Déclarations de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la présidence française de l'Union européenne, l'élargissement de l'UE à l'Est, les finalités de cet élargissement, la question des limites de l'Europe et la réforme des institutions de l'UE, à l'Assemblée nationale et devant le Conseil économique et social le 28 juin 2000.

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Texte intégral

Déclaration à l'Assemblée nationale :
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
Vous avez raison, d'abord, de souligner que, dans une affaire aussi importante que la Présidence de l'Union européenne, la France parle et parlera, pendant ces six mois, d'une seule voix et que tout positionnement ou toute tactique seraient absolument vains en la matière. Vous avez également raison de rappeler que nous avons non seulement la tâche historique de réussir la Conférence intergouvernementale, de préparer ainsi l'Europe de l'avenir mais aussi de faire bouger l'Europe, de faire avancer l'Europe, de rendre l'Europe populaire, de faire aussi qu'elle soit plus proche des préoccupations de nos concitoyens.
Je crois que c'est ce que le Conseil européen de Feira, il y a quelques jours, nous a permis de faire en nous transmettant des dossiers qui sont en bon ordre.
Ils sont en bon ordre sur les questions qui touchent à la croissance et à l'emploi, où nous voulons renforcer la coordination des politiques économiques, et après avoir adopté un paquet, important mais délicat, en matière fiscale.
Ils sont en bon ordre également sur toute une série de sujets qui concernent aussi bien la sécurité alimentaire - nous allons avoir à créer une autorité alimentaire européenne indépendante -, que la sécurité maritime, où nous espérons faire adopter toute une série de dispositions importantes, l'environnement, la connaissance et la recherche - nous voulons limiter, supprimer les entraves qui s'opposent à la libre circulation des étudiants, des chercheurs, des enseignants. Je pense aussi au sport, une matière où nous devons réguler les rapports entre le sport et l'argent, le sport et le dopage.
Il y a beaucoup de travail et je n'oublierai pas tout ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, notre action dans les Balkans, en direction de la Méditerranée et pour le développement. Egalement le chantier immense de la défense européenne, qui avance bien et pour lequel nous devons être capables de fixer, à la fin de notre présidence, les structures définitives. Tout ceci dans le contexte de la réunification de l'Europe, de son élargissement.

Vous voyez, Monsieur le Député, le travail ne manque pas et, dans ce travail, j'ai envie de vous dire deux choses : la première, c'est que le gouvernement tout entier est mobilisé pour cette présidence, qui est une présidence avec le Président de la République, qui préside le Conseil européen, mais c'est aussi la présidence de chacun des Conseils des ministres de l'Union. Les dispositions ont été prises à cet égard. Et la seconde chose, c'est que nous veillerons bien sûr, et moi-même notamment, de façon très attentive, à l'information du Parlement, à travers votre Délégation et peut-être aussi sous des formes plus larges. Je sais que le Président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni y est très attentif et nous y veillerons.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2000)
Déclaration à l'Assemblée nationale :
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
Vous avez raison, d'abord, de souligner que, dans une affaire aussi importante que la Présidence de l'Union européenne, la France parle et parlera, pendant ces six mois, d'une seule voix et que tout positionnement ou toute tactique seraient absolument vains en la matière. Vous avez également raison de rappeler que nous avons non seulement la tâche historique de réussir la Conférence intergouvernementale, de préparer ainsi l'Europe de l'avenir mais aussi de faire bouger l'Europe, de faire avancer l'Europe, de rendre l'Europe populaire, de faire aussi qu'elle soit plus proche des préoccupations de nos concitoyens.
Je crois que c'est ce que le Conseil européen de Feira, il y a quelques jours, nous a permis de faire en nous transmettant des dossiers qui sont en bon ordre.
Ils sont en bon ordre sur les questions qui touchent à la croissance et à l'emploi, où nous voulons renforcer la coordination des politiques économiques, et après avoir adopté un paquet, important mais délicat, en matière fiscale.
