Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Pôle républicain et citoyen, sur les risques d'une privatisation libérale du système de santé en France et ses propositions pour un système de soin équitable, Paris le 26 février 2003.

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Texte intégral

En Septembre 1998, à la suite d'un accident d'anesthésie, j'ai fait l'expérience douloureuse de la dépendance totale, mais j'ai aussi bénéficié d'un dévouement, d'une compétence, d'une humanité extraordinaires. Bien entendu, le droit pour tous les citoyens d'avoir accès aux meilleurs soins quels que soient leurs revenus m'apparaissait déjà avant cet accident comme un pilier de notre République. Mais après avoir vécu cette épreuve, ma conviction qu'il avait là une valeur essentielle s'est encore renforcée. J'ai pris davantage conscience du magnifique héritage qu'est notre système de soins voulu par le programme du Conseil National de la Résistance, et qui a instauré la Sécurité sociale.
Chaque citoyenne et chaque citoyen doit pouvoir être sûr qu'on fera le maximum pour lui comme on a fait le maximum pour moi. C'est le sens de mon engagement au service des français. Or, les rencontres avec les professionnels de santé sur le terrain ont confirmé mes craintes : comme pour toutes les valeurs républicaines de notre pays, j'ai constaté que cet héritage est menacé.
J'en prendrais deux exemples :
Chacun sait que les dépenses de santé sont en augmentation constante, même si il ne faut pas exagérer leur croissance. Elles représentent plus du dixième de la richesse du pays. Pourtant, les Français sont de moins en moins bien remboursés des soins importants : la sécurité sociale ne prend déjà plus en charge que 75% des dépenses, et les ménages payent environ 20 % de la facture de santé ! médicaments non remboursés, soins dentaires, lunettes, etc. sont à leur charge... Le forfait hospitalier est difficile à payer pour ceux et celles qui ont de faibles revenus et qui n'ont pas de mutuelle. Dans le même temps, les professionnels de santé, à juste titre, réclament des honoraires et des salaires corrects. Donc nous dépensons beaucoup, mais des dépenses essentielles seront de moins en moins couvertes.
D'autre part, le système de soins apparaît bel et bien bloqué. La grève des médecins généralistes est bien la pour en témoigner ! L'encombrement des services d'urgences des hôpitaux le démontre bien. Les médecins de ville sont découragés d'assumer les urgences, parce que la rémunération de leur déplacement est insuffisante et qu'ils sont confrontés à des problèmes de sécurité. Les médecins des urgences constatent que l'organisation de l'hôpital ne permet pas d'accueillir les urgences comme il le faudrait. Le résultat, c'est l'encombrement inacceptable des urgences hospitalières, le débordement de leur personnel, l'attente insupportable des usagers
Cela démontre qu'il faut traiter les problèmes dans leur ensemble, avec courage. Mais pour cela, il faut de la volonté politique sur la durée et une meilleure organisation du système de soins pour dégager les moyens nécessaires.
Élu Président de la République, je demanderai au Gouvernement de faire de l'amélioration de notre système de soins une priorité de solidarité nationale.
MON CONSTAT : LA SANTE DES FRANÇAIS EXIGE UNE SOLIDARITE ACCRUE
La France, deuxième pays du monde pour les dépenses de santé, n'est plus dans le peloton de tête pour la qualité de la santé.
Notre système de santé est reconnu par l'Organisation Mondiale de la Santé comme l'un des plus performants, mais ses résultats sont inégaux, son organisation au bord de la rupture, et l'avenir de son financement un problème majeur que nous devons prendre à bras-le-corps.
De fortes inégalités persistent dans les faits malgré l'égalité en droit devant les soins et les traitements. L'espérance de vie d'un ouvrier est de dix ans plus faible que celle d'un cadre supérieur et, malgré la généralisation de la couverture maladie à toute la population, cette différence continue à augmenter, reflet des inégalités croissantes de revenus, de modes de vie, de niveau d'instruction, de capacités d'information. L'espérance de vie est aussi plus faible pour les habitants du nord de la France par rapport à ceux du midi. Notre système de soins ne prend pas assez en compte des inégalités qui restent fortes et choquantes.
