Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la pérennité du service public de l'électricité et du gaz face aux directives européennes de concurrence, au Sénat le 22 mai 2002.

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Circonstance : Clôture du Séminaire organisé par l'Union française de l'électricité au Sénat, le 22 mai 2003

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Bernard BRUN,
Monsieur le Président de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, cher Henri REVOL,
Monsieur le Président du Crédit Lyonnais, Jean PEYRELEVADE,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Mesdames et messieurs les députés,
Cher ami Alain LANCELOT,
Mesdames et messieurs,
Je veux vous dire combien je suis fier de vous retrouver, ici au Sénat, pour clôturer votre matinée d'échanges qui s'inscrit pleinement dans le cadre du débat national sur l'énergie.
Sans attendre, je veux saluer et féliciter M. Bernard BRUN, président de l'Union française de l'Électricité, d'avoir pris l'initiative d'organiser cette rencontre avec le concours du Centre français de l'électricité et du LASAIRE.
Car, à l'évidence, ensemble, vous faites oeuvre utile !
Aujourd'hui, très simplement, je tiens à vous exprimer ma gratitude d'avoir réuni de nombreux parlementaires, experts et praticiens pour engager, ensemble, un dialogue fructueux et contrairement au titre de votre séminaire, " sans tabous électriques " !
En tant que Président du Sénat, je souhaite vous dire combien la Haute assemblée se montrera vigilante à l'égard des profondes mutations que connaît actuellement le secteur énergétique.
Plus encore, je souhaite que le Sénat, assemblée parlementaire à part entière mais aussi, c'est un plus, représentant des collectivités territoriales de la République, contribue à conforter la dimension territoriale, trop souvent méconnue, du secteur public local de l'électricité et du gaz.
Il faut bien le reconnaître, c'est l'ensemble du secteur qui est la croisée des chemins avec la transposition des directives communautaires et l'ouverture des marchés.
Sous l'impulsion européenne, c'est l'ensemble de l'architecture de 1946 qui va connaître, à court terme, des mutations profondes et irréversibles. Aujourd'hui, le réseau de distribution doit devenir indépendant de la production. Demain, les concessions pourraient devoir s'ouvrir à la concurrence. Dès 2004, le marché sera accessible aux clients " éligibles " et, en 2007, les particuliers pourront mettre en concurrence leurs fournisseurs d'électricité.
Autant de bouleversements pour l'économie globale des industries électriques et gazières !
Autant de choix stratégiques pour la France et je souhaite que le grand projet de loi d'orientation annoncée par Mme Nicole FONTAINE, ministre délégué à l'industrie, soit déposé en temps et en heure. Il y a urgence à ne pas se tromper.
Car, au final, ce qui est en jeu, c'est la capacité de la France à mener à bien une politique énergétique à même de nous apporter la sécurité d'approvisionnement dont nous avons tant besoin.
Le dispositif légal et réglementaire actuel permet-il effectivement d'assurer le développement des énergies renouvelables comme l'exige l'Europe ? Comment convaincre l'opinion publique de la nécessité de préserver l'atout nucléaire dans le jeu français ? Quelles options technologiques prendre dans ce domaine ? A quelles échéances ? Avec quels partenaires ?
A mon sens, pour préparer l'avenir, il est de l'intérêt de la France de disposer d'une filière industrielle forte et de " champions nationaux " à même de rivaliser sur la scène mondiale.
C'est tout l'enjeu de l'adaptation des statuts des opérateurs français qui doivent pleinement se doter des moyens nécessaires pour assurer leur développement dans un contexte européen et mondial en profonde mutation.
A cet égard, le Parlement prendra ses responsabilités pour conduire les analyses nécessaires et faire des propositions concrètes.
Dans cette perspective, il me semblerait utile de mettre en place un observatoire de l'ouverture du marché qui, chaque année, analysera les bénéfices qu'en retirent les consommateurs, le bon accomplissement des missions du service public, l'impact sur la politique énergétique du pays. Cet observatoire permettrait de faire le point sur l'ouverture aux professionnels en 2004 avant de procéder à l'ouverture totale du marché.
L'autre aspect qui me tient particulièrement à coeur en tant que Président du Sénat, c'est la dimension territoriale du service public de l'électricité.
Il constitue, en effet, un maillage du territoire irremplaçable auquel nos concitoyens sont particulièrement attachés. EDF est bien souvent le principal employeur d'un département ou d'une localité. C'est également un outil d'aménagement du territoire à travers la péréquation tarifaire qui permet à tout consommateur de bénéficier du même tarif, qu'il se trouve à Paris ou dans une vallée vosgienne.
Nous devons donc conforter cette dimension au moment où les services publics, dans le cadre de la relance de la décentralisation et de la réforme de l'État, devront eux aussi engager une profonde modernisation.
Il en est de même du rôle, parfois méconnu, des collectivités locales au travers des 170 entreprises de production et de distribution d'électricité et de gaz.
Pour tirer profit de l'ouverture à la concurrence, ces régies et Sociétés d'économie mixtes (SEM) vont, à l'évidence, devoir s'adapter.
Leur développement est à ce prix ! Et l'enjeu n'est pas neutre puisqu'elles représentent 10.000 emplois et 5 % du marché, le premier en Europe. Or, il faut bien le reconnaître, le statut de régie ou de Société d'économie mixte limite les possibilités de partenariats financiers ou techniques.
Aujourd'hui, vous êtes, nous sommes confrontés à des choix stratégiques majeurs qui vont conditionner l'équilibre du service public de l'électricité.
Les consommateurs ruraux bénéficieront-ils de tarifs aussi concurrentiels que les consommateurs urbains, lorsque le marché de l'électricité sera totalement ouvert en 2007 ? La politique d'amélioration de la qualité de fourniture électrique -particulièrement nécessaire en milieu rural- sera-t-elle poursuivie ? Le nouveau service public local de l'électricité sacrifiera-t-il les investissements de sécurisation et de renforcement des réseaux ?
Comment valoriser le réseau de distribution d'électricité (c'est-à-dire les lignes à moyenne et basse tension d'acheminement jusqu'au client final), propriété des collectivités locales, qui représente un patrimoine de près de 30 milliards d'euros ?
Autant de questions fondamentales qu'il reste à trancher rapidement si l'on veut maintenir un service public local de l'électricité de qualité, accessible à tous, dans le cadre d'un aménagement du territoire harmonieux.
En ce sens, je souhaite que le Sénat engage, sans délais, une réflexion approfondie en concertation avec toutes les parties prenantes (collectivités locales, entreprises, clients, organisations syndicales, autorités concédantes) afin d'éclairer les choix qui conditionnent aujourd'hui la pérennité de notre service public de l'électricité.
Je puis vous assurer que le Sénat, maison des collectivités locales, saura, une nouvelle fois, prendre ses responsabilités et se montrer à la hauteur de vos légitimes attentes.

(source http://www.senat.fr, le 29 août 2003)