Texte intégral
Monsieur le président, cher Jean-Marie Spaeth
Monsieur le directeur, cher Daniel Lenoir
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les directeurs,
Mesdames et messieurs,
Je suis particulièrement heureux de répondre à l'invitation du président Jean-Marie Spaeth et de Daniel Lenoir de clore les journées 2003 de l'assurance maladie que vous avez tenues à Nice. Vous avez passé ces deux journées de réflexion et d'échanges à la recherche de l'accord majeur. Voilà une ambition à la hauteur des nécessités du temps, qui est un temps de désunions et d'éclatements. La gestion de systèmes complexes comme ceux de la santé ou de l'assurance maladie, où l'interdépendance est la dominante, impose en effet la recherche de l'harmonie et de la confiance. Vous connaissez mon engagement pour restaurer cette harmonie et cette confiance. C'est le sens des projets que je mène.
Je voudrais en clôture de ces deux journées vous faire partager l'esprit dans lequel j'agis en retenant deux axes essentiels de mon action : la régulation des dépenses et la gouvernance de nos institutions.
Vous ne serez pas étonné qu'au premier rang de mes préoccupations, j'inscrive l'évolution des dépenses d'assurance maladie. Ne vous méprenez pas. Je n'éprouve aucun embarras à l'égard de la progression de ces dépenses. Elle est normale. Elle est heureuse. Elle est normale parce que nous disposons d'une offre médicale et paramédicale de soins importante. Elle s'explique par les investissements en équipements et bâtiments, mais aussi en formation et en recrutement. Ils mettent à disposition de notre population des équipes soignantes performantes. Elle est le fruit d'années de recherche nationale et internationale. Elle résulte d'une législation en progrès réguliers qui permet l'accès de tous aux soins, au point que la principale inégalité face à la santé n'est pas de ressources mais d'information car le parcours dans le système de soins est complexe. Cette évolution de nos dépenses de santé est l'un des marqueurs les plus significatifs de civilisation. C'est pourquoi elle est heureuse. En tout cas, je refuse la contradiction quelque peu hypocrite qui confère à la santé un caractère de bien supérieur et fait des dépenses de santé un péché contre l'économie. C'est ainsi que j'ai confié à un groupe de travail de la Commission des comptes de la sécurité sociale, sous l'animation d'Alain Coulomb, notre nouveau directeur général de l'Anaes, la mission de m'indiquer les moyens de " médicaliser " l'ondam. Il s'agit tout autant de reconnaître la légitimité des besoins de santé que de s'en tenir aux seuls besoins avérés.
Cela ne signifie pas que je suis sans inquiétude face au déséquilibre des comptes. Ce déséquilibre menace la pérennité de cet alliage d'une offre de soins de qualité et d'une prise en charge de haut niveau. Cette inquiétude trouve aussi sa source dans le constat peu rassurant que toutes les méthodes ont échoué. La raréfaction progressive de l'offre par le numerus clausus des professions de santé crée les premiers déséquilibres démographiques, sans que la dépense en soit contenue. Les déremboursements successifs n'ont pas davantage apporté de remède durable. Les mécanismes de contrainte financière ont révolté les professions de santé sans infléchir la tendance des comptes.
Ce ne sont pas là des raisons de désespérer pour autant. Au contraire, c'est dans la lucidité du constat que l'on trouve l'impulsion pour trouver enfin une solution durable à construire. Et d'abord pour implanter une nouvelle méthode : la confiance et le dialogue sans lesquels désormais on ne construira plus rien dans nos sociétés démocratiques. Car l'on veut désormais être consulté pour adhérer ou, au moins, admettre une réforme ; et l'on veut être respecté pour participer à sa mise en oeuvre. L'application de cette méthode commence à donner ses fruits, même si je n'ignore pas la fragilité du climat nouveau. Les soubresauts de la vie syndicale hospitalière ainsi que la vigueur des déclarations des organisations syndicales de médecins libéraux le démontrent assez. Mais j'ai un vrai plaisir à constater l'effort sincère déployé par les partenaires conventionnels pour conclure une négociation conventionnelle engagée depuis plusieurs mois. Cette confiance et ce dialogue, Jean-Marie Spaeth et Daniel Lenoir y ont leur part et je veux dire ici publiquement ma reconnaissance pour le concours que chacun d'eux m'apporte. Avec chacun d'eux, j'ai noué ce dialogue confiant, emblème de celui que je veux voir animer l'ensemble du monde la santé et de l'assurance maladie. Monsieur Spaeth sait l'estime que je lui porte et combien son concours m'est utile. Je trouve en Daniel Lenoir une connaissance précise des dossiers, une compréhension de la politique que je mène et une contribution loyale à sa réalisation. Je ne réussirai rien sans eux.
