Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur le projet de réforme des retraites, Assemblée nationale le 13 mai 2003.

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Circonstance : Réponse à des questions posées par M. Alain Bocquet, député PCF, M. Mansour Kamardine, député UMP, Jean-Marc Ayrault, député PS et Maurice Leroy, député UDF, lors de la session des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 13 mai 2003

Texte intégral

M. Alain Bocquet - Certes, mais il est déjà arrivé que la rue conteste si fort les choix de gouvernements qu'elles les a fait chuter. Aujourd'hui, dans toute la France, s'exprime un rejet massif et déterminé de votre projet de réforme des retraites (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La grève est aussi largement suivie autant dans le privé que dans le public (Mêmes mouvements) et plus d'un million et demi de personnes manifestent dans plus d'une centaine de villes du pays. Depuis décembre 1995, jamais une telle mobilisation des travailleurs, des jeunes et des retraités n'avait eu lieu : il aura fallu votre obstination rétrograde ! D'après les sondages, 64 % des Français approuvent cette journée d'action Les députés communistes et républicains sont naturellement aux côtés de ceux qui refusent le recul social, pis le recul de civilisation auquel conduirait votre projet.
Les salariés n'acceptent pas de travailler plus longtemps aujourd'hui pour gagner moins demain en retraite, alors qu'ils sont aujourd'hui victimes des licenciements et qu'ils savent que leurs enfants et petits-enfants subiront eux aussi le chômage. Ils savent que les bénéfices financiers et boursiers des grandes sociétés, ainsi que les gains retirés de la spéculation par les privilégiés de la finance permettent d'envisager une réforme des retraites plus solidaire et plus juste, si d'autres choix économiques sont faits. Ils veulent leur part de l'accroissement de la productivité et des richesses auquel ils contribuent. C'est pourquoi cette journée de grève du 13 mai n'est qu'un début (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).
Monsieur le Premier ministre, retirez donc purement et simplement votre projet dicté par le Medef. Acceptez de rouvrir le chantier d'une autre réforme, plus moderne, plus équitable et plus progressiste, élaborée en accord avec les représentants du monde du travail. L'argent existe dans notre pays pour sauver les retraites d'aujourd'hui et de demain. Encore faut-il avoir le courage de le prélever là où il est (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Il est un point sur lequel je suis d'accord avec vous : un important mouvement social a lieu aujourd'hui autour des retraites. Ce mouvement, le Gouvernement l'écoute et le respecte. Mais ma première pensée ira cet après-midi à tous ceux qui en ont été les victimes, empêchés d'aller travailler, de faire garder leurs enfants, de faire fonctionner leurs entreprises. Ces salariés, des petites entreprises le plus souvent, seraient les premières victimes si nous ne conduisions pas la réforme des retraites à son terme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
Nous allons continuer à dialoguer avec les organisations syndicales, comme nous le faisons depuis plus de trois mois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nous écoutons les Français qui manifestent - mais aussi ceux qui ne manifestent pas, lesquels ne sont pas moins nombreux -, exprimant leur inquiétude et leur souhait d'un effort partagé pour sauver nos régimes de retraite, menacés par les évolutions démographiques mais aussi, il faut l'avouer, par l'immobilisme qui a prévalu ces dernières années. Les Français souhaitent plus de justice sociale : est-il acceptable que certains doivent cotiser seulement 37 ans et demi et d'autres 40 ?
Si nous sommes ouverts à la discussion, il est un point sur lequel nous ne reviendrons pas, c'est l'harmonisation de la durée de cotisation entre le secteur public et le secteur privé à l'horizon 2008. Cette mesure de justice sociale permettra aux fonctionnaires, à condition de travailler deux ans et demi de plus en 2008, c'est-à-dire comme tous les autres salariés, de maintenir intégralement le niveau actuel de leur retraite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
Il est un autre point sur lequel le Gouvernement ne reviendra pas, c'est celui des régimes spéciaux - dont les bénéficiaires sont pourtant nombreux à manifester aujourd'hui -, tout simplement parce qu'ils ne sont en rien concernés par cette réforme, ni aujourd'hui, ni demain. Il n'y a donc pas de raison d'en parler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. Mansour Kamardine - Monsieur le ministre des affaires sociales, plusieurs syndicats appellent aujourd'hui à la mobilisation contre la réforme des retraites. Il est normal que nos concitoyens s'expriment sur cet important sujet de société, et vous-même, Monsieur le ministre, n'avez jamais cessé de prôner le dialogue. Si l'on peut comprendre le mode d'expression choisi par les syndicats, la très forte mobilisation observée dans le secteur des transports, dont les personnels ne sont pourtant pas concernés par la réforme, peut aussi conduire à s'interroger.
