Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les objectifs de la francophonie en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme, à Brazzaville le 25 avril 2003.

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Circonstance : Conférence des structures gouvernementales chargées des droits de l'homme dans l'espace francophone, à Brazzaville (Congo) le 25 avril 2003

Texte intégral

Excellence, Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie,
Mesdames et Messieurs les Ministres et Chefs de délégations,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Responsables d'institutions gouvernementales et publiques chargées des Droits de l'Homme,
Distingués invités attachés aux droits et libertés,
Mesdames et Messieurs,
Il est des lieux qui ont une puissante valeur de symbole.
Brazzaville est de ceux-là. Elle dont l'histoire a fait la capitale de la "France libre", et où le général de Gaulle a créé l'Ordre de la Libération. Comment pourrais-je ne pas le rappeler en cet instant ?
Evoquant en 1961 son discours mémorable prononcé à Brazzaville le 30 janvier 1944 sur les perspectives d'évolution de l'Afrique de l'époque, le Général de Gaulle déclarait :
"C'est ici que s'élevèrent () les idées qui ouvrirent la voie à la libre disposition d'eux-mêmes par les peuples de l'Afrique, en coopération fraternelle avec la France."
Ces idées, le sujet qui nous rassemble aujourd'hui, dans cette capitale du Congo, n'en est pas éloigné puisqu'il s'agit toujours de la liberté.
Sur le chemin de la liberté, un chemin semé d'embûches, nous le savons, des progrès ont été accomplis, malgré les accidents de l'histoire, les conflits et les malheurs.
En novembre 2000, il y a plus de deux ans déjà, une étape importante a été accomplie avec la Conférence de Bamako, qui a scellé l'engagement de la Francophonie en faveur des Droits de l'Homme et de la démocratie.
Réunis aujourd'hui à l'initiative du président Abdou Diouf, Secrétaire général de l'OIF, et grâce à l'hospitalité du président de la République du Congo, Son Excellence M. Denis Sassou Nguesso, du gouvernement congolais et, en particulier, de son ministre de la Justice et des Droits de l'Homme, Maître Jean-Martin Mbemba, nous nous apprêtons à franchir une étape supplémentaire dans ce processus.
L'enjeu est d'importance. Nous savons en effet que c'est sur le terrain de la démocratie et des Droits de l'Homme que nos opinions publiques et nos partenaires nous jugeront puisque nous avons voulu affirmer avec solennité les principes auxquels nous nous référons. La crédibilité de notre organisation internationale en dépend pour une large part.
La Francophonie a doté ses Etats membres d'un cadre de référence et de principes d'action propres à promouvoir la démocratie et les Droits de l'Homme. C'est désormais sur leur mise en uvre que nous devons porter nos efforts. En mettant en réseau les structures gouvernementales chargées des Droits de l'Homme, la Conférence de Brazzaville y contribuera.
La Francophonie dispose désormais d'un ensemble de principes, d'un corps de référence exemplaire en matière de promotion de la démocratie et des Droits de l'Homme :
Notre communauté a le privilège d'être fondée sur le partage d'une langue qui véhicule, partout dans le monde, les valeurs d'universalité et de démocratie. Contrairement à ce qu'affirment des esprits faux, cette éthique, qui inspire la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, n'est ni la propriété ni le privilège des pays occidentaux.
Reconnaître son universalité, c'est proclamer que chaque individu a des droits imprescriptibles et chercher dans chaque civilisation l'expression d'un idéal commun. C'est aussi accepter que la vérité se décline en une multitude de langues et de cultures comme elle s'exprime dans le débat d'idées tant il est vrai qu'il n'y a aucune contradiction entre une éthique universelle et la diversité des cultures.
Pour être respectés, ces principes et les droits et libertés qu'ils consacrent doivent d'abord être affirmés avec clarté et être revêtus d'une véritable autorité juridique. C'est ce que l'OIF a entrepris de faire ces dernières années en se dotant de son propre corps de référence et de ses programmes de coopération afin d'aider tous les Etats de l'espace francophone à toujours mieux respecter les Droits de l'Homme et les libertés individuelles et politiques.