Cette méthode est au service de la seule voie praticable : le partage des responsabilités. Si le nombre d'acteurs du système de santé est grand, le nombre de paramètres est plus limité. Ou bien l'on agit sur le financement, ou bien l'on intervient sur les dépenses. La complexité de la situation impliquera probablement de jouer sur chaque registre. Le financement solidaire est contraint par les engagements communautaires de la France et la nécessité de ne pas handicaper la compétitivité de nos entreprises. Il convient, de plus, de ne pas imposer d'efforts supplémentaires à ceux qui contribuent avec des revenus modestes. Mais il y a aussi le financement responsable, celui qui repose sur des activités et comportements qui sont sources d'une partie, parfois importante, de la dépense de santé. C'est le cas bien connu du tabac et de l'alcool. Mais il convient de se demander si d'autres comportements à risque ou si des comportements davantage inspirés du consumérisme médical que du souci légitime de santé ne doivent pas avoir une contrepartie de financement supplémentaire. C'est en tout cas une réflexion que je poursuis alors qu'il me semble que le financement solidaire ne va pas uniquement aux dépenses de solidarité nationale. J'attends du rapport dont la rédaction incombe à Jean-François Chadelat, mais aussi des travaux de mes services, les éléments de nature à traduire ces questions en mesures concrètes.
L'action sur la dépense est également nécessaire. Mais il ne s'agit pas, comme on le croit par inertie de pensée, d'une action de rationnement. L'action sur la dépense doit s'attacher à sa justification et son efficacité. Je le redis fermement, c'est l'honneur d'une société comme la nôtre de dépenser tout ce qui conviendra pour ceux que la maladie frappe, et chacun de nous sait bien qu'il souhaite que le maximum soit fait, en fonction de l'état de l'art, pour lui ou ses proches, quand la maladie survient. Mais c'est la vocation des acteurs du système de santé d'éviter les dépenses inutiles. Il appartient à l'Etat et aux gestionnaires de l'assurance maladie de recomposer l'offre. Il appartient aux citoyens d'adopter les comportements responsables de recours mesuré aux soins. Les maladies iatrogènes montrent assez que le recours aux soins n'est pas sans danger et la sophistication croissante des actes techniques et des produits rendra cette vérité plus évidente encore à l'avenir. Les professionnels de la santé doivent veiller, les textes l'affirment, à observer " la plus stricte économie compatible avec la qualité [...] des soins ". Un emploi raisonné des techniques de soins est le gage de cette nécessité médicale autant que financière.
L'actualisation des connaissances, et plus encore l'évaluation des pratiques, y contribuent. Il n'y a pas en ce sens d'opposition irrémédiable entre les gestionnaires et les professionnels de santé. Cessons donc ces querelles qui ne révèlent que paresse de l'esprit et inertie. Cette primauté de l'évaluation de la qualité est ce qui concilie le mieux le ministre de la santé et le ministre de l'assurance maladie, qui ne font qu'un comme vous avez pu le constater. C'est pourquoi j'insiste sur ce point. Je me suis rendu au dernier conseil d'administration de l'Anaes pour inviter cette agence à prendre une part plus active à la mise à disposition des praticiens de recommandations de bonne pratique. J'ai présenté, mercredi dernier, une communication sur ce thème en conseil des ministres. C'est la première fois que la qualité des soins et l'évaluation des pratiques médicales font l'objet d'une communication à ce niveau.
La qualité des soins, c'est d'abord et essentiellement l'affaire des professionnels de santé. Il faut que cela soit clair : c'est la condition de l'acceptabilité de la démarche " qualité " par ceux qui en ont, in fine, la charge. La qualité et l'évaluation ne peuvent leur apparaître comme des exigences extérieures, imposées par les caisses d'assurance maladie ou par l'Etat. La contrepartie logique est que ces professionnels se regroupent pour concevoir et organiser la promotion de la qualité. C'est déjà, s'agissant des médecins, le rôle de leurs unions régionales. J'en attends un engagement accru. Cependant, l'assurance maladie, parce qu'elle peut mettre à disposition des financements, parce qu'elle est dépositaire des intérêts des assurés sociaux, peut prendre une part au développement de la qualité et de l'évaluation. Elle ne peut le faire que dans un contexte de partenariat. Ce qui implique de porter un autre regard sur ces professionnels qui ne doivent plus sentir, de la part des caisses, suspicion ou hostilité. Il faut effacer ces années de conflits. On peut comprendre les tensions d'une négociation conventionnelle, nationale et à échéances espacées. On ne peut admettre le litige permanent au plan local. Pour cela, je souhaite que soit mieux distingué le contrôle des professionnels de santé, qui demeure une nécessité et le conseil au développement des meilleures pratiques. Je voudrais que l'entretien confraternel soit le mode dominant de l'action de la " médecine-conseil " dont la mission apparaît ainsi comme essentielle.
