Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur les attentes de la FNSEA concernant les aides aux éleveurs souffrant de la sécheresse et l'examen par les parlementaires du projet de loi rurale et des suites des négociations de l'OMC à Cancun, Paris le 7 octobre 2003.

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Circonstance : Rencontre avec les parlementaires à Paris le 7 octobre 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Chers Amis,
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et de montrer, par votre présence, tout l'intérêt que vous portez à l'agriculture et à notre profession.
Je n'ai pas de mots assez sombres pour qualifier l'année qui vient de s'écouler. Une année noire qui a vu se succéder des conditions climatiques épouvantables, une mauvaise réforme de la PAC et un budget qui n'est pas fait pour nous rassurer.
[Sécheresse]
Depuis notre dernière rencontre, en octobre 2002, le sort s'acharne sur l'agriculture.
Après le gel du printemps, la sécheresse s'est abattue sur les campagnes françaises. Puis la canicule a achevé les ravages du manque d'eau.
Les pertes que les agriculteurs ont subies sont, bien entendu, sans commune mesure avec le drame de la vieillesse abandonnée et de tous ceux que l'on n'a pas pu sauver.
Il est impossible d'ignorer l'épreuve que traverse l'agriculture (dont les pertes s'élèvent à au moins 4 milliards d'Euros) : un déficit fourrager qui atteint 60% dans beaucoup de départements, des chutes de rendement spectaculaires pour les grandes cultures (-45%), des pics de mortalité pour les productions hors-sol.
[Solidarité]
Alors que Bruxelles a mis plus d'un mois avant d'autoriser la pâture des jachères, les paysans ne sont pas restés sans rien faire devant cette désolation. Ils ont retroussé leurs manches et n'ont pas compté leurs heures pour organiser une grande opération de solidarité. Les céréaliers ont accepté de ne pas broyer la paille pour la mettre à la disposition de ceux qui en manquaient.
C'est ainsi que nous avons amassé 350 000 tonnes de paille. Rien n'aurait été possible sans l'efficacité et le dévouement du réseau de la FNSEA.
Nous avons atteint là les limites de notre action.
Puis, nous avons compté sur les pouvoirs publics pour que le transport de la paille se fasse et pour que les indemnités soient versées. Mais que de complications, que de complications !
Permettez-moi de m'étonner quand j'observe que dans un pays comme la France, fier de ses infrastructures, de ses services publics et de son administration, il soit aussi difficile de trouver des camions qui roulent, des trains qui circulent, et des transports militaires.
C'est pourquoi je voudrais lancer un appel : aujourd'hui, près de la moitié de la paille collectée est en rade (200 000 tonnes). Si elle ne parvient pas à destination dans les prochaines semaines, elle sera perdue et nous connaîtrons dans quelques mois une catastrophe majeure dans les régions d'élevage. D'autant plus que la paille arrive à un prix exorbitant lié au coût du transport et aux magouilles de certains spéculateurs.
Alors, aidez-nous à venir à bout de ces lourdeurs, de ces résistances qui découragent la foi et stérilisent les efforts.
En second lieu, il faut apporter aux exploitants sinistrés les aides qui leur permettront de relever la tête.
Pour ceux qui pourront accéder au fonds de calamités, les taux d'indemnisation doivent être à la hauteur du sinistre, c'est à dire supérieurs aux 28% qu'on nous propose. Je réitère ici ma demande présentée au Premier Ministre d'un taux de 35%.
Certes, je ne suis pas sourd, et j'entends le discours sur la rigueur des temps en matière budgétaire.
S'il est un domaine où ce discours n'est pas recevable, c'est bien celui du fonds des calamités : si l'État, au cours des cinq dernières années, avait respecté la loi en dotant le fonds de montants équivalents à ceux versés par les agriculteurs (75 millions/an) ; et si, l'an dernier, le Gouvernement s'était abstenu de siphonner les réserves du fonds (130 millions d'Euros) dans des conditions peu élégantes, aujourd'hui, nous aurions de quoi indemniser les agriculteurs à un taux convenable sans demander un sou à Bercy.
Quant à ceux qui ne pourront pas accéder au fonds, ce n'est pas avec les 20 millions (dont 5 millions affectés aux productions sinistrées par la canicule) du Fonds d'Allègement des Charges (FAC) qu'ils pourront redresser leurs entreprises.