Toutes les études et les rapports le démontrent : notre système de retraite par répartition est menacé. Il n'y a qu'une solution pour le sauver, c'est de le réformer. Quant à vous, Monsieur le Premier ministre, vous avez deux solutions : céder à la pression de la rue, comme on vous le demande à gauche, ou bien conduire la réforme à son terme. Sachez que l'UMP vous soutiendra sans faille dans la seconde voie. Face à la forte demande de dialogue exprimée encore aujourd'hui, que ferez-vous demain avec les syndicats ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)
M. François Fillon - Ce Gouvernement a un devoir qui transcende les clivages partisans et les générations, celui de sauver les retraites. Il ne s'arrêtera pas en chemin et vous présentera avant l'été une réforme à cet effet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Aujourd'hui, beaucoup de Français manifestent, mais beaucoup aussi ne le font pas. Le rôle du Gouvernement est de définir et de faire prévaloir l'intérêt général.
Certains souhaitent empêcher toute réforme : ceux-là, nous ne sommes pas prêts à les entendre. D'autres, en revanche, souhaitent améliorer notre projet : avec ceux-là, nous sommes prêts à discuter. Je recevrai d'ailleurs demain à 18 heures, avec Jean-Paul Delevoye, l'ensemble des organisations syndicales pour poursuivre le dialogue. Nous sommes prêts à améliorer le texte sur les questions des petites retraites, du minimum contributif, de la situation des salariés qui ont commencé à travailler très tôt... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), de la prise en compte, d'une manière ou d'une autre, des primes des fonctionnaires dans le calcul de leurs pensions (Mêmes mouvements), du rachat des années d'études pour ceux qui entrent tardivement dans la vie professionnelle (Mêmes mouvements), enfin de la progressivité de la réforme, en particulier dans la fonction publique où ceux qui sont proches de la retraite ne doivent pas être bousculés.
Mais nos concitoyens doivent savoir que nous ne saurions accepter que l'addition des propositions qui nous sont faites conduise à des déséquilibres financiers plus graves que ceux d'aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Notre objectif est de mener à bien une vraie réforme des retraites, qui sauvegarde définitivement le régime par répartition. Le Gouvernement et sa majorité pourront être fiers d'avoir, enfin, assumé cette responsabilité propre de notre génération vis-à-vis des générations futures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Premier ministre, la France est aujourd'hui paralysée et vous en êtes le seul responsable (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP). Les millions de Français qui manifestent aujourd'hui ne sont pas contre la réforme, mais bien contre votre réforme. Ils ne défendent pas des privilèges, contrairement à ce que vous faites, vous, en épargnant la rente, le patrimoine, les portefeuilles boursiers : ils veulent seulement préserver le niveau de leurs pensions et le droit à la retraite à 60 ans. Ils n'opposent pas le public et le privé, comme vous le faites : ils veulent seulement que chacun puisse cesser son activité dans des conditions décentes.
Mais ils ne supportent plus que vous les preniez pour des naïfs : non, travailler plus longtemps pour une retraite inférieure ne saurait constituer un progrès social. Ils ne supportent plus que les sacrifices soient toujours demandés aux mêmes - il existe d'autres modes de financement, mais vous vous refusez obstinément à y recourir. Ils ne supportent plus que vous fassiez fi de la pénibilité des tâches, de la précarité et du chômage qui, hélas, jalonnent trop de carrières, ni que vous exigiez des jeunes qu'ils financent la retraite de leurs aînés et acceptent de voir la leur diminuée. En un mot, ils ne supportent plus que vous ne les écoutiez pas et que vous ne les compreniez pas, comme vous en apportez une fois de plus la preuve, puisque nous allons débattre ici cet après-midi, sur proposition du Gouvernement et de l'UMP, non pas des retraites, mais de la chasse... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)
Ce n'est pas " la rue ", comme vous le dites avec mépris, Monsieur le Premier ministre, qui s'exprime aujourd'hui, c'est le peuple de France (Protestations sur les bancs du groupe UMP) qui refuse que votre réforme brise un idéal de solidarité et rompe le pacte entre les générations.
Pas plus qu'en 1995, il n'y aura de consensus sur un recul social. Comme Alain Juppé alors, vous pouvez prétendre que ceux qui font grève ont tort ou que les premières victimes de la grève sont les usagers des services publics. Vous pouvez aussi passer en force, en vous faisant applaudir, comme M. Juppé en 1995, par une écrasante majorité, debout pour vous acclamer (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).