Vous voyez bien que l'essentiel de votre action porte désormais sur les comportements : ceux des citoyens à qui il est demandé de modérer voire d'abandonner certaines consommations ou d'adopter de nouvelles pratiques. Les professionnels sont appelés à assurer la coordination des soins, à développer le travail pluridisciplinaire, à faire retour sur leur manière de faire. Toutes choses qui ne relèvent pas de l'action publique traditionnelle : coercitive, normative. L'explication, le dialogue, l'art de convaincre et l'incitation sont les voies modernes de l'action. Et par un juste retour, ce sont vos méthodes qui doivent aussi être modifiées.
Vous le voyez sans peine, quand je dis solution partagée, je ne procède pas à un partage tiède des responsabilités mais je mets en demeure chaque acteur d'agir en fonction des compétences qui lui sont reconnues. Or, pour que chacun agisse en fonction de ce que la société lui demande, il faut procéder à une révision de notre organisation actuelle. C'est l'objet du projet de nouvelle gouvernance de l'assurance maladie. Les défauts du système actuel sont bien connus : enchevêtrement des compétences et dilution des responsabilités, absence de " culture " du résultat, découragement des initiatives...
Je l'ai dit, je ne souhaite pas construire la réforme dans une perspective de bouleversements institutionnels Je ne veux pas que des années soient perdues dans la reconfiguration de structures qui gaspilleraient une énergie en conflits.
Mais je ne veux pas davantage de faux semblants. Accroître l'efficacité de nos institutions est un impératif social, économique et politique. Je ferai preuve de pragmatisme et je serai attentif aux propositions concrètes de changement qui me seront adressées. J'attends, vous le savez, pour la fin du mois d'avril les contributions de toutes les forces vives du pays. Je rejetterai celles qui, sous couvert de quelques aménagements de façade, n'ont d'autre but que de maintenir un système à bout de souffle. Je ne peux accepter le constat du rapport établi par Madame Ruellan - son auteur n'est évidemment pas en cause - selon lequel notre système d'assurance maladie n'est malade que de l'Etat.
Parce que je n'imagine pas que le grand mouvement de décentralisation qui anime l'Etat puisse laisser de côté l'assurance maladie, je crois qu'il faut bâtir à partir de l'échelon régional. A ce stade, on peut concilier la proximité des décisions et le recul nécessaire à l'organisation stratégique. Ce n'est aussi qu'à cet échelon que l'on peut réunir les compétences " pointues " qu'exige la gestion d'un système aussi complexe. C'est enfin à ce niveau qu'apparaissent de façon plus visible les incohérences d'une organisation qui sépare administrativement soins et prévention, médecine hospitalière et médecine de ville. Or cette dernière distinction tend à s'estomper sur le plan médical et ne doit plus, à tout le moins, constituer un clivage. Il est en effet nécessaire d'assurer au malade un continuum de parcours qui concilie les bienfaits de la haute technologie hospitalière et le bénéfice d'un traitement dans son milieu de vie social et familial.
Voilà pourquoi un axe important de la réforme consistera à conférer un rôle accru aux Urcam et à assurer une meilleure synergie de ces unions et des ARH au sein des futures agences régionales de santé. L'organisation de l'assurance maladie au plan régional est éclatée et il faudra remédier à cette situation préjudiciable à votre institution. Cela ne préjuge pas d'une formule organisationnelle déterminée. En tout état de cause, je souhaite donner davantage de pouvoirs propres aux responsables régionaux afin que l'initiative ne soit plus une exclusivité nationale. Les échelons locaux, et je pense ici plus particulièrement aux caisses primaires, ne seront pas les victimes de cette régionalisation du pilotage de la santé et de l'assurance maladie parce que la véritable proximité de l'action, c'est bien sûr dans le cadre départemental qu'elle se réalise.
Les lignes tracées dernièrement à Rouen par le Premier ministre sont claires : les régions politiques auront la responsabilité d'élaborer des programmes de santé publique spécifiques ; elles s'impliqueront dans la politique d'offre de soins en prenant part aux schémas régionaux d'organisation sanitaire et en trouvant place dans les agences régionales de l'hospitalisation. Elles pourront financer l'investissement hospitalier et l'organisation de la formation des professions paramédicales. Vous comprenez donc que la régionalisation dont il est question est une gestion renforcée au niveau régional et non pas une modulation régionale des contributions et des prestations sociales.
