiques de mon cabinet dans tous les Instituts de formation des maîtres (IUFM). Il faudra encore renforcer la coopération avec l'Education nationale qui est bien sûr un relais absolument privilégié. C'est la jeunesse aussi qu'il faut aussi toucher sur l'Europe.
Je précise que le temps au premier semestre était nécessairement très restreint. Il fallait insister sur cette période qui va du 2 au 9 mai avec le souhait d'être présent partout sur une période très dense, très courte. Il y aura une campagne au second semestre une autre campagne de communication qui elle tournera autour de ce que peut apporter le Traité d'Amsterdam et nous en reparlerons ultérieurement car après l'euro viendra la période tôt ou tard de ratification de ce traité.
Avant de répondre à vos questions, je souhaite maintenant conclure. J'ai déjà eu l'occasion de vous dire comment je concevais le rôle d'un ministre délégué chargé des Affaires européennes et une fonction classique assez prenante de négociations dans les enceintes communautaires. Il y a aussi le fait que, dans le gouvernement, il se trouve à l'interface entre la politique extérieure qui est de moins en moins étrangère s'agissant de l'Europe et la politique intérieure qui elle est de plus en plus imprégnée d'Europe. Cette fonction est vraiment une fonction de politique intérieure autant que de politique étrangère. Il y a une troisième fonction qui est d'écouter les Français, leur expliquer l'Europe et l'action européenne du gouvernement qui est, à mes yeux, au coeur de ma mission.
Au regard des préoccupations intérieures de l'opinion, j'observe que le discours sur l'Europe oscille régulièrement entre deux extrêmes : d'un côté, l'Europe bouc-émissaire, de toutes les peurs, de tous les fantasmes, de l'autre, l'Europe parfaite, celles qui ne le comprendraient pas seraient analphabètes ou de mauvais Français.
A mon sens, il peut et il doit y avoir place pour la réalité : celle d'une Europe qui se construit au quotidien, sous nos yeux, avec nos espoirs mais aussi nos craintes. C'est dans cet espace celui de la réalité que j'entends être actif pour faire vivre l'Europe, rendre familière cette grande idée, et inscrire dans les faits notre vision : celle d'une Europe qui combine enfin compétitivité économique et cohésion sociale, alliant les réalisations économiques, les réalisations sociales et les réalisations politiques. Car l'enjeu est bien aujourd'hui d'affronter et de maîtriser ce phénomène de la mondialisation, sur lequel nombre d'entre nous ont le sentiment de ne plus avoir prise.
Et vous me permettrez tout de même, pour terminer en revenant à l'idéal en partant de la réalité ce qui est plus logique pour le socialiste que je demeure, d'exprimer l'espoir que "Vivre l'Europe" se métamorphosera, à un horizon pas trop éloigné, en "Vive l'Europe", c'est-à- dire que les petits malaises ressentis parfois par les Français par rapport à l'Europe se dissiperont. Il faudra du temps, des efforts mais nous y parviendront.
Q - Ces campagnes répondent à la situation que l'on voit maintenant : les élections régionales ont été assez problématiques, ont démontré une sorte de crainte parmi les Français sur l'Europe et la mondialisation. On a bien vu hier le vote à l'Assemblée nationale au sujet de la BCE où les Communistes et les verts n'ont pas soutenu. Est-ce que ce mouvement vers l'Europe et vers l'euro est en danger ?
R - Je ne crois pas parce que tout d'abord, les Français ont tout à fait conscience de l'illénuctabilité de l'affaire. L'euro existe. Il a été anticipé par les acteurs depuis des mois. D'ailleurs, lorsqu'on s'interroge pour savoir qu'elles vont être les grilles de parité qui vont être retenues le 2 mai, je crois qu'il faut se retourner vers ce qui se passe. Cela fait 6 mois qu'il n'y pas de changement et donc d'une certaine façon les marchés ont déjà donné des orientations très précises. Il n'y a pas que les marchés, il y a le fait que 90% des Français savent qu'on va vers l'euro. Je pense qu'il n'y a pas de turbulences là-dessus, il n'y a pas non plus de surprises au sein de la majorité. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, nous savions qu'il y avait deux sujets qui était difficiles pour nous, deux sujets qui sont des sujets sur lesquels nous avons des sensibilités différentes : l'euro et l'immigration.
Il se trouve que ces deux sujets sont arrivés ensemble sur le devant de la scène en quelques jours d'où ces contrastes qui ressortent, mais c'est une surprise pour personne que le Parti communiste ne soit pas favorable à l'euro. Ce n'est une surprise pour personne que le Mouvement des citoyens ne soit pas favorable à l'euro. J'observe que, ni pour les uns, ni pour les autres, cela n'est pas un facteur qui remet en cause la participation au gouvernement. Et donc nous passerons cette épreuve-là tous ensemble, c'est très clair. Je crois qu'à la fois les Français et les partis politiques sont prêts.
Q - Pour l'euro ? R - Il n'y aura pas de problèmes français pour l'entrée dans l'euro. Et je suis persuadé que le débat sur l'euro qui se déroulera à l'Assemblée nationale le 21 et 22 avril, au Sénat le 23 avril permettra de montrer tout cela avec beaucoup de sérénité et de force. Donc, ne tirons pas de quelques débats parlementaires où s'expriment des sensibilités, ce qui est logique, y compris au sein de la gauche, la conclusion que l'euro est en danger : il ne l'est absolument pas. La résolution du gouvernement sur cette question est tout à fait claire, ferme et déterminée. Celle du Premier ministre, qui s'exprimera dans ce débat, l'est aussi.
Q - Comment décrivez-vous le problème qui existe en ce moment, cette sorte de division, vous dites même les Français et les politiques je pense qu'il y a une sorte de chiasme entre les deux ? Apparemment beaucoup de Français se posent la question.