Mais si vous le faites, vous allez accroître la fracture entre les Français. Ce que ceux-ci demandent, ce ne sont pas de petits marchandages par ci par là, mais une véritable réforme. Etes-vous prêt à les écouter ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)
M. François Fillon - Le Gouvernement est ouvert à la discussion avec les partenaires sociaux, comme avec les parlementaires. Mais il n'y a pas d'alternance à la réforme que nous proposons (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) fondée sur un effort partagé et équitable pour assumer les risques provoqués par le retournement démographique pour le financement des retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Vous le savez bien, Monsieur Ayrault, car avant 2002 M. Jospin, M. Hollande, M. Fabius, Mme Guigou, M. Rocard ont défendu, chacun à son tour, l'allongement de la durée de cotisation pour financer les régimes de retraite (" Eh oui ! " sur les bancs du groupe UMP) et l'harmonisation entre le public et le privé (" Eh oui ! " sur les bancs du groupe UMP). La majorité d'alors a appliqué pendant cinq ans la réforme d'Edouard Balladur. Vous avez donc assumé la décision prise par le gouvernement qui vous précédait et qui a conduit effectivement à une baisse du taux de remplacement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Votre majorité a également créé, et elle a bien fait, le conseil d'orientation des retraites qui a abouti à des conclusions exactement semblables à celles dont s'inspire aujourd'hui le Gouvernement pour proposer sa réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
A l'époque, vous aviez raison, parce qu'il n'y a pas d'alternative (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Que propose-t-on en effet ? Soit la capitalisation qui n'est pas notre choix, et qui est au surplus impraticable ; soit la retraite par point, procédé habile pour dissimuler une diminution drastique des pensions en fixant chaque année la valeur du point ; soit enfin le fameux " élargissement de l'assiette des cotisations " en taxant les bénéfices non réinvestis des entreprises (Approbation sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Outre que ce serait économiquement irresponsable (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), quelle sécurité offrirait un système de retraites fondé sur des recettes aussi mobiles et incertaines ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
Il n'est pas trop tard pour que le parti socialiste revienne à un peu plus de cohérence, voire de décence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)
M. Maurice Leroy - Tout le monde voit bien que la réforme des retraites représente un rendez-vous crucial pour la France. Ce rendez-vous mérite mieux que l'invective et la polémique. Personne ne devrait oublier le 21 avril !
Il faut que la réforme réussisse. Elle réussira si les Français sont assurés qu'elle est juste. Pour l'UDF, la justice passe d'abord par l'égalité de tous devant la retraite. Nos concitoyens doivent avoir les mêmes obligations et les mêmes droits, quel que soit leur régime de retraite (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).
La justice, c'est ensuite l'équité, c'est-à-dire la prise en considération des situations exceptionnelles. Pour l'UDF qui se félicite des propositions constructives que vous venez d'émettre sur ce sujet, les métiers pénibles et usants doivent bénéficier d'un départ anticipé, et les salariés qui ont travaillé très tôt partir avec une retraite à taux plein au terme de leurs quarante années de cotisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). La justice, c'est enfin que la retraite minimale permette de vivre décemment. C'est pourquoi nous défendons le principe d'une pension minimale représentant 90 % du SMIC. Etes-vous prêt à intégrer ces propositions de justice dans votre projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)
M. François Fillon - Je vous remercie de soutenir ainsi la réforme que le Gouvernement construit avec les partenaires sociaux, et bientôt avec les parlementaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).
Je vous remercie de soutenir l'idée d'un effort partagé et équitable, qui portera à la fois sur l'allongement de la durée de cotisation, comme le font tous les pays européens (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et sur une augmentation des cotisations lorsque le retournement démographique permettra d'alléger celles du chômage.
La question de la pénibilité devra être traitée entre les partenaires sociaux à l'intérieur de chaque branche. De même que le pollueur de l'environnement doit payer, ceux qui font travailler des salariés dans des conditions difficiles devront, de façon mutualisée, financer le surcoût du départ anticipé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Pour les plus petites pensions, le Gouvernement a retenu le taux minimum de 75 % du SMIC. Nous sommes toutefois ouverts à des propositions qui n'aggraveraient pas le déficit de l'assurance vieillesse. Pourquoi 75 % ? Parce que ce taux est celui retenu pour les retraites agricoles - et suggéré, qui plus est, par François Bayrou au cours de la campagne présidentielle (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP). Mais nous sommes prêts à le faire évoluer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).


(source http://www.retraites.gouv.fr, le 21 mai 2003)