Déclaration et point de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la suspension des négociations de l'Accord multilatéral sur les investissements (AMI) entre les pays de l'OCDE et sur les 4 exigences posées par la France à la reprise des travaux, Paris le 28 avril 1998.

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Circonstance : Réunion annuelle des ministres des Finances et du Commerce des 29 pays de l'OCDE les 27 et 28 avril 1998 à Paris : la France obtient la suspension pendant six mois des discussions sur l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI)

Texte intégral

Je voudrais vous dire quelques mots sur l'AMI, qui nous a occupé pendant deux jours.
Le premier point, que je voudrais souligner, est qu'il était de toute façon, pour nous, hors de question de parvenir à une conclusion sur l'AMI à cette session ministérielle de l'OCDE. Vous le saviez, nous l'avions dit clairement, il y a déjà plusieurs mois. C'était d'ailleurs une position qui avait été reprise par certains de nos partenaires.
Le débat était donc de savoir si nous devons ou non continuer la discussion. La plupart de nos partenaires le souhaite.
Notre propre position est bien connue : elle a été exprimée, à plusieurs reprises, par le Premier ministre, Lionel Jospin, par Dominique Strauss-Kahn, par Hubert Védrine et par moi-même.
Un tel accord n'est envisageable pour nous que dans la mesure où il préserve l'exception culturelle, où il n'entrave en rien la construction européenne et l'élargissement de l'Union, où il permet le renforcement des normes sociales et environnementales. C'est cela notre position. Enfin, il est clair que l'absence de solution à la question des législations extra-territoriales américaines, en particulier à l'encontre de nos entreprises, rendrait impossible tout accord.
Il faut aussi rappeler que la discussion sur les investissements internationaux est inscrite au calendrier de l'OMC, et que l'OMC est pour nous le cadre privilégié de discussion sur ces sujets.
Donc, ce qui est clair, c'est que la décision que nous venons de prendre aujourd'hui, est un compromis. Nous demandions la suspension des négociations pendant un temps assez long. Il y aura une pause qui doit être utilisée pour rechercher des bases de propositions meilleures, dont est chargé le Secrétaire général de l'OCDE et elles reprendront dans six mois, à peu près en octobre 98. On procédera, à ce moment-là, à une évaluation. C'est dire que c'est tout de même le souhait de suspension qui est retenu.
Mais ce que je veux dire, c'est que pour la France, cette négociation ne peut-être poursuivie que si ses résultats attendus constituent des avantages réels pour les salariés, pour les entreprises du pays, à condition qu'elle ne remette en cause aucun des nos intérêts essentiels. C'est une méthode générale. C'est le moins, d'ailleurs, qu'on puisse demander à un gouvernement. Il n'y a aucune raison de penser que, sur ce dossier-là, comme sur d'autres, nous aurions pu adopter une attitude différente.
Je voudrais développer un peu les quatre exigences que je viens de rappeler et qui sont, pour nous, aujourd'hui, demain, comme hier, des principes pour conduire une éventuelle négociation.
Le premier principe qui doit encadrer toute discussion sur ce sujet, est celui de l'exception culturelle. C'est sans doute celui qui est le plus fort, qui a pour nous une portée générale. Il est évidemment hors de question pour la France de revenir de quelconque façon sur cet acquis des dernières négociations du GATT. Il s'agit là, non seulement d'un engagement de la France, mais aussi d'un engagement de l'Union européenne.
Et donc, ce que nous voulons faire, c'est à la fois confirmer et généraliser cet acquis, en mettant hors du champ de la discussion l'ensemble des activités à caractère culturel, pour la France, pour l'Union et pour les pays candidats à l'adhésion. C'est une condition absolue pour préserver notre politique de soutien et d'encouragement à la création artistique et aux produits culturels, sous toutes leurs formes.