Le taux de remboursement des dépenses par la Sécurité Sociale n'a cessé de baisser depuis trente ans. Certes les mutuelles complémentaires sont utiles. Mais la couverture mutualiste n'est pas à mettre sur le même plan que la couverture par l'assurance maladie : elle fait en effet partie des " dépenses laissées à la charge des ménages ", et il y a une grande inégalité dans les capacités à y adhérer. Lorsqu'une maladie grave frappe l'un d'entre nous, je vois bien que celui qui n'a pas les moyens de cotiser à une mutuelle se retrouve rapidement face à de graves difficultés sociales, et d'autant plus qu'il est simple salarié, embauché sur un CDD, ou au chômage... Les soins et les prothèses dentaires, ophtalmologiques, ORL, élément important de la santé générale, restent très mal remboursés. Nous sommes déjà entrés dans une médecine à deux vitesses, et d'autant plus que certaines régions, souvent les moins riches, sont confrontées à de véritables pénuries de médecins généralistes et spécialistes, notamment du secteur 1. Cette donnée géographique de l'offre de soins (ambulatoire et hospitalière) est un des principaux facteurs d'inégalité de notre système.
Notre système de santé laisse s'accroître les inégalités faute de pouvoir faire face à toutes les dépenses. Or, les dépenses de santé ne peuvent qu'augmenter, ne serait-ce qu'en raison du vieillissement de la population, dont une des causes est justement - et heureusement ! - l'allongement de l'espérance de vie dans des proportions importantes. Des maladies autrefois mortelles deviennent chroniques, grâce à des médicaments issus de la biologie moléculaire de plus en plus coûteux. Les personnes âgées ou gravement malades souhaitent légitimement rester à domicile. La santé des Français nécessite, et exigera encore plus demain des dépenses importantes.
Le découragement, le désarroi des professionnels sont autant de symptômes inquiétants de la situation de notre système de santé.
La grève des internes, des médecins généralistes, des infirmières, les graves difficultés des services d'urgences, l'application chaotique des 35 heures à l'hôpital public, les problèmes de financement des établissements de soins privés le démontrent, il y a aujourd'hui un divorce entre les professionnels de santé et la puissance publique. C'est pour moi une préoccupation majeure. Beaucoup de médecins éprouvent des difficultés devant la lourdeur croissante de leurs tâches, confrontés qu'ils sont à des détresses sociales trop réelles. La Puissance publique considère à tort que les médecins sont des dépensiers. Ils sont en réalité des prescripteurs de soins. Le problème n'est pas pour eux de savoir si le médicament est coûteux mais s'il est efficace.
Et que dire des infirmières ? on se souvient des grands mouvements de grève de 1988, qui ont révélé leur malaise profond face à l'alourdissement des responsabilités et des tâches, face à la bureaucratie aussi. Des augmentations de salaires leur ont été accordées, mais aujourd'hui, de nombreux postes restent vacants, faute de candidats, tant la charge est devenue lourde. Et que dire de la grande misère des infirmeries scolaires, ou de la médecine du travail, toujours parentes pauvres du système ? c'est pourtant à leur niveau que se réalise une grande part de la prévention des maladies et des handicaps !
Notre système de soins est opaque, bureaucratique, incompréhensible pour le citoyen comme pour beaucoup d'élus.
La relation n'est pas suffisamment claire entre le niveau de dépenses, qui implique l'effort de solidarité des entreprises et des ménages, et donc de leurs cotisations, et la qualité de soins fournis, des résultats obtenus par le système de soins.
L'Etat n'a pas su établir des modalités de fonctionnement efficaces pour y parvenir. Ses efforts sont perçus par un grand nombre de professionnels comme un système de contrainte purement comptable, qui méconnaît les réalités, et décourage les efforts.