R - C'est justement à cela que doit servir ce type de communication. Je pense que l'on entre dans une autre phase. Pendant des années, le débat sur l'euro était un débat très macro-économique avec des notions qui étaient très abstraites. Va-t-on faire 3 ou 3,1 critères sans doute utiles par ailleurs, sans doute nécessaires, pour d'autres raisons d'ailleurs que pour leurs définitions propres, à mon sens. Car la principale raison pour respecter les critères n'est pas telle ou telle norme européenne, c'est bien la volonté de désendetter le pays, car c'est un besoin. On a eu ce débat très macro-économique et on a eu aussi un débat très idéologique, très théorique pour la bonne raison que l'on ne savait pas de quoi on parlait. Et à partir du 2 mai, plus encore à partir du 1er janvier 1999, on entre dans le débat très concret qui va finalement toucher deux ordres de choses : premier ordre de chose, comment fait-on pour convertir, pour établir les feuilles de payes, les feuilles de sécurité sociale, quels sont les aspects très matériels du passage à l'euro et pour des gens d'un certain âge, peut être est-ce quelque chose d'un peu inquiétant.
On se promenait il y a quelques instants et on regardait comment expliquer l'euro aux enfants. Ce n'est pas vraiment simple de leur dire il va y avoir 8 types de pièces, 7 types de billets ; sur les uns, il y aura ceci, sur les autres, il y aura cela. Ce sont des inquiétudes un peu bêtes mais en même temps qui existent et qui sont triviales.
Il y a un deuxième ordre de préoccupations qui est très important : quelles conséquences cela a-t-il sur les politiques micro-économiques ? Le jour où nous aurons l'euro cela veut dire que les conditions de formations des prix dans l'espace européen devront être harmonisées. Cela a des conséquences sur la fiscalité, des conséquences sur la protection sociale, des conséquences sur le fonctionnement du marché intérieur. Des sujets dont on parle peu, mais qui sont absolument fondamentaux et là il y a un enjeu politique essentiel : harmonise-t-on par le haut ou par le bas ?
C'est toute une série de débats qui vont s'ouvrir et qui peuvent susciter des inquiétudes. C'est pour cela qu'il me semble aujourd'hui qu'il y a nécessité d'avoir une nouvelle manière de communiquer parce qu'il y a le besoin d'avoir une nouvelle manière d'agir. Il faut maintenant traiter ces problèmes très concrets, matériels, pratiques, qui ont en même temps une portée politique bien plus importante que les problèmes d'hier. Effectivement, c'est dans cette action-là, cette action pédagogique pour répondre à cette exigence de compréhension de l'opinion qui n'est pas toujours satisfaite, que nous voulons inscrire notre action d'abord en tant que gouvernement, puis notre communication. Une action n'est pas valable si elle n'est pas expliquée et comprise.
Q - Il y a effectivement nombre d'incompréhensions encore aux yeux de l'opinion publique sur ce que peut être l'Europe. Quelle type d'Europe, une Europe fédérale, une Europe d'Etats-Nations ? Ce sont de questions qui ne sont pas réglées. Pensez-vous qu'un référendum, d'une façon ou d'une autre, pourrait être un des moyens de rendre le débat sur l'Europe encore plus populaire que vous voudriez le faire grâce à cette campagne "Vivre l'Europe" ?
R - Je pense qu'un référendum rendrait sans doute l'Europe populaire mais pas forcément dans le bon sens du terme. Cela passionnerait mais je crains que cela déchaîne plus les passions que cela ne résolve les problèmes. On comprendra que je n'en suis pas absolument enthousiaste mais encore une fois à mon modeste niveau, je suis loin d'être un décideur s'il faut ou pas faire un référendum. Je vous signale que la question est posée et qu'elle devra trouver réponse à propos de la révision constitutionnelle sur le Traité d'Amsterdam. La réponse viendra d'ailleurs rapidement j'imagine, car il est clair que le Traité devra être ratifié un jour entre la fin de l'année 1998 et le début de l'année 1999 pour ne pas interférer avec les élections européennes.
Puisque je parle des élections européennes, car vous aurez observé que le calendrier de toutes ces échéances européennes va buter sur les élections européennes, sur le renouvellement de la Commission. Il se passe des choses très fondamentales sur le plan de la politique à la fin de l'année 1999, et les élections européennes seront peut-être le moment pour avoir ce grand débat. Ne négligeons pas le rôle de cette très grande institution et aussi le fait que l'on arrive à un moment où justement il faut réformer les institutions. Il me semble que ces élections européennes arrivent assez bien. Elles seront difficiles, elles seront délicates bien sûr pour tous les partis politiques. Il va falloir maîtriser cela. Il faudra que les Européens se battent pour faire entendre leur voix car ce n'est jamais facile dans ces élections. J'en sais quelque chose, ayant été déjà parlementaire européen. La démocratie aura l'occasion de s'exprimer sur l'Europe. Ne faisons pas comme si il n'y avait que le référendum. Ces élections sont après tout dans un peu moins d'un an. Nous sortons d'élections qui ont eu des enseignements finalement contrastés, difficiles parfois. Chacun sent bien que cette échéance qui vient est une échéance importante. Faut-il en ajouter d'autres encore ? Je me demande si les Français n'ont pas pour le moment envie de souffler un peu et peut-être de ne pas voter tous les deux mois.
Q - A propos des élections, cela sera-t-il avec le même mode de scrutin ?
R - Sur ce sujet-là, je vais encore donner un sentiment personnel. Le chantier de la modernisation politique est ouvert, il l'a été par le Premier ministre depuis sa déclaration de politique générale. Il l'est aussi maintenant par le Président de la République depuis les élections régionales et ses consultations.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)