Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur la session unique du Parlement, l'activité gouvernementale et le rôle du Sénat, au Sénat le 18 juin 1996.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement au Sénat le 18 juin 1996

Texte intégral

M. Alain Juppé, Premier ministre. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques jours va donc s'achever la première session parlementaire unique de l'histoire de la Ve République. Ces neuf mois de session continue ont été, je le crois, particulièrement riches en innovations et en réformes.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah là là !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il est sans doute encore prématuré de dresser le bilan définitif des conséquences de la révision contitutionnelle du 4 août 1995 voulue par le chef de l'Etat. Je crois pouvoir néanmoins affirmer que le rééquilibrage des institutions qu'il avait souhaité est en bonne voie.
La réorganisation du rythme des sessions a incontestablement contribué à améliorer l'organisation des travaux parlementaires, vous le constatiez à l'instant même, monsieur le président. C'est un élément de satisfaction pour le Parlement tout entier, et en particulier pour la Haute Assemblée.
Surtout, la session a permis de donner un caractère plus permanent aux fonctions de contrôle que le Parlement exerce sur l'action gouvernementale. Ainsi, renforcé dans ses missions essentielles, le Parlement prend une part sans cesse plus active aux grands enjeux d'aujourd'hui et de demain.
La contribution du Sénat aux réformes de ces derniers mois en fournit la pleine illustration, j'en suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le président.
A l'heure des premiers bilans, je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, revenir brièvement sur quelques aspects qui me paraissent particulièrement significatifs dans cette évolution.
La réorganisation du rythme des sessions avait comme corollaire indispensable une meilleure répartition du calendrier des travaux parlementaires. Cet objectif est, je crois, en passe d'être atteint, et je m'en réjouis, même si des améliorations, bien sûr, peuvent et doivent encore être apportées, en particulier pour éviter la surcharge que génère traditionnellement la fin de chaque session. Le règlement de votre assemblée a fixé le calendrier des semaines et des horaires de séances, ce qui est une très bonne chose. De son côté, le Gouvernement a usé avec une grande modération de la faculté qui lui laisse la nouvelle loi constitutionnelle d'ouvrir des séances supplémentaires.
Ainsi, dans la limite des 120 jours fixée par l'article 28 de la Constitution, six jours supplémentaires seulement, si on ne tient pas compte de la loi de finances, ont été ouverts à ce jour.
Par ailleurs, comme vous le rappeliez à l'instant, monsieur le président, la prolongation des séances au-delà de vingt heures a été considérablement réduite. Si l'on compare aux autres années, là encore, hormis la loi de finances, 24 séances sur un total de 82 ont été prolongées au-delà de 20 heures ; et je partage votre point de vue, monsieur le président, ce n'est pas forcément parce qu'il est cinq heures du matin que l'on travaille mieux. Des souvenirs de ministre du budget à ce banc m'ont laissé quelques marques.
En parallèle, le Gouvernement a fait un gros effort de programmation en amont des textes législatifs. Conformément à l'article 29 du règlement de votre assemblée, les grandes lignes du calendrier du travail parlementaire vous ont été communiquées en début d'année. Le ministre chargé des relations avec le Parlement - je vous remercie en son nom, puisqu'il est provisoirement muet, des éloges que vous lui avez à juste titre décernés - a par ailleurs veillé à informer chaque semaine la conférence des présidents de l'ordre du jour prioritaire du Sénat des trois semaines et, souvent, des quatre semaines à venir. J'ai bien noté, monsieur le président, que vous en vouliez plus. Nous progresserons pas à pas avec le temps.
La bonne organisation des travaux parlementaires ne va pas non plus sans un dépôt plus équilibré des projets de loi examinés par les deux assemblées. Des projets de loi de première envergure ont été déposés sur le bureau du Sénat. Je citerai, pour la période la plus récente, le projet de loi relatif à la détention provisoire, le projet de loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie, le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription des parts de copropriété de navires de commerce ou encore le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
Autre élément appréciable de ce bilan, le recours à la procédure d'urgence a été relativement réduit. En outre, le Gouvernement veille, autant qu'il est possible, à ne pas surcharger le Parlement d'un trop grand nombre de textes. Je sais, monsieur le président, qu'il s'agit d'une de vos préoccupations majeures. " Trop de lois tue la loi. ", dites-vous souvent. Dans les statistiques qui ont été publiées, j'ai pu observer que nous étions sur la bonne voie. Je veillerai à ce que les efforts soient poursuivis en ce sens, conformément aux voeux du Président de la République.