Certes, il faut prendre en compte l'effort consenti par de nombreuses régions, mais l'État ne peut pas se défausser de ses responsabilités. En particulier, nous demandons l'application d'une année blanche pour les charges financières des exploitants sinistrés.
Plus généralement, nous attendons un effort de solidarité nationale dans le collectif 2003.
Enfin, d'une façon plus prospective, cette catastrophe climatique majeure doit nous conduire à réfléchir à la prévention et à la gestion des risques en agriculture.
Depuis des années, nous réclamons un mécanisme d'assurance récolte, à l'instar d'autres grands pays agricoles. Cette demande suscite de l'intérêt, des encouragements polis, mais il ne se fait rien de concret.
Au contraire, les quelques millions dégagés l'an dernier pour faciliter les expériences d'assurances récolte semblent s'être évaporés du projet de budget 2004. C'est une bien curieuse façon de tirer les leçons d'une catastrophe.
[La PAC et l'OMC]
Aux attaques climatiques s'ajoute le travail de sape mené par Bruxelles.
Depuis un an nous nous élevons contre les projets destructeurs de M. Fischler.
On nous renvoie dans les cordes en nous affirmant qu'il faut supprimer toutes nos protections sur l'autel de la mondialisation, pour être de bons élèves à l'OMC.
Alors osons le dire : il y aura encore beaucoup moins de paysans en France dans cinq ans si le blé vient d'Ukraine, les moutons de Nouvelle-Zélande, les boeufs d'Argentine et le poulet du Brésil.
Ainsi, on aura tourné le dos définitivement au modèle agricole et alimentaire français et européen.
On ne construit pas l'avenir en regardant derrière soi. Mais permettez-moi quand même d'observer que les fins stratèges qui croyaient, avec l'accord de Luxembourg, se mettre en position de force pour négocier à l'OMC, se sont piteusement trompés.
On ne fait pas de concessions avant de commencer la négociation. " Une bouchée avalée n'a plus de goût " dit le proverbe.
Et quand l'Europe disait à qui voulait l'entendre que sa réforme était faite pour solde de tout compte, à Cancùn on lui réclamait déjà des efforts supplémentaires dans la voie du libéralisme. Des efforts que Bruxelles s'apprêtait à accepter, en allant au-delà de son mandat de négociation.
Je sais que vous traiterez, très prochainement, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, des suites de Cancùn. Il faut, c'est vrai, reprendre et approfondir les débats ouverts au Mexique.
Je voudrais dire ici, avec un peu de solennité, que nous ne pouvons pas accepter que l'on fasse de l'agriculture européenne le bouc émissaire de la misère du monde. Ce n'est pas en alignant les agriculteurs européens sur le moins-disant mondial que les pauvres deviendront plus riches.
Les pays en développement, tout comme nous, n'ont rien à gagner d'une politique qui en ferait des fournisseurs de matières premières alimentaires à bas prix.
J'ajoute que ce serait une erreur de croire que les pays en développement forment un groupe homogène comme le prétend le président Lula.
Entre les pays d'Afrique les moins avancés, qui se battent pour leur survie, et des pays comme le Brésil qui, avec leurs avantages concurrentiels, rêvent de pénétrer tous nos marchés, il y a plus que des nuances.
La réforme de la PAC a été menée pour de mauvaises raisons aujourd'hui disparues. Mais nullement ébranlée par ces changements, la Commission continue sur sa lancée.
Mauvaise stratégie, mauvaise réforme. Malheureusement, la décision est prise, que ça plaise ou non il faudra faire avec. A la FNSEA nous n'avons pas l'habitude d'emmener les paysans dans le mur. Faire avec en nous efforçant de sauver l'essentiel : le modèle agricole et alimentaire français qui concourt à l'aménagement du territoire et à la sécurité sanitaire de nos concitoyens.
Nous allons, avec l'ensemble du réseau de la FNSEA, élaborer des propositions et les transmettre au ministre de l'Agriculture.
Mais notre action ne peut s'arrêter là.
Cette réforme de la PAC va bouleverser le paysage agricole. Le découplage risque d'entraîner la déprise dans certaines régions, l'intensification dans d'autres, des conflits entre propriétaires et fermiers, de poser des problèmes d'approvisionnement à l'agro-alimentaire. Il faut un cadre national pour adapter l'agriculture à cette nouvelle donne.
