Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à RTL le 7 octobre 2003, sur la mise en place de la commission d'enquête parlementaire sur la gestion des conséquences de la canicule et sur le procès des emplois fictifs du RPR.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- A la mi-août, la canicule a tué plusieurs milliers de personnes en France, et c'est seulement tout à l'heure, à 9h30, que les députés vont décider de la création d'une commission d'enquête parlementaire consacrée à cette catastrophe sanitaire. Pourquoi a-t-il fallu attendre deux mois avant qu'une commission d'enquête ne voie le jour ?
- "D'abord, c'est la procédure. Et deuxièmement, c'est pas tout à fait exact."
On aurait pu réunir le Parlement dès la mi-août.
- "Si vous n'interrompez dès que je dis un mot, on 'y arrivera pas. Je connais bien mon règlement de l'Assemblée nationale. On aurait pu [le] faire mais on ne l'a pas fait, on a pris une autre procédure, une autre voie. La commission des Affaires sociales s'est réunie, puis il y a eu une mission, puis il y a cette commission d'enquête. Tout cela est l'expression de la procédure. On aurait pu aller plus vite, c'est vrai."
Vous le regrettez ?
- "J'ai dit depuis le début que j'étais favorable à une commission d'enquête. Donc, ma position est claire. Simplement, ce qui m'importe aujourd'hui, c'est que cette commission d'enquête travaille dans la plus grande sérénité, et qu'on ne cherche pas à juger ou à préjuger, mais qu'on cherche à regarder, à estimer ce qui n'a pas fonctionné, pour proposer des corrections."
Mais on ne le sait pas déjà ? Il y a eu un rapport d'experts commandé par J.-F. Mattei et la démission du directeur général de la santé, L. Abenhaïm - qui a été mis en cause -, il y a eu des mesures intégrées par amendement au projet de loi de santé publique présenté par J.-F. Mattei, cette semaine, à l'Assemblée nationale. Qu'est-ce qu'on attend de plus de cette commission d'enquête aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous attendez de plus ?
- "Ce que j'attends, c'est qu'elle mette très clairement en valeur tous les dysfonctionnements, aussi bien au niveau de l'Etat..."
Vous ne répondez pas aujourd'hui !
- "Pas totalement. Je ne suis pas convaincu par ce que j'ai lu. Cette mission qui a été faite par l'administration, par les fonctionnaires de l'Etat, eh bien je fais plutôt confiance aux investigations qui seront menées librement, tranquillement, dans la contradiction - puisque c'est aussi ça l'un des principes de la commission d'enquête, c'est d'être contradictoire -, les investigations menées par les parlementaires. Nous aurons là un état de la situation. Ce que je souhaite, c'est que cette commission d'enquête fasse un certain nombre de propositions. Non pas pour dire, "voilà qui est responsable", ce n'est pas notre responsabilité, mais "voilà ce qui n'a pas fonctionné, voilà comment il faut l'améliorer au niveau de l'Etat, au niveau des départements, à l'action sociale, au niveau des communes, au niveau des villes et au niveau des campagnes"."
On scrutera aussi la responsabilité de ses acteurs, à commencer par le premier d'entre eux, J.-F. Mattei sans doute.
- "Non. Pour nous, le problème n'est pas "ça, c'est la responsabilité du gouvernement ou la responsabilité de la justice". La responsabilité pour une commission d'enquête, c'est d'essayer de progresser par l'analyse de ce qui n'a pas fonctionné."
Alors, les commissions d'enquête c'est important ?
- "Oui, c'est très important."
Justement, quelqu'un en réclame une, c'est F. Pinault, dans cette affaire très opaque et incompréhensible pour le commun des Français, Executive Life. La semaine dernière, dans un communiqué, il a dit : "je souhaite une commission d'enquête sur cette histoire". D'accord, pas d'accord ?
- "Chaque fois que le Parlement, l'Assemblée nationale pourra intervenir pour essayer de trouver la vérité, de déceler les responsabilités des uns et des autres, alors je serai favorable."