Ils sont en bon ordre également sur toute une série de sujets qui concernent aussi bien la sécurité alimentaire - nous allons avoir à créer une autorité alimentaire européenne indépendante -, que la sécurité maritime, où nous espérons faire adopter toute une série de dispositions importantes, l'environnement, la connaissance et la recherche - nous voulons limiter, supprimer les entraves qui s'opposent à la libre circulation des étudiants, des chercheurs, des enseignants. Je pense aussi au sport, une matière où nous devons réguler les rapports entre le sport et l'argent, le sport et le dopage.
Il y a beaucoup de travail et je n'oublierai pas tout ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, notre action dans les Balkans, en direction de la Méditerranée et pour le développement. Egalement le chantier immense de la défense européenne, qui avance bien et pour lequel nous devons être capables de fixer, à la fin de notre présidence, les structures définitives. Tout ceci dans le contexte de la réunification de l'Europe, de son élargissement.

Vous voyez, Monsieur le Député, le travail ne manque pas et, dans ce travail, j'ai envie de vous dire deux choses : la première, c'est que le gouvernement tout entier est mobilisé pour cette présidence, qui est une présidence avec le Président de la République, qui préside le Conseil européen, mais c'est aussi la présidence de chacun des Conseils des ministres de l'Union. Les dispositions ont été prises à cet égard. Et la seconde chose, c'est que nous veillerons bien sûr, et moi-même notamment, de façon très attentive, à l'information du Parlement, à travers votre Délégation et peut-être aussi sous des formes plus larges. Je sais que le Président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni y est très attentif et nous y veillerons.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2000)
Auteur MOSCOVICI Pierre
Fonction FRANCE. Ministre délégué aux affaires européennes
Thème principal QUESTIONS INTERNATIONALES; ELARGISSEMENT DE L'UE; FRANCE
Descripteur ELARGISSEMENT DE L'UE; CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE; REFORME; INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES; COMMISSION EUROPEENNE; MAJORITE QUALIFIEE; COOPERATION EUROPEENNE; UNION EUROPEENNE; FRONTIERE; CE - RUSSIE; CE - EUROPE DE L'EST; FRANCE; PAYS DE L'UE; EUROPE DE L'EST; RUSSIE
Texte Déclaration devant le Conseil économique et social :
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Laissez-moi tout d'abord vous remercier pour votre invitation. Je connais le Conseil économique et social de longue date et j'ai souvent eu l'occasion, notamment à l'époque où je travaillais au Commissariat au Plan, d'apprécier la qualité de vos travaux. De plus, je retrouve ici plusieurs visages qui me sont familiers et c'est donc avec grand plaisir que je vais exposer l'approche française en ce qui concerne l'élargissement.
La date que vous avez retenue pour débattre de cette question est particulièrement bien choisie, puisque l'élargissement figure en tête des priorités de la Présidence française de l'Union européenne que nous nous apprêtons à exercer à partir du 1er juillet prochain.
Tout d'abord, permettez-moi, Monsieur le Rapporteur, et je ne le dis pas par pure courtoisie, de vous féliciter pour votre excellent rapport, qui est à la fois très complet dans l'approche du problème - tellement complet, d'ailleurs, que je n'aurai pas le temps moi-même d'aborder tous les sujets que vous avez traités - et très pertinent dans son analyse. Je ne doute pas qu'il ait suscité, hier après-midi, des débats fructueux au sein de votre assemblée.
La perspective de l'élargissement de l'Europe aux pays d'Europe centrale et orientale, c'est-à-dire la réunification pacifique et démocratique du Continent, pour la première fois de son histoire, est la question essentielle qui nous est posée pour les prochaines années.
L'Union européenne la considère, depuis la chute du Mur de Berlin, en quelque sorte comme un devoir historique. Cependant, il faut bien voir que c'est une perspective, comme vous le dites très justement, Monsieur le Rapporteur, lourde de conséquences, qu'il faut apprécier et maîtriser.
En effet, la perspective de l'élargissement, en devenant de plus en plus concrète, suscite des interrogations sur l'avenir de l'Europe. Chacun a pris conscience de l'enjeu, chacun a pris la mesure du risque de dilution que comporte cette perspective.
Il nous faut avoir cela en tête et mener la réflexion simultanément sur trois questions essentielles et complémentaires.