Ainsi donc, si le débat est entier pour trouver la meilleure organisation, les perspectives se dessinent avec plus de précision : favoriser la proximité et l'initiative, mieux articuler les gestions de la médecine de ville et de la médecine hospitalière.
Il conviendra de trouver également la voie d'une meilleure association des usagers et notamment des patients ainsi que des professions de santé, sans que cela nuise à l'efficacité du management.
Tous les acteurs doivent participer à le recherche des difficiles problèmes qui se posent. Les rôles de chacun doivent être convenablement étagés - consultation, négociation, décision - afin que la confrontation légitime des intérêts n'aboutisse pas à la paralysie.
Mais c'est à propos de la place des partenaires sociaux que nous serons peut-être appelés à faire preuve d'innovation pour tenir compte des positions de certaines organisations et de l'évolution des fondements de notre assurance maladie - tant dans son mode de financement que dans le droit à prestations. La démocratie sociale, corollaire de la démocratie politique, doit être confortée. Pour cela, elle devra trouver probablement d'autres modes d'expression. Vous me verrez attaché à renouveler notre tradition d'une présence forte des partenaires sociaux au sein des institutions de sécurité sociale. C'est le sens de mon rejet de l'étatisation.
Je voudrais enfin sous ce chapitre de la gouvernance dire quelques mots des maladies professionnelles et des accidents de travail et marquer ma préoccupation de voir prise en compte l'étroite imbrication, sans doute croissante, de ce secteur avec celui de l'assurance maladie. De même, je souhaite que l'on s'attache à mieux articuler la médecine du travail, l'action des ingénieurs conseil et la gestion des maladies professionnelles.
Répondre à toutes ces attentes évoquées, relever ces défis rapidement esquissés supposent de mobiliser des valeurs essentielles. La première, vous l'imaginez bien, c'est la solidarité. Je voudrais rejeter vigoureusement le soupçon que certains tentent d'insinuer à propos de la politique gouvernementale. Vouloir redéfinir les champs d'intervention respectifs des régimes obligatoires et de l'assurance complémentaire, c'est prendre à bras le corps le problème qu'ont refusé de voir certains de mes devanciers. Les ressources publiques resteront toujours limitées, même en période de croissance. Les besoins de dépenses publiques ne décroîtront pas et des choix seront toujours nécessaires. Mais, pour être plus sûrement sauvegardée, la solidarité doit composer un couple harmonieux avec la responsabilité. Pour revenir à la métaphore musicale qu'appelle le titre de vos journées, la solidarité sonne d'autant mieux qu'elle a pour contrepoint la responsabilité. Organisons ces choix et débattons en clairement. Je l'ai dit : le temps de la cohérence est venu et des décisions longtemps différées doivent être prises. Courageuses, difficiles, elles seront d'autant mieux admises que l'essentiel sera sauvegardé. Et je redis ici sans ambages que la solidarité nationale est cet essentiel. Oui, je crois à la sécurité sociale qui est solidarité et justice, solidarité de ceux qui contribuent en fonction de leurs ressources, justice pour ceux qui reçoivent selon leurs besoins. Cette conviction étaye mon refus de la privatisation.
La deuxième valeur dont je voudrais souligner dans cette conclusion l'importance est l'esprit de service. Vous en avez fait un thème de vos forums et je m'en réjouis. Le service public que vous rendez est l'un des plus importants qui soient : que deviendrait-on sans prise en charge des dépenses de santé ? Autant, je l'ai dit tout à l'heure, je souhaite que l'évolution des structures de l'assurance maladie soit respectueuse des personnes et des métiers, autant cette évolution doit être conduite dans l'esprit de service à rendre et je n'admettrais pas les refus de changement qui feraient obstacle au développement de l'esprit de service. Les structures administratives doivent refléter l'objectif à atteindre et non épouser les intérêts de ceux qui rendent le service. Le service public est un service au public et pour l'intérêt général. Mais je sais que vous êtes engagés sur cette voie et l'avenant à la convention d'objectifs et de gestion que nous avons récemment signée à Lyon a érigé le développement des services aux assurés et aux professionnels de santé en axe essentiel de vos projets.
