Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du Medef, à LCI le 26 novembre 1999, sur l'éventualité du financement des 35 heures par les fonds sociaux, l'avenir de la gestion paritaire et la menace du Medef de quitter les organismes paritaires, les propositions de négociation avec les syndicats d'une "nouvelle constitution sociale", les fonds de pension et l'ouverture à Seattle de la conférence de l'OMC.

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Texte intégral

JEAN-MARC SYLVESTRE : Bonjour, " Club de l'Economie " cette semaine avec Denis Kessler, c'est le vice-président du MEDEF, un MEDEF qui est en pleine actualité, un actualité sociale d'abord parce que le MEDEF continue de ferrailler avec le gouvernement, vous nous direz si vous comptez mettre vos menaces à exécution de quitter la majorité des organismes sociaux qui sont aujourd'hui gérés paritairement, une actualité qui est aussi économique car les entreprises bénéficient aujourd'hui d'une conjoncture hyperfavorable, vous nous direz si vous êtes d'accord avec tous ces conjoncturistes, une actualité enfin internationale car le MEDEF sera représenté à Seattle, vous nous direz là ce que vous attendrez de l'OMC. Alors, pour vous interroger, Jean de Belot, du FIGARO, et puis Pierre Briançon de L'EXPANSION. On commence par l'actualité qui vous est la plus proche, c'est-à-dire l'actualité sociale. Est-ce que oui ou non vous quitterez les organismes sociaux comme vous en avez brandi la menace et quand ?
DENIS KESSLER : Alors ce que nous avons dit est toujours extrêmement clair et nous avons une ligne que nous suivons imperturbablement. Nous avons dit le financement des 35 heures ne doit pas être fait à partir des fonds sociaux. Lorsqu'on parle de la sécu, l'argent qui est prélevé dans les entreprises auprès des salariés des entreprises sert à indemniser ou à payer les frais des gens qui sont malades. Nous avons dit : il n'est pas tolérable d'utiliser cet argent qui a été collecté pour cet usage pour aller financer un projet politique qui s'appelle les 35 heures, le projet des 35 heures doit être entièrement financé à partir des ressources de l'Etat. Et donc c'est une position extrêmement claire, le gouvernement d'ailleurs l'a entendu puisqu'il a renoncé...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous avez gagné, c'est pratiquement réglé... vous avez gagné...
DENIS KESSLER : Non, non, il a renoncé à l'essentiel des prélèvements mais l'intention était là quand même...
JEAN-MARC SYLVESTRE : oui, oui, mais enfin...
DENIS KESSLER : au dernier moment, au dernier moment l'Etat a renoncé parce que effectivement ça a soulevé un tollé de la part de tout le monde, y compris des organisations syndicales, il a laissé pour le moment un prélèvement indirect de 5,6 milliards de francs à la sécurité sociale. Qu'est-ce que nous disons ? L'Etat a actuellement des recettes fiscales importantes qui sont payées par les ménages, les consommateurs et les entreprises. Eh bien qu'il utilise ces recettes fiscales pour financer les 5,6 milliards de financement de sa loi des 35 heures et qu'il ne touche pas ni de manière directe ni de manière indirecte à la sécurité sociale, pas plus qu'il ne doit toucher à l'Unedic, pas plus qu'il ne doit toucher aux régimes de retraite Agirc-Arcoo. C'est un principe fondamental.
PIERRE BRIANCON : Ce serait pour punir l'Etat, si j'ai bien compris, que vous sortiriez le cas échéant des organismes paritaires ?
DENIS KESSLER : Punir l'Etat ? pas du tout. C'est pour défendre l'ensemble des entreprises cotisantes et l'ensemble de nos salariés cotisants. Nous avons une mission lorsque l'on accepte d'être présent dans un organisme, nous sommes des responsables, nous ne pouvons pas tolérer, sachant que l'alimentation de ces organismes est faite justement par les salariés des entreprises, que quelqu'un arrive avec une grande main pour piocher dans la caisse. Ceci est intolérable.
PIERRE BRIANCON : Ce n'est pas la politique de la terre brûlée que de dire...
DENIS KESSLER : En aucun cas nous ne sommes là pour aller punir l'Etat. Pas du tout ! C'est un principe d'autonomie de la sécurité sociale. Je rappelle, je rappelle que depuis 1994 le principe a été affiché que tout abaissement des charges doit être compensé franc pour franc par l'Etat qui prend la décision. C'est un principe quand même sain. On ne peut pas, si vous voulez, accepter une responsabilité dans un organisme paritaire comme la sécurité sociale et puis de regarder tout-à-coup l'équilibre des recettes et des dépenses modifié au gré, au hasard des décisions politiques d'un ministre ! Ce n'est pas comme ça que l'on gère !
PIERRE BRIANCON : Alors vous partez ou vous ne partez pas ?
DENIS KESSLER : Nous avons dit clairement que nous partons si un prélèvement est opéré dans les caisses de sécurité sociale. c'est clair !
JEAN de BELOT : Donc aujourd'hui vous ne partez pas, a priori vous n'allez pas partir...
JEAN-MARC SYLVESTRE : puisqu'il n'y a pas de prélèvement...
DENIS KESSLER : Si, il y a un prélèvement de 5,6 milliards.
JEAN de BELOT : Oui, mais ce problème va sans doute être réglé pour éviter justement que...
DENIS KESSLER : Réglons déjà ce problème. Donc pour le moment nous avons dit cela, la loi de prélèvement de la sécurité sociale n'est pas définitivement votée, le gouvernement connaît parfaitement notre position, et le gouvernement a toute possibilité à l'heure actuelle de trouver un autre financement et de ne pas toucher aux recettes de la sécurité sociale. C'est simple !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Bernard Thibault dans LIBERATION aujourd'hui dit : si on prend de l'argent dans les organismes sociaux ce n'est pas pour financer les 35 heures, c'est pour financer des baisses de charges patronales dont vont bénéficier les chefs d'entreprise.
