Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est avec grand plaisir que j'ai accepté d'ouvrir cette table ronde consacrée à l'agriculture dans les futures négociations commerciales de l'OMC.
Après l'échec de la Conférence de Seattle, qui devait lancer un cycle de négociations large et global, le dossier agricole va être abordé dans le cadre de l'agenda incorporé. Mais le lancement d'un cycle global de négociations commerciales reste pour nous une priorité.
Autrement dit, le futur des négociations agricoles à l'OMC a deux dimensions, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
Cet échec a bien sûr modifié les perspectives, pour l'année qui s'ouvre et les suivantes.
1) Quelles ont été les raisons de l'échec ?
Pourquoi a-t-on échoué à Seattle, alors qu'il ne s'agissait que de fixer l'ordre du jour des prochaines négociations ? Je ne prétends pas apporter ici une réponse définitive à une question très complexe : une accumulation de facteurs me semble être à l'origine de cet échec.
La réunion elle-même s'est déroulée dans une atmosphère particulière : les manifestations dirigées contre la mondialisation, le manque de temps, la critique des méthodes de négociation par certains membres de l'OMC, les plus pauvres en particulier qui se sont sentis exclus du processus de discussion, autant de facteurs qui n'ont pas contribué à créer un climat favorable au consensus.
Dans ce contexte, la réussite de la Conférence devenait au fil des jours un véritable défi pour la Présidence américaine. La préparation de la réunion avant Seattle s'était déjà faite dans des conditions difficiles et dans des délais sans doute trop brefs, au vu de la complexité des sujets : nous avions déjà des motifs d'inquiétude que j'avais évoqués en octobre à Washington avec Madame Barshefsky, et à Paris également avec l'ambassadeur Rohatyn.
Je continue de croire que les questions complexes réclament, pour être dénouées, de la patience certainement et surtout une approche globale qui donne plus de chance à chacun de profiter véritablement des négociations.
En cherchant à imposer de fait un préalable agricole à l'ensemble du processus, les Pays du Groupe de Cairns ont privilégié une approche simplificatrice, qui n'était pas de nature à faire avancer le processus.
Les pays en développement ont, de leur côté, estimé que leurs demandes étaient insuffisamment prises en compte pour accepter l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations. Ils demandaient qu'un bilan soit tiré de l'application des accords de Marrakech et que certaines de leurs dispositions soient aménagées voire révisées à leur avantage, tout en rejetant pour beaucoup d'entre eux à ce stade l'idée d'un cycle large couvrant de nouveaux sujets tels que l'environnement, l'investissement ou la concurrence.
Dans ce contexte, la fermeté spécifique dont nous avons fait preuve sur le dossier agricole ne peut être tenue pour responsable du blocage et de l'échec de la Conférence, car à travers le refus d'accepter un préalable agricole, c'est l'objectif d'un cycle véritablement global que nous défendions.
2) En tout état de cause, je considère que l'échec de Seattle était préférable à la conclusion d'un mauvais accord.
Malgré les efforts déployés par l'Union Européenne pour susciter la base d'un accord possible, les textes qui circulaient au dernier jour de la Conférence n'étaient pas acceptables en l'état par l'Union Européenne, ni par la France : nos objectifs n'étaient pas atteints, les textes n'étaient présentables ni à nos opinions publiques ni à nos Parlementaires. C'était le cas pour l'environnement pour lequel aucun objectif crédible n'était fixé, pour les biotechnologies, de la sécurité alimentaire, les normes sociales, les sujets investissement et concurrence, et enfin l'agriculture.
Pourquoi, en particulier, puisque c'est le sujet qui nous réunit aujourd'hui, le texte proposé sur l'agriculture n'était-il pas acceptable ?
Pour plusieurs raisons et notamment les suivantes :
- parce que ce texte prétendait trancher un débat ouvert durant le cycle d'Uruguay, et resté ouvert depuis lors, celui de l'élimination des soutiens à l'exportation. Si nous sommes prêts à poursuivre, comme nous nous y sommes engagés à Marrakech, le processus de réduction des subventions à l'exportation, nous n'avons pas l'intention de régler au préalable une sorte "d'acompte" en acceptant dans l'agenda l'inscription d'un objectif d'élimination de nos subventions à l'exportation.