L'organisation des travaux parlementaires est encore, bien sûr, largement perfectible, mais je crois pouvoir dire que les conditions d'un réel renforcement des missions du Parlement ont été posées. Un des aspects les plus immédiats de la réforme concerne, je l'ai indiqué, les missions de contrôle du Parlement sur l'action gouvernementale, missions de contrôle renforcées de par leur caractère plus permanent et continu. Ce contrôle s'est exercé bien évidemment en premier lieu au travers des diverses séances de questions prévues par le règlement de chacune des assemblées, séances qui ont permis d'assurer une large présence des membres du Gouvernement tout au long de l'année parlementaire. Au total, je crois que vous avez cité ces chiffres, monsieur le président, 163 questions d'actualité et 219 questions orales sans débat auront été posées au Sénat.
Les nombreux débats qui ont été organisés en liaison avec l'actualité politique constituent également un élément appréciable de cette mission de contrôle. Ils ont parmis à chacun ici d'exprimer la diversité des approches, de confronter les opinions, de nourrir utilement la réflexion du Gouvernement sur des sujets aussi divers que la réforme de l'accession à la propriété, l'union économique et monétaire, la politique de défense ou plus récemment encore la situation en Corse.
Au cours de ces derniers mois, le Parlement a pu conforter ses pouvoirs de contrôle dans deux domaines particulièrement importants : celui des finances publiques d'abord, grâce à l'organisation - c'était une première - d'un débat annuel d'orientation budgétaire en juin - je crois d'ailleurs que cela a été un succès et qu'il a été apprécié par les parlementaires - et bientôt - ce sera là aussi un grand moment dans la vie parlementaire - la discussion et le vote à l'automne d'une loi de financement de la sécurité sociale, ensuite celui des activités communautaires avec l'adoption continue de résolutions parlementaires.
La mise en place des deux offices parlementaires devrait permettre aux assemblées d'évaluer plus efficacement la législation et les politiques publiques et leur donner ainsi les moyens d'exercer un contrôle plus efficace de l'action gouvernementale.
Mais c'est sans doute dans le rééquilibrage de l'initiative parlementaire que le renforcement des pouvoirs du Parlement est le plus évident.
L'organisation prévue par le nouvel article 48, alinéa 3, de la Constitution, d'une séance mensuelle réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée a permis la discussion au Sénat de nombreuses propositions de loi : six propositions de loi émanant du Sénat ont été définitivement adoptées par le Parlement et quatre autres sont en navettes ; c'est également un grand changement par rapport aux décennies précédentes.
Je citerai pour mémoire la proposition de loi relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, la proposition de loi relative à la prorogation de la suspension des poursuites engagées à l'encontre des rapatriés installés, la proposition de loi tendant à faire du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant ou encore la proposition de loi tendant à actualiser la loi locale de chasse régissant les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Ces propositions de loi, dont certaines ont été inscrites à l'ordre du jour prioritaire afin de faciliter la navette entre les deux assemblées, sont, au même titre que les amendements déposés par les parlementaires, l'expression d'un dialogue fructueux entre le Gouvernement et le Parlement.
Renforcée dans ses missions essentielles, la Haute Assemblée a pris une part active aux réformes entreprises par le Gouvernement, et je voudrais l'en remercier de tout coeur. Il est vrai, comme vous l'avez dit, monsieur le président, que ces réformes ont été nombreuses depuis le début de cette session, et qu'elles ont concerné des volets essentiels de la vie économique et sociale de notre pays. Elles avaient, la plupart du temps, beaucoup trop tardé, qu'il s'agisse de la réduction des déficits (protestations sur les travées socialistes), de la préservation et du développement de l'emploi (nouvelles protestations sur les mêmes travées), de la défense et de l'encouragement des petites et moyennes entreprises, de l'amélioration de la sécurité des Français, de la modification du statut des télécommunications,...