Vous avez toute mon estime pour engager avec moi les évolutions et poursuivre les progrès que vous avez lancés. Vous avez, bien sûr, droit à cette confiance, à ce respect, à ce droit au dialogue dont je vous demandais tout à l'heure de témoigner envers les professionnels de santé. Je compte sur vous. Vous pouvez compter sur moi.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 25 mars 2003)
Monsieur le directeur, cher Daniel Lenoir
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les directeurs,
Mesdames et messieurs,
Je suis particulièrement heureux de répondre à l'invitation du président Jean-Marie Spaeth et de Daniel Lenoir de clore les journées 2003 de l'assurance maladie que vous avez tenues à Nice. Vous avez passé ces deux journées de réflexion et d'échanges à la recherche de l'accord majeur. Voilà une ambition à la hauteur des nécessités du temps, qui est un temps de désunions et d'éclatements. La gestion de systèmes complexes comme ceux de la santé ou de l'assurance maladie, où l'interdépendance est la dominante, impose en effet la recherche de l'harmonie et de la confiance. Vous connaissez mon engagement pour restaurer cette harmonie et cette confiance. C'est le sens des projets que je mène.
Je voudrais en clôture de ces deux journées vous faire partager l'esprit dans lequel j'agis en retenant deux axes essentiels de mon action : la régulation des dépenses et la gouvernance de nos institutions.
Vous ne serez pas étonné qu'au premier rang de mes préoccupations, j'inscrive l'évolution des dépenses d'assurance maladie. Ne vous méprenez pas. Je n'éprouve aucun embarras à l'égard de la progression de ces dépenses. Elle est normale. Elle est heureuse. Elle est normale parce que nous disposons d'une offre médicale et paramédicale de soins importante. Elle s'explique par les investissements en équipements et bâtiments, mais aussi en formation et en recrutement. Ils mettent à disposition de notre population des équipes soignantes performantes. Elle est le fruit d'années de recherche nationale et internationale. Elle résulte d'une législation en progrès réguliers qui permet l'accès de tous aux soins, au point que la principale inégalité face à la santé n'est pas de ressources mais d'information car le parcours dans le système de soins est complexe. Cette évolution de nos dépenses de santé est l'un des marqueurs les plus significatifs de civilisation. C'est pourquoi elle est heureuse. En tout cas, je refuse la contradiction quelque peu hypocrite qui confère à la santé un caractère de bien supérieur et fait des dépenses de santé un péché contre l'économie. C'est ainsi que j'ai confié à un groupe de travail de la Commission des comptes de la sécurité sociale, sous l'animation d'Alain Coulomb, notre nouveau directeur général de l'Anaes, la mission de m'indiquer les moyens de " médicaliser " l'ondam. Il s'agit tout autant de reconnaître la légitimité des besoins de santé que de s'en tenir aux seuls besoins avérés.
Cela ne signifie pas que je suis sans inquiétude face au déséquilibre des comptes. Ce déséquilibre menace la pérennité de cet alliage d'une offre de soins de qualité et d'une prise en charge de haut niveau. Cette inquiétude trouve aussi sa source dans le constat peu rassurant que toutes les méthodes ont échoué. La raréfaction progressive de l'offre par le numerus clausus des professions de santé crée les premiers déséquilibres démographiques, sans que la dépense en soit contenue. Les déremboursements successifs n'ont pas davantage apporté de remède durable. Les mécanismes de contrainte financière ont révolté les professions de santé sans infléchir la tendance des comptes.
Ce ne sont pas là des raisons de désespérer pour autant. Au contraire, c'est dans la lucidité du constat que l'on trouve l'impulsion pour trouver enfin une solution durable à construire. Et d'abord pour implanter une nouvelle méthode : la confiance et le dialogue sans lesquels désormais on ne construira plus rien dans nos sociétés démocratiques. Car l'on veut désormais être consulté pour adhérer ou, au moins, admettre une réforme ; et l'on veut être respecté pour participer à sa mise en oeuvre. L'application de cette méthode commence à donner ses fruits, même si je n'ignore pas la fragilité du climat nouveau. Les soubresauts de la vie syndicale hospitalière ainsi que la vigueur des déclarations des organisations syndicales de médecins libéraux le démontrent assez. Mais j'ai un vrai plaisir à constater l'effort sincère déployé par les partenaires conventionnels pour conclure une négociation conventionnelle engagée depuis plusieurs mois. Cette confiance et ce dialogue, Jean-Marie Spaeth et Daniel Lenoir y ont leur part et je veux dire ici publiquement ma reconnaissance pour le concours que chacun d'eux m'apporte. Avec chacun d'eux, j'ai noué ce dialogue confiant, emblème de celui que je veux voir animer l'ensemble du monde la santé et de l'assurance maladie. Monsieur Spaeth sait l'estime que je lui porte et combien son concours m'est utile. Je trouve en Daniel Lenoir une connaissance précise des dossiers, une compréhension de la politique que je mène et une contribution loyale à sa réalisation. Je ne réussirai rien sans eux.
