Texte intégral
CONFERENCE DE PRESSE DE PRESENTATION DE LA JOURNEE DE L'EUROPE
le 5 mai 1998
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Vous m'avez convié à participer à la conférence de presse de présentation de l'édition 1998 de la Journée de l'Europe, et je vous en remercie.
Je réponds toujours avec le plus grand plaisir aux invitations du Mouvement européen. Au delà du sens que revêt cette commémoration pour le ministre des Affaires européennes que je suis, c'est d'abord une satisfaction profonde que j'éprouve aujourd'hui, celle de me retrouver au sein de la famille européenne, puisque, vous le savez, j'ai été et je reste des vôtres. Comme aime à le rappeler votre président, Jean-Louis Bourlanges, le premier rôle du Mouvement européen est, paraît-il, de soutenir la politique du ministre des Affaires européennes : je souscris volontiers à cette définition, même si je sais qu'elle est d'abord celle de la courtoisie et de l'humour, elle traduit aussi l'intensité et la qualité de nos échanges.
C'est vrai que la célébration qui nous réunit en ce jour se situe dans un contexte exceptionnellement riche. La Journée de l'Europe arrive dans un moment particulier. Je fais évidemment référence au Conseil européen extraordinaire du 2 mai qui fera date dans l'histoire de la construction européenne.
Vous le savez, les Quinze viennent de décider que 11 pays participeront au lancement de la monnaie unique le 1er janvier 1999. L'euro se fera sur une base large, comme nous l'avons souhaité. Comme prévu, ont été annoncées les parités bilatérales qui s'appliqueront à cette date. L'ensemble du dispositif institutionnel a été parachevé avec la nomination du président de la Banque centrale européenne et des membres de son directoire.
Cette nomination a été obtenue dans des conditions difficiles et surtout longues. Elle a fait couler beaucoup d'encre et de salive. Que l'on ne s'y trompe toutefois pas. Il ne s'agissait pas d'un "combat inutile", contrairement à ce que j'ai pu lire, ici ou là, mais bel et bien d'une question politique importante : qui, en Europe, doit décider ? Des banquiers centraux, des hauts fonctionnaires ou le Conseil européen ? Quelle doit y être la place de la France ? Le résultat obtenu ne doit pas faire crier victoire. Il s'agit d'un compromis entre certaines thèses allemandes et les nôtres. Cet équilibre me fait dire qu'il n'y a pas de "crise" franco-allemande. Il s'agit, tout simplement, d'un bon compromis, où la conception française de l'Europe, celle d'une construction politique, trouve sa place. L'arbre toutefois ne doit pas cacher la forêt, l'accessoire effacer l'essentiel.
Le premier train de l'euro est maintenant lancé. La France y participe. Comment aurait-il pu en être autrement ? Si l'événement était programmé et inscrit dans le marbre d'un traité, sa réalisation, dans les délais et aux conditions souhaitées par le gouvernement, restait incertaine, il y a encore moins d'un an. Nous y sommes. Nous pouvons nous y reconnaître, tout comme les Français qui nous ont fait confiance, sans les efforts desquels rien n'aurait été possible.
Je ne dissimule pas un certaine satisfaction. Mais prenons garde maintenant à ne pas relâcher ces efforts. Car le débat se déplace, mais ne s'interrompt pas. D'autres enjeux sont devant nous, pour bien vivre avec l'euro. Quelles conséquences sociales, fiscales ? Quel type d'harmonisation sera nécessaire ? Ce sont des enjeux très concrets. L'euro n'est pas une fin en soi, il n'est en effet qu'une première étape, qu'un instrument. Il s'agit non seulement d'en faire un facteur favorable à la croissance et à l'emploi, mais aussi de parvenir à un nouvel équilibre de développement, de refonder un modèle européen conciliant compétitivité économique et progrès social.
C'est ainsi, et seulement ainsi, que nous parviendrons à faire adhérer les peuples à ce qui est encore trop souvent perçu comme une idée lointaine, une entreprise un peu désincarnée où n'apparaît que de la contrainte. L'Europe doit être ou redevenir un projet.
