Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à RMC le 22 mai 2003, sur la réforme de l'éducation nationale et sur des explications concernant la réforme des retraites de la fonction publique.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. X. Darcos vient de déclarer que le Gouvernement donnerait un peu de temps à la réforme de l'Education nationale sur la décentralisation, qui selon lui, devrait s'appliquer en septembre 2005. Est-ce que vous allez faire la même chose concernant la réforme des retraites ?
- "Le calendrier pour la réforme des retraites est arrêté et le projet de loi sera présenté le 27 mai en Conseil des ministres. Le texte sera présenté ensuite le 10 juin à l'Assemblée nationale pour être voté conformément à ce que souhaitaient les organisations syndicales, avant l'été, de façon à ce que ce débat ait lieu de la façon la plus transparente, la plus claire, et que l'opinion puisse y participer."
En ce qui concerne l'Education nationale, le Gouvernement semble céder... Au moins sur la décentralisation, le Gouvernement entend la colère qui s'exprime actuellement dans les établissements scolaires et ailleurs...
- "Il y a aujourd'hui une réelle inquiétude, une réelle interrogation, et en tout cas, il y a une grande confusion. J'ai tout entendu sur l'Education nationale : j'ai entendu qu'il n'y aurait plus d'infirmières, qu'il n'y aurait plus de conseillers d'orientation, qu'on allait fermer les écoles maternelles, que l'on allait travailler jusqu'à 70 ans. Tout cela est totalement faux. Qu'est-ce qui était en cause en réalité ? Une mesure de bon sens. Les collèges et les lycées sont aujourd'hui construits, entretenus, réparés par les départements et par les régions. Et comme les maires, aujourd'hui, gèrent et sont propriétaires des écoles maternelles et des écoles primaires, la question se posait. C'était d'ailleurs inscrit dans les projets de monsieur Defferre en 1982, qui disait : probablement, aurions-nous dû transférer aussi le personnel qui entretient ces bâtiments. Donc la question de bon sens était de dire : à partir du moment où les conseils généraux, les départements et les régions construisent, pourquoi ne pas, en même temps, leur confier le personnel d'entretien ? Est-ce que cela signifie une dégradation du service, et ce que j'appelle une rupture de communauté éducative, ce que disent les enseignants, en disant : on fait partie de la même équipe ? A partir du moment où on travaille sur le même lieu, avec des conditions meilleurs, on ne peut être que gagnant. La preuve en est, c'est que le personnels de l'Equipement, qui a été transféré aux départements, a lui aussi exprimé beaucoup d'inquiétude en disant : qu'est-ce qui va se passer ? On va être moins bien traités par les départements que par l'Etat. D'ailleurs, c'est faire un mauvais procès aux élus locaux ; je trouve cela tout à fait désagréable pour eux. Et quand vous faites le bilan aujourd'hui, ils travaillent dans de bien ailleurs conditions. Et honnêtement, si les départements et si les régions n'avaient pas été responsables des lycées et des collèges, aujourd'hui nous aurions un parc immobilier dans un état tout à fait dramatique. Et je crois que les conditions de travail que revendiquent les professeurs, légitimement, et qui aujourd'hui sont très malheureux de l'exercice de leur fonction, leurs conditions de travail sur le plan matériel seraient améliorées par ce transfert. C'est ma conviction."
Problème : l'Education, à ce moment-là, n'est plus nationale...