Cette méthode est au service de la seule voie praticable : le partage des responsabilités. Si le nombre d'acteurs du système de santé est grand, le nombre de paramètres est plus limité. Ou bien l'on agit sur le financement, ou bien l'on intervient sur les dépenses. La complexité de la situation impliquera probablement de jouer sur chaque registre. Le financement solidaire est contraint par les engagements communautaires de la France et la nécessité de ne pas handicaper la compétitivité de nos entreprises. Il convient, de plus, de ne pas imposer d'efforts supplémentaires à ceux qui contribuent avec des revenus modestes. Mais il y a aussi le financement responsable, celui qui repose sur des activités et comportements qui sont sources d'une partie, parfois importante, de la dépense de santé. C'est le cas bien connu du tabac et de l'alcool. Mais il convient de se demander si d'autres comportements à risque ou si des comportements davantage inspirés du consumérisme médical que du souci légitime de santé ne doivent pas avoir une contrepartie de financement supplémentaire. C'est en tout cas une réflexion que je poursuis alors qu'il me semble que le financement solidaire ne va pas uniquement aux dépenses de solidarité nationale. J'attends du rapport dont la rédaction incombe à Jean-François Chadelat, mais aussi des travaux de mes services, les éléments de nature à traduire ces questions en mesures concrètes.
L'action sur la dépense est également nécessaire. Mais il ne s'agit pas, comme on le croit par inertie de pensée, d'une action de rationnement. L'action sur la dépense doit s'attacher à sa justification et son efficacité. Je le redis fermement, c'est l'honneur d'une société comme la nôtre de dépenser tout ce qui conviendra pour ceux que la maladie frappe, et chacun de nous sait bien qu'il souhaite que le maximum soit fait, en fonction de l'état de l'art, pour lui ou ses proches, quand la maladie survient. Mais c'est la vocation des acteurs du système de santé d'éviter les dépenses inutiles. Il appartient à l'Etat et aux gestionnaires de l'assurance maladie de recomposer l'offre. Il appartient aux citoyens d'adopter les comportements responsables de recours mesuré aux soins. Les maladies iatrogènes montrent assez que le recours aux soins n'est pas sans danger et la sophistication croissante des actes techniques et des produits rendra cette vérité plus évidente encore à l'avenir. Les professionnels de la santé doivent veiller, les textes l'affirment, à observer " la plus stricte économie compatible avec la qualité [...] des soins ". Un emploi raisonné des techniques de soins est le gage de cette nécessité médicale autant que financière.
L'actualisation des connaissances, et plus encore l'évaluation des pratiques, y contribuent. Il n'y a pas en ce sens d'opposition irrémédiable entre les gestionnaires et les professionnels de santé. Cessons donc ces querelles qui ne révèlent que paresse de l'esprit et inertie. Cette primauté de l'évaluation de la qualité est ce qui concilie le mieux le ministre de la santé et le ministre de l'assurance maladie, qui ne font qu'un comme vous avez pu le constater. C'est pourquoi j'insiste sur ce point. Je me suis rendu au dernier conseil d'administration de l'Anaes pour inviter cette agence à prendre une part plus active à la mise à disposition des praticiens de recommandations de bonne pratique. J'ai présenté, mercredi dernier, une communication sur ce thème en conseil des ministres. C'est la première fois que la qualité des soins et l'évaluation des pratiques médicales font l'objet d'une communication à ce niveau.
La qualité des soins, c'est d'abord et essentiellement l'affaire des professionnels de santé. Il faut que cela soit clair : c'est la condition de l'acceptabilité de la démarche " qualité " par ceux qui en ont, in fine, la charge. La qualité et l'évaluation ne peuvent leur apparaître comme des exigences extérieures, imposées par les caisses d'assurance maladie ou par l'Etat. La contrepartie logique est que ces professionnels se regroupent pour concevoir et organiser la promotion de la qualité. C'est déjà, s'agissant des médecins, le rôle de leurs unions régionales. J'en attends un engagement accru. Cependant, l'assurance maladie, parce qu'elle peut mettre à disposition des financements, parce qu'elle est dépositaire des intérêts des assurés sociaux, peut prendre une part au développement de la qualité et de l'évaluation. Elle ne peut le faire que dans un contexte de partenariat. Ce qui implique de porter un autre regard sur ces professionnels qui ne doivent plus sentir, de la part des caisses, suspicion ou hostilité. Il faut effacer ces années de conflits. On peut comprendre les tensions d'une négociation conventionnelle, nationale et à échéances espacées. On ne peut admettre le litige permanent au plan local. Pour cela, je souhaite que soit mieux distingué le contrôle des professionnels de santé, qui demeure une nécessité et le conseil au développement des meilleures pratiques. Je voudrais que l'entretien confraternel soit le mode dominant de l'action de la " médecine-conseil " dont la mission apparaît ainsi comme essentielle.