On ne peut convaincre les professions de santé d'être la pierre angulaire de notre système de soins et de solidarité si on les décourage et si on les sanctionne. Ainsi, ils ne doivent plus faire l'objet de coercition, par exemple à travers le système des "lettres-clefs flottantes" qui est un système de punition collective appliquée à la profession tout entière. Mais il en va de même des quotas d'activité imposés aux infirmières de ville, alors même que leur rémunération est très encadrée. La puissance publique doit les soutenir, elle pourra leur demander d'être encore plus responsables. De même, avant de demander au Parlement, qui fixe chaque année le volume des dépenses de santé, des ressources nouvelles, encore faudrait-il savoir si une meilleure organisation de notre système ne peut pas subvenir au moins en partie aux dépenses nouvelles.
En outre, les valeurs qui devraient gouverner la relation entre médecin et patient sont souvent faussées par la judiciarisation. La crainte du contentieux peut entraîner des distorsions de pratique, à la longue très nuisibles en termes de santé publique (par exemple, les médecins américains pratiquent un taux très élevé de césarienne, pour des raisons qui tiennent pour une bonne part à la crainte du procès et à leurs rapports avec les assureurs).
Pour que les citoyens, à la fois les payeurs et bénéficiaires du système de santé y trouvent leur compte, il faut rétablir la confiance entre tous les acteurs pour défendre et enrichir cette grande conquête sociale qu'est la couverture du risque maladie. Ce n'est pas en privatisant la santé que l'on y parviendra, mais au contraire en redonnant toute sa légitimité au service public de la santé.
UNE MAUVAISE SOLUTION, LA PRIVATISATION LIBÉRALE
Disons le, notre système de protection sociale, auquel vous êtes très majoritairement attachés, est en danger.
On ne l'a pas assez dit, l'Organisation Mondiale du Commerce vient d'élargir le champ de la concurrence et de la logique de marché aux services, et parmi ceux-ci se trouve la santé. C'est une grande menace à laquelle je m'oppose avec la plus grande vigueur.
Le MEDEF, relayé par Démocratie libérale, et rejoint par le RPR, veut faire croire aux Français qu'il a trouvé la solution miracle : privatiser la santé, en commençant par la Sécurité sociale. C'est inadmissible, et je tiens à ce que chaque Français soit au fait de ce débat, qui les engage personnellement.
Certes, notre système de santé doit être dynamisé et ses acteurs récompensés de leurs efforts. L'efficacité de notre système et la qualité des soins doivent être encouragées. Mais les " solutions " du MEDEF et de la droite libérale sont pires que le mal. Si l'on privatise l'Assurance Maladie et que l'on met plusieurs caisses en concurrence, celles-ci ne s'adresseront plus à des citoyens, mais à des clients. Elles couvriront d'abord les clients intéressants : ceux dont le niveau de vie les expose moins au risque de maladie. Les autres, les plus pauvres, davantage touchés par les maladies lourdes, n'auront droit qu'à une couverture minimale faute de pouvoir payer des primes élevées. Ainsi ira la loi du marché. Tous les pays engagés dans cette voie ont vu se creuser d'inacceptables inégalités sociales devant la maladie et la mort comme aux Etats-Unis, et certains, tentés par les solutions de la privatisation et de la mise en concurrence, ont ensuite reculé, comme en Allemagne. La menace est réelle : D'ores et déjà des cliniques privées sont cotées en bourse pour répondre au besoin croissant de financement qu'imposent les technologies médicales et la sécurité sanitaire. L'industrie pharmaceutique et les groupes financiers imposent progressivement leurs décisions aux gouvernants sous couvert d' " économie de santé ". Ils veulent contrôler les marchés et les prix. On sait que les actionnaires privilégieront la rentabilité immédiate de leurs investissements au détriment de la qualité à moyen terme. De plus, les médecins y perdront leur indépendance professionnelle comme aux Etats-Unis, où la majorité des médecins sont maintenant salariés des groupes financiers qui leur imposent leurs prescriptions. De telles évolutions sont déjà à l'oeuvre dans notre pays, comme par exemple en matière de dialyse rénale.
