Texte intégral
S. Paoli - Alors que l'économie française stagne et que le déficit se creuse, la stratégie annoncée par J.-P. Raffarin, une baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu pour créer une dynamique au service de l'emploi, bénéficiera-t-elle de la croissance ? Réhabiliter l'impôt, réhabiliter le travail, deux visions de la politique.
Invité de Question directe, F. Hollande, premier secrétaire du parti socialiste bonjour.
- "Bonjour."
J'ai dit deux visions de la politique parce que c'était quand, dimanche dernier, vous-même prôniez une réhabilitation de l'impôt. Dans cet entretien accordé au Figaro ce matin, la décision était connue hier soir, J.-P. Raffarin vous répond en disant " non, réhabilitons le travail ". Deux visions de la politique décidément ?
- "Mais il faut qu'il y ait quand même des choix qui soient offerts. D'un côté on nous dit nous allons baisser les impôts. C'est faux. Il va y avoir une baisse de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur la fortune, tous les autres prélèvements vont augmenter, ça c'est un choix. On préfère finalement donner aux mêmes, quitte à ce que les autres fassent davantage de sacrifices. Autre élément de choix : on nous dit aujourd'hui il faut baisser l'impôt sur le revenu et ne pas faire grand chose sur la prime pour l'emploi. C'est l'inverse qu'il faudrait faire, mettre davantage pour les petits et moyens revenus et faire moins pour les plus gros. Troisième élément de choix : le Gouvernement nous dit : " je laisse filer les déficits ". Pour les Français, le déficit on ne le rencontre pas au coin de la rue. Mais laisser filer les déficits de la Sécurité sociale comme ils sont aujourd'hui historiquement à leur point le plus bas, laisser filer les déficits budgétaires au point de nous faire condamner sans doute un jour ou l'autre par Bruxelles, c'est finalement augmenter les impôts de demain. Donc quand on nous dit qu'aujourd'hui il y aurait baisse d'impôt, ce n'est pas vrai. Il y a hélas une augmentation des prélèvements sur un grand nombre de Français et il y aura une augmentation d'impôt de demain parce que la dette d'aujourd'hui, l'endettement de demain c'est de toute façon des impôts pour les Français dans un proche avenir."
Alors on laisse ce matin de côté le débat strictement politicien F. Hollande, pour bien comprendre justement les choix politiques. Quand le Gouvernement vous dit : " non, réhabilitons le travail parce que la baisse d'impôt, ça va accompagner la croissance, et donc ça va créer de l'emploi, ce sera bon pour lutter contre le chômage " - d'ailleurs la gauche avait utilisé un argument assez comparable au moment des 35 heures -, qu'est-ce que vous répondez ?
- "Premièrement, est-ce que les mesures qui sont proposées par J.-P. Raffarin sont de nature à relancer la croissance ? C'est-à-dire est-ce que de baisser l'impôt sur le revenu pour notamment les hautes tranches, est-ce que de baisser l'impôt sur la fortune ça va avoir, au-delà de nos préférences idéologiques, un effet sur l'activité et la croissance ? Si ça en a un, laissons de côté nos a priori et faisons ce choix. Nous savons par expérience puisque c'est ce qui est fait depuis maintenant un an et demi, nous savons que ça n'a aucune conséquence dans le contexte d'aujourd'hui sur la croissance, sur la consommation. Ça relève les taux d'épargne, les taux de placement, on voit ce qui se passe sur le marché immobilier notamment dans les quartiers les plus favorisés, mais pas seulement dans les quartiers les plus favorisés, donc ça n'a pas d'effet sur la croissance. Cette mesure doit donc être écartée. Après, j'entends [qu'il faut] " réhabiliter le travail ". Oui, nous voulons réhabiliter le travail. La meilleure façon de réhabiliter le travail, c'est de réhabiliter l'emploi. Quand il se produit comme il se produit aujourd'hui - et les journaux en sont hélas pleins -, des plans sociaux, des plans de licenciements, lorsque sont supprimés des emplois voire même fermées des entreprises, qu'elle est la réhabilitation du travail que l'on propose aux Français ? La meilleure façon de réhabiliter le travail, c'est de faire travailler le plus de monde possible, c'est la façon je crois, de parvenir à la réhabilitation du travail, c'est de réhabiliter l'emploi."
Mais comment expliquez-vous qu'en Europe, la tendance soit plutôt et notamment aussi en Allemagne, à essayer d'accompagner la reprise de la croissance notamment en baissant les impôts ? Y a-t-il là une singularité française aujourd'hui ou est-ce qu'au contraire on s'inscrit dans un ensemble qui est cohérent du point de vue de l'action ?
- "Si on veut relancer la croissance et c'est absolument indispensable car il ne faut pas tout attendre des Etats-Unis, à quelques points de vue que l'on se place et n'imaginons pas que la reprise économique aux Etats-Unis aura des effets mécaniques sur nous. Donc il faut avoir une politique. Cette politique doit d'abord être européenne. Il est dommage que J.-P. Raffarin, plutôt que de quémander avec sa sébile une dérogation au Pacte de stabilité, n'ait pas proposé à nos amis allemands et peut-être d'autres un plan de relance à l'échelle de l'Europe. Ça, ça aurait eu un impact sur la croissance à travers des infrastructures ou des dépenses utiles, éducation, recherche, etc. Deuxième façon, oui il y a des moments où il faut accompagner la reprise économique et donc il faut plutôt soutenir la consommation. Vous avez vous-même fait rapport dans votre journal de ces baisses d'allocation logement pour les étudiants, ce déremboursement pour les familles. Comment voulez-vous que la consommation reprenne si d'un côté on baisse l'impôt de ceux qui de toute façon ne consommeront pas et si on supprime des allocations, on rogne sur un certain nombre de prestations qui, précisément, bénéficient aux familles qui elles vont consommer ? Donc il y a là une incohérence. Par ailleurs, moi je ne suis pas dogmatique sur la baisse d'impôt, il y a des moments où il faut baisser les impôts soit parce qu'on veut relancer, soit parce qu'on a une croissance qui permet de redistribuer, tout dépend quels impôts nous baissons. S'il s'agit de baisser l'impôt sur la fortune, mais c'est incroyable, on va donner autant aux plus grosses fortunes à travers la baisse de l'impôt sur la fortune qu'avec la prime à l'emploi pour les plus modestes. Comment on peut comprendre une politique qui donne si je puis dire autant à 200 000 plus favorisés, qu'aux deux millions les plus modestes ?"
