Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie et les mesures de prévention, d'accès aux soins, de réinsertion des toxicomanes, Paris le 11 juillet 1996.

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Circonstance : Journée nationale des chefs de projet toxicomanie, Paris le 11 juillet 1996

Texte intégral

Madame la Présidente,
Monsieur le Député,
Mesdames et Messieurs les Chefs de Projet,
Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité être présent parmi vous aujourd'hui parce que la lutte contre la drogue et la toxicomanie est un enjeu national. Elle est aussi un combat de tous les instants sur le terrain.
Dans cette perspective, la mobilisation de tous doit se poursuivre avec encore davantage de détermination : les services de l'État, les collectivités locales, les associations, sont autant de leviers qui conditionnent la réussite de notre combat commun.
Je tiens à remercier Madame Françoise de VEYRINAS d'avoir pris l'initiative d'organiser cette journée, qui marquera un nouvel élan de notre mobilisation.
Le problème angoissant de la drogue et de la toxicomanie qui touche ou peut toucher à tout moment, hélas, beaucoup de nos concitoyens, figure parmi mes priorités, ainsi que l'avait d'ailleurs souhaité le Président de la République.
Dès mon arrivée au Gouvernement, j'ai voulu mettre en place un dispositif au cur duquel vous vous trouvez aujourd'hui.
Je souhaiterais rappeler tout d'abord dans quel esprit nous avons engagé un certain nombre de réformes et les choix qui ont été faits pour mener une politique plus efficace contre la drogue et la toxicomanie.
- 1er objectif : Un cadre institutionnel clair et cohérent.
- Au niveau national, j'ai décidé de créer la Mission Interministérielle, la MILDT, dirigée par un Président, assisté d'un Délégué et de la placer directement sous mon autorité, pour affirmer la détermination du Gouvernement dans cette affaire et pour que désormais, au niveau central, les actions des ministères compétents soient animées et coordonnées de manière plus opérationnelle.
Je sais à quel point la mission de Mme Françoise de VEYRINAS est complexe, mais parce que sa compétence et son autorité sont grandes, je sais pouvoir compter sur elle pour la mener à bien. Elle sait aussi de son côté, dans le cadre de son activité, pouvoir compter sur mon appui constant.
- Au niveau local, ce qui a été décidé au plan national doit pouvoir trouver une application cohérente ; c'est pourquoi j'ai souhaité opérer également une réorganisation du dispositif départemental.
Le comité restreint de lutte contre la Drogue et la Toxicomanie présidé par le Préfet, assisté d'un chef de projet, sera chargé d'impulser et de coordonner l'action des services de l'État en liaison avec les collectivités locales et les associations.
Ces comités veilleront à l'application et au suivi du plan général de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Il leur appartiendra de déterminer les choix qui s'imposent en termes d'action et de financement, au niveau départemental, dans les domaines de la prévention, des soins et de l'insertion.
Enfin, le Conseil départemental de prévention de la délinquance devient l'organe de concertation de l'ensemble des partenaires de la lutte contre la drogue et la toxicomanie. Désormais, chaque réunion de cette instance devra impérativement prévoir dans son ordre du jour un point spécifique sur ces questions.
Mesdames et Messieurs les chefs de projet, la mission qui vous est confiée au sein de ce nouveau dispositif est absolument essentielle.
Parce que vous êtes des pivots de l'organisation départementale, votre action se situe aux trois niveaux, d'impulsion, de coordination et de concertation.
Je sais que votre mission nécessite beaucoup de volonté et de ténacité. Mais vous avez été choisis parce que l'on sait pouvoir compter et s'appuyer sur vous.
Je viens d'adresser aux Préfets de département une circulaire définissant les modalités de ce nouveau dispositif, qui vous guidera dans l'accomplissement de votre mission.
- 2ème objectif : une mobilisation de tous et de tous les instants.