Une certaine vision "régionalisatrice" de notre système de santé va dans le même sens. Actuellement, les cotisations maladie sont nationales et ce sont l'Etat et la sécurité sociale qui redistribuent les crédits dans les différentes régions. Ils s'en acquittent mal. Mais si on "régionalise" totalement notre système, c'est-à-dire si on laisse les régions totalement libres de gérer le système de santé, il y aura inévitablement inégalité des cotisations. Les régions riches auront alors une santé pour riches, les régions plus pauvres devront se contenter d'un niveau inférieur.
Certes, il nous faut une gestion du système de santé plus souple, au plus près du terrain, mais on ne saurait le faire en rompant l'unité de la Nation.
On le voit bien, la privatisation de la santé qu'on est en train de nous imposer est inacceptable. La tentation de la privatisation rapide est forte pour ceux qui perçoivent les revenus les plus élevés et les entreprises, qui ont le sentiment que notre système de santé est mal organisé et dépensier. Mais c'est une voie funeste pour le pays et pour chacun d'entre nous.
Je le confirme, l'égalité d'accès aux soins de tous les citoyens fait partie des valeurs fondamentales de la République. Pour que chacun, à hauteur de ses revenus, continue à vouloir une santé de qualité pour tous dans un système de solidarité, il est temps de prendre des décisions claires.
POUR UN SYSTEME DE SOINS EQUITABLE, AU SERVICE DE TOUS : MES ONZE PROPOSITIONS AUX FRANÇAIS
1. Décharger le travail et asseoir le financement de notre système de santé sur l'ensemble des revenus.
Pour que les citoyennes et les citoyens soient motivés, les comptes doivent être clairs, et cela commence par la clarté du mode de financement et de l'assiette des recettes de l'assurance-maladie.
Autrefois basées sur les seuls revenus du travail, les cotisations ont progressivement été étendues à l'ensemble des revenus, en particulier ceux du capital, avec l'introduction de la CSG. La part de cotisation salariale restante doit être transférée sur la CSG. Par ailleurs, les cotisations patronales doivent être remplacées par une taxe assise sur la valeur ajoutée des entreprises, ce qui aura pour effet de diminuer les coûts que supportent les entreprises demain d'oeuvre.
2. Renforcer le rôle du Parlement dans le pilotage de notre système de santé.
Depuis 1996, le Parlement fixe le budget annuel de l'assurance-maladie. Ce principe est juste : c'est aux représentants du peuple de fixer le volume des dépenses de santé par rapport aux autres postes de dépenses collectives. Mais il faut aller au-delà et dépasser la seule logique budgétaire. Il appartient au Parlement de se prononcer préalablement sur les priorités de santé et de fixer les programmes pluriannuels dans les grands domaines de la maladie, de la prévention, du dépistage. Les Français ont droit à un débat démocratique sur les choix effectués et les priorités de la Nation en ce domaine.
3. Renforcer les moyens et les compétences du Ministère de la Santé.
On l'a constaté ces dernières années à l'occasion des grands dossiers de santé, le Ministère de la Santé manque des moyens nécessaires à la préparation de cette politique nationale, et à l'instruction comme au suivi des priorités que pourrait définir le Parlement. L'amélioration de la santé des Français passe par le renforcement des compétences et des outils mis à sa disposition, dont la responsabilité de son propre budget. Ainsi, il pourra légitimement fixer le cadre de l'action des professionnels de santé et être l'interlocuteur des industriels et des chercheurs qui oeuvrent pour notre santé.
4. Étendre le contrôle de la qualité des soins délivrés au patient.
Depuis l'affaire du sang contaminé, le citoyen exige, à juste titre une information de qualité sur les soins qu'on lui prodigue et une sécurité accrue. Chacun a le droit de savoir ce que la médecine peut lui apporter et les risques qu'il encourt. La création des Agences pour l'évaluation et santé et la sécurité sanitaire (ANAES et AFFASAPS) ont été des pas en avant très importants en ce sens. Ces efforts doivent être poursuivis et leurs moyens renforcés. Développer des mécanismes d'évaluation de la qualité des soins dans tous les domaines, en concertation avec les patients et les professionnels de santé, est indispensable. Ceux-ci ne doivent pas y voir des menaces de sanction, mais une aide à l'amélioration de la qualité de leurs actions.