Au passage d'ailleurs, cette baisse d'impôt vous l'interprétez comment ? Comme un pari politique, une stratégie dont on peut débattre, c'est d'ailleurs ce que vous faites, ou comme simplement le respect d'un engagement pris par J. Chirac ?
- "D'abord ce serait la première fois que J. Chirac remplirait un engagement et il en est loin puisqu'il avait promis 30 %, ce que l'on sait impossible sur l'impôt sur le revenu. Mais c'est une obstination : ça ne marche pas donc je continue. Ça n'a pas marché en 2002, la croissance a été faible, ça a encore moins marché en 2003, la croissance sera quasi nulle : 0,5 %. Eh bien, on continue en 2004 parce que J. Chirac lui-même en a décidé. Dans la majorité, moi je ne sais pas quels sont leurs débats, je ne veux pas m'en mêler, mais on sent bien qu'il y a un doute parce que quand les déficits se sont à ce point creusés, quand les injustices sont à ce point patentes, il y a quand même des esprits qui sont plus lucides que d'autres, qui disent " attention ". Mais non, c'est l'obstination de J. Chirac dont J.-P. Raffarin on le sait est un exécutant mais le problème n'est pas de savoir qui a décidé, est-ce que c'est une bonne décision ou c'est une mauvaise décision pour le pays ? Je pense hélas, parce qu'il ne faut jamais se réjouir de ce qui est fait lorsque ça ne va pas dans le bon sens, c'est une mauvaise décision."
On peut parier que les experts dans les heures et dans les jours qui viennent vont débattre du pari fait sur la croissance, 1,7 % de croissance - on avait dit 2,5 et on a vu ce qu'il en était devenu. Est-ce que parier sur la croissance aujourd'hui ce n'est pas très dangereux pour qui que ce soit d'ailleurs ?
- "Oui, c'est très difficile de faire des prévisions et je pense qu'il ne faut pas de ce point de vue faire la leçon mais quand même ! On dit - c'était P. Mendès-France - gouverner c'est prévoir. Le Gouvernement avait dit 2,5 % de croissance pour l'année 2003, la nôtre, cette année et on a eu 0,5 %. Mal prévoir c'est sans doute mal gouverner. Là aussi, obstination. On fixe un taux de croissance : 1,7 %. Tous les experts - là, je ne pense pas de gauche ou de droite, la question n'est pas là - disent " nous n'y arriverons pas ". Et ce n'est pas parce qu'on va fixer 1,7 % que ce sera volontariste mais ça induit finalement ce qui se passe. Il y a une fuite en avant de la part du Gouvernement. Il y a une fuite en avant en disant " je repousse un certain nombre de problèmes, les déficits, l'endettement, on finance la Sécurité sociale à crédit ". Pourquoi il y a cette fuite en avant ? Parce qu'il y a des élections au mois de mars prochain ? Parce qu'il y en a d'autres au mois de juin prochain ? Et on se dit on va passer cet obstacle-là et puis après, on frappera ! Parce qu'effectivement à un moment, il faut solder les comptes et c'est ce qui se prépare et donc je trouve qu'il y a non seulement de mauvaises décisions mais en plus du manque de sincérité dans la politique du Gouvernement."
Deux choses encore, l'une importante, l'autre plus anecdotique : le lundi de Pentecôte pour financer l'aide aux personnes âgées, qu'en dites-vous ?
- "Moi, je n'ai aucun a priori sur le lundi de Pentecôte. Je suis laïque mais la question n'est pas là. Est-ce qu'on est prêt, nous tous, à faire un effort pour que les personnes âgées soient mieux traitées dans notre pays ? Oui. Il y a plusieurs façons de le faire. Alors on nous dit il faudra travailler plus, on pourrait dire il faudra prélever davantage. Je trouve un peu ahurissant d'ailleurs de baisser, là encore, l'impôt des plus favorisés et de dire à tous les salariés " vous allez travailler plus ". Mais est-on sûr que cet argent éventuellement produit par le travail de tous un lundi de Pentecôte va aller aux personnes âgées ? Non. Le seul qui s'en est vraiment réjouis est M. Seillière. Il va y avoir un jour de travail de plus sans qu'on sache si ça va aller vraiment vers les personnes âgées. Donc je trouve que là aussi essayons d'être clair, sur des objectifs que nous nous fixons et d'avoir une solidarité. Oui, il faut une solidarité à l'égard des personnes âgées."
Et enfin plus anecdotiques, encore que ... On ne fait pas de politique en pyjama à la télévision dit le Premier ministre ?
- "Il vaut mieux faire de la bonne politique qu'elle que soit la tenue que l'on emprunte mais il n'y a pas besoin d'inviter les caméras de télévision. Je pense que ce n'est pas simplement un problème d'émission, il y a une façon de se comporter devant les caméras de télévision et je trouve que le Premier ministre a un conseiller auprès de lui qui est précisément l'inventeur de la Télé-réalité, donc je pense qu'il est bien inspiré."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 septembre 2003)