Comment unifier l'Europe ? C'est la question des défis immédiats posés par l'élargissement à l'Europe centrale et orientale, et de la méthode à suivre, s'agissant, comme vous le soulignez, de pays candidats nombreux et hétérogènes.
Jusqu'où unifier l'Europe ? C'est la question des limites de l'Europe, posée également à Helsinki, notamment à travers la reconnaissance - que nous avons soutenue - du statut de candidat à la Turquie.
Pourquoi unifier l'Europe ? C'est évidemment la question de notre projet commun, qui nous ramène d'ailleurs à la question de la méthode, mais cette fois, sur le long terme.
Première question donc : comment unifier l'Europe ?
L'élargissement que nous préparons aujourd'hui constitue un double défi, pour les pays candidats comme pour l'Union actuelle à Quinze.
Pour les candidats, il s'agit de tenter de combler, en quelques années, d'importants écarts de développement sur les plans politique, économique et social. Pour cela, il existe des programmes d'aide très importants, dans lesquels la France est impliquée, à titre bilatéral, comme à titre communautaire, à travers sa contribution au budget de l'Union. Je ne citerai qu'un seul chiffre, mais il est éloquent : 3 Mds d'euros par an pour les programmes d'aide communautaires (PHARE, SAPARD et ISPA).
Pour ce qui est de la méthode, les choses ont été arrêtées de façon claire à Helsinki : c'est le principe de la différenciation qui prévaut, c'est-à-dire d'un traitement "individualisé" de chaque pays candidat. Autrement dit, chacun progresse à son rythme propre, et pourra adhérer lorsqu'il sera parfaitement en mesure de le faire.
Concrètement, pour les 6 pays pour lesquels l'ouverture des négociations a été décidée, en 1997, à Luxembourg, la totalité des chapitres ont été ouverts à la négociation, soit 31 en tout. Certains ne l'ont été que formellement ; c'est le cas de la libre circulation des personnes, de la PAC, ou de l'environnement. On n'est pas encore entré dans le vif du sujet. Or, vous vous en doutez, ce sont les chapitres les plus délicats. Il reviendra à la Présidence française, en accord avec la Commission, de s'y attaquer au fond.
Pour les 6 autres pays, pour lesquels l'ouverture des négociations a été décidée, en décembre dernier, à Helsinki, la négociation a commencé par les chapitres les plus simples ; 5 à 8 chapitres ont été ouverts selon la situation de chaque candidat. On voit que ces pays manifestent déjà une certaine impatience, et c'est normal. En même temps, nous devons leur faire comprendre pourquoi la précipitation serait une mauvaise chose.
On comprend, naturellement, que les pays candidats souhaitent pouvoir aller vite, notamment pour conserver le soutien de leur population, à laquelle ils demandent des sacrifices importants. Mais une adhésion prématurée, même pour les mieux préparés d'entre eux risquerait de provoquer un choc, notamment en termes économiques et sociaux, dont ils pourraient pâtir.
L'exemple de l'adhésion de la Grèce, par exemple, montre bien qu'il y a un rythme d'adaptation à respecter si l'on veut que la "greffe" prenne bien.
Et puis, parallèlement, et avant toute conclusion de négociation, il faut que l'Union européenne se prépare, de son côté, à les accueillir.
Je veux naturellement parler de la réforme institutionnelle en cours, de la CIG, qu'il reviendra à la Présidence française de conclure au Sommet de Nice.
Où en sommes-nous sur ce dossier ? Quelques mots si vous le voulez bien, puisque cette question a été également traitée par votre Rapporteur, qui a parfaitement souligné le lien étroit entre CIG et élargissement.
Dans son état actuel, l'Union européenne connaît des dysfonctionnements. A 25 ou 30 membres, elle risque la paralysie. Il est donc indispensable de faire certaines réformes. La négociation a commencé sous Présidence portugaise, en février dernier, avec, à l'ordre du jour, essentiellement les trois grandes questions restées sans solution à Amsterdam, et qui sont évidemment fondamentales pour le fonctionnement de l'Union, dans son format actuel et donc, a fortiori, dans un format élargi :
- le format de la Commission ;
- la pondération des voix lors des votes au sein du Conseil ;
- le champ du vote à la majorité qualifiée.