C'est parce que nous avons une certaine conception de l'homme, de sa liberté et de son devenir que notre réponse à des questions aussi complexes ne peut pas être unique. C'est sur l'ensemble des fronts qu'il nous faut savoir agir sans relâche et avec discernement.
Lorsque j'ai réuni, le 11 septembre 1995, le Comité Interministériel de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie, c'est à une mobilisation personnelle que j'ai appelé l'ensemble des ministres concernés, pour très rapidement mettre en place effective le plan de lutte que le gouvernement a alors arrêté.
Ce plan porte sur quatre volets :
1) La prévention, dans la perspective de mieux connaître, mieux informer et mieux écouter.
2) Les soins, avec pour objectif d'augmenter les capacités des lieux de soins et d'améliorer l'accès aux soins de substitution.
3) L'insertion, afin d'accueillir, orienter, et favoriser l'accès aux droits.
4) La répression, enfin, pour renforcer la loi pénale contre les trafiquants.
Mesdames et Messieurs les Chefs de projet, avec la MILDT, qui est le correspondant de chacun des ministres du gouvernement sous mon autorité et assure ainsi votre relais au plan national, et avec laquelle vous serez en liaison étroite et constante, vous êtes sur le terrain les acteurs privilégiés de cette mobilisation.
Sur place, quotidiennement, il vous appartiendra de conduire une action soutenue d'impulsion de l'ensemble des partenaires de la lutte contre la drogue et la toxicomanie. Votre expérience déjà longue de ces problèmes ne sera pas de trop pour animer, pour coordonner et pour mobiliser. En un mot, pour avancer.
- Avancer d'abord en faveur des jeunes, en multipliant les actions de prévention.
Pour être efficace, une action pédagogique en profondeur doit reposer sur des connaissances scientifiques de cette maladie. Le travail de réflexion entrepris depuis septembre dernier par un comité d'experts devra déboucher à la mi-juillet sur un document concret de référence sur la prévention.
Ce texte donnera à tous de précieuses indications, que j'espère très pratiques, sur les conduites à tenir face aux dangers des différents produits psychotropes. Il sera diffusé à 50 000 exemplaires dès le mois de septembre prochain.
J'ai également demandé que soient intensifiées les actions d'information et de sensibilisation des jeunes dans le cadre de leurs loisirs ou de leurs activités dans les centres sociaux. Dans la même perspective, les fédérations sportives sont aussi mobilisées depuis le début de l'été.
Les comités d'environnement social dans les établissements scolaires continuent de se développer.
Au nombre de 1 700 en janvier 1995, l'objectif de 2 000 comités pourra être atteint au cours de la prochaine année scolaire.
Afin de prévenir la marginalisation de trop de jeunes éloignés des dispositifs existants, 26 "Points Écoute Jeunes" fonctionnent actuellement dans les départements les plus sensibles.
Je souhaite que 15 nouveaux points puissent être créés d'ici la fin de l'année, pour permettre à ces jeunes l'accès à un service social et répondre à des situations d'urgence.
Enfin, le dispositif de prévention serait incomplet si une attention plus soutenue n'était pas portée aux parents et aux familles, souvent mal informés des problèmes de leurs enfants -parce que souvent les derniers à savoir-. Les premiers "Points Écoute Parents" vont voir le jour très prochainement.
- Avancer ensuite dans le domaine de l'accès aux soins.
La politique d'amélioration de la prise en charge intégrant la réduction des risques sanitaires est devenue une réalité en 1996. Les capacités d'hébergement ont d'ores et déjà doublé depuis 1993 et nous compterons bientôt près d'une quarantaine de réseaux "ville-hôpital-toxicomanie".
Par ailleurs, les produits de substitution, jusque-là réservés à quelques dizaines de malades toxicomanes, sont devenus aujourd'hui largement accessibles. 18 000 patients bénéficient aujourd'hui de tels traitements.
Des efforts significatifs dans le domaine de la recherche ont également été engagés.
- Avancer également en faveur de l'accueil, de l'insertion -ou de la réinsertion, qui constitue l'ultime étape du parcours d'un toxicomane en voie de guérison.