Je suis convaincu que notre responsabilité première est de répondre à ce qui soucie nos compatriotes. D'où cette priorité accordée par le gouvernement à la réorientation de la construction européenne dans un sens favorable à la croissance, à l'emploi et à la cohésion sociale. A cet égard, le Conseil européen de Cardiff, en juin prochain, constitue la prochaine échéance importante. Les Quinze y présenteront leurs plans nationaux pour l'emploi et continueront la mise en place d'une stratégie européenne coordonnée de lutte contre le chômage.
Vous connaissez la part active prise par la France dans ce processus depuis juin dernier. Les orientations décidées au Conseil européen de Luxembourg en novembre 1997 sont mises en oeuvre. Notre mobilisation reste entière pour avancer sur cette voie nouvelle.
Je continue de penser qu'il y a plusieurs façons de vivre avec l'euro, qui n'est qu'un instrument.
Mon propos n'est pas aujourd'hui de dresser devant vous un tableau complet de la construction européenne. Mais le contexte actuel ne saurait être présenté sans rappeler que le processus d'élargissement est maintenant lancé. Les autres grands dossiers, liés à la perspective d'une Europe élargie, sont ouverts : je fais référence d'abord à la réforme des politiques communes et à l'élaboration du cadre financier futur de l'Union européenne, le Paquet Santer. Ce dossier va nous occuper au moins jusqu'au milieu de l'année 99.
Le second thème est celui qu'évoquait le président de la République dans son message, celui de la réforme des institutions européennes. C'est une impérieuse nécessité. Il y va de l'intérêt majeur de l'Union européenne, comme des pays qu'elle s'apprête à accueillir, que de procéder à des réformes profondes.
Le simple accroissement du nombre d'Etats membres entraîne, si rien n'est fait, un effet mécanique de dilution, d'engorgement et de paralysie.
Je suis frappé de constater le succès en France de cette manifestation depuis son instauration par le Conseil européen de Milan en juin 1985. Il apparaît que notre pays se place régulièrement en tête par le nombre de manifestations, en comparaison des autres Etats membres. Je rappelle que 3000 manifestations ont eu lieu chez nous en 1997, sur un total de 6000 en Europe. Environ 3600 événements sont recensés cette année.
Certains y verront peut-être notre goût immodéré pour le passé et le culte de la mémoire nationale. Vous avez tous à l'esprit les grandes célébrations qui scandent cette année notre vie collective : l'Edit de Nantes, le "J'accuse" de Zola, la révolution de 1848, l'abolition de l'esclavage, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Il est vrai que c'est une caractéristique française, mais qui peut en nier l'importance ?
A travers ce rapide survol historique, je souhaite simplement souligner toute l'importance qui doit être attachée à une telle démarche. Tel était d'ailleurs le sens de l'initiative des Quinze en instaurant la Journée de l'Europe. Il s'agit bien de contribuer à créer une mémoire collective pour célébrer les grands actes fondateurs de notre pays, de notre nation, des Communautés, de notre Europe.
Pour ma part, j'y vois deux enseignements d'une actualité toujours aussi forte.- Le premier renvoie à la symbolique de l'Union. Après la seconde guerre, la mise en commun de ressources telles que le charbon et l'acier était emblématique de la volonté des Nations de bannir la guerre et de se réconcilier, alors même que leur puissance était traditionnellement mesurée à l'aune des tonnages sortant des mines et des hauts fourneaux. Aujourd'hui, la souveraineté que nous acceptons librement de partager s'incarne dans la monnaie.
A près de 50 ans d'intervalle, nous retrouvons le même "ferment d'une communauté plus large et plus profonde", pour reprendre les termes de Robert Schuman.
- Le second enseignement, tu l'as dit, Jean-Louis, est d'ordre méthodologique. Jean Monnet et Robert Schuman - deux français - sont les pères de ce qu'il est convenu d'appeler la méthode communautaire. Là aussi, la déclaration du 9 mai 1950 garde toute sa valeur opérationnelle : "L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait." Au fil du temps, c'est ainsi que l'Europe s'est construite. Et les résultats dans le domaine de l'Union économique et monétaire en constituent l'illustration la plus récente. Comment, là encore, ne pas souligner la place qu'y ont pris des responsables français, - et on comprendra qu'auprès du Président de la République, Jacques Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin, je cite les noms de Valéry Giscard d'Estaing, de Jacques Delors et de François Mitterrand.