Deuxième exigence : elle concerne l'Union européenne. L'avenir de la construction européenne exige que les Etats membres et futurs membres aussi puissent, à l'avenir, continuer de s'accorder entre eux des avantages spécifiques qui ne seront pas forcément étendus aux Etats tiers. C'est l'objet d'une clause dite "des Accords régionaux d'intégration économiques" qui figure, notamment, dans le GATT. Cette clause doit être maintenue et confirmée dans tout accord éventuel. On ne doit jamais oublier que l'Union européenne n'est pas un "espace de libre échange", n'est pas non plus un élément d'une zone de libre échange mondiale, que l'Union européenne, est un ensemble de politiques auxquelles nous tenons, qui supposent des coopérations privilégiées entre les Etats qui constituent l'Europe.
Et donc, l'Union doit garder sa liberté, sa responsabilité pour la mise en oeuvre de ses politiques communes qui sont destinées à renforcer notre potentiel économique, financier et industriel.
Le troisième principe est un principe social, un principe de justice. Nous voulons qu'un accord de ce type, s'il existe un jour, impose aux entreprises le respect des normes fondamentales de protection sociale et de protection de l'environnement. Nous ne pouvons pas accepter là-dessus de dumping social, de dumping environnemental.
Et, quatrième élément, c'est un principe de bon sens, qui est en facteur commun avec la discussion que j'ai pu conduire hier à Luxembourg dans le cadre du débat sur le "New transatlantic market". C'est que nous ne pouvons pas imaginer, d'un côté négocier pour élaborer des règles internationales et de l'autre, tolérer que les Etats-Unis imposent, unilatéralement des lois extra-territoriales, aux autres Etats. C'est le cas, par exemple, avec la loi Helms-Burton, pour la loi d'Amato, pour des lois également de niveau subfédéral, qui menacent de sanctions des entreprises non-américaines qui auraient investi dans des pays que les Etats-Unis ont, unilatéralement, proscrits. Ce n'est pas pour nous une démarche acceptable. Nous pensons qu'un accord sur les investissements devra interdire explicitement de telles lois, mais en plus, nous serons très attentifs aux décisions éventuelles que les Etats-Unis peuvent prendre ou tenter de prendre en application de ces lois.
Voilà le problème. Nos objectifs sont clairs, ils sont en phase avec les préoccupations légitimes qui se sont exprimées les dernières semaines. Je constate que la France n'est pas isolée dans cette affaire, puisque d'autres délégations ont émis des réserves. En tout état de cause nos objectifs, notre voix, nos principes ont été entendus et la décision finalement prise est une décision qui nous convient, c'est une décision ouverte.
Il n'y a pas aujourd'hui de fin de la discussion ou d'extinction de celle-ci. Mais il y a une pause très claire pour évaluer l'état de cette discussion et recadrer l'ensemble de l'exercice. Il faut là-dessus avoir une attitude offensive : le principe d'une discussion multilatérale sur les investissements n'est pas un mauvais principe, en tant que tel, parce qu'il existe aujourd'hui des accords bilatéraux ainsi qu'un code de bonne conduite élaboré il y a une dizaine d'années par l'OCDE.
La France est par ailleurs un pays qui est très ouvert aux investissements étrangers, puisqu'elle est le troisième pays dans le monde. Et donc, il faut sortir des idées reçues selon lesquelles les investissements français à l'étranger, les investissements étrangers en France seraient pénalisés. Ce n'est pas du tout le cas. Mais nous ne pouvons pas accepter de négocier sans garantie.
Voilà l'état d'esprit. Et je terminerai en disant que nos conditions étaient posées pour cette session, qu'elles ont été entendues à cette session et qu'elles restent posées pour la suite de l'exercice très clairement. Nous les retrouverons dans six mois, s'il n'y a pas une nouvelle base de travail pour un accord.
Q - Vous dites que l'AMI est bloqué. Les Allemands nous disent que cela continue. Qu'en est-il de cette négociation ?
R - La France ne remet pas en cause les principes mêmes d'un accord multilatéral sur l'investissement. Elle a voulu marquer que la question était légitime, que sous certaines conditions cela pouvait marquer un progrès et donc encore une fois, nous avons obtenu une pause, une interruption, la recherche de nouvelles bases. Ce n'est pas l'arrêt de toute discussion. Je crois que de toute façon que c'était une position de bon sens, nous aurions pu tout bloquer. Cela n'était pas notre position, très clairement à partir du moment où il était entendu que nous avions des conditions très fortes à la réussite d'un tel accord.