Chaque établissement de soins, chaque professionnel doit être récompensé de ses efforts d'économie de la santé et pour la qualité des soins.
5. Reconnaître l'action des professionnels, et en particulier les médecins et les impliquer dans les décisions.
Le retour à la confiance passe d'abord par une revalorisation des tarifs des consultations, des déplacements à domicile, des soins d'urgence et d'une manière générale de l'ensemble des actes de soins. Le blocage des rémunérations a conduit à l'inflation des actes, démotivante et source de mauvaise qualité des soins. À l'hôpital, des efforts sont à faire pour rémunérer médecins, infirmières et toutes les catégories de personnel au niveau de leurs responsabilités et de leurs compétences. Les revenus des médecins, en ville comme à l'hôpital doivent comporter une part forfaitaire, destinée à rémunérer les missions d'éducation à la santé, de prévention, de dépistage, les prises en charge complexes de malades lourds et graves. Leurs efforts et leur engagement doivent aussi être encouragés en liant une part des revenus à l'activité réelle.
Mais il convient également que l'administration de la santé, à tous les échelons, soit redynamisée par ceux qui ont l'expérience du terrain et du quotidien. Les professionnels doivent systématiquement être intégrés dans les circuits de décision administratifs. Cela peut passer par des nominations, des élections, des concours, des détachements temporaires dans des missions de gestion ou d'organisation des soins.
6. Faire face aux problèmes de démographie des professions de santé.
La France se trouve plongée depuis quelques mois dans une incroyable pénurie d'infirmières qui doit être rapidement corrigée. Dans le même temps, on limite les actes des infirmières de ville ! Où est la logique et la cohérence du système ?
Nous risquons la pénurie de médecins dans certaines disciplines majeures et dans certaines régions. Les dispositions du "numerus clausus" prises dans les années soixante-dix doivent rapidement être reconsidérées. Les besoins de formation des médecins doivent prioritairement être fixés en fonction des besoins sanitaires du pays et non en fonction des seuls besoins de l'hôpital public et de ses filières de formation.
Des encouragements financiers, des aides substantielles doivent être dégagés pour ceux et celles qui choisiront des disciplines ou des régions difficiles. L'association des médecins en cabinet de groupe, la création de " maisons médicales " pour assurer les gardes et urgences et désencombrer les services d'urgence hospitaliers, doivent être encouragées.
7. Moderniser l'hôpital public.
L'hôpital public souffre d'une inertie qui décourage les efforts de ceux qui y sont confrontés aux tâches les plus lourdes. Leur financement ne permet pas suffisamment d'encourager les efforts et de financer les établissements en proportion de leur activité et de la lourdeur de leur mission. Le système du "PMSI", qui codifie les actes et les soins pratiqués est encore trop lent et surtout incompréhensible par les professionnels.
Pour sortir de cette inertie, deux mesures s'imposent :
Le financement des établissements doit distinguer une partie forfaitaire pour les missions générales, une partie indexée sur l'activité réelle.
Les budgets des hôpitaux doivent être déconcentrés au niveau de chaque service ou de chaque filière de soins, et chaque structure doit pouvoir bénéficier du produit de ses efforts tout en étant responsable de ses choix budgétaires. Au sein même des établissements, il doit y avoir la aussi une déconcentration de la gestion qui réunisse soignants et cadres administratifs dans une nouvelle dynamique.
Dans le domaine des équipements lourds, la planification actuelle débouche sur un retard aberrant par rapport à nos voisins européens. Les établissements doivent disposer de davantage de liberté dans leurs choix d'investissements, ce qui leur donnera plus de responsabilité dans la maîtrise des coûts induits : ils auront à assumer les conséquences de leur choix sur la structure de leur budget. Dans notre République, il ne peut y avoir de droits sans devoirs et sans responsabilité. S'équiper davantage pour un hôpital doit impliquer une réflexion sur sa capacité à améliorer l'organisation des soins, la productivité et la qualité globale.