Questions auxquelles s'ajoutent, depuis le Conseil européen de Feira, où elle a été inscrite formellement à l'ordre du jour de la CIG, celle de l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées.
Quelques mots pour préciser notre position sur ces questions.
Sur la Commission : il est nécessaire d'en réduire le format pour retrouver une vraie collégialité ; il faut renforcer le rôle de son président ; en vérité, la difficulté réside essentiellement dans le fait que de nombreux Etats membres, et notamment les petits Etats, ne veulent pas renoncer à leur Commissaire, et ne peuvent donc imaginer la perspective d'une Commission plafonnée à un nombre fixe de membres, inférieur à celui des Etats. Si l'on était finalement contraint d'accepter la formule d'un Commissaire par Etat, alors il faudrait, pour en compenser les inconvénients, introduire une hiérarchisation très forte entre Commissaires.
Sur la repondération, vous le savez, il s'agit de rééquilibrer le poids des Etats membres, en fonction de leur poids réel ; à cet égard, la formule de la répondération nous paraît nettement meilleure que le système de double majorité, parce qu'il est plus simple, plus efficace, plus conforme au modèle communautaire.
S'agissant, enfin, de la majorité qualifiée, il est indispensable d'étendre ce système de vote si nous voulons faciliter la prise de décision dans l'Union européenne élargie ; certains sujets posent toutefois difficulté, par exemple la fiscalité.
Les trois questions que je viens d'énumérer sont étroitement liées et ne pourront trouver de solution que les unes par rapport aux autres. Elles sont à la fois très simples et très complexes à régler, parce que très politiques et parce que touchant au coeur du fonctionnement - et donc des dysfonctionnements - de l'Union.
Nous avons, en ce qui nous concerne, travaillé étroitement avec les Allemands sur ces questions et nos positions sont désormais très proches. Nous abordons ce semestre avec la même détermination à aboutir. Cela ne suffira pas pour obtenir un bon accord, mais cela pourra y contribuer largement.
Reste la question, majeure, - là encore vous le dites clairement dans votre rapport - des coopérations renforcées : ce sujet est d'une grande importance dans la perspective de l'élargissement et c'est une bonne chose qu'il ait été inscrit formellement à l'ordre du jour de la CIG. Les coopérations renforcées constituent, en effet, un instrument utile pour permettre de résoudre l'équation approfondissement/élargissement qui se pose aujourd'hui.
Cependant, même si ce sujet a été inscrit à l'ordre du jour, nous sommes loin d'un consensus sur les aménagements à apporter à cet instrument créé par le Traité d'Amsterdam.
En effet, pour être véritablement opérationnel, il doit être assoupli - notamment par un abaissement du nombre d'Etats participants requis, par la suppression de la clause d'appel au Conseil européen, sans doute l'aménagement des règles de vote au sein même de la coopération renforcée. De nombreux Etats membres y sont réticents. Or, il faut bien voir que c'est là, la seule manière de réaliser les élargissements à venir.
Je n'ai pas évoqué les autres questions, dites connexes, qui sont également traitées dans le cadre de cette CIG, notamment la taille des institutions, c'est-à-dire, entre autres, l'avenir du Comité économique et social dans l'Europe élargie. N'y voyez pas un manque d'intérêt de ma part. J'ai seulement voulu, dans le temps qui m'était imparti, me concentrer sur les aspects les plus directement liés à l'élargissement.
Un mot simplement, pour vous dire que nous pensons qu'il conviendrait de plafonner le nombre des membres du CES, tout comme celui du Comité des régions. Mais, à vrai dire, je n'ai pas trop d'inquiétude sur le règlement de cette question.
J'en viens donc à la deuxième question que j'ai posée en introduction.
2. L'Europe réunifiée, jusqu'où ?
Nous devons nous poser la question des limites de l'Union européenne. Elle est capitale. D'abord, parce que je suis convaincu que nos concitoyens ne pourront vivre confortablement dans un espace en perpétuelle évolution, générateur d'incertitudes. Ensuite, parce que c'est un paramètre important pour notre réflexion sur le fonctionnement futur de l'Europe et les réponses à apporter. Vous avez raison de dire, Monsieur le Rapporteur, qu'avec la reconnaissance du statut de candidat à la Turquie, "la question a pris un tour plus aigu".