Vous partagerez donc ma détermination à donner à cette Journée de l'Europe toute sa portée, en cherchant avant tout à valoriser et à amplifier les initiatives de tous les partenaires mobilisés à cette occasion, qu'il s'agisse des collectivités locales, des associations, des établissements d'enseignement, des administrations ou des entreprises. Je considère en effet que tous ces acteurs ont un rôle important à jouer pour mieux faire comprendre et aimer l'Europe.
Un dernier mot pour dire comment mon ministère s'associe à cette Journée de l'Europe. Comme je l'avais annoncé lors du lancement de la campagne "Vivre l'Europe" le 9 avril dernier, les actions culmineront en cette semaine.
- Hier, une série de conférences de presse a été donnée par les Préfets de région pour valoriser les apports concrets de l'Union européenne.
- Aujourd'hui, je me rendrai, juste après vous avoir quitté, dans un centre Leclerc à Bois d'Arcy. J'ai souhaité en effet mettre en place une campagne de communication de proximité, dans les lieux de vie des Français, pour mettre en pratique ma volonté, celle du gouvernement, inlassablement répétée depuis maintenant près d'un an : rendre l'Europe populaire. Dans cet esprit, un partenariat a été conclu avec le groupe de Michel-Edouard Leclerc, dont l'engagement en faveur de l'Europe est ancien et connu.
Dans une trentaine d'hypermarchés dans toute la France, des stands seront installés du 6 au 9 mai. Animés par des acteurs du monde associatif, ils permettront une meilleure connaissance de l'Europe, notamment grâce à la distribution des brochures "Vivre l'Europe".
- Ce soir, je participerai entre 21h30 et 22h30 à un forum AOL pour répondre aux questions des internautes.
- Dans le même esprit, j'ai souhaité contribuer au plein succès de cette édition de la Journée de l'Europe. Nous avons aussi mis à la disposition du Comité d'organisation un serveur vocal avec un numéro facile à retenir (0 803 09 05 98), facile à retenir surtout pour les militants européens. Une campagne d'annonce dans la presse quotidienne régionale aura lieu le 6 mai.
- Pour ma part, je serai à Besançon samedi prochain, pour célébrer, au milieu de ceux qui me sont les plus proches, cet événement.
Pour conclure, je souhaite d'abord féliciter le Mouvement européen pour son engagement actif. Il me reste aussi à féliciter et encourager les femmes et les hommes qui se mobilisent chez nous pour rendre l'Europe populaire. Je sais qu'ils sont nombreux. Je me sens en communion avec eux. Et n'oublions pas de faire la fête !
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2003)
ENTRETIEN AVEC LES INTERNAUTES FRANCAIS SUR "AOL FRANCE" (Paris, 5 mai 1998)
Q - Monsieur le Ministre, pourquoi la France s'est-elle ridiculisée à exiger une présidence française de la BCE ? De deux choses l'une : ou cette banque est indépendante et peu importe la nationalité de son responsable, ou elle ne le sera pas et on ne voit pas l'utilité de faire l'euro...
R - Mais ce n'est pas ridicule. C'était un problème très important. La question était de savoir si c'était aux politiques ou aux banquiers centraux de nommer le président de la Banque centrale. La France a toujours pensé que l'Europe était politique. Il fallait donc se battre pour cela.
Q - La fête de l'euro a été gâchée par la querelle à propos de la présidence à la tête la Banque centrale européenne (BCE). Pouvez-vous nous dire quels enjeux représentent cette présidence ? Pourquoi semble-t-elle si importante ?
R - La Banque centrale européenne a un rôle essentiel. Elle va diriger toute la politique monétaire européenne et d'abord fixer les taux d'intérêt en Europe. Sa présidence est donc très importante. Même si la Banque centrale est indépendante, il est nécessaire que la désignation de son président soit faite par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Q - Pour quelle raison fallait-il un Français à la BCE ?
R - Pour des raisons politiques. La France a toujours été un pays très présent dans les institutions financières internationales. Le siège de la Banque centrale est à Francfort en Allemagne. Il était donc important que le président de la Banque centrale européenne soit un Français très rapidement.