Enfin, et c'est là une question essentielle pour l'avenir, car nous allons manquer de médecins dans les années qui viennent, la répartition des moyens et des structures entre les soins, l'enseignement de la médecine, l'enseignement des autres métiers de la santé doit être repensé. L'organisation des centres hospitaliers universitaires (C.H.U.) date de plus de quarante ans avec la réforme de 1958. Or il y a souvent confusion des moyens d'enseignement et de moyens de soins, au détriment des hôpitaux pourtant les plus proches de la population. Il nous faut des CHU généralisés, plus souples, moins contraignants. L'État doit être garant de la qualité et chargé de la régulation, mais ni gestionnaire, ni acteur. La formation médicale elle-même doit être modernisée, assouplie, enrichie, la formation des généralistes devant être repensée en fonction des spécificités de la profession qu'ils auront à exercer.
8. Assurer l'avenir des Etablissements privés.
Beaucoup d'établissements privés connaissent des difficultés financières réelles en raison de la lourdeur des investissements que réclament les nouvelles technologies et les exigences de sécurité sanitaire. J'observe que certains font le choix de s'adosser à des groupes financiers qui entrent sur le marché boursier. Je l'ai dit, une telle évolution est lourde de conséquences, car elle met les professionnels à la merci de critères de rentabilité immédiate qui menacent gravement l'indépendance d'exercice à laquelle ils sont si légitimement attachés.
Or, les établissements privés jouent un rôle important dans notre pays : ils sont un élément dynamique qui a su démontrer qu'il n'y a pas d'opposition entre une bonne économie de moyens et une bonne qualité des soins, et d'autre part leur rôle dans les soins de proximité est reconnu.
Plusieurs voies s'offrent à nous pour aider les établissements privés à survivre et à se développer. D'abord, leur donner les moyens juridiques de se regrouper dans des formes coopératives, ce qui permet de regrouper les moyens sans perdre chacun son identité. D'autre part, par la coopération généralisée avec le secteur public, sous forme de réseaux, de groupement d'intérêt économique, ou d'autres formules.
Dans le domaine des équipements lourds, l'assouplissement que je souhaite pour les hôpitaux publics vaut également pour les établissements privés.
C'est en définitive à la puissance publique, par les moyens dont elle dispose, à offrir de nouvelles formes de partenariat, équitables et dynamisantes pour tous, afin de donner aux établissements de soins privés tout leur avenir dans notre système de soins.
9. Déconcentrer la gestion du système de santé au niveau des régions.
Le domaine de la santé est complexe, multiforme, les décisions doivent être prises au plus près du terrain. Face à cette réalité, la puissance publique doit sauvegarder et renforcer le principe d'égalité dans l'accès aux soins et à la santé, tout en préservant l'unité nationale de notre système Or, beaucoup de procédures de décision budgétaire, d'attributions d'équipements, d'investissements, sont trop lourdes, trop éloignées du terrain, trop centralisées. C'est pourquoi je propose une déconcentration de la gestion au niveau régional.
Il convient de regrouper sous la responsabilité des Agences Régionales de Santé, réunissant les Caisses d'Assurance-Maladie des différents régimes et les actuelles Agences Régionales de l'Hospitalisation, l'autorisation et le suivi des activités de soins, que ce soient celles des établissements publics et privés, ou que ce soient celles dites "de ville". Il y a là une source de cohérence et de prise en charge globale des patients, qu'ils soient soignés chez eux ou à l'hôpital, qui ont de plus en plus besoin de soins continus avec une bonne coordination des soignants : les réseaux de soins doivent être développés, avec l'appui des Agences.
Ce qui me paraît tout aussi essentiel, c'est qu'une telle déconcentration implique au maximum les professionnels et les usagers. C'est pourquoi à côté des Agences Régionales de Santé, les élus, les professionnels et les représentants des usagers doivent jouer un rôle important dans la définition des priorités régionales, l'Etat, expression de l'intérêt général, conservant la fonction de régulation et d'arbitrage dans les décisions.