- nous ne pouvions pas accepter non plus que le dernier texte proposé ne comporte aucune référence au concept de multifonctionnalité, comme le demandaient également d'autres pays qui partagent notre point de vue : Japon, Corée, Norvège, Suisse, Hongrie, etc...
- parce qu'enfin, même s'il était bien fait référence aux considérations non commerciales, à la sécurité alimentaire, au développement des zones rurales, à la protection de l'environnement, comme nous le souhaitions, celles-ci étaient en réalité neutralisées par l'exigence qui leur était faite de n'engendrer aucune distorsion aux échanges.
Je retiens aussi de Seattle que la cohésion communautaire a tenu bon : nous avions défini ensemble un mandat pour la Commission, nous nous étions fixés un certain nombre d'objectifs et nous avons su rester soudés, ce qui est, je crois, très important pour la suite. Nous avons en particulier refusé d'un même mouvement de nous prononcer sur un aspect séparé de la négociation -en l'occurrence l'agriculture- avant de connaître le contenu exact du " paquet " global.
4) Que va-t-il se passer maintenant à l'OMC ?
L'approche de l'Union Européenne, qui est de trouver un équilibre entre régulation et libéralisation, pour une ouverture maîtrisée des échanges, reste valable. Cette approche n'a d'ailleurs pas été rejetée dans son principe à Seattle et tous les sujets de régulation que nous avons soulevés sont, clairement et durablement, au centre des discussions sur les échanges internationaux.
L'OMC est l'organisation nécessaire à la régulation des échanges. Sans arbitre du commerce, c'est la loi du plus fort qui prévaut, c'est l'unilatéralisme qui triomphe. Mais l'OMC est une organisation récente : on peut considérer qu'elle traverse une crise de jeunesse, dans la mesure où l'échec de Seattle montre qu'elle n'a pu mener à bien une discussion complexe. Il faut répondre aux critiques portant sur son fonctionnement et sur les modalités du processus de négociation, et en particulier réfléchir à la manière d'associer pleinement les pays en voie de développement à la prise de décision, et de mieux reconnaître le rôle des organisations issues de la société civile.
Au lendemain de Seattle, le Premier ministre a annoncé, lors de sa visite à Tokyo, que la France était prête à prendre une part active à la réflexion sur l'organisation et les procédures de l'OMC " de manière à rendre son fonctionnement plus efficace, plus transparent et plus démocratique ".
Dans cette perspective, le travail a recommencé et nous serons bientôt en mesure de présenter les premières conclusions de notre réflexion. Je verrai prochainement M. Moore, mes homologues britannique, allemand et canadien. Bref le mouvement reprend.
Nous continuerons parallèlement à promouvoir le lancement d'un cycle de négociations large et global, qui reste pour nous une nécessité, avec l'appui des pays qui partagent notre ambition d'un cycle qui ne se limite pas seulement à l'accès au marché. Néanmoins, il me paraît peu probable que l'année 2000 voit effectivement le lancement d'un tel cycle, et ce pour plusieurs raisons : le calendrier électoral d'un grand partenaire, d'une part, et d'autre part, la nécessité de mener l'exercice de réflexion sur le fonctionnement de l'OMC. Cela renvoie donc plutôt, selon toute vraisemblance, les discussions " sérieuses " pour le lancement d'un cycle de négociations à l'année 2001.
Ceci étant, la négociation agricole doit théoriquement reprendre en 2000 conformément aux engagements pris dans le cadre de l'article 20 de l'accord agricole conclu à Marrakech :
A court terme, l'échec de Seattle signifie que seul ce que l'on appelle " l'agenda incorporé " doit être mis en uvre : des négociations qui ne porteront que sur l'agriculture et les services doivent donc en principe commencer cette année, comme tous les membres de l'OMC s'y étaient engagés lors des accords de Marrakech en 1994. A la différence de ce qui se passerait si la Conférence de Seattle avait lancé un nouveau cycle de négociations, les discussions dans le cadre de l'agenda incorporé ne comportent pas d'échéance ni de calendrier : elles se feront donc à leur rythme...