DENIS KESSLER : Mais attendez, qu'est-ce que c'est que ces histoires ?
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous l'avez lu comme moi !
DENIS KESSLER : Attendez, deux minutes.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous allez dans le cadre des 35 heures bénéficier de baisses de charges !
DENIS KESSLER : Nous ne bénéficions de rien !
JEAN-MARC SYLVESTRE : d'une baisse de charges !
DENIS KESSLER : Attendez, mais c'est incroyable d'entendre cela ! On nous dit : vous êtes obligés de baisser le temps de travail. On n'a rien demandé ! Je me permets de rappeler que nous n'avons rien demandé, nous n'avons pas demandé de baisse du temps de travail. Ca va augmenter les coûts, oh oui ça va augmenter les coûts ! Et donc on vous compense en partie les coûts en vous donnant des subventions que l'on vous prélève ! Enfin tout ceci c'est de l'économie gribouille, on prend aux entreprises pour rendre aux entreprises pour financer l'abaissement du temps de travail qu'elles n'ont pas demandé. Et après on dit : voilà c'est pour les entreprises ! Ecoutez, nous disons avec force : ne prélevez rien, ne donnez rien ! Et puis on abandonne les 35 heures, il n'y a aucun problème. mais qu'on ne nous fasse pas le nouveau coup du type : vous recevez de l'argent. On ne demande rien ! Et cet argent est prévu par l'Etat pour compenser le surcoût des 35 heures. Ecoutez, vous voyez bien que tout ce projet repose sur du bricolage, c'est du bricolage. D'ailleurs le bricolage est tellement important que lorsqu'il s'est agi de financer ce projet, il y a deux ans on nous a dit : ne vous inquiétez pas, les 35 heures, coût nul ! Coût nul ? Vous savez, moi je suis un économiste, coût nul ? les 35 heures coût nul, vous croyez vraiment ? Coût nul ! Deux ans plus tard on nous impose quatre impôts, quatre, et comme ils n'arrivent pas à financer 105 milliards en année pleine qu'est-ce que l'on fait ? On va en plus taper dans la sécurité sociale ! C'est du bricolage ! Alors qu'est-ce que vous voulez dire ? Vous pouvez bricoler votre truc mais nous, en, ce qui nous concerne ça ne nous intéresse pas !
JEAN-MARC SYLVESTRE : N'empêche qu'au passage vous profitez quand même d'une baisse de charges sociales !
DENIS KESSLER : On ne profite de rien, on va supporter le coût de l'abaissement de la durée du travail décidé par le Parlement. Ca, c'est un coût direct supporté par l'entreprise. Attendez, il ne faut pas tout mélanger; c'est la raison pour laquelle nous disons: ne nous prenez pas d'argent, ne nous donnez pas d'argent et restons dans la position actuelle.
JEAN DE BELOT : Dans l'hypothèse où l'Etat suivrait vos recommandations est-ce que vous considérez que le paritarisme, les syndicats face au patronat, peut encore fonctionner pour gérer les défis sociaux, les défis économiques, les défis financiers des systèmes de couverture sociale du pays aujourd'hui. On a le sentiment que les milieux d'entreprise du pays ont tout de même envie de casser ce système paritaire en place depuis la dernière guerre.
DENIS KESSLER : N'utilisez pas des termes comme " casser ", "détruire ",etc. Qu'est-ce que nous disons ? Nous disons : nous entrons dans une ère nouvelle, dans une ère marquée par des évolutions technologiques, par le vieillissement de la population, par l'Europe. Simplement trois éléments; ce n'est pas la peine d'en rajouter plus. Nous disons : l'organisation actuelle, je veux dire l'organisation sociale, les systèmes, la sécurité, l'indemnisation du chômage, les régimes de retraite, a été conçue à une époque où la France était fermée, où la monnaie unique n'existait pas, où les technologies étaient relativement anciennes, à une époque où beaucoup de ce qui se passe à l'heure actuelle n'existait pas. Alors nous entrons dans le XXI ème siècle et nous considérons que naturellement, comme le fait d'ailleurs une entreprise, qu'est-ce qu'il faut faire ? Réfléchir à la façon dont on peut faire des adaptations à ce système en profondeur, tout simplement l'adapter à la nouvelle donne, la nouvelle donne économique, nouvelle donne sociale etc. Le marché du travail, tel qu'il fonctionne aujourd'hui n'a rien à voir avec le marché du travail d'il y a 20 ans !
JEAN de BELOT : Quelles nouvelles propositions, quel nouveau mode d'organisation...
JEAN-MARC SYLVESTRE : la nouvelle constitution sociale, ce que vous appelez la nouvelle constitution sociale, ça marche comment ?
DENIS KESSLER : Ca marche comme ça. Nous avons tout sur la table, nous avons accepté de tout mettre sur la table. Non seulement dans le domaine de la protection sociale, mais aussi dans le domaine de ce que l'on appelle les relations sociales...
JEAN de BELOT : Et des aides aux entreprises...
DENIS KESSLER : Mais des aides aux entreprises ! cessons d'appeler cela des aides aux entreprises ! Les aides aux entreprises c'est bien souvent la compensation des décisions de l'Etat.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Il faut qu'on soit très très simple et très pédagogique. La protection sociale c'est l'assurance-maladie, c'est l'Unedic, ce sont les retraites. Les relations sociales, ce sont les comités d'entreprise, les délégués du personnel, les accords de branche. Sur le premier point, la protection sociale, la constitution sociale elle modifie quoi ? dans le fonctionnement actuel.