Vous voyez bien que l'essentiel de votre action porte désormais sur les comportements : ceux des citoyens à qui il est demandé de modérer voire d'abandonner certaines consommations ou d'adopter de nouvelles pratiques. Les professionnels sont appelés à assurer la coordination des soins, à développer le travail pluridisciplinaire, à faire retour sur leur manière de faire. Toutes choses qui ne relèvent pas de l'action publique traditionnelle : coercitive, normative. L'explication, le dialogue, l'art de convaincre et l'incitation sont les voies modernes de l'action. Et par un juste retour, ce sont vos méthodes qui doivent aussi être modifiées.
Vous le voyez sans peine, quand je dis solution partagée, je ne procède pas à un partage tiède des responsabilités mais je mets en demeure chaque acteur d'agir en fonction des compétences qui lui sont reconnues. Or, pour que chacun agisse en fonction de ce que la société lui demande, il faut procéder à une révision de notre organisation actuelle. C'est l'objet du projet de nouvelle gouvernance de l'assurance maladie. Les défauts du système actuel sont bien connus : enchevêtrement des compétences et dilution des responsabilités, absence de " culture " du résultat, découragement des initiatives...
Je l'ai dit, je ne souhaite pas construire la réforme dans une perspective de bouleversements institutionnels Je ne veux pas que des années soient perdues dans la reconfiguration de structures qui gaspilleraient une énergie en conflits.
Mais je ne veux pas davantage de faux semblants. Accroître l'efficacité de nos institutions est un impératif social, économique et politique. Je ferai preuve de pragmatisme et je serai attentif aux propositions concrètes de changement qui me seront adressées. J'attends, vous le savez, pour la fin du mois d'avril les contributions de toutes les forces vives du pays. Je rejetterai celles qui, sous couvert de quelques aménagements de façade, n'ont d'autre but que de maintenir un système à bout de souffle. Je ne peux accepter le constat du rapport établi par Madame Ruellan - son auteur n'est évidemment pas en cause - selon lequel notre système d'assurance maladie n'est malade que de l'Etat.
Parce que je n'imagine pas que le grand mouvement de décentralisation qui anime l'Etat puisse laisser de côté l'assurance maladie, je crois qu'il faut bâtir à partir de l'échelon régional. A ce stade, on peut concilier la proximité des décisions et le recul nécessaire à l'organisation stratégique. Ce n'est aussi qu'à cet échelon que l'on peut réunir les compétences " pointues " qu'exige la gestion d'un système aussi complexe. C'est enfin à ce niveau qu'apparaissent de façon plus visible les incohérences d'une organisation qui sépare administrativement soins et prévention, médecine hospitalière et médecine de ville. Or cette dernière distinction tend à s'estomper sur le plan médical et ne doit plus, à tout le moins, constituer un clivage. Il est en effet nécessaire d'assurer au malade un continuum de parcours qui concilie les bienfaits de la haute technologie hospitalière et le bénéfice d'un traitement dans son milieu de vie social et familial.
Voilà pourquoi un axe important de la réforme consistera à conférer un rôle accru aux Urcam et à assurer une meilleure synergie de ces unions et des ARH au sein des futures agences régionales de santé. L'organisation de l'assurance maladie au plan régional est éclatée et il faudra remédier à cette situation préjudiciable à votre institution. Cela ne préjuge pas d'une formule organisationnelle déterminée. En tout état de cause, je souhaite donner davantage de pouvoirs propres aux responsables régionaux afin que l'initiative ne soit plus une exclusivité nationale. Les échelons locaux, et je pense ici plus particulièrement aux caisses primaires, ne seront pas les victimes de cette régionalisation du pilotage de la santé et de l'assurance maladie parce que la véritable proximité de l'action, c'est bien sûr dans le cadre départemental qu'elle se réalise.
Les lignes tracées dernièrement à Rouen par le Premier ministre sont claires : les régions politiques auront la responsabilité d'élaborer des programmes de santé publique spécifiques ; elles s'impliqueront dans la politique d'offre de soins en prenant part aux schémas régionaux d'organisation sanitaire et en trouvant place dans les agences régionales de l'hospitalisation. Elles pourront financer l'investissement hospitalier et l'organisation de la formation des professions paramédicales. Vous comprenez donc que la régionalisation dont il est question est une gestion renforcée au niveau régional et non pas une modulation régionale des contributions et des prestations sociales.