Dans ce cadre, je tiens à souligner que les textes diffusés à Seattle ne peuvent servir de fondement à ces négociations. Ils n'ont aucune valeur juridique. La France et l'Union européenne considèrent, logiquement, que les négociations qui reprendront à Genève seront lancées sur la base de l'article 20 de l'accord de 1994.
Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas être attentif à ce qui peut se produire dans d'autres enceintes.
Nous cherchons à promouvoir la défense d'une agriculture multifonctionnelle et la prise en compte des questions non commerciales : protection de l'environnement, principe de précaution, sécurité et qualité des aliments.
Si nous souhaitons faire reconnaître ces objectifs au sein de l'OMC, nous ne prétendons pas pour autant qu'il appartiendra à cette seule organisation de les réaliser. D'autres enceintes existent : dans le cas des OGM, en particulier, parce qu'ils peuvent constituer une menace pour la diversité biologique, les parties de la Convention sur la Diversité biologique ont lancé des négociations sur la sécurité des transferts transfrontaliers d'OGM, dit " protocole de bio-sécurité ", qui doivent reprendre, lundi prochain, à Montréal..
Ainsi, c'est moins à travers la centralisation de l'arsenal juridique que dans la coordination des différentes enceintes internationales que nous parviendrons à concilier les intérêts de tous et à traiter des questions dont les enjeux économiques, environnementaux et sociaux ne font pas encore l'objet d'un véritable consensus.
5) Je terminerai en rappelant la position que la France continuera à défendre sur le dossier agricole :
Nous continuerons à défendre le modèle agricole européen et la capacité productive et exportatrice de notre agriculture. Nous défendrons ce modèle en mettant pleinement en uvre les décisions adoptées en matière de réforme de la PAC dans le cadre de l'Agenda 2000. Je rappelle que la Communauté européenne a déjà fait des efforts très importants, notamment en termes de réduction des prix de soutien, qui constituent une contribution essentielle à la stabilisation des marchés agricoles mondiaux.
En matière de soutien il faudra que chacun justifie aussi de ses propres soutiens.
En matière d'accès au marché, la réforme de la PAC constituera le socle de la position européenne pour mener la réduction tarifaire.
En matière de soutien aux exportations, nous continuerons à exiger que les formes moins transparentes de soutien aux exportations pratiquées par nos partenaires, comme les programmes d'aide alimentaire, les crédits à l'exportation, les monopoles d'exportations, soient également pris en compte dans l'effort de réduction.
Je me permets enfin d'insister sur ce qui constitue le fondement de toutes nos positions, c'est-à-dire la spécificité de l'agriculture.
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques : un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays. Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies d'échelle sont globalement positifs.. Mais pour d'autres biens, les biens culturels, les services publics, l'agriculture , le raisonnement économique ne peut s'appliquer sans restrictions. Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut-être sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole. Mais dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est le sens des positions européennes lorsque nous parlons de multifonctionnalité et cette approche fait peu à peu son chemin, au delà de l'Union Européenne, jusqu'au Japon comme j'ai pu encore le constater lorsque j'y ai accompagné le Premier Ministre. Cette convergence de points de vue à d'ailleurs donné lieu depuis Seattle, à de nouvelles initiatives, comme la déclaration commune UE/Japon ou encore le groupe parlementaire en faveur de l'agriculture et de la pêche entre français, suisses, coréens et japonais. Le thème de la multifonctionnalité est enfin déjà reconnu à l'OCDE. Et j'observe qu'il est paradoxal que certains pays l'acceptent clairement dans cette enceinte alors qu'ils le refusent à l'OMC.
L'alternative n'est donc pas entre la protection d'une agriculture que certains jugent non compétitive et la suppression de tous les soutiens , mais bien entre une politique exclusivement commerciale pour l'agriculture, et une politique agricole à l'OMC soucieuse des spécificités de l'agriculture, des attentes des consommateurs, de la sécurité alimentaire mondiale, et capable de contribuer à la genèse d'un monde multipolaire.
Cette deuxième alternative peut servir de base à un véritable dialogue entre l'Europe et ses différents partenaires, un dialogue que je vous invite dès à présent à engager.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 27 janvier 2000)
C'est avec grand plaisir que j'ai accepté d'ouvrir cette table ronde consacrée à l'agriculture dans les futures négociations commerciales de l'OMC.