DENIS KESSLER : Comment ça marche une constitution ? Ca marche avec des gens qui acceptent de préparer cette constitution, ce que l'on appelle une constituante. Nous allons rencontrer à partir de la semaine prochaine les cinq organisations syndicales les unes après les autres de manière approfondie en disant : écoutez, est-ce que vous êtes d'accord pour ouvrir un gigantesque chantier qui va pas durer un jour comme le 10 octobre 1997, qui va durer au moins 180 jours, vous voyez bien que nous prenons le temps de pouvoir aller au fond des problèmes. Est-ce que vous êtes d'accord à partir du 1er janvier 2000 de tout mettre sur la table pour essayer de voir les possibilités de reconstruire un système où il y a une clarification des responsabilités, une clarification des financements, une clarification des objectifs et aussi une clarification entre ce qui relève des partenaires sociaux et ce qui relève de l'Etat. Mais nous ne pouvons plus, nous, cautionner un système dans lequel il y a tant de confusion ! Est-ce que je peux donner un exemple ? Nous avons approuvé avec nos partenaires syndicaux ce que l'on appelle le plan stratégique de la CNAM. Un an d'élaboration, il est mis sur la table au mois de mars dernier, approuvé au mois de juillet. Six mois plus tard, nous ne savons toujours pas si le gouvernement accepte ou pas de valider ce plan stratégique. Et on nous dit attendez le mois de mai prochain...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Il y a des petits problèmes entre le ministre et la direction de la CNAM...
DENIS KESSLER : Ca ne marche pas comme ça ! Et ce qu'il faut, c'est clarifier toutes ces responsabilités. Cette constitution n'est pas un texte tout écrit, vous le voyez...
>JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous allez l'élaborer avec vos partenaires...
DENIS KESSLER : Avec nos partenaires sociaux en disant : nous allons partir des problèmes...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ces entretiens démarrent la semaine prochaine ?
DENIS KESSLER : Absolument !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Et toutes les organisations syndicales sont d'accord ?
DENIS KESSLER : Les cinq organisations syndicales ont toutes exprimé l'idée qu'il fallait venir à ces entretiens bilatéraux. Nous allons rencontrer FO, la CGT, la CFDT, la CFTC, la CGC, nous allons à chaque fois discuter à fond avec eux pour savoir arrêter quoi ? Arrêter les thèmes de nos réflexions et arrêter la méthode de discussion.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Entre temps, vous aurez quitté la Cnam, vous aurez quitté l'Unedic, vous aurez quitté les organismes de retraite ?
DENIS KESSLER : Nous voyons les organisations syndicales au mois de décembre. Vous permettrez de leur dire, aux organisations syndicales, quelles ont nos intentions en la matière. Et pour le moment...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Elles considèrent que votre décision est acquise.
DENIS KESSLER : Attendez...
JEAN-MARC SYLVESTRE : La CGT, Bernard Thibault, considère que vous avez d'ores et déjà décidé de quitter.
DENIS KESSLER : Mais nous avons... Ecoutez, c'est incroyable de dire des choses pareilles ! Nous disons deux choses à l'heure actuelle. Nous avons dit en ce qui concerne le financement à l'Etat : trouvez 5,6 milliards...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Il l'a fait ça, il l'a trouvé, il a réglé le problème...
DENIS KESSLER : Attendez, c'est un scoop alors ! C'est extraordinaire ! Je suis ici, j'apprends que le gouvernement a trouvé les 5,6 milliards ? Alors ça, c'est une très bonne nouvelle ! Si ce n'est pas le cas, alors ... Deuxième chose, nous demandons aussi la reconnaissance des accords de branche et sur ce point-là vous voyez bien le problème de la constitution sociale. Comment peut-on dire aux partenaires sociaux, allez-y, signez des accords pour appliquer les 35 heures, c'était la première loi. Et puis deux ans plus tard dire : écoutez, les accords que vous avez faits, on les tripote, ils ne nous plaisent pas. Alors il y a toujours ce problème de constitution. Qui est responsable de quoi ? On dit : si vous voulez des conventions collectives ou des accords de branche, il faut quand même que lorsque les organisations signent les accords...
PIERRE BRIANCON : Alors, dans la démarche il y a quelque chose que je ne comprends pas bien mais c'est sans doute faute de m'être penché sur le sujet, vous dites en tous cas, monsieur Seillière depuis qu'il est arrivé à la tête du CNPF, du MEDEF pardon...
DENIS KESSLER : Il est arrivé à la tête du CNPF, il a créé le MEDEF...
PIERRE BRIANCON : Monsieur Seillière dire : les grands machins sociaux, les grands Grenelle, à la limite les grands centrales syndicales et parfois même des organismes comme le MEDEF, les grands trucs nationaux, les grands machins où on se met tous autour d'une table, tout ça, ça ne sert plus à rien, franchement la nature même de la modernisation des relations sociales dans ce pays doit se faire au niveau de l'entreprise et les grands-messes sociales, pitié on a assez connu ça ! Vous êtes en train de nous dire : refaisons une grand-messe sociale sous couvert de...
JEAN de BELOT : Un concile...
PIERRE BRIANCON : Ou un concile de Vatican II en l'an 2000 sous couvert de moderniser. Les centrales syndicales, si l'on se met à leur place, peuvent se dire : il y a peut-être anguille sous roche et que sous couvert de vouloir discuter un grand-machin social, il y a peut-être complot, c'est la thèse Thibault, complot de Kessler et de ses sbires pour essayer de privatiser tout cela et démanteler ce truc. Comment vous pouvez rassurer les hommes politiques, les centrales syndicales en les convoquant dans une espèce de Grenelle bis de l'an 2000 ?
DENIS KESSLER : Ce que vous venez de faire s'appelle un procès d'intention.