Q - Vous avez fait un travail remarquable hier : il y avait une majorité de voix qui était pour une continuation des discussions, la France était parmi ceux qui demandaient une suspension. Qu'a pu offrir la France pour convaincre le reste des pays d'accepter la suspension des discussions ? (La BCE...?)
R - Je lis des choses ici et là des choses très fantaisistes sur les globalisations. Des négociations en échange de tel ou tel poste, contre tel ou tel accord, ce n'est pas la position de la France. Quand nous parlons du NTM nous parlons du NTM, quand nous parlons de l'AMI nous parlons de l'AMI et quand nous parlons de la BCE nous parlons de la BCE et quand nous parlerons de la BERD nous parlerons de la BERD etc... Ce que je lis à propos de rumeurs sur de grandes parties de chaises musicales ne me paraît pas conforme à notre démarche.
Q - Avec l'attitude de la France dans toutes les discussions sur l'AMI et aussi le NTM, est-ce que cela fait un enterrement de première classe ?
R - Ce sont deux cas différents et les deux conclusions ne sont pas les mêmes. Il y a un facteur commun : ce qui nous paraît impossible, incohérent, c'est de vouloir négocier dans le cadre d'accords, soit multilatéraux mais hors de l'OMC, soit en cas d'accords transatlantiques euro-américains, pendant que les Etats-Unis légifèrent d'une façon unilatérale de leur côté avec les lois extra-territoriales que nous considérons inacceptables. Cela, je peux vous le dire, ce n'est pas une position de la France seule.
J'étais hier à Luxembourg, pour le Conseil Affaires générales, où cette position a été exprimée, dans les conclusions de façon très claire et cela faisait l'unanimité.
Nous disons qu'il faut que cette démarche de libéralisation du commerce mondial ait un cadre et ce cadre privilégié doit être l'OMC. Il faut qu'il y ait une philosophie, c'est une philosophie qui respecte les différentes entités économiques et politiques, les Etats-Unis, mais aussi l'Europe, qui a ses propres règles, qui a ses propres politiques et qui y tient. C'est cela qui exprime notre position. Ce n'est pas une résistance idéologique mais le souhait de voir maintenir l'identité européenne, et nos intérêts nationaux, ce qui est de bonne politique.
Q - Y a t-il une suspension ou poursuite des travaux ?
R - Il y aura une pause des négociations jusqu'au mois d'octobre, c'est explicite. C'est écrit, il n'y aura pas de négociations avant la mi-octobre. A côté de cela, il y a des contacts qui seront pris autour du Secrétariat général pour rechercher d'autres bases. Je crois que les deux choses sont vraies, il y a bien une suspension des négociations et une poursuite du travail et l'on peut résumer cela par les termes de "pause", suspension des négociations et poursuite du travail.
Q - Contre la signature de l'AMI, quels éléments de pression avez-vous utilisé ?
R - Ici, comme à Luxembourg, nous l'avons fait par la force de nos convictions.
Q - Je crois que vous avez déjà déployé vos convictions, vos arguments mais, quand même, les Etats ont continué à être favorable à l'AMI ?
R - Pour être tout à fait objectif, nous n'avons pas voulu bloquer le système, nous n'avons pas voulu casser le système, nous en exclure. Ce que nous avons recherché c'est à faire prendre en compte nos exigences. Je crois que l'on est parvenu à un compromis.
C'est un compromis dans la mesure où cette discussion n'est pas terminée, où cette discussion reprendra et dans la mesure où l'on va rechercher de nouvelles bases à cette discussion. On prend en compte le fait qu'il y a des exigences françaises et que pour en tenir compte, pour les intégrer, il faut un peu de temps. Ne faisons pas comme si c'était un triomphe de la France contre tous les autres. Ce n'est pas le cas, c'est un compromis qui tient compte des exigences françaises parce que ces exigences sont légitimes.
Q - Quand le gouvernement français a-t-il finalement pris cette décision?
R - C'est une décision que nous avons discuté collectivement. Ce sont d'abord des artistes français, des spécialistes de l'audiovisuel qui ont attiré l'attention sur l'AMI puis des hommes politiques, puis plusieurs questions ont été posées pour des députés français à l'Assemblée nationale et au Sénat. Nous avons forgé notre propre opinion, nous avons poursuivi avec méthode.