Q - Monsieur le ministre, quel bilan tirez-vous de ce week-end si décrié, notamment à l'étranger ?
R - D'abord, j'en retire l'essentiel : l'euro va se faire et on oubliera très vite le débat sur la présidence de la Banque centrale. Ce sera un euro comme nous le voulions, regroupant un très grand nombre d'Etats européens, onze, dont l'Italie. On se souviendra aussi d'une rude bataille politique qui laissera peut-être des traces.
Q - Monsieur le Ministre, à quand un vrai front européen pour développer Internet ?
R - Est ce que vous pensez vraiment avoir besoin de l'Union européenne pour développer Internet ? Les internautes sont assez grands pour cela, mais l'Europe a besoin d'avoir ses propres serveurs.
Q - L'Europe est très active en matière de législation dans tous les domaines. Mais on ne le sait pas. L'Europe ne sait-elle pas communiquer ou est-ce les gouvernements nationaux qui font barrage pour ne pas admettre une réduction de leur pouvoir ?
R - L'Europe a déjà un pouvoir énorme, que certains trouvent plutôt trop grand. Le problème, c'est que la législation européenne est souvent très complexe, et donc difficile à comprendre. Et, c'est vrai, l'Europe ne sait pas bien communiquer, il faudra simplifier tout cela.
Q - Pouvez-vous nous dire si l'euro va réduire le nombre de chômeurs en 1999 et combien ?
R - On ne peut pas vraiment dire cela ne serait pas exact. Ce qui est vrai, c'est que l'euro signifie une certaine confiance et donc, un certain climat pour les entreprises, il permet aussi d'avoir des taux d'intérêts très bas et donc, des emprunts moins chers. Au total, il permet la croissance et indirectement favorise l'emploi. Ce dont je suis sûr, c'est que sans l'euro, le chômage serait encore bien plus important et que la situation se dégraderait.
Q - Sur la question Internet : que vouliez-vous dire par "avoir ses propres serveurs" ?
R - Il existe déjà des serveurs qui portent sur les questions européennes. Par exemple, il y a le serveur de Sources d'Europe : "www.info-europe.fr", ou celui du ministère des Affaires étrangères "www.france-diplomatie.fr" et la Commission européenne a le sien : "europa.eu.int", le Parlement européen en a aussi un...
Q - Les pilotes privés ont, ce week-end, manifesté pour obtenir la libre circulation des personnes prévue par les Accords de Schengen. Pourquoi les administrations françaises ont autant de mal à accepter le changement ?
R - Parce que ce sont des administrations ... je plaisantais, bien sûr ! Encore une fois, on retrouve le problème d'une législation complexe qui a besoin d'être adaptée dans les droits nationaux. Il n'y a aucune mauvaise volonté, et les choses vont progressivement se mettre en place.
Q - L'euro va-t-il faire diminuer le taux de la TVA ?
R - L'euro, je ne sais pas, mais l'Europe, j'espère, notamment sur les produits qui ont un fort contenu en main d'oeuvre. C'est nécessaire pour développer l'emploi. Nous allons faire des propositions à l'Europe là-dessus.
Q - Le principe de la monnaie unique est acquis mais on peut s'interroger sur ce que sera la prochaine étape de la construction européenne ? Pouvez-vous nous présenter celle qui vous semble la plus opportune ?
R - Je pense à l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, comme la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, hier communistes, et qui souhaitent nous rejoindre. C'est la grande échéance pour le début du prochain siècle, celle de la réunification de toute l'Europe.
Q - Monsieur le Ministre, l'euro doit-il nous permettre une unification des charges sociales en Europe et par là, avoir des coûts de fabrication plus proches les uns des autres ou pas ?
R - Il faut qu'il y ait des coûts de fabrication plus proches, mais cela n'implique pas l'uniformisation des charges sociales. Par exemple, en France, les salaires sont plus bas qu'en Allemagne, mais il faudra éviter d'avoir des prix plus élevés que nos concurrents.
Q - Comment peut-on affirmer que "sans l'euro, le chômage s'aggraverait" ? Quels sont les arguments objectifs et pertinents plutôt que ce "il est évident que..." qui relève davantage du dogme ?