PIERRE BRIANCON : Non, je me fais l'avocat du diable !
DENIS KESSLER : Vous pouvez vous faire l'avocat de qui vous voulez, du diable... il n'y a aucun problème...
PIERRE BRIANCON : Non, mais c'est la démarche. Est-ce que ça sert encore de réunir les grands machins au niveau national ?
DENIS KESSLER : Nous ne réunissons pas les grands machins au niveau national pour résoudre l'ensemble du problème. C'est, je le dis bien, une volonté de refaire une constitution. Dans cette constitution il y aura une des questions que vous avez abordées que bien entendu nous allons mette sur la table.
PIERRE BRIANCON : Une constitution, c'est une réglementation, ce n'est pas...
DENIS KESSLER : Absolument pas ! une constitution ça veut dire : voilà les objectifs et voilà les règles du jeu. et votre question est tout-à-fait pertinente. Nous allons dire dans ce chantier, nous allons en discuter avec les organisations syndicales : qu'est-ce qui relève de l'entreprise, qu'est-ce qui relève de la branche, qu'est-ce qui relève de l'interprofessionnelle, c'est-à-dire des organisations syndicales et d'employeurs au niveau national, et qu'est-ce qui relève de l'Etat ? C'est ça la clarté. Alors vous allez me dire : oui parce qu'aujourd'hui il y a une confusion, on le voit bien. Ce qui relevait des branches maintenant tout d'un coup devient du domaine de la loi. Donc nous n'allons pas dire voilà la solution à tous les problèmes que nous avons pu identifier jusqu'à présent, nous disons simplement il faut clarifier les domaines de responsabilité des uns et des autres. Et d'ailleurs la loi des 35 heures est en train de modifier comme ça, à la va-vite, un certain nombre de choses, par exemple les règles de représentativité syndicale. Ca n'a été discuté par personne pour le moment et tout-à-coup à l'occasion d'une loi sur les 35 heures on décide d'un référendum pour valider les accords. Nous avons besoin de savoir qui décide de quoi, à quel endroit, sous quelle responsabilité, avec quel mandat. Tout ceci, c'est nécessaire. C'est ça une constitution. Qui fait quoi et en quel nom. Vous voyez, c'est simple !
JEAN de BELOT : C'est aux organisations syndicales et au patronat de déterminer ce qui est du domaine de l'entreprise, de la branche, de l'Etat ou de la collectivité quand on sait que les syndicats représentent combien des salariés ? 8 %, 9 %, 12 % ?
DENIS KESSLER : Je n'ai jamais posé la question de la représentativité d'un syndicat, c'est leur problème. La question qui se pose c'est celle de...
JEAN de BELOT : Il faut que vous ayez quand même des interlocuteurs fiables devant vous...
DENIS KESSLER : ... ma représentativité. Là, il n'y a aucun problème. MEDEF + CGPME représentent 90 % des entreprises de France.
JEAN de BELOT : Certains le contestent...
DENIS KESSLER : Nous représentons tous les secteurs industriels et d e services, nous représentons à l'heure actuelle toutes les sortes d'entreprises, petites, moyennes et importantes.
JEAN de BELOT : Et vous traitez avec des gens qui ne représentent pas grand-chose...
DENIS KESSLER : La seule chose que je sais c'est que lorsque Ernest-Antoine Seillière et moi-même et puis toute l'équipe qui nous entoure, nous allons rencontrer les syndicats, nous représentons les entreprises de France. Et il n'y a aucun problème. Et ceux qui ont participé éventuellement au 4 octobre, ceux qui ont suivi tout ce qui s'est passé depuis la création du MEDEF il y a un an savent que nous sommes non seulement responsables, savent que nous sommes représentatifs et que nous commençons à être crédibles.
JEAN-MARC SYLVESTRE : On a beaucoup parlé dans la première partie de cette émission de votre volonté de moderniser les rapports sociaux avec ce projet de constitution sociale que vous allez lancer à partir de l'an 2000. Pour revenir d'un mot sur la menace que vous aviez proférée de quitter les organismes sociaux on a quand même l'impression aujourd'hui que vous êtes un tout petit peu coincé. Parce que vous aviez brandi cette menace pour obliger le gouvernement à modifier son système de financement des 35 heures et maintenant qu'il l'a modifié vous continuez de proférer cette menace mais vous n'avez plus de vraie raison, on a l'impression que vous cherchez une raison, une vraie raison politique.
DENIS KESSLER : Ah mais pas du tout ! J'ai dit, je ne vais pas répéter une troisième fois que pour le moment il n'y en a pas. C'est une impasse financière, eh bien que le gouvernement comble cette impasse financière, j'ai parlé de 5,6 milliards de francs, point. Il n'y a pas de menace, tout ça, ce n'est pas comme ça que l'on fonctionne. On a les idées claires, on sait assumer des responsabilités, on le fait dans un cadre que l'on souhaite totalement clarifié.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Je reviens à l'interview de Bernard Thibault dans LIBERATION. Il écrit ce matin : " Denis Kessler est le représentant des organismes de l'assurance et s'il veut bouleverser un peu le système de protection collective, c'est pour faire de la place aux assurances privées et privatiser finalement la sécurité sociale.
DENIS KESSLER : Ecoutez, quand on a des problèmes d'assurances, il vaut mieux s'adresser à des gens qui connaissent l'assurance, non ? Je veux dire, qu'est-ce que c'est que l'Unedic ? c'est l'assurance-chômage, qu'est-ce que c'est que la Cnam ? C'est l'assurance-santé, et l'assurance retraite, c'est l'Agirc et l'Arrco.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous dites, vous, qu'il y a des organismes privés qui pourraient parfaitement bien remplir cette fonction ?