- "Bien sûr que si. Ne confondons pas l'entretien des bâtiments et ce qui se passe à l'intérieur des bâtiments. Je dirais même d'ailleurs qu'il faudrait probablement qu'on ouvre un peu plus l'utilisation de ces bâtiments. Ce n'est pas parce que l'école primaire et l'école maternelle sont entretenues avec un personnel communal, que l'école maternelle et l'école primaire ne sont pas nationales. Les diplômes, les programmes resteront nationaux. Et je crois que là, nous commençons à rentrer dans le jeu "qui peut faire peur à qui ?" et tout le monde se fait peur. Et je crois que si on veut donner du temps au temps, il faut dire : on est tous en train d'avancer des arguments qui ne sont absolument pas fondés. Mettons tout cela sur la table, calmement, avec un seul souci : quelle est la meilleure réponse que l'on peut apporter aux enfants, pour qu'ils soient le mieux préparés à gérer leur avenir demain ? C'est cela la question. Deuxième question [concernant] la responsabilité de l'Etat employeur : quelles sont les conditions de travail que nous devons offrir aux enseignants pour qu'ils soient le mieux possible dans une situation favorable ? Et les enseignants, aujourd'hui, ne peuvent pas en même temps éduquer et élever des enfants. Il y a un problème aussi de responsabilité parentale."
Le "carnet de notes" de L'Express : pour la première fois, le Premier ministre tombe sous la moyenne. Il est parti au Canada ; était-ce le bon moment ?
- "Le Premier ministre est allé au Canada pour voir comment ce pays a su faire face aux nécessaires réformes et a pu accompagner ces réformes en accord avec les organisations syndicales. Notre pays est le pays qui demande le plus de libertés, qui revendique le plus d'individualisme, qui demande le plus d'Etat, à condition que l'Etat, quand il se réforme, ne gêne pas son intérêt personnel. Je crois que là, il va falloir se poser très clairement la question : est-ce que notre pays aujourd'hui est capable de se réformer pour construire un avenir meilleur ? Ou est-ce qu'en refusant systématiquement la réforme, on accepte derrière, la catastrophe..?"
Est-ce qu'il est capable de se réformer, justement ?
- "Je crois que oui. Ce n'est certainement pas facile. Le premier mouvement que vous créez sur la réforme, quelle qu'elle soit, c'est la résistance au changement. Et cette résistance ne peut être vaincue que si les gens comprennent les enjeux. Qu'est-ce qui est en cause ? Sur le problème des retraites, tout le monde sait, tout le monde, dans sa tête, est convaincu que si on ne fait rien, on va dans le mur. Aller dans le mur, ça veut dire quoi ? cela veut dire ne plus avoir les moyens de financer les retraites, de baisser de moitié les retraites dans vingt ans, d'augmenter les cotisations de 15 à 20 %, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, les factures sont impossibles à régler dans les vingt ans qui viennent. Tout le monde le sait, et en même temps, tout le monde a peur des conséquences personnelles et individuelles de la réforme. Ce chemin, pour l'emprunter, doit être un chemin dans lequel il faut mettre beaucoup de pédagogie, beaucoup d'explication et surtout faire en sorte que toutes celles et ceux qui s'estiment responsables, syndicaux, politiques, associatifs, aient un débat sur la vérité. Moi, je ne crains pas un débat sur la vérité - chiffres contre chiffres, bilan contre bilan - mais je refuse le débat sur des choses fausses qui sont annoncées et qui font peur à tout le monde pour mieux refuser la réforme."
C. Barbier (de L'Express) : Au Canada, pour financer leurs réformes, ils ont réformé l'Etat, ils ont mis les ministres au régime sec. La réforme de l'Etat, c'est vous, c'est votre responsabilité. Ce n'est pas là que vous pouvez trouver des marges de manoeuvre financières ?