Ce processus répond aux transitions démocratiques engagées dans plusieurs pays de la Francophonie, au Sud comme à l'Est, il y a plus de dix ans maintenant. En se dotant d'une véritable dimension politique, la Francophonie a souhaité accompagner ces évolutions positives. Les Sommets francophones de Cotonou (1995) et de Hanoi (1997) ont manifesté cette volonté par des réformes institutionnelles qui ont créé les conditions d'un approfondissement de la démocratie et du respect des Droits de l'Homme au sein de l'espace francophone. La Déclaration de Bamako de novembre 2000 a ensuite traduit cette ambition en termes de référence avant de la décliner en mesures de coopération concrètes dans un programme d'action particulièrement précis et ambitieux.
Ainsi, beaucoup de chemin a déjà été parcouru. Mais nous n'ignorons pas qu'en la matière les bons résultats ne sont jamais acquis de manière irréversible. La démocratie suppose une exigence et une vigilance de tous les instants. Son renforcement appelle conviction et volonté mais également lucidité et humilité. Chaque jour, nous mesurons son prix à l'aune de sa fragilité. L'histoire contemporaine n'en donne que trop d'exemples sur tous les continents.
Nous n'ignorons pas non plus le lien manifeste qui unit la démocratie et le développement. Si la démocratie est une des conditions essentielles du développement durable, la réciproque est également vraie.
A cet égard, l'éducation, et l'éducation de base en particulier, est un facteur essentiel d'appropriation de la démocratie. Car pour être un droit imprescriptible, la citoyenneté n'en est pas moins un long apprentissage. Former des citoyens, des électeurs et des candidats responsables suppose la maîtrise des savoirs de base, l'acceptation de l'égalité des hommes et des femmes, une ouverture sur les autres et le monde que seule l'école permet d'acquérir. C'est la raison pour laquelle la France s'est engagée, aux côtés de l'UNESCO, des autres membres du G8 et de la Banque mondiale, dans le programme "Education pour tous" qui vise à créer les conditions financières d'une scolarisation universelle à l'horizon 2015.
S'agissant de démocratie et de respect des Droits de l'Homme, ce ne sont pas les grands principes qui font difficulté. C'est surtout leur traduction dans la réalité concrète des pays. Nous serons davantage jugés sur notre capacité à mettre en uvre nos engagements que sur leur réaffirmation périodique.
A Bamako, la Francophonie s'est dotée d'objectifs ambitieux, il s'agit maintenant de renforcer leur mise en application tant sur le plan de la coopération que sur celui de la prévention et du règlement pacifique des crises.
L'adoption par les Etats de normes protectrices, l'adhésion aux grandes conventions internationales et le renforcement des législations existantes constituent le préalable de toute action significative en matière de promotion des Droits de l'Homme.
L'attention doit aussi se porter sur les conditions matérielles de fonctionnement des juridictions, des appareils judiciaires et des autorités de contrôle. Bien souvent, lorsqu'un pays enfreint les Droits de l'Homme, c'est parce que son appareil d'Etat est trop faible pour les faire respecter. Cette carence se traduit par une justice inefficace, une police mal formée et insuffisamment sensibilisée au respect des droits fondamentaux. Dans ce contexte, comment ne pas déplorer la maigreur des budgets consacrés à la justice au moment où un consensus se dégage, tant du côté des contributeurs que des bénéficiaires de l'aide, sur l'idée que l'Etat de droit est non seulement une nécessité éthique, mais encore et surtout un facteur essentiel du développement dans le domaine économique et social ? Les grands organismes internationaux ne s'y trompent d'ailleurs pas, qui en font une condition pour bénéficier de leurs programmes.
La coopération multilatérale francophone a, pour sa part, accru très significativement ses moyens destinés au renforcement des institutions de l'Etat de droit, à la consolidation des processus électoraux ou, encore, à la promotion d'une culture démocratique et aux initiatives de la société civile qui y contribuent. Je sais que la délégation aux Droits de l'Homme et à la démocratie s'est attelée à cette tâche avec ardeur et détermination et il convient d'en féliciter Mme Christine Desouches et ses collaborateurs.
La France, quant à elle, a consacré plus de 20 millions d'euros de ses programmes de coopération bilatérale en 2002 au renforcement des juridictions des instances de régulation, des appareils de police, des assemblées parlementaires et des Droits de l'Homme dans les pays partenaires. Elle apporte un appui simultané aux acteurs de la société civile, ainsi qu'aux ONG à vocation internationale, pour ce qui concerne la réforme des systèmes pénitentiaires ou la Fédération internationale des Ligues des Droits de l'Homme. A la Conférence ministérielle de la Francophonie de Lausanne, au mois de décembre dernier, la France a alloué une dotation supplémentaire de 4 millions d'euros à la délégation aux Droits de l'Homme et à la démocratie de l'OIF.