Au-delà de cette Europe qui se dessine déjà, d'autres pays aspirent à l'ambition européenne. Nous ne pouvons l'ignorer, même si nous avons un peu de temps pour y réfléchir.
Si l'on excepte les quelques pays de la moitié occidentale de l'Europe qui n'ont pas encore fait le choix de l'Union, comme la Suisse, la Norvège ou l'Islande, et dont la place sera parmi nous s'ils le décident un jour, la question des frontières recouvre deux zones essentielles.
Les Balkans occidentaux, tout d'abord, c'est-à-dire les pays de l'ex-Yougoslavie (à l'exception de la Slovénie, déjà candidate), ainsi que l'Albanie. Il est clair qu'ils auront vocation, le moment venu, quand la démocratie et la paix aura été établie solidement chez eux et entre eux, à rejoindre l'Union européenne. La perspective en a été confirmée au Conseil européen de Feira.
Cela ne sera pas simple. Je le sais, mais je ne vois pas comment nous pourrions rejeter cette demande, alors que nous venons de reconnaître à la Turquie ce statut de candidat. Cela a soulevé des interrogations. On ne peut les éluder. Pour moi, la question culturelle - ou pour être plus clair, les aspects ethniques et religieux - ne sauraient être mis en avant pour exclure certains pays de l'aventure européenne. L'Europe a une histoire, elle est une réalité multiethnique et multiculturelle depuis des siècles. Vouloir l'ignorer n'aurait pas de sens. Ce serait appauvrir l'Europe.
Mais, revenons à la question des frontières de l'Europe de demain. La question qui vient ensuite est celle de la frontière orientale de l'Union européenne. S'agissant des marches occidentales de l'ancienne Union soviétique, la Biélorussie, l'Ukraine et la Moldavie, nous devons bien être conscients qu'au fur et à mesure de l'adhésion de leurs voisins baltes, polonais, slovaques, hongrois ou roumains, la volonté de ces pays de rejoindre l'Union sera plus forte. Or, la réponse ne va pas forcément de soi.
Et puis, il y a la grande question de la Russie. Mais elle se pose dans des termes différents. Je ne crois pas que la Russie ait jamais vocation à adhérer à l'Union européenne. Je ne suis pas sûre qu'elle le demandera. Si cela devait être le cas, je ne crois pas que l'Union, pas plus que la Fédération de Russie, d'ailleurs, y aurait intérêt. Car la taille et le poids de ce partenaire bouleverseraient totalement la nature de l'Union et sa relation avec le reste du monde. En revanche, la Russie demandera, - demande déjà- à juste titre, à avoir un statut particulier, une relation privilégiée avec l'Union européenne. Et l'Union devra répondre à cette attente. C'est dans son intérêt et c'est dans l'intérêt de la stabilité du continent tout entier.
Aussi importante soit-elle, la question des frontières de l'Union européenne ne pourra trouver de solution définitive rapidement. Elle ne peut pas être tranchée aujourd'hui, car nous n'avons aucun intérêt à nous enfermer dans une contrainte trop forte. Elle progressera dans le temps, notamment en fonction des effets qu'auront les adhésions des actuels candidats sur les voisins extérieurs à l'Union. Mais nous devons avoir cette question présente à l'esprit, pour nous y préparer.
Surtout, en attendant d'avoir une vision plus claire des contours de notre Europe, nous devons poursuivre la réflexion sur le contenu du projet européen et ce que nous voulons faire de notre Europe.
3. L'Europe unifiée, pour quoi faire ?
L'Europe se trouve aujourd'hui dans une crise identitaire comme jamais elle n'en a connue auparavant. Les raisons en sont claires. Je viens de les exposer.
C'est la question fondamentale à laquelle nous devons sans cesse revenir, parce qu'elle est plus pertinente que jamais : en effet, quel peut être le sens de cette construction inédite dans laquelle nous sommes si profondément impliqués, à la veille d'une mutation qui va conduire à un changement d'échelle radical ?
Quel doit être aujourd'hui notre projet européen, quelles peuvent être nos ambitions communes ?