Après l'échec de la Conférence de Seattle, qui devait lancer un cycle de négociations large et global, le dossier agricole va être abordé dans le cadre de l'agenda incorporé. Mais le lancement d'un cycle global de négociations commerciales reste pour nous une priorité.
Autrement dit, le futur des négociations agricoles à l'OMC a deux dimensions, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
Cet échec a bien sûr modifié les perspectives, pour l'année qui s'ouvre et les suivantes.
1) Quelles ont été les raisons de l'échec ?
Pourquoi a-t-on échoué à Seattle, alors qu'il ne s'agissait que de fixer l'ordre du jour des prochaines négociations ? Je ne prétends pas apporter ici une réponse définitive à une question très complexe : une accumulation de facteurs me semble être à l'origine de cet échec.
La réunion elle-même s'est déroulée dans une atmosphère particulière : les manifestations dirigées contre la mondialisation, le manque de temps, la critique des méthodes de négociation par certains membres de l'OMC, les plus pauvres en particulier qui se sont sentis exclus du processus de discussion, autant de facteurs qui n'ont pas contribué à créer un climat favorable au consensus.
Dans ce contexte, la réussite de la Conférence devenait au fil des jours un véritable défi pour la Présidence américaine. La préparation de la réunion avant Seattle s'était déjà faite dans des conditions difficiles et dans des délais sans doute trop brefs, au vu de la complexité des sujets : nous avions déjà des motifs d'inquiétude que j'avais évoqués en octobre à Washington avec Madame Barshefsky, et à Paris également avec l'ambassadeur Rohatyn.
Je continue de croire que les questions complexes réclament, pour être dénouées, de la patience certainement et surtout une approche globale qui donne plus de chance à chacun de profiter véritablement des négociations.
En cherchant à imposer de fait un préalable agricole à l'ensemble du processus, les Pays du Groupe de Cairns ont privilégié une approche simplificatrice, qui n'était pas de nature à faire avancer le processus.
Les pays en développement ont, de leur côté, estimé que leurs demandes étaient insuffisamment prises en compte pour accepter l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations. Ils demandaient qu'un bilan soit tiré de l'application des accords de Marrakech et que certaines de leurs dispositions soient aménagées voire révisées à leur avantage, tout en rejetant pour beaucoup d'entre eux à ce stade l'idée d'un cycle large couvrant de nouveaux sujets tels que l'environnement, l'investissement ou la concurrence.
Dans ce contexte, la fermeté spécifique dont nous avons fait preuve sur le dossier agricole ne peut être tenue pour responsable du blocage et de l'échec de la Conférence, car à travers le refus d'accepter un préalable agricole, c'est l'objectif d'un cycle véritablement global que nous défendions.
2) En tout état de cause, je considère que l'échec de Seattle était préférable à la conclusion d'un mauvais accord.
Malgré les efforts déployés par l'Union Européenne pour susciter la base d'un accord possible, les textes qui circulaient au dernier jour de la Conférence n'étaient pas acceptables en l'état par l'Union Européenne, ni par la France : nos objectifs n'étaient pas atteints, les textes n'étaient présentables ni à nos opinions publiques ni à nos Parlementaires. C'était le cas pour l'environnement pour lequel aucun objectif crédible n'était fixé, pour les biotechnologies, de la sécurité alimentaire, les normes sociales, les sujets investissement et concurrence, et enfin l'agriculture.
Pourquoi, en particulier, puisque c'est le sujet qui nous réunit aujourd'hui, le texte proposé sur l'agriculture n'était-il pas acceptable ?
Pour plusieurs raisons et notamment les suivantes :
- parce que ce texte prétendait trancher un débat ouvert durant le cycle d'Uruguay, et resté ouvert depuis lors, celui de l'élimination des soutiens à l'exportation. Si nous sommes prêts à poursuivre, comme nous nous y sommes engagés à Marrakech, le processus de réduction des subventions à l'exportation, nous n'avons pas l'intention de régler au préalable une sorte "d'acompte" en acceptant dans l'agenda l'inscription d'un objectif d'élimination de nos subventions à l'exportation.