10. Repenser le rôle et le fonctionnement de l'Assurance maladie.
La gestion actuelle de l'Assurance-Maladie par ce qu'on a appelé le "paritarisme" entre les syndicats de salariés et les organisations patronales doit être reconsidéré, ne serais-ce que parce que le MEDEF, cohérent avec sa logique de privatisation de la santé ne veut plus y participer. Il faut revoir la composition des conseils d'administrations des caisses en l'élargissant davantage aux professionnels, aux représentants des associations de patients, par exemple. Pour le moyen terme, je pense que l'organisation de l'Assurance Maladie peut encore être simplifiée pour améliorer son fonctionnement. Cela n'empêcherait pas certaines catégories professionnelles de bénéficier de couvertures spéciales pour des risques liés au métier. Tout ceci ne pourra se faire que dans la plus grande concertation avec les partenaires sociaux.
En matière de gestion des dépenses, il convient de clarifier les rôles respectifs de l'Etat et de l'Assurance maladie :
L'Etat fixe le cadre d'action : Il a un rôle de régulation, il définit les critères de répartition de l'offre de soins, de réduction des inégalités, les programmes de santé publique, les priorités de santé. C'est aussi l'Etat qui doit définir, avec les partenaires sociaux, et avec le Parlement le " panier de soins " qu'il entend couvrir. Les Agences Régionales veillent au respect local de ces règles et passent des contrats pluriannuels avec les hôpitaux, les cliniques, et les médecins de ville.
La sécurité sociale a la charge de gérer les fonds mis à sa disposition, de négocier avec les établissements de santé et les professionnels le contenu et la mise en oeuvre du panier de soins, au meilleur coût, en fonction de la réalité des besoins de santé de terrain. Elle établit des objectifs de qualité et d'activité avec les offreurs afin d'améliorer leurs performances et leurs coûts, tout en respectant les engagements au service des patients. Elle s'engage de son côté dans l'unification de ses modes de gestion et des règles de remboursement, afin de simplifier les procédures et de réduire les coûts de gestion.
Les traitements démontrés sans efficacité ne doivent plus être remboursés. Les laboratoires qui verraient de ce fait leur activité menacée seront soutenus par l'Etat pour une reconversion. L'hôpital public doit être plus dynamique et mieux organisé. Les réseaux de soins doivent favoriser la coopération de tous, établissements publics et privés, soignants libéraux de ville.
11. Pour une politique dynamique du médicament.
Je suis favorable au développement des médicaments génériques, pour des raisons évidentes de bonne économie de notre système de santé.
Certains industriels estiment que la vente sur le long terme de leur anciennes spécialités leur permet de financer leur effort de recherche et de développement. Cela résulte du fait que les nouvelles molécules sont payées par l'Assurance-Maladie en France à un tarif inférieur à la plupart des autres pays.
Or, l'analyse de la réalité chez nos voisins montre pourtant que les pays où la part des médicaments génériques par rapport à la totalité des médicaments vendus représente entre 30 et 40%, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, sont pourtant en tête du nombre des nouveaux médicaments innovants mis sur le marché dans les dernières années.
Il faut donc en réalité fixer des prix justes pour le paiement des nouvelles molécules et soutenir les efforts des industriels dynamiques par un partenariat renforcé avec l'Etat et l'INSERM, y compris dans le domaine de la recherche clinique.
Lorsque j'observe le dynamisme des entreprises de biotechnologie aux Etats-Unis, les fameuses "start-up", il me semble évident que la puissance publique doit réinvestir ce secteur dans une logique de co-investissement et de partenariat privé-public.
Sur ces bases, je suis convaincu que des économies substantielles peuvent être faites, permettant alors aux professionnels de santé d'être correctement rémunérés et à tous les citoyens d'être bien remboursés. C'est dans le respect des principes sur lesquels il est fondé : égalité des droits, responsabilité de tous, que réside la sauvegarde de notre système de santé solidaire.
(source http://www.mrc-France.org, le 28 février 2003)