- "Nous sommes en train de demander, ministère par ministère, à chaque ministre, quelles sont les missions qui vous paraissent pertinentes, importantes, nécessaires, prioritaires au sein de votre ministère ? Quels sont celles et ceux dont vous pouvez éventuellement envisager qu'ils puissent être exercés voire abandonnés ? Deuxièmement, est-ce que les moyens que vous mettez en oeuvre ne peuvent pas être optimisés par d'autres méthodes de gestion ? J'ai en tête un ministre qui nous faisait la démonstration, hier, qu'en mobilisant les moyens, région par région, et non plus du niveau central, il économisait plusieurs centaines de milliers de kilomètres, parce que les frais de déplacement étaient considérablement réduits. Méthode tout à fait classique. Au sein de mon propre ministère, le fait de pouvoir confier à un organisme la gestion de l'aide sociale pour les parents, fait économiser à peu près mille équivalents temps plein. Cela veut dire qu'aujourd'hui, il faut arrêter cette illusion qui consiste à dire : l'Etat, il n'y a aucun problème, il a plein de sous, il n'y a qu'à prendre dans cette caisse. C'est faux ! Je pourrais l'expliquer tout à l'heure. Et puis de laisser croire que, parce qu'on a l'habitude de faire cela depuis dix ou quinze ans, c'est forcément intelligent et c'est forcément pertinent. Aujourd'hui, nous devons faire une autocritique permanente. Dernier point : aucun fonctionnaire n'a intérêt à la réforme. Parce que, quand on fait une réforme qui dégage des économies, c'est le budget qui récupère. Comment intéresser les fonctionnaires à la réforme ? Tout simplement en faisant en sorte qu'une partie des économies engendrée par la réforme, revienne dans leur administration pour améliorer leurs conditions de travail."
[2ème partie]
La réforme des retraites passe mal. Grosse manifestation attendue. Ceux qui vont manifester vous écoute. Quels sont les amendements au texte du Gouvernement qui pourraient être acceptés par le Gouvernement ?
- "Quand vous dites que la retraite passe mal... C'est très équilibré comme jugement. Nous recevons en même temps toute une série d'affirmations et de soutiens qui consistent à dire : mettre tout le monde à 40 ans, c'est tout à fait normal. D'ailleurs l'ensemble des partis politiques, y compris ceux qui étaient au gouvernement avant nous, étaient sur cette logique des 40 ans. La vraie question c'est quel est le contrat social que vous proposez. Notre contrat il est clair : vous travaillez un, deux ans et demi de plus, vous avez les mêmes droits. C'est cela le contrat. La vraie question donc, c'est qu'est-ce que l'on met en oeuvre pour inciter les gens à travailler un peu plus longtemps. A partir de cela, nous avons mis toute une série de dispositions, et nous avons présenté un texte qui est le relevé de compromis que nous avons eus avec les organisations syndicales. Y aura-t-il des possibilités d'amélioration."
Sur quels points ?
- "J'ai rencontré hier, notamment, les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat, et l'on voit bien que sur un certain nombre de sujets, les principes sont clairs, il faut maintenant que nous travaillions sur les applications. Je donne quelques principes, qui consistent justement à permettre aux gens d'aller le plus loin possible dans l'exercice de leur carrière. Nous avons fait une proposition qui était d'ailleurs souhaitée par les organisations syndicales, qui partait du raisonnement suivant : plus on fait d'études longues, plus on a une carrière courte et on aura du mal à faire les 40 ans de cotisation. Est-ce qu'on peut envisager le rachat d'années d'études. La réponse est "oui", c'est prévu dans notre protocole. Comment fait-on pour que ce soit équitable entre le régime général et le régime public ? Nous avons mis une disposition qui mettait une durée nécessaire d'un an. Nous pensons que la proposition que nous avons faite mérite d'être corrigée parce qu'elle est peut-être un peu injuste par rapport au secteur public. C'est une proposition d'amendement."
Comment allez-vous la corriger, concrètement ?
- "Tout simplement soit par un amendement gouvernemental ou un amendement parlementaire. Quel est le calendrier, et votre question est tout à fait importante : les principes de cette réforme ne changent pas. Son architecture ne change pas."
Et ça ne changera pas quoi qu'il arrive ?