- nous ne pouvions pas accepter non plus que le dernier texte proposé ne comporte aucune référence au concept de multifonctionnalité, comme le demandaient également d'autres pays qui partagent notre point de vue : Japon, Corée, Norvège, Suisse, Hongrie, etc...
- parce qu'enfin, même s'il était bien fait référence aux considérations non commerciales, à la sécurité alimentaire, au développement des zones rurales, à la protection de l'environnement, comme nous le souhaitions, celles-ci étaient en réalité neutralisées par l'exigence qui leur était faite de n'engendrer aucune distorsion aux échanges.
Je retiens aussi de Seattle que la cohésion communautaire a tenu bon : nous avions défini ensemble un mandat pour la Commission, nous nous étions fixés un certain nombre d'objectifs et nous avons su rester soudés, ce qui est, je crois, très important pour la suite. Nous avons en particulier refusé d'un même mouvement de nous prononcer sur un aspect séparé de la négociation -en l'occurrence l'agriculture- avant de connaître le contenu exact du " paquet " global.
4) Que va-t-il se passer maintenant à l'OMC ?
L'approche de l'Union Européenne, qui est de trouver un équilibre entre régulation et libéralisation, pour une ouverture maîtrisée des échanges, reste valable. Cette approche n'a d'ailleurs pas été rejetée dans son principe à Seattle et tous les sujets de régulation que nous avons soulevés sont, clairement et durablement, au centre des discussions sur les échanges internationaux.
L'OMC est l'organisation nécessaire à la régulation des échanges. Sans arbitre du commerce, c'est la loi du plus fort qui prévaut, c'est l'unilatéralisme qui triomphe. Mais l'OMC est une organisation récente : on peut considérer qu'elle traverse une crise de jeunesse, dans la mesure où l'échec de Seattle montre qu'elle n'a pu mener à bien une discussion complexe. Il faut répondre aux critiques portant sur son fonctionnement et sur les modalités du processus de négociation, et en particulier réfléchir à la manière d'associer pleinement les pays en voie de développement à la prise de décision, et de mieux reconnaître le rôle des organisations issues de la société civile.
Au lendemain de Seattle, le Premier ministre a annoncé, lors de sa visite à Tokyo, que la France était prête à prendre une part active à la réflexion sur l'organisation et les procédures de l'OMC " de manière à rendre son fonctionnement plus efficace, plus transparent et plus démocratique ".
Dans cette perspective, le travail a recommencé et nous serons bientôt en mesure de présenter les premières conclusions de notre réflexion. Je verrai prochainement M. Moore, mes homologues britannique, allemand et canadien. Bref le mouvement reprend.
Nous continuerons parallèlement à promouvoir le lancement d'un cycle de négociations large et global, qui reste pour nous une nécessité, avec l'appui des pays qui partagent notre ambition d'un cycle qui ne se limite pas seulement à l'accès au marché. Néanmoins, il me paraît peu probable que l'année 2000 voit effectivement le lancement d'un tel cycle, et ce pour plusieurs raisons : le calendrier électoral d'un grand partenaire, d'une part, et d'autre part, la nécessité de mener l'exercice de réflexion sur le fonctionnement de l'OMC. Cela renvoie donc plutôt, selon toute vraisemblance, les discussions " sérieuses " pour le lancement d'un cycle de négociations à l'année 2001.
Ceci étant, la négociation agricole doit théoriquement reprendre en 2000 conformément aux engagements pris dans le cadre de l'article 20 de l'accord agricole conclu à Marrakech :
A court terme, l'échec de Seattle signifie que seul ce que l'on appelle " l'agenda incorporé " doit être mis en uvre : des négociations qui ne porteront que sur l'agriculture et les services doivent donc en principe commencer cette année, comme tous les membres de l'OMC s'y étaient engagés lors des accords de Marrakech en 1994. A la différence de ce qui se passerait si la Conférence de Seattle avait lancé un nouveau cycle de négociations, les discussions dans le cadre de l'agenda incorporé ne comportent pas d'échéance ni de calendrier : elles se feront donc à leur rythme...