Mme Hélène Luc. Eh oui, parlons-en !
M. Alain Juppé, Premier ministre ... deux fois tentée et deux fois avortée, pour tenir compte des nouvelles donnes de la concurrence, de l'adaptation et de la modernisation de notre outil de défense, pour lequel rien n'avait été fait comme s'il ne s'était rien passé en 1989, en Europe et dans le monde. (Protestations sur les travées socialistes.)
Eh oui, beaucoup d'occasions manquées ont été enfin saisies depuis maintenant un an ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Les salariés sont dans la rue !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Eh oui, c'est cela le conservatisme, madame Luc ! Comme le disait justement M. Monory, c'est s'opposer à toutes les réformes ! (Applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.) C'est cela, la vraie définition du mot conservatisme !
Dans chacune de ces réformes, le Sénat, en tout cas sa majorité, s'est montré soucieux d'économiser les deniers publics.
Mme Hélène Luc. Parlez-nous du chômage !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Eh oui, le chômage augmente beaucoup moins vite que quand vos amis étaient au gouvernement, dans les années quatre-vingt !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a toujours plus de trois millions de chômeurs !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il a même tendance à diminuer !
Dans chacune de ses réformes, le Sénat s'est donc montré soucieux d'économiser les deniers publics, de défendre l'intérêt général et de préserver les grands équilibres de l'aménagement du territoire. Outre les textes importants dont il conviendra d'achever l'examen dès le mois d'octobre - je pense en particulier au pacte de relance pour la ville - de grands chantiers législatifs nous attendent à l'automne : le service national, la lutte contre l'exclusion et, bien sûr, la loi de finances pour 1997, qui devra nous permettre de poursuivre les efforts d'assainissement de nos finances publiques et de redynamisation de notre économie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la session qui s'achève marque un changement dans la pratique de nos institutions, car elle a vu les moyens d'action et de contrôle du Parlement se renforcer de manière conséquente.
Mme Hélène Luc. Le Sénat est toujours une chambre d'enregistrement !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Le bilan de cette session unique est doublement encourageant : la Haute Assemblée a su tirer, sur le plan de la pratique institutionnelle, le meilleur parti possible de la réforme du 4 août 1995 ; elle a également largement contribué, par son appui constant, constructif et vigilant, à améliorer les textes de lois qui lui étaient soumis. Très nombreux en effet ont été les amendements positifs apportés par le Sénat dans la discussion parlementaire. C'est dire - il est parfois nécessaire de le rappeler - à quel point le bicamértisme apporte régulièrement la preuve de ses vertus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La volonté que le Chef de l'Etat exprimait dans le message qu'il vous adressait le 19 mai 1995 de " faire passer un nouveau souffle dans nos institutions " est en train de devenir une réalité.
On le doit en partie aux initiatives prises par le Gouvernement. On le doit en très grande partie à la réponse qu'a apporté le Sénat à ces initiatives, et je voudrais vous remercier tous et toutes de l'excellent climat de travail qui s'est instauré entre la Haute Assemblée et le Gouvernement, mais aussi remercier tout particulièrement M. le président du Sénat, qui a toujours été prompt à favoriser les réformes parce que c'est dans son tempérament. Il aime les réformes, il les promeut et les facilite, nous lui devons une grande gratitude sur ce plan.
Je voudrais également, comme il l'a fait, remercier l'ensemble des fonctionnaires du Sénat, qui ont su s'adapter à une nouvelle donne dans le fonctionnement de la Haute Assemblée, avec la compétence et le dévouement qui les caractérisent.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je voulais faire au terme de cette session unique en remerciant plus précisément - j'espère que personne ne s'en offusquera - la majorité du Sénat de l'aide qu'elle apporte avec constance et confiance au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Vous avez raison de la remercier ! M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(source http://www.senat.fr, le 10 septembre 2004)