Nous savons qu'il ne peut y avoir de développement durable sans paix ni stabilité. Notre espace est encore aujourd'hui trop souvent déchiré par des conflits qui propagent d'insupportables enchaînements de haine, de souffrance et de ressentiment. Notre communauté a l'impérieux devoir de se mobiliser pour mettre un terme, dans la justice et la dignité, à ces conflits. Cela suppose un inlassable effort diplomatique. Mais cela suppose aussi d'interpeller les consciences en mettant chaque peuple devant ses responsabilités. Il revient à la communauté internationale - et à l'Organisation internationale de la Francophonie au premier chef - de réagir face à des violations graves et répétées des Droits de l'Homme, sans pour autant rompre le dialogue.
Je rends hommage aux efforts déployés par la Délégation aux Droits de l'Homme et à la démocratie pour mettre en place les organes de suivi décidés par les instances de l'OIF, conformément aux dispositions prévues dans le chapitre 5 de la Déclaration de Bamako.
S'agissant de la procédure à suivre lorsqu'un pays membre connaît une rupture de la démocratie, je souhaiterais que nous progressions dans la voie, à la fois souple et pragmatique, que le ministre libanais Ghassan Salame qui présidait la Conférence ministérielle de la Francophonie, et moi-même, avions eu l'occasion d'évoquer à l'occasion du Sommet de Beyrouth : consultation informelle et rapide des ministres directement concernés, réunion restreinte de représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement afin d'envisager les mesures à prendre. Il convient désormais de préciser ce dispositif.
J'en viens maintenant à l'un des enjeux de notre conférence : la mise en réseau des structures gouvernementales qui s'inscrira dans la continuité du processus que j'ai décrit.
Plus que quiconque, vous connaissez, par vos fonctions, les enjeux individuels et collectifs que recouvre la promotion de la démocratie. Vous savez que le succès de votre entreprise ne dépend pas de votre seule force de conviction. Il suppose, en premier lieu, la mobilisation de tous les rouages de l'Etat. C'est l'objectif de notre conférence.
Et c'est précisément parce que l'exercice des droits fondamentaux cristallise les attentes, les incompréhensions et les ressentiments de nos concitoyens, que l'Etat se doit d'être exemplaire dans sa législation, sa réglementation et ses modes d'action. Qu'il n'assume pas ses missions régaliennes et c'est l'anarchie ; qu'il sombre dans l'arbitraire et c'est l'oppression.
La France, pour sa part, a montré à Beyrouth qu'elle était disposée à dégager les moyens nécessaires au renforcement des Droits de l'Homme et de la démocratie. Elle souhaite que cette mise en réseau de structures gouvernementales qui devrait voir le jour à l'issue de vos travaux permette un échange d'informations et une confrontation d'expériences réguliers, notamment grâce aux technologies de l'information et de la communication. Ce mode opératoire contribuera, j'en suis certain, à renforcer l'application les dispositions essentielles de la Déclaration de Bamako : ratification des grands instruments internationaux, mise en conformité des législations locales avec les standards de l'Etat de droit, développement des organismes de régulation et de contrôle, émergence de la société civile
A l'heure où ses instances se sont prononcées en faveur d'une simplification de son fonctionnement, la Francophonie est confrontée à un double défi : associer à ses programmes l'ensemble des acteurs susceptibles de les enrichir et, dans le même temps, éviter de multiplier en son sein les organes institutionnels. La formule qui nous paraît devoir prévaloir est donc celle, pragmatique, d'une mise en réseau des structures gouvernementales dont les activités seraient suivies par un comité placé sous l'autorité du Secrétaire général et bénéficiant, pour ce qui a trait à son fonctionnement, de l'appui de la Délégation aux Droits de l'Homme et à la démocratie.
Notre tâche est considérable mais elle est stimulante. Je ne doute pas que nous saurons, tous ensemble, répondre aux attentes légitimes que notre conférence suscite déjà. En prenant mieux en compte, dans le cadre du dispositif francophone, les structures gouvernementales chargées des Droits de l'Homme, en créant les conditions de leur concertation fructueuse, la Conférence de Brazzaville marque une nouvelle étape dans la mise en uvre du processus de Bamako. Ne laissons pas passer cette chance.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)