Je crois que, face à cette interrogation identitaire il faut, d'une part, retrouver les ambitions premières de la construction européenne et d'autre part, rechercher les conditions d'une Europe plus souple, qui allie la diversité des modalités de fonctionnement et l'unité de l'ambition.
Rappeler les principes essentiels de la construction européenne, c'est d'abord consacrer l'exigence de paix, c'est-à-dire la raison d'être première de cette aventure, imaginée au sortir de la seconde guerre mondiale par des hommes et des femmes animés de la volonté de sortir, pour toujours, l'Europe d'une logique d'affrontements et de divisions, qui, avec l'apparition de l'arme nucléaire, pouvait remettre en cause l'existence même du Continent.
C'est ensuite réaffirmer l'exigence démocratique, consubstantielle à l'exigence de paix, et qui reste encore à consolider dans les nouvelles démocraties de l'Est et à parfaire dans nos démocraties plus anciennes. Et reconnaissons, à cet égard, que ce qui est en cours en Autriche depuis quelques mois, nous interpelle : car comment pourrait-on se résigner à ce qu'un parti qui prône des théories aux antipodes des valeurs européennes puisse accéder et se maintenir au pouvoir dans l'un des Etats membres ?
Rappeler les principes essentiels, c'est, enfin, retrouver l'ambition d'un développement économique cohérent avec la recherche de la justice sociale, ce modèle européen social et culturel qui fonde notre identité et que nous devons promouvoir, plus que jamais, dans le contexte du débat sur la maîtrise de la mondialisation.
Dans cet esprit, notre rôle est de dire clairement que, non seulement la participation des pays d'Europe centrale et orientale à ce projet de civilisation n'est pas un obstacle, mais qu'elle est bien une condition de sa réussite complète et durable.
La coupure brutale du continent pendant 50 ans a été source de divisions et d'instabilité. Elle est aujourd'hui surmontée et ces pays ont vocation à rejoindre l'Union, pour lui apporter leur diversité et leur richesse. La paix sur le continent, la démocratie, le développement économique et social - ces objectifs fondamentaux de la construction européenne - pourront ainsi plus certainement s'enraciner et se consolider sur l'ensemble du Continent.
Mais, bien sûr, cette Union de plus de trente membres devra fonctionner différemment, afin de rester maître de son nombre et de sa diversité. La maîtrise de ces deux paramètres appelle des mutations institutionnelles importantes. J'ai évoqué la réforme institutionnelle que nous devons mener à bien d'ici la fin de cette année.
Il faudra aussi réfléchir à d'autres évolutions afin d'organiser cette Europe plurielle, où tous ne pourront pas suivre les mêmes politiques au même moment et à la même vitesse. La diversité n'est pas antinomique de la construction européenne. En ce sens, il n'y a pas à choisir entre élargissement et approfondissement. Il faut faire les deux parallèlement. Mais cela suppose d'admettre que tous les pays ne participent pas aux mêmes politiques au même rythme.
L'inquiétude liée à l'élargissement est génératrice - on le voit bien aujourd'hui - de débats et de propositions qui se veulent toutes plus ambitieuses les unes que les autres. Le discours, au demeurant très intéressant, de Joschka Fischer, a lancé le mouvement et suscité beaucoup de réactions. Comme vous le savez, le président de la République s'est exprimé, hier, à Berlin devant le Bundestag, sur ce sujet. C'est une contribution importante, venant du président de la République et prononcée devant le Parlement d'un grand pays ami.
Je pense, pour ma part, qu'il faut toujours revenir d'abord aux principes essentiels de la construction européenne, à ce qui en fait la base, la force et l'originalité. Il faut donc partir de ce qui existe pour essayer de formuler les vraies questions.
Et là, j'aimerais citer Jacques Delors, qui s'est livré, ici même, il y a deux jours, à un débat très riche avec Jean-Pierre Chevènement. Car je crois que Jacques Delors a, par sa connaissance intime de l'Europe, la capacité à poser les bonnes questions (même si, je l'avoue, ses réponses ne me satisfont pas toujours !)