R - Je n'affirme rien, je ne suis pas dogmatique, ni croyant, je sais seulement qu'avec des taux d'intérêt plus élevés les entreprises et les consommateurs souffrent. Je sais aussi ce que nous coûtent les dévaluations de nos partenaires. Tout cela crée du chômage. Avec l'euro, ces problèmes disparaissent.
Q - Que représente la "puissance" de l'euro vis-à-vis du dollar ?
R - Nous sommes déjà la première puissance économique du monde, la première puissance commerciale, nous avons une population plus importante que les Etats-Unis, tout cela à condition que nous soyons unis. Et demain, l'euro sera la monnaie de cette puissance, il doit devenir un instrument de réserve et d'échanges tout à fait comparable au dollar.
Q - La prochaine étape est-elle un gouvernement économique européen pour gérer l'euro. Est-ce nécessaire et quelle forme prendra-t-il ?
R - C'est indispensable, si la Banque centrale est indépendante, il faut qu'elle ait en face d'elle une autorité politique qui agisse pour la croissance et l'emploi. C'est pour cela que Dominique Strauss-Kahn a proposé la création d'un conseil de l'euro qui réunira les ministres de l'Economie et des Finances des onze pays sélectionnés.
Q - Les institutions européennes actuelles peuvent-elles prétendre devenir un gouvernement européen ? Si non, quelles propositions institutionnelles vous paraissent devoir être discutées ?
R - Non, cela ne marche plus, il faut réformer les institutions européennes, les rendre plus efficaces, capables à nouveau de décider notamment par ce qu'on appelle le vote à majorité qualifiée, c'est-à-dire la fin de l'unanimité sur tous les sujets, et elles doivent être aussi plus démocratiques.
Q - On parle beaucoup de l'Europe économique et monétaire, beaucoup moins de l'Europe sociale. L'euro ne risque t-il d'installer la précarité de l'emploi à l'instar du modèle anglo-saxon ?
R - Il y a un risque, si on laisse le marché tout faire. Mais, l'Europe n'est pas que le marché. C'est un ensemble politique dont l'aspect social doit être puissamment renforcé, il faudra y veiller dans les années qui viennent.
Q - Combien gagne le président du Parlement européen ?
R - Je ne sais pas, car je n'ai jamais été président du Parlement européen, mais, j'ai été député européen de base et c'était déjà bien payé, à peu près 35 000 francs par mois, avec des indemnités pour payer deux collaborateurs et des frais de transport. Il n'y a pas à se plaindre, mais ce n'est pas immérité.
Q - L'euro va-t-il faciliter le commerce extérieur des entreprises qui exportent aux Etats-Unis ?
R - Oui, à condition que le dollar reste aussi fort qu'il l'est aujourd'hui et donc que l'euro ne soit pas surévalué, ce qui est le cas et qui doit le rester. Un euro stable, c'est bien, un euro trop fort, ce n'est pas bon pour le commerce.
Q - Qu'allez-vous faire dans les mois qui viennent sur le volet social du Traité d'Amsterdam ? Y a-t-il quelque chose de concret qui est prévu ?
R - Il faut déjà ratifier le Traité d'Amsterdam, et il faut le faire justement parce qu'il comporte des progrès sociaux. Ensuite, nous devrons développer le dialogue social européen pour éviter de nouveaux Vilvorde et aussi garantir la protection sociale.
Q - Franco-polonais de naissance, j'ai fait mes études de médecine en Pologne. J'habite en France depuis 12 ans et je ne peux pas exercer ma profession. Je souhaite savoir où en est l'intégration de la Pologne et notamment la reconnaissance des diplômes.
R - Je n'ai pas de réponse précise à votre question. La Pologne est candidate à l'Union européenne et son adhésion prendra un peu de temps, mais le problème de l'équivalence des diplômes, notamment en médecine, est redoutablement compliqué, même entre les Etats de l'Union européenne, écrivez-moi.
Q - Etes-vous favorable à l'idée d'une constitution européenne qui marquerait la volonté de l'Europe de s'affirmer comme une puissance politique, et qui permettrait une meilleur répartition des compétences entre l'Union européenne et les nations qui la composent ?