Dans ce cadre, je tiens à souligner que les textes diffusés à Seattle ne peuvent servir de fondement à ces négociations. Ils n'ont aucune valeur juridique. La France et l'Union européenne considèrent, logiquement, que les négociations qui reprendront à Genève seront lancées sur la base de l'article 20 de l'accord de 1994.
Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas être attentif à ce qui peut se produire dans d'autres enceintes.
Nous cherchons à promouvoir la défense d'une agriculture multifonctionnelle et la prise en compte des questions non commerciales : protection de l'environnement, principe de précaution, sécurité et qualité des aliments.
Si nous souhaitons faire reconnaître ces objectifs au sein de l'OMC, nous ne prétendons pas pour autant qu'il appartiendra à cette seule organisation de les réaliser. D'autres enceintes existent : dans le cas des OGM, en particulier, parce qu'ils peuvent constituer une menace pour la diversité biologique, les parties de la Convention sur la Diversité biologique ont lancé des négociations sur la sécurité des transferts transfrontaliers d'OGM, dit " protocole de bio-sécurité ", qui doivent reprendre, lundi prochain, à Montréal..
Ainsi, c'est moins à travers la centralisation de l'arsenal juridique que dans la coordination des différentes enceintes internationales que nous parviendrons à concilier les intérêts de tous et à traiter des questions dont les enjeux économiques, environnementaux et sociaux ne font pas encore l'objet d'un véritable consensus.
5) Je terminerai en rappelant la position que la France continuera à défendre sur le dossier agricole :
Nous continuerons à défendre le modèle agricole européen et la capacité productive et exportatrice de notre agriculture. Nous défendrons ce modèle en mettant pleinement en uvre les décisions adoptées en matière de réforme de la PAC dans le cadre de l'Agenda 2000. Je rappelle que la Communauté européenne a déjà fait des efforts très importants, notamment en termes de réduction des prix de soutien, qui constituent une contribution essentielle à la stabilisation des marchés agricoles mondiaux.
En matière de soutien il faudra que chacun justifie aussi de ses propres soutiens.
En matière d'accès au marché, la réforme de la PAC constituera le socle de la position européenne pour mener la réduction tarifaire.
En matière de soutien aux exportations, nous continuerons à exiger que les formes moins transparentes de soutien aux exportations pratiquées par nos partenaires, comme les programmes d'aide alimentaire, les crédits à l'exportation, les monopoles d'exportations, soient également pris en compte dans l'effort de réduction.
Je me permets enfin d'insister sur ce qui constitue le fondement de toutes nos positions, c'est-à-dire la spécificité de l'agriculture.
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques : un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays. Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies d'échelle sont globalement positifs.. Mais pour d'autres biens, les biens culturels, les services publics, l'agriculture , le raisonnement économique ne peut s'appliquer sans restrictions. Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut-être sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole. Mais dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est le sens des positions européennes lorsque nous parlons de multifonctionnalité et cette approche fait peu à peu son chemin, au delà de l'Union Européenne, jusqu'au Japon comme j'ai pu encore le constater lorsque j'y ai accompagné le Premier Ministre. Cette convergence de points de vue à d'ailleurs donné lieu depuis Seattle, à de nouvelles initiatives, comme la déclaration commune UE/Japon ou encore le groupe parlementaire en faveur de l'agriculture et de la pêche entre français, suisses, coréens et japonais. Le thème de la multifonctionnalité est enfin déjà reconnu à l'OCDE. Et j'observe qu'il est paradoxal que certains pays l'acceptent clairement dans cette enceinte alors qu'ils le refusent à l'OMC.
L'alternative n'est donc pas entre la protection d'une agriculture que certains jugent non compétitive et la suppression de tous les soutiens , mais bien entre une politique exclusivement commerciale pour l'agriculture, et une politique agricole à l'OMC soucieuse des spécificités de l'agriculture, des attentes des consommateurs, de la sécurité alimentaire mondiale, et capable de contribuer à la genèse d'un monde multipolaire.
Cette deuxième alternative peut servir de base à un véritable dialogue entre l'Europe et ses différents partenaires, un dialogue que je vous invite dès à présent à engager.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 27 janvier 2000)