- "Bien évidemment. Si vous voulez, tout est plein de bon sens et plein de cohérence avec F. Fillon. Nous avons mis en place une cohérence entre le régime public et le régime privé : 40 ans de cotisation ; nous avons mis en place la préservation, pour la fonction publique, d'une référence aux six derniers mois : 75 % du traitement - ce qui choque les gens du régime général, mais qui, pourtant, est totalement juste parce que la référence à trois ans, qui était souhaité par les uns et les autres, par rapport à six mois, ne pose pas beaucoup d'importance. Je crois que les 75 % du dernier salaire pour les fonctionnaires correspondent au taux de remplacement du régime privé. Troisième élément, nous avons mis en place une décote, dont on parle beaucoup, dans la fonction publique, et qui inquiète beaucoup de monde. Elle était de 10 % dans le régime privé, elle était de 0 % dans le régime public. Nous faisons en sorte que sur 17 ans - 17 ans ! - cette réforme ne va pas s'appliquer brutalement le 1er septembre, elle va se mettre progressivement en place. Donc, ceux qui sont au bord de la retraite, qu'ils n'aient pas de sourdes inquiétudes, les choses ne vont pas brutalement changer du jour au lendemain. Sur quelques amendements, sur la famille, sur les handicapés, sur le rachat d'études, il va y avoir quelques petites améliorations qui sont apportées par un travail de concertation entre les parlementaires et nous-même."
C. Barbier : Sur les améliorations concrètes de plus, pourquoi ne pas donner des réductions d'impôt aux gens qui épargneraient pour plus tard améliorer leur retraite ? Un peu de fonds de pension, cela ne fait pas de mal.
- "Nous avons, pour le régime public, mis en place, et cela a été une demande très forte notamment de la CFDT, un régime supplémentaire additionnel par répartition, qui permet aux fonctionnaires de pouvoir cotiser à parts égales entre le salarié et l'employeur, jusqu'à 20 % du traitement. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, nous mettons en place un régime additionnel qui permettra sur toute une carrière, de pouvoir augmenter de 6 % son taux de remplacement. C'est très important. Cela veut dire que 75 % + 6 = 83 %, et qui permettra d'augmenter de 1 %. Donc, nous répondons à cette interrogation qui était forte, qui consiste à dire : nous voulons sauver le système de répartition, et on pourrait expliquer en quoi cela consiste, mais en même temps, tout le monde disait : ce système de répartition n'est pas suffisant, et il faut mettre en place des régimes supplémentaires. Nous répondons à une double exigence : une partie d'intégration des primes et un régime additionnel pour les fonctionnaires."
J'ai plein de question concrètes avant de passer aux auditeurs. Première question : est-ce que le calendrier va changer ?
- "La réponse est non."
A l'UMP, on parle de "désinformation" et de "propagande" des syndicats. Est-ce que cela devient politique ? La présence de Thibault au congrès du PS a-t-elle changé la donne ?
- "Le débat, certains cherchent à le politiser. Je suis surpris par cela car le discours de L. Jospin proposait 40 ans de cotisation, demandait à ce qu'on réfléchisse à la pénibilité dans la fonction publique, à l'intégration des primes. Ce sont des mesures qui sont aujourd'hui dans notre proposition. Donc, l'on voit bien que la gauche, sur ce dossier, n'est pas crédible. Tout le monde lui reproche d'avoir fait beaucoup de rapports et de ne pas avoir décidé, d'avoir ouvert un certains nombre de pistes qu'aujourd'hui, elle renie. Donc, je crois que le vrai sujet aujourd'hui, c'est avec les organisations syndicales, avec l'opinion, avec celles et ceux qui sont concernés, pour dire : venez autour d'une table et, très concrètement, chiffres en main, regardons les conséquences individuelles qui ne sont pas celles que vous dites. Ma propre fille, qui est dans l'enseignement, m'a téléphoné en disant : mais il paraît qu'à 40 ans de cotisation, je vais avoir 30 % de baisse de retraite. On voit bien que ceci est faux. J'ai entendu dans les manifestations : "Je vais être obligé de travailler jusqu'à 70 ans". Ceci est faux. Donc, il y a toute une séries de fausses informations qui créent une panique dont je peux comprendre qu'elles se nourrissent, à partir du moment où on a l'impression qu'on perd beaucoup de choses. Cette réforme est équilibrée, socialement juste et équitable, puisqu'elle veut faire rapprocher le régime général et le régime public."
F. Bayrou souhaitait la suppression des régimes spéciaux. Oui ou non, allez-vous toucher aux régimes spéciaux ?
- "Non."
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 mai 2003)