Et dans ce cas précis ?
- "Le Parlement a deux fonctions : la fonction législative et la fonction de contrôle. Assumons parfaitement notre fonction de contrôle. Dans cette affaire précise, je n'y vois aucun inconvénient."
Mais vous y êtes favorable ?
- "Je n'y vois aucun inconvénient."
Plus actif que ça. C'est-à-dire que l'Etat s'est engagé à verser 585 millions de dollars à la justice américaine. Est-ce que l'Assemblée nationale cherchera à comprendre pourquoi ?
- "Je vous réponds oui. Je pense que monsieur Pinault a dit qu'il souhaitait cette commission d'enquête. Si la commission des Finances, et si on me le propose - car c'est le rôle du président de l'Assemblée nationale -, je n'y verrai aucun inconvénient. Chaque fois qu'un centime public a été utilisé, nous devons, et nous pouvons intervenir, pourvu que les parlementaires le souhaitent."
Donc nous avons l'accord sur RTL, ce matin, du président de l'Assemblée nationale pour une commission d'enquête Executive Life.
- "Ce n'est pas nouveau."
Deuxième semaine du procès des emplois fictifs du RPR devant le tribunal correctionnel de Nanterre. La semaine dernière, un ancien directeur de cabinet d'A. Juppé a dit : "Tout le monde savait à propos des emplois fictifs". Saviez-vous, Jean-Louis Debré ?
- "Vous savez que j'ai été magistrat pendant longtemps et vous savez que je me fais une certaine idée de la Justice. Vous savez que je suis un responsable politique et que je me fais une certaine conception de la politique et du rôle de l'homme politique. Eh bien je ne répondrai pas à votre question ! Il y a un procès en cours. Je fais totalement confiance aux magistrats pour déceler la vérité et pour fixer les responsabilités. N'attendez de moi, ni à travers cette question ni à travers d'autres questions, que j'intervienne en quoi que ce soit par un commentaire sur le déroulement de cette affaire."
C'est un peu commode quand on est au micro de dire : "je ne commenterai pas" ce que tous les Français entendent, ce que tous les Français lisent. Je ne vais pas insister sur ce thème, je vais vous en proposer un autre.
- "Je peux lire. En tant que responsable politique, et en tant que magistrat, je ne commente pas."
Les seuls qui ne commentent pas ces affaires-là, ce sont toujours les responsables politiques. Vous nous laissez nous débrouiller entre nous.
- "J'ai entendu hier, sur votre antenne, quelqu'un qui a commenté. Non, j'ai toujours eu cette position. Vous ne m'avez jamais, jamais entendu, alors qu'il y a soit une instruction en cours, où le juge d'instruction doit essayer de déceler la vérité, de rechercher la vérité, soit lorsqu'il y a une instance judiciaire en cours, vous ne m'avez jamais, jamais, depuis vingt ans ou quinze ans, entendu faire le moindre commentaire. Parce que je pense qu'il y a un moment pour les commentaires, et puis il y a des professionnels des commentaires. Et quand on veut commenter..."
En général, c'est aussi vous les professionnels du commentaire...
- "Et quand on veut commenter, il faut connaître parfaitement le dossier !"
La semaine dernière, dans ce procès, on a entendu huit chefs d'entreprise sur neuf parler de pressions, de chantage. J'ai relevé aussi ce mot de M. Coteau, que je ne connais pas, mais qui est un chef d'entreprise spécialiste des bitumes : "Mon souci, ce n'était pas de soutenir le RPR mais d'éviter des ennuis. J'ai toujours pensé qu'un homme politique est plus susceptible de nuire que d'agir positivement" Il l'a dit devant un tribunal. Cela non plus, ça ne suscite aucune réaction chez vous ?
- "Quand l'affaire sera terminée, quand le jugement aura été rendu, invitez-moi et je ferai tous les commentaires que vous voulez."
C'était J.-L. Debré, l'homme politique le plus "discret" ce matin qu'il puisse se trouver.
- "Ce n'est pas vrai !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2003)