Vous savez que l'emploi des jeunes est une des grandes priorités de notre action, et que, dans les actions engagées depuis plus d'un an, les jeunes en difficulté, et en particulier ceux dont il s'agit aujourd'hui, ne sont évidemment pas oubliés. L'effort que nous déployons déjà doit être à la mesure de celui que fournissent ceux qui se sortent progressivement de l'enfer dans lequel ils ont vécu.
Car avant même d'être en mesure de trouver un emploi, les toxicomanes les plus désocialisés ont besoin de structures d'accueil adaptées. Un premier centre d'urgence a déjà été ouvert à Paris en 1994. Un second verra le jour le 1er septembre prochain.
Par ailleurs, la préparation des toxicomanes à leur sortie de prison nécessite une préparation intensive pour prévenir les risques de récidive.
Le bilan positif des expériences pilotes menées par différentes maisons d'arrêt conduit à encourager leur extension sur quatre nouveaux sites à Lyon, Lille, Marseille et Metz.
- Enfin, vous le savez, rien de ce que nous entreprenons n'aurait de sens, si les efforts menés en matière de répression n'étaient pas poursuivis.
Depuis mon arrivée, trois projets de loi importants ont été adoptés qui renforcent la loi pénale ; ils concernent la répression du trafic en haute mer, la lutte contre le blanchiment des produits du crime organisé et la définition du contrôle de la fabrication et du commerce des "précurseurs chimiques".
Parallèlement, le renforcement de la coopération entre les services des douanes, de la gendarmerie et de la police a permis une action plus concertée, plus coordonnée et a permis d'enregistrer de nombreux succès.
Des moyens supplémentaires importants sont mobilisés en dépit d'une politique budgétaire indispensable au redressement de notre pays ; ce sont 700 millions de Francs environ sur les seuls plans sanitaire et social, - et je ne compte pas ici les sommes mises à la disposition des services de police, de douane et de gendarmerie -, que l'État consacre sur son budget à la lutte contre la toxicomanie.
Au total, avec le financement assuré par l'assurance-maladie des mesures impliquant l'hôpital, la France dépense cette année un peu plus d'un milliard de francs.
Je crois que personne ne peut sérieusement contester qu'un tel montant témoigne de la réalité de notre engagement.
Mais au-delà de cette mobilisation, nous devons continuer et amplifier notre action. J'ai demandé à Mme de VEYRINAS de préparer le prochain plan triennal de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Et, là encore, j'attends beaucoup de vous, Mesdames et Messieurs les Chefs de projet ; grâce aux relais des élus locaux, du monde associatif, des différents services de l'État, vous aurez une remontée quasi quotidienne des préoccupations des Français.
C'est à partir de vos propositions que la MILDT établira ce plan, qui fera l'objet d'un prochain Comité Interministériel que je présiderai personnellement.
Mesdames et Messieurs les Chefs de projet, en vous installant solennellement aujourd'hui dans vos nouvelles responsabilités, je forme un double vu :
- un vu de succès personnel d'abord pour votre mission délicate, mais connaissant votre engagement total dans cette affaire, je ne doute pas qu'il sera exaucé.
- le vu ensuite que cette nouvelle organisation permette de mieux comprendre les situations individuelles et de prendre les mesures adéquates en liaison avec les acteurs locaux et la MILDT.
Soyez assurés que je serai extrêmement attentif aux résultats, et aux difficultés que vous pourriez rencontrer.
Vous êtes à l'écoute des Françaises et des Français, vous êtes dans une position privilégiée pour observer et agir et la mission interministérielle qui constitue votre relais me tiendra régulièrement informé de l'évolution des situations.
Une grande tâche vous attend ; elle suppose beaucoup d'enthousiasme et aussi beaucoup de dévouement, mais un pays qui ne se soucie pas suffisamment de sa jeunesse, et surtout de celle qui souffre, est un pays qui décline. Vous êtes comme moi de ceux qui ne peuvent s'y résoudre.