DENIS KESSLER : Pas du tout, pas du tout ! Je viens de dire qu'il est assez logique et assez intelligent à mon avis lorsque l'on a un problème de génétique de s'adresser à un généticien, lorsque l'on a un problème d'assurance de s'adresser à un assureur. Heureusement ! Il faut quand même se tourner vers l'expert qui connaît la matière. Donc de ce point de vue là je trouve que monsieur Thibault a tout-à-fait raison, je m'intéresse beaucoup aux assurances sociales comme je m'intéresse beaucoup aux assurances privées. Il a tout-à-fait raison.
JEAN de BELOT : On reviendra sur ce thème de l'assurance privée. Mais quand vous parlez de constitution sociale, quand vous vous flattez d'avoir réuni Porte de Versailles 25 000 patrons en colère contre les 35 heures, est-ce que vous n'êtes pas quand vous vous proposez une négociation très large aux organisations syndicales, est-ce que vous n'êtes pas en train de vous muter totalement en parti politique. Avec un thème dominant, un corpus social, un corpus pourquoi pas législatif, est-ce que vous n'êtes pas en train de remplacer l'opposition ?
DENIS KESSLER : Certainement pas ! Ce n'est ni notre intention, ni la réalité. On a aucune volonté d'être un parti politique. Au contraire ! dans cette idée de constitution, c'est ce que j'ai déjà dit, on dit : voilà ce qui relève de nous, c'est-à-dire voilà ce qui doit relever dans une démocratie moderne de ce que l'on appelle...
JEAN de BELOT : Ca, normalement c'est le rôle des partis de dire cela, c'est le rôle du corps législatif de dire voilà ce qui dans une démocratie relève des corps sociaux, de la loi etc.
DENIS KESSLER : ... de la démocratie sociale, ce que l'on appelle la démocratie sociale, c'est-à-dire un univers qui est entièrement caractérisé par des contrats, par des conventions, par des accords entre les parties librement négociés. Voilà ce qui relève ensuite de ce que l'on appelle la démocratie politique dans laquelle intervient le législateur, les partis politiques et autres. Que l'on ne nous fasse pas le reproche soi-disant de nous transformer en parti politique puisque l'on vient intervenir dans le domaine de la démocratie sociale depuis deux ans de manière absolument incroyable, de manière extrêmement brutale, et après on nous dit : mais c'est incroyable vous réagissez en condamnant, mais ce sont des projets de loi ! Nous avons toujours dit la loi ne devrait pas s'appliquer dans ce domaine-là, si nous avons décidé de discuter avec nos amis partenaires syndicaux, c'est justement pour dire : écoutez, vous, ça vous satisfait peut-être de voir l'Etat envahir tout le domaine social, peut-être vous, organisations syndicales, ça ne vous pose pas de problème. A la fin de la lettre que nous leur avons envoyée nous avons eu cette phrase extrêmement limpide : écoutez, nous sommes maintenant au bout du chemin. Soit c'est l'étatisation, soit c'est la refondation. Nous, on choisi la refondation. Si vous voulez l'étatisation, vous aurez l'étatisation. Vous n'aurez plus de partenaires chez nous, vous irez voir effectivement les ministres, les partis politiques, l'administration. Oui, c'est très important. Alors on nous dit pourquoi est-ce que vous vous occupez de cela ? Après deux ans de poussée étatiste aussi forte, et ce n'est pas un hasard si c'est le moment où il y a deux lois au Parlement qui bouscule tout le monde social, parce que l'on n'est pas les seuls à être bousculés, regardez ce qui se passe à la CFDT, regardez ce qui se passe à FO, regardez ce qui se passe à la CGT, tout le monde social est bousculé, on ne peut pas continuer dans cette confusion. Alors la constitution, c'est la clarté. Nous, nous sommes prêts à le faire, aucun procès d'intention, on n'a pas de projet tout fait. On dit tout simplement il est temps de s'asseoir autour d'une table et de clarifier et de définir les responsabilités. C'est un superbe chantier, je trouve que c'est extraordinaire. On va faire quelque chose qui pour le moment a été différé, on a bricolé, on a réparé la maison mais ça ne tient plus.
PIERRE BRIANCON : Ces deux ans de poussée étatiste, comme vous venez de le dire, ont été aussi deux ans de reprise économique, de créations d'emplois, et ce sont des choses que l'on n'entendait pas au moment du psychodrame des 35 heures puisque les responsables patronaux avertissaient que les patrons allaient se décourager, que ce serait l'apocalypse, que l'on allait arrêter l'investissement, on craignait que l'on se décourage, que l'on fuie même la France, le résultat c'est que ces deux ans de " poussée étatiste " se traduisent par une France qui est plutôt dans le peloton des pays occidentaux en termes de croissance et de prévision d'emploi. Est-ce que vous n'avez pas été un peu trop pessimistes ?
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les prévisionnistes sont euphoriques aujourd'hui , vous avez vu hier les prévisions de l'Insee hier, vous avez vu la bourse ?
DENIS KESSLER : Monsieur Briançon, monsieur Sylvestre, vous êtes trop fin économiste pour développer des raisonnements, j'allais dire, aussi simples. Depuis deux ans, qu'est-ce qui s'est passé ? Oui, il y a eu une reprise. D'ailleurs entre nous on s'en réjouit parce que tout responsable d'entreprise ne peut que se réjouir, on ne va pas se plaindre parce qu'il y a une bonne conjoncture.
PIERRE BRIANCON : Vous dites c'est malgré le gouvernement, c'est ça ?
DENIS KESSLER : Pas du tout, cette conjoncture extraordinaire est une conjoncture dans laquelle les gens travaillent 39 heures. Attendez, vu le nombre d'accords, vu le nombre très très faible de personnes qui travaillent 35 heures, que personne puisse en France croire que la conjoncture et la croissance actuelle sont dues aux 35 heures parce que personne ne travaille 35 heures !