Que dit Jacques Delors ? Que dans cette Europe élargie, il faudra une avant-garde, un coeur qui soit le moteur de l'Europe. Il a totalement raison. Nous ne pourrons pas avancer à 30 au même rythme qu'à 15. Et il faut que les Etats membres qui souhaitent aller plus loin puissent le faire. C'est l'objectif que nous poursuivons à travers les coopérations renforcées.
Mais, indépendamment du nom que l'on donne à cette avant-garde, la question qui se pose, c'est évidemment celle du fonctionnement institutionnel d'une telle avant-garde.
Je n'entrerai pas dans le détail, je dirai simplement, qu'on ne peut pas plaquer des solutions toutes faites, ou découper ce qui existe, comme s'il s'agissait d'un schéma théorique, alors qu'il s'agit d'institutions vivantes. Je pense en particulier au Parlement européen dont, jusqu'ici, personne n'a soulevé la question du rôle à l'égard des coopérations renforcées, qui seront mises en place à l'intérieur de l'Union, mais qui n'associeront qu'un petit nombre d'Etats membres.
Encore une fois, on peut comprendre le souhait de certains de vouloir provoquer le "déclic salutaire", mais prenons garde à ne pas saborder ce qui existe.
Il y a une vraie nécessité à doter l'Union d'une dimension politique plus affirmée. Partons de ce qui existe, de ce qui, souvent ne fonctionne pas, et voyons comment, renforcer politiquement les Institutions, clarifier leurs compétences respectives, améliorer le fonctionnement de l'ensemble du système. S'il doit y avoir une Constitution européenne, ce pourrait être sa tâche.
Notre responsabilité immédiate, pour la Présidence française, sera de mener à bien la CIG, tout en préparant l'avenir. Cela veut dire avancer réellement sur la question du fonctionnement des coopérations renforcées, qui créent une passerelle vers l'Europe de demain.
Parallèlement, réfléchissons aussi à une amélioration générale du fonctionnement de l'Union par la définition des règles de cette meilleure "gouvernance" européenne dont parle le président Prodi, en veillant à la cohérence politique générale de l'action de l'Union. Intangibilité des principes et souplesse du dispositif sont sans doute les mots-clés de l'avenir de l'Europe.
Cela sera de plus en plus difficile dans l'Europe élargie. Mais nous devons avoir à l'esprit cette perspective de moyen terme pour réussir la réforme qu'il nous revient de finaliser dans l'immédiat. Sans une CIG réussie, toutes nos belles visions d'avenir seront remises en cause.
Enfin, nous ne devons jamais oublier que ce que nous construisons et ce que nous devons préserver pour l'avenir, ce n'est pas une belle mécanique, c'est une Europe pour les citoyens. C'est-à-dire un espace de cohésion économique et sociale, un espace de sécurité et de liberté, un espace de l'éducation et des savoirs, un espace de culture, là encore pour unir les forces et les diversités des Européens, sans les uniformiser -bien au contraire- et pour leur permettre de promouvoir ces valeurs dans le monde.
A cet égard, le projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne auquel nous travaillons aujourd'hui est essentiel, car il sera l'expression de ce lien entre les citoyens autour de valeurs communes. Il est donc indispensable que la Charte comporte aussi un large volet consacré aux droits sociaux, y compris des droits sociaux nouveaux, car le "modèle européen" a un sens précis. Soyez certains que nous nous battrons pour que son contenu soit substantiel. Car ce n'est pas simplement la volonté de "brandir" le social comme un correctif des effets, sur l'emploi, des politiques économiques. C'est aussi le reflet d'une conception de la société. C'est pourquoi aussi la Présidence française s'attachera à élaborer un véritable Agenda social européen, conformément aux décisions arrêtées à Lisbonne, en mars dernier.
Pour être forte, l'Europe a besoin que ses citoyens adhèrent à ce projet que l'on appelle le "modèle européen" et qui doit être rester une réponse originale et offensive à la globalisation du monde, dans le partage des souverainetés, dans le respect des identités.
A cet égard, le travail que vous menez en coopération avec les assemblées homologues des Etats candidats est une contribution précieuse à la préparation de la société civile à la construction de l'Europe de demain. Je vous encourage à le poursuivre. Et je vous souhaite bonne chance dans vos travaux, car cet élargissement, pour être réussi, doit être l'affaire de tous.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2000)