Ainsi donc, si le débat est entier pour trouver la meilleure organisation, les perspectives se dessinent avec plus de précision : favoriser la proximité et l'initiative, mieux articuler les gestions de la médecine de ville et de la médecine hospitalière.
Il conviendra de trouver également la voie d'une meilleure association des usagers et notamment des patients ainsi que des professions de santé, sans que cela nuise à l'efficacité du management.
Tous les acteurs doivent participer à le recherche des difficiles problèmes qui se posent. Les rôles de chacun doivent être convenablement étagés - consultation, négociation, décision - afin que la confrontation légitime des intérêts n'aboutisse pas à la paralysie.
Mais c'est à propos de la place des partenaires sociaux que nous serons peut-être appelés à faire preuve d'innovation pour tenir compte des positions de certaines organisations et de l'évolution des fondements de notre assurance maladie - tant dans son mode de financement que dans le droit à prestations. La démocratie sociale, corollaire de la démocratie politique, doit être confortée. Pour cela, elle devra trouver probablement d'autres modes d'expression. Vous me verrez attaché à renouveler notre tradition d'une présence forte des partenaires sociaux au sein des institutions de sécurité sociale. C'est le sens de mon rejet de l'étatisation.
Je voudrais enfin sous ce chapitre de la gouvernance dire quelques mots des maladies professionnelles et des accidents de travail et marquer ma préoccupation de voir prise en compte l'étroite imbrication, sans doute croissante, de ce secteur avec celui de l'assurance maladie. De même, je souhaite que l'on s'attache à mieux articuler la médecine du travail, l'action des ingénieurs conseil et la gestion des maladies professionnelles.
Répondre à toutes ces attentes évoquées, relever ces défis rapidement esquissés supposent de mobiliser des valeurs essentielles. La première, vous l'imaginez bien, c'est la solidarité. Je voudrais rejeter vigoureusement le soupçon que certains tentent d'insinuer à propos de la politique gouvernementale. Vouloir redéfinir les champs d'intervention respectifs des régimes obligatoires et de l'assurance complémentaire, c'est prendre à bras le corps le problème qu'ont refusé de voir certains de mes devanciers. Les ressources publiques resteront toujours limitées, même en période de croissance. Les besoins de dépenses publiques ne décroîtront pas et des choix seront toujours nécessaires. Mais, pour être plus sûrement sauvegardée, la solidarité doit composer un couple harmonieux avec la responsabilité. Pour revenir à la métaphore musicale qu'appelle le titre de vos journées, la solidarité sonne d'autant mieux qu'elle a pour contrepoint la responsabilité. Organisons ces choix et débattons en clairement. Je l'ai dit : le temps de la cohérence est venu et des décisions longtemps différées doivent être prises. Courageuses, difficiles, elles seront d'autant mieux admises que l'essentiel sera sauvegardé. Et je redis ici sans ambages que la solidarité nationale est cet essentiel. Oui, je crois à la sécurité sociale qui est solidarité et justice, solidarité de ceux qui contribuent en fonction de leurs ressources, justice pour ceux qui reçoivent selon leurs besoins. Cette conviction étaye mon refus de la privatisation.
La deuxième valeur dont je voudrais souligner dans cette conclusion l'importance est l'esprit de service. Vous en avez fait un thème de vos forums et je m'en réjouis. Le service public que vous rendez est l'un des plus importants qui soient : que deviendrait-on sans prise en charge des dépenses de santé ? Autant, je l'ai dit tout à l'heure, je souhaite que l'évolution des structures de l'assurance maladie soit respectueuse des personnes et des métiers, autant cette évolution doit être conduite dans l'esprit de service à rendre et je n'admettrais pas les refus de changement qui feraient obstacle au développement de l'esprit de service. Les structures administratives doivent refléter l'objectif à atteindre et non épouser les intérêts de ceux qui rendent le service. Le service public est un service au public et pour l'intérêt général. Mais je sais que vous êtes engagés sur cette voie et l'avenant à la convention d'objectifs et de gestion que nous avons récemment signée à Lyon a érigé le développement des services aux assurés et aux professionnels de santé en axe essentiel de vos projets.
Vous avez toute mon estime pour engager avec moi les évolutions et poursuivre les progrès que vous avez lancés. Vous avez, bien sûr, droit à cette confiance, à ce respect, à ce droit au dialogue dont je vous demandais tout à l'heure de témoigner envers les professionnels de santé. Je compte sur vous. Vous pouvez compter sur moi.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 25 mars 2003)