R - Pourquoi pas ? Mais il faut sans doute être plus pragmatique si l'on veut avancer. Comme l'Europe est très compliquée, il vaut mieux réformer les institutions en pratique que de chercher un construction théorique d'ensemble.
Q - Etes-vous vraiment sur de la réussite de l'euro ?
R - Non, l'euro est un combat. Pour le réussir, il fallait remplir des critères économiques, c'est fait. Maintenant, il faut aussi convaincre que l'euro peut être utile pour l'emploi. Nous nous battons pour cela. J'ai confiance, mais rien n'est évident.
Q - Monsieur le Ministre, que la France ait la vice-présidence de la BCE est-ce un handicap ou au contraire est-ce préférable d'avoir la présidence dans quatre ans seulement ?
R - Tout cela ne pose pas de problème, car nous aurons l'un et l'autre, la vice-présidence tout de suite, et la présidence dans 4 ans. Cela va plutôt bien pour nous.
Q - Qu'allez-vous mettre en place pour que nos grand-mères, qui sont encore en anciens francs, s'y retrouvent ?
R - C'est un vrai problème. Je ne parle pas des grand-mères, mais de la conversion en euro ... Il faudra sans doute un grand travail de pédagogie. Par exemple, les centres Leclerc, avec qui je travaille, distribuent des calculettes pour effectuer simplement les conversions, ce n'est pas une publicité. Mais on ne peut pas empêcher le fait qu'une nouvelle monnaie dérange les habitudes.
Q - Comment peut-on être la première puissance économique et commerciale mondiale quand l'ensemble de nos places boursières capitalisent 4 fois moins que Wall Street ?
R - Vous parlez de la finance. Je parle du commerce et de l'économie et ce n'est pas la même chose. Je pense par ailleurs que l'euro va donner un coup de fouet extraordinaire aux places financières européennes. Rendez-vous dans quatre ans.
Q - J'aimerais connaître votre point de vue sur les perspectives s'offrant aux personnes sourdes grâce a l'Union européenne.
R - Le Traité d'Amsterdam pose le principe de la non-discrimination des personnes, notamment en fonction des handicaps. Par ailleurs l'Union européenne met en place des programmes comme le programme Hélios, justement destinés à aider les personnes handicapées. Je suis persuadé que l'Union européenne est un facteur d'égalité entre les individus. Cela vaut bien sûr aussi pour les personnes sourdes.
Q - Peut-on redouter une volte-face de l'Allemagne suite au changements politiques actuels et au pouvoir controversé d'Helmut Kohl ? Si oui, cela peut-il remettre en cause l'implication française et le système euro en entier ?
R - Il n'y a rien à craindre, les gouvernements passent, les Etats restent. La parole de l'Allemagne, comme celle de la Hollande ou celle de la France est engagée, et ses promesses seront tenues.
Q - N'aurait-il pas été plus judicieux de garder les noms des monnaies locales des pays de l'Union européenne (franc, livre etc.) et de les mettre toutes au même cours ? Psychologiquement peut-être plus acceptable par les populations ?
R - Cela existe déjà. Les cours des monnaies sont fixes depuis des années. Cela ne serait pas l'euro et le coût politique serait beaucoup plus faible. L'euro, c'est peut-être plus difficile, mais c'est mieux comme cela.
Q - Serait-il possible que d'autres pays s'assemblent contre l'Europe pour rivaliser ?
R - Dans notre galaxie ? Il y a déjà les Etats-Unis et c'est suffisant.
Q - Comment expliquer que Jacques Chirac, qui déteste Jean-Claude Trichet, se soit acharné à défendre sa candidature pour la BCE, au point de gâcher la fête européenne que constituait le lancement de l'euro ?
R - Il faut croire que Jacques Chirac adore Jean-Claude Trichet. Plus sérieusement, la politique n'est pas affaire de personnes, contrairement à ce que l'on pense trop souvent, parfois à juste titre, il faut le reconnaître. C'est aussi une question d'intérêt général et d'intérêt national. Ce n'est donc pas l'homme, Jean-Claude Trichet que Jacques Chirac a défendu, mais le gouverneur de la banque centrale française.
Q - Y a-t-il un risque d'évasion fiscale vers des pays européens à imposition moins lourde ? Y aura-t-il un jour harmonisation fiscale (de préférence à la baisse...) ?