PIERRE BRIANCON : Alors l'apocalypse est à venir ?
DENIS KESSLER : Les 560 000 emplois qui ont été créés depuis 1997 ont été créés d'abord par des entreprises du secteur marchand, concurrentiel, ces entreprises ont créé de l'emploi mais je dis bien dans un régime, dans un univers où l'on travaille 39 heures.
PIERRE BRIANCON : Et sans panique face aux 35 heures à venir, apparemment...
DENIS KESSLER : Les 35 heures et les conséquences des 35 heures d'abord ne se manifesteront pas maintenant, puisque, de toute façon, personne n'y est. Elles se manifesteront en 2003, 2004, 2005. Et elles seront d'autant plus mordantes, elles seront d'autant plus difficiles à assumer que, éventuellement, il pourrait y avoir des retournements de conjoncture. Les problèmes de compétitivité que nous avons mis en oeuvre depuis deux ans, ce n'est pas maintenant qu'on les voit, on les verra lorsque, effectivement, des entreprises seront contraintes dans leur activité, ne pourront pas utiliser des augmentations de leur effectif, par exemple par heure supplémentaire, à une époque où leurs concurrents pourront le faire. Donc, ne croyez surtout pas qu'à l'heure actuelle, la bonne conjoncture s'explique par une quelconque décision déjà prise. C'est ce que l'on appelle un cycle des affaires. Ecoutez, nous sommes en plein cycle des affaires, amplifié par une chose qui est effectivement la baisse de l'euro par rapport au dollar. Donc, nous avons un cycle des affaires qui frappe toute l'Europe à l'heure actuelle, et on s'en réjouit. Cycle des affaires : 7 ans de vaches maigres, 7 ans de vaches grasses, on est en période vaches grasses, amplifiée par...
PIERRE BRIANCON : L'action de votre ami personnel, Dominique Strauss-Kahn, n'y a été pour rien ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, il vaut mieux être au gouvernement lorsque le business cycle est dans sa phase ascendante. Et donc tous les gouvernements, tous les pays européens connaissent le business cycle à l'heure actuelle - ce que l'on appelle le cycle des affaires dans notre jargon -, tous les pays européens le connaissent, d'ailleurs incité au début et initié par ce qui s'est passé aux Etats-Unis, un super business cycle qui concerne la Suède, la Hollande, l'Espagne...
JEAN-MARC SYLVESTRE : On est dans un cycle long ? Très long ?
DENIS KESSLER : La France. C'est formidable, d'ailleurs, on s'en réjouit !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca va durer ? Ca va durer ?
DENIS KESSLER : Vous savez, il y trop d'hommes politiques en France qui s'approprient la conjoncture. Ils se l'approprient quand ça va bien, et comme par hasard, on trouve toujours des bouc-émissaires quand ça va mal.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca marche très fort aux Etats-Unis depuis 9 ans maintenant...
DENIS KESSLER : Formidable...
JEAN-MARC SYLVESTRE : 9 ans de croissance ininterrompue, sans inflation...
DENIS KESSLER : Formidable...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Avec des créations d'emplois. Ca va durer en Europe ? Ca va durer en France ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, le business cycle de toute façon est là. Le cycle des affaires, comme je l'ai dit, il s'auto-alimente, vous comprenez. Qu'est-ce qui se passe à l'heure actuelle ? Beaucoup de gens avaient différé l'achat de leur logement. Il faut parler très concrètement. Et puis, tout d'un coup, quand on a différé, différé, eh bien on le fait. Après, on l'équipe. Et donc, tout ceci, s'alimente. Donc, on a système dans lequel on comprend bien ... On avait fait une grosse vague d'investissement dans les entreprises en 1989-90. La durée des équipements, 7 ans, 7 ans plus tard, il faut renouveler les équipement. Crac, on a une augmentation des investissements. Tout ceci est très souhaitable. Donc, qu'est-ce qui se passe ? Ca c'est le cycle de moyen terme et il est vrai, ça, c'est mon hypothèse, que ce cycle de moyen terme va s'inscrire dans une perspective de croissance à plus longue période que l'on appelle un Kondratief. Ce sera le 5ème Kondratief d'ailleurs et qui serait alimenté par les nouvelles technologies. C'est une hypothèse que l'on appelle le New Age Economic, l'économie nouvelle, tirée par des modes d'organisation différents, des technologies différentes. Donc, moi j'y crois assez, mais il faut se souvenir quand même que même quand c'est des perspectives de long terme de croissance, il y aura toujours ces fluctuations de moyen terme qui s'enrouleront dans cette perspective...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc, vous caricaturez les effets pervers des 35 heures. Parce que, finalement, si c'est vrai qu'il y a une quantité de petites et moyennes entreprises qui ont du mal à s'y adapter, vous en avez d'autres qui ont trouvé plus de flexibilité et qui travaillent mieux. Et puis vous avez les très grandes entreprises qui sont d'ores et déjà aujourd'hui, parce qu'elles sont riches, à moins 35 heures.
DENIS KESSLER : Mais attendez, monsieur Sylvestre, écoutez deux choses. Dernier sondage : 87 % des petites et moyennes entreprises ne sont pas prêtes. Deux : quand on parle des grandes entreprises, je citerai, sans citer son nom, une grande entreprise que je connais bien. Quand on dit : telle grande entreprise est passée aux 35 heures, ça représente 10 % de l'effectif de cette entreprise parce que cette entreprise...
JEAN-MARC SYLVESTRE : La très grande entreprise que vous connaissez bien, c'est AXA dont le PDG a décidé de ne travailler que 4 jours par semaine.