Le Gouvernement français a endossé cette réforme. Il devra donc tirer les conséquences de son choix en élaborant un plan d'adaptation et d'accompagnement qui ne devra pas être un simple catalogue d'encouragements sympathiques et platoniques.
[Loi de modernisation]
Dans quelques semaines, vous aurez à débattre du projet de loi rurale. Nous nous sommes félicités de l'existence de ce texte, qui témoigne de la volonté des Pouvoirs publics de prendre en compte globalement la dimension rurale. Cette loi, nous sommes prêts à l'enrichir avec vous, notamment sur l'importance des services publics en milieu rural et la gestion du foncier, en particulier en zone urbaine.
Ce projet ne jettera pas les bases de l'agriculture de demain. Vous aurez l'importante responsabilité de construire la loi de modernisation. Elle a été annoncée par le Ministre de l'Agriculture.
Nous fondons beaucoup d'espoir dans ce futur texte. En effet, la première et principale difficulté et qui domine toutes les autres est l'absence obstinée en France, depuis de longues années, de toute politique agricole cohérente et à vues lointaines.
Notre politique agricole est faite de mesurettes prises en hâte pour colmater quelques brèches mais on ne voit pas venir les grands travaux de construction qui traduiraient une réelle ambition agricole.
Et même, ces mesurettes sont loin d'être satisfaisantes. Elles sont injustes, c'est le cas de la nouvelle taxe pour l'équarrissage ; elles sont incomplètes, c'est le cas pour la PHAE ; elles sont inopérantes, c'est le cas pour les contrats d'agriculture durable.
L'agriculture occupe une place secondaire dans les projets de notre pays. Nous en avons un exemple récent et très révélateur. L'accord sur la formation professionnelle a été négocié et signé sans la participation de représentants agricoles.
Je vous demande, Mesdames et Messieurs les parlementaires, d'être vigilants sur ce dossier quand devra s'élaborer la loi sur la réforme de la formation professionnelle.
L'accord signé n'est pas adapté à l'agriculture mais il existe par ailleurs d'autres accords, qui conviennent parfaitement à l'agriculture et au monde rural et dont il faudra tenir compte.
Et si l'on doutait de cette place secondaire accordée à l'agriculture, il suffit, pour s'en convaincre de prendre connaissance des prévisions du budget agricole.
Nous y reviendrons plus en détail. Mais d'ores et déjà, je tiens à dire que ce budget démontre que notre pays abandonne son agriculture.
[l'amende]
2003 restera aussi l'année de l'amende, cette sanction extravagante que la Commission veut infliger aux organisations professionnelles françaises.
Pour quel crime ? Pour avoir, au plus fort de la crise de la vache folle, et alors que Bruxelles se montrait incapable de gérer le marché, conclu avec l'aval, un accord a minima permettant que le prix payé aux producteurs corresponde au prix plancher communautaire. Accord conclu dans la transparence et avec le soutien du Gouvernement français.
Voilà notre crime. En infligeant aux signataires de l'accord une amende supérieure à leur budget annuel, c'est le syndicalisme que la Commission veut mettre au pas.
Dans la logique bruxelloise, il n'y a pas de place pour les corps intermédiaires. C'est contre cette dérive que nous requérons votre soutien car elle est aussi dangereuse pour la démocratie que pour la construction européenne.
[L'importance de l'agriculture]
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, ce n'est pas à vous que j'apprendrai toute l'importance de l'activité agricole dans ce pays.
L'agriculture représente environ 5% de la population active. Mais on ne peut pas résumer l'agriculture à un pourcentage. L'agriculture ce n'est pas que cela dans la richesse de notre pays, ce sont des emplois dans l'agro-alimentaire, dans l'agro-industrie, dans l'agro-fourniture, ce sont des produits de qualité, ce sont des paysages et des terroirs.
Un pays comme le nôtre ne peut pas abandonner la production de matières premières et se consacrer uniquement à des services. Nous enverrions au tapis un tout un pan de notre économie nationale.
Un budget à la hauteur, une véritable et grande loi agricole. Voilà ce que les agriculteurs attendent de leurs parlementaires.
Je vous remercie
(Source http://www.fnsea.fr, le 13 octobre 2003)