Q - Vous parlez toujours de la possibilité de transférer la négociation à l'OMC ?
R - La position française est de considérer qu'il s'agisse encore une fois du NTM, de l'AMI, que le meilleur cadre pour les négociations commerciales multilatérales c'est justement le cadre multilatéral de l'OMC, qui a été fait pour cela. Cela veut dire que, le moment venu, toutes ces questions pourront être évoquées à l'OMC, si nous ne parvenons pas à des accords dans un cadre plus restreint.
Q - Mais pourquoi la France adopte-t-elle des positions particulières ?
R - Je vais prendre un exemple, encore une fois l'exemple du NTM : qui peut dire que la France est à l'origine de cela ? Personne, c'est une initiative totalement unilatérale du commissaire Brittan, prise sans aucun mandat du Conseil européen. Nous sommes membres de l'Union européenne, nous sommes membres de l'OCDE et nous avons aussi le droit d'avoir notre propre position sur tous ces sujets.
Q - Voulez-vous un accord dans l'OCDE ou voulez-vous passer directement dans l'OMC ?
R - Nous voulons que nos conditions soient prises en compte. La formule qui est retenue est extrêmement claire : pause des négociations, recherche d'autres bases. Si on venait me dire, voilà vos conditions sont respectées, on a une nouvelle mouture de l'AMI qui en tient compte à tout point de vue, pourquoi ne pas accepter ce cadre, si toutes nos conditions sont prises ?
Q - Quelle est la position de la France en ce qui concerne l'AMI en ce moment?
R - Nous avions abordé cette discussion avec un certain nombre de conditions qui sont des conditions très fortes. Nous ne pouvons pas accepter cet accord s'il remet en cause l'exception culturelle. C'est pour nous notamment quelque chose de totalement décisif. Nous ne pouvons pas accepter cet accord s'il remet en cause la capacité de l'Europe à avoir une politique spécifique à l'intérieur des pays qui la composent concernant l'investissement. Nous ne pouvons pas accepter cet accord s'il remet en cause les règles du droit international du travail et s'il va dans le sens d'un dumping social et nous ne pouvons pas accepter cet accord si des lois extra-territoriales, comme la loi Helms-Burton ou la loi d'Amato, continuent d'exister. C'est pour cela que nous avons posé quatre conditions qui sont celles qui ont été posées à nouveau aujourd'hui. Elles sont là encore pour le futur. Mais nous sommes disposés à poursuivre la négociation dans les six mois ou plutôt nous sommes prêts à ce qu'elle reprenne dans six mois après les consultations utiles.
Q - Vous avez demandé la suspension de six mois pour les négociations. Cela veut-il dire qu'en fait l'accord est plus ou moins mort ?
R - Cela signifie que durant six mois des contacts vont être pris autour du Secrétaire général avec les uns et les autres de façon à voir si on a les possibilités, si on réunit les conditions pour reprendre les négociations sur une autre base. C'est pour cela que je disais, il y a une seconde, que les choses sont claires : ces conditions que nous avons posées aujourd'hui sont encore là pour demain. Nous seront prêts à être plus positifs éventuellement sur cet accord s'il y a des progrès substantiel sur les quatre points que je viens d'évoquer. Mais c'est pour nous quelque chose de tout à fait clair, ferme et déterminé.
Q - L'accord devait être signé aujourd'hui mais maintenant on ne sait pas quand il va être signé. Pensez-vous que cet accord sera signé dans l'année qui suit ?
R - Mon idée est toujours la même : c'est que nous pouvons reprendre la négociation à condition que nos exigences soient satisfaites et donc, nous verrons bien en octobre à quel point on en est. Pour être tout à fait clair et franc, ce qui nous était proposé aujourd'hui n'était pas acceptable en l'état et donc, il faudra, pour que ce soit signé, que l'on revienne à quelque chose qui soit acceptable pour nous.
Q - Il faut de grands changements dans les bases ?
Les quatre conditions sont pour nous fondamentales. Elles imposent une évolution très claire des choses./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)