DENIS KESSLER : Attendez, monsieur Sylvestre, je dis bien quand on dit la grande entreprise française, les effectifs français, c'est 10 %. Dans les autres pays de la grande entreprise française que vous citez, les gens continuent à bosser 39, 40 heures. Aux Etats-Unis, ça dépasse 40 heures. Et donc, dire : cette grande entreprise est passée aux 35 heures, non, pour ses effectifs français. Quant à ses bénéfices, elle les fait hors de France. Donc, tout ceci, c'est du mirage. Quand me on dit telle entreprise n'a eu aucun problème pour passer aux 35 heures, attendez, ça représente 10 % des effectifs et ça représente éventuellement 10 % de ses profits. Donc, tout ceci, il faut vraiment raison garder. Nous disons : pour les entreprises petites et moyennes, les 35 heures restent un problème insurmontable. Majeur. Un problème de compétitivité, d'implantation, donc un problème de coût. Je ne vois pas et ils ne comprennent pas pourquoi on a décidé de leur infliger cette punition. Ce que nous souhaitons, on me reprochait tout-à-l'heure de vouloir faire de la politique, nous ne souhaitons qu'une chose. Nous, on ne veut pas faire de politique, mais on ne veut plus qu'on politise les entreprises. Ca, c'est terminé. Il faudrait que le débat politique en France cesse de politiser l'entreprise. Lorsque l'on est contre les entreprises, c'est bon parce qu'on va dans ce sens-là, lorsqu'on est pour, c'est mauvais parce qu'on va dans ce sens-là. Nous souhaitons que l'entreprise ne soit plus un enjeu politique. Ah, de grâce, laissez-nous bosser ! Laissez-nous travailler, laissez-nous innover, laissez-nous investir, laissez les entreprises se développer, s'adapter, ah, mais c'est simple, laissez-nous nous adapter !
JEAN DE BELOT : Denis Kessler, vous venez de nous parler nouvelle économie, business cycle, etc.
DENIS KESSLER : Touche pas à mon entreprise !
JEAN DE BELOT : Et vous nous dites dans le même temps que l'économie française en profite. Les boîtes qui en profitent le plus, c'est les grands groupes français internationaux qui font leur activité à l'étranger. Est-ce que vous êtes inquiet pour le contrôle des centres de décision de ces grands groupes qui effectivement sont internationaux et qui sont de plus en possédés par les investisseurs étrangers ? Et la question connexe à celle-ci : comment vos amis qui sont, ou étaient au gouvernement de Lionel Jospin, qui sont des gens a priori intelligents, raisonnables, comprenant l'économie et qui pouvaient être convaincus par le MEDEF, ont-ils une fois de plus différé la réforme de la création des fonds de pension en France ?
DENIS KESSLER : Ah, écoutez, je demanderais volontiers une minute de silence sur ce sujet-là parce que tout est identifié. Le nerf de la guerre moderne, c'est les fonds de pension dans le monde entier, on a fait un débat idéologique, on a politisé ce débat plutôt que de dire : oui, c'est nécessaire parce que cela permettra aux futurs retraités d'avoir un complément de retraite et puis ça permettra aux entreprises de trouver des sources de financement. Voilà un débat tout-à-fait simple. Non, on l'a politisé en France. On en a fait un objet. Résultat : on s'est arc-bouté contre et d'autres étaient pour. Ceux qui se sont arc-boutés contre, lorsqu'ils ont pris le pouvoir ont maintenu leur position et nous sommes en train de faire, je dis bien, une erreur historique majeure. Mais je dis que là, il faudra assumer les responsabilités historiques de ceux qui ont décidé en France de différer l'implantation des fonds de pension. C'est majeur ! Nous sommes à l'heure actuelle la plus ouverte. Il y a 44 % à l'heure actuelle des entreprises cotées qui sont dans la main étrangère. Les très grandes entreprises dites françaises sont maintenant en fait avec des actionnaires qui sont étrangers. On a un problème majeur. Donc, nous n'avons pas préparé les retraites et ce n'est pas un hasard si nous sommes le dernier pays, à l'heure actuelle, à avoir préparé le retournement démographique de 2005 et dans le même temps, nous sommes le pays qui n'a pas mis en place les fonds de pension. Je suis sûr que la Chine les mettra en place avant nous. Ce n'est pas possible. Voilà un des exemples de blocage français. J'ai l'intention, en tout cas dans les discussions avec Ernest-Antoine Seillière et l'ensemble des syndicats, de parler fonds de pension. Parce que ça les concerne, ce sont les salariés qui bénéficient des fonds de pension, c'est eux, il faut que l'on discute de ces questions-là, de façon à ce qu'ils comprennent que c'est fondamental pour les salariés et pour les retraités...
PIERRE BRIANCON : Vous ne croyez pas que c'est en train d'évoluer en France la conscience publique de ce problème.
JEAN-MARC SYLVESTRE : La pédagogie avance.
DENIS KESSLER : Ecoutez, préparer les échéances la veille, ce n'est pas trop ma nature. Donc, on a pris un retard considérable et je considère pour ma part que, vraiment, le temps est plus que passé de mettre en place ce dispositif.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Denis Kessler, s'ouvre au début de la semaine prochaine la conférence de l'OMC à Seattle qui suscite un mouvement de protestation, beaucoup d'inquiétude. Est-ce que vous êtes, vous, solidaire des chefs d'entreprise agricoles, ceux de la FNSEA ou même ceux qui sont derrière José Bové lorsqu'ils s'émeuvent et s'inquiètent du mouvement de mondialisation ? Ce sont des chefs d'entreprise, ce sont des entreprises, j'allais dire, presque comme les autres.
DENIS KESSLER : Oui, attendez, la mondialisation, c'est ça ce qui est dommage, on a perdu un temps fou en France à discuter de tas de sujets qui étaient absolument inintéressants et à cultiver la nostalgie du passé, on n'a pas expliqué la mondialisation.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce que vous comprenez qu'il faille réfléchir sur les entreprises agricoles de façon différente.
DENIS KESSLER : Je viens de vous le dire, on n'a pas expliqué ni la mondialisation, on n'a pas expliqué d'ailleurs l'Europe et ses conséquences, on n'a pas expliqué les enjeux que ça représentait...
JEAN DE BELOT : Non, sinon on n'y serait pas allé en plus...
DENIS KESSLER : Attendez, lorsque vous avez des gens qui sont mal informés, en tout cas, qui n'ont pas été l'objet justement d'une préparation, ils redoutent cette évolution, il redoutent ces échéances. Moi, je dis avec beaucoup de calme : Seattle est une extraordinaire opportunité pour la France, pour l'ensemble de ces acteurs, que ce soit les producteurs de services, que ce soit les industriels ou que ce soit les agriculteurs. C'est une extraordinaire opportunité. Je crois, et je fondamentalement convaincu que vraiment, à l'heure actuelle, c'est l'accentuation des échanges qui permettra à notre pays, y compris dans le domaine agricole, de pouvoir tenir son rang économique, voir son pouvoir d'achat progresser.
PIERRE BRIANCON : Est-ce que vous pensez qu'il faut protéger les entrepreneurs français du cinéma, des industries culturelles, au nom du protectionnisme culturel, ou de l'exception culturelle ou de la diversité culturelle ? Parce que ce sont les entrepreneurs de ces secteurs-là qui sont les plus virulent pour conserver les protection d'antan.
DENIS KESSLER : Attendez : quand vous dites les entrepreneurs, c'est des gens qui participent à ce secteur-là. Ecoutez, moi, ce que nous disons dans cette histoire de Seattle, c'est relativement clair : nous sommes extrêmement motivés pour que, dans cette négociation, nous puissions faire valoir un certain nombre de principes. Dans ce principe-là, il y a tout mettre en oeuvre pour pouvoir obtenir l'ouverture dans le domaine des services aux entreprises françaises. Troisième exportateur de services, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut absolument que des marchés gigantesques, jusqu'à aujourd'hui fermés , la Chine, l'Inde, etc, soient ouverts aux services français. Nous sommes forts. Donc, là, il faut être offensif.
PIERRE BRIANCON : Et en échange, il faut ouvrir quoi en France ?
DENIS KESSLER : Mais l'Europe est extrêmement ouverte en échange. Donc, dans ce domaine-là, nous avons tout à gagner, pas grand-chose à...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc, ouvrir les services.
DENIS KESSLER : Nous disons : ouvrir les services. Deux, nous disons qu'il faut appliquer les accords existants dans le domaine des industries, je passe vite. Trois, il y a une chose aussi extrêmement importante, il faudra bien ouvrir un jour le domaine de la liberté des investissements, de ce que l'on appelle l'accord investissements qui a été repoussé. Il faut régler ce problème là parce que vous savez que demain, ce n'est pas seulement des échanges de biens et services trans-frontières, c'est aussi des implantations partout. Bref, il faudra donc régler ce problème-là. Et nous disons : tous les autres problèmes, que ce soit l'agriculture ou les industries culturelles, chaque problème doit être réglé en tant que tel. Et nous ne souhaitons pas faire, si vous voulez, des arbitrages entre les secteurs. Nous souhaitons le développement de l'industrie, le développement des services, un accord investissement et qu'on trouve une solution acceptable par les parties dans le domaine de l'agriculture ou des autres sujets mis sur la table.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous souhaitez que l'OMC soit un gendarme avec des pouvoirs de contrôle et de sanctions.
DENIS KESSLER : Absolument ! Il faut renforcer les sanctions, parce que c'est la seule manière d'être crédible, et ça marche plutôt mieux que d'ailleurs le GATT. Je rappelle aussi que l'OMC est un formidable organisme démocratique, puisque tout négociateur ne peut faire qu'une chose : avoir l'aval des gouvernements et le gouvernement doit se retourner vers ses parlements pour pouvoir ratifier l'accord. Et si ce n'est pas fait, l'accord ne vaut pas. Et nous préférons un accord multilatéral, c'est-à-dire qui englobe tous les pays de la planète de façon à ce qu'il n'y ait pas de distorsions. Parce qu'il y a une grande menace à Seattle. Si Seattle échoue, je vous rappelle que l'on ira vers des accords bilatéraux, c'est-à-dire les Etats-Unis et la Chine, les Etats-Unis et l'Amérique du Sud. Et ça, en ce qui nous concerne, nous n'en voulons pas. Nous voulons un accord multilatéral qui permet d'avoir une règle du jeu mondiale, avec un acteur fort, avec une légitimité démocratique et qui impose des sanctions et qui impose une vision du monde dans laquelle l'échange est porteur de croissance.
JEAN-MARC SYLVESTRE : A 48 heures de l'ouverture, c'est très mal parti. Jean de Belot a raison, on risque l'échec, on n'a pas d'agenda, pas de périmètre de négociations...
JEAN DE BELOT : On n'a même pas d'accord sur le menu des discussions...
DENIS KESSLER : On a dit la constitution sociale prendra des mois, Seattle prendra des années. Alors, là aussi, il faut le dire : Seattle, ça durera deux ans, trois ans, peut-être quatre ans. On est tout au début, on ne va quand même pas dire : c'est incroyable, ça ! On n'a même pas commencé à voir les syndicats, on dit que la constitution sociale est arrivée, on n'a pas commencé Seattle, on dit que c'est mal parti ! Allons, mais un peu d'optimisme ! Nous, nous sommes des entrepreneurs. Et les entrepreneurs, on voit loin !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Merci Denis Kessler.
(source http://www.medef.fr, le 9 février 2001)