R - Il y a des risques, mais il faudra y répondre par une harmonisation fiscale vers le haut, ce qui ne veut pas dire à la hausse, mais signifie qu'il faut moins imposer le travail, et davantage les revenus du capital.
Q - La Russie attend beaucoup de l'Union européenne. Quels sont les interlocuteurs politiques du président Eltsine ?
R - Pour l'instant, rien n'a changé, ce sont toujours les mêmes Helmut Kohl, Tony Blair, Jacques Chirac, Lionel Jospin et les autres. Cela changera le jour où l'Europe aura un président ou un gouvernement.
Q - Si les pays d'Asie surenchérissent avec une monnaie unique pour leur zone, à quand une monnaie mondiale d'après vous ?
R - Sans doute jamais, mais si le Système monétaire international s'organisait autour de trois zones, une zone dollar, une zone euro et une zone asiatique, ce serait un gros progrès.
Q - Pourquoi l'Angleterre n'a-t-elle pas voulu entrer dans l'euro ?
R - Sans doute parce qu'elle n'était pas prête. Les Anglais ne sont pas assez pro-européens mais c'est en train d'évoluer et je suis sûr que la livre sera partie intégrante de l'euro.
Q - Avec l'Europe, pourra-t-on obliger les Anglais à rouler à droite et à uniformiser leurs unités ?
R - L'Europe n'est pas l'uniformité. Elle n'a pas vocation à changer les identités nationales ou à brider les moeurs. Les Anglais resteront les Anglais.
Q - Pourquoi toujours parler de la place de la France dans l'euro avant de réfléchir à ce qui est bon ou mauvais pour l'Europe ?
R - Il n'y a pas de contradictions, on peut tout à fait être français et européens.
Pourquoi ce qui est bon pour la France ne serait pas bon pour l'Europe, et réciproquement ?
Q - Combien coûtent les institutions européennes à chaque Français ?
R - Sur le budget de la France, c'est-à-dire environ 1 600 milliards de francs, à peu près 90 vont à l'Europe. C'est beaucoup et c'est peu, car l'Europe nous en rend à peu près autant, notamment pour l'agriculture et les régions en difficultés. Au total, l'Europe nous "coûte" à peu près 3 milliards de francs pour 60 millions d'habitants, ce n'est pas trop cher.
Q - C'était la dernière question... Voulez-vous ajouter quelques mots pour conclure ?
R - Oui, l'euro c'est très bien, mais ce n'est pas toute l'Europe. L'Europe que nous voulons doit être plus politique, plus sociale, plus démocratique, plus populaire, bref, j'ai encore du pain sur la planche !
Q - Monsieur le Ministre, merci beaucoup d'avoir participé à cet auditorium sur AOL.
R - Nous n'avons pas pu répondre à toutes les questions, nous allons le faire dans les prochains jours.
ENTRETIEN AVEC "RMC" (Paris, 6 mai 1998)
Q - Le 71ème Sommet franco-allemand a lieu tout à l'heure à Avignon. On a le sentiment que le soleil du Midi sera bien nécessaire pour réchauffer des liens, peut-être malmenés, entre la France et l'Allemagne. Y a-t-il de la vaisselle cassée entre les deux pays ?
R - Non, je ne crois pas. Il y avait deux conceptions qu'on savait un peu différentes : les Allemands sont très attachés à l'indépendance absolue de la Banque centrale, c'est leur culture. Ils souhaitaient pour cela que le candidat néerlandais, M. Duisenberg, soit le président de cette Banque centrale européenne. Et nous, tout en étant également très attachés à l'indépendance de la Banque centrale, nous pensons toujours que l'Europe est un processus de construction politique et donc qu'il fallait que ce soient les politiques - le Conseil européen en l'occurrence - qui nomment le président de la Banque centrale européenne. Et puis, nous voulions aussi qu'un Français soit très vite président de cette banque. Je crois qu'on a trouvé un compromis au total ; ce n'est jamais facile, mais....
Q - Après 12 heures de bataille, y a-t-il des cicatrices ?
R - Mais 12 heures de bataille, cela veut dire aussi que cette affaire n'avait peut-être pas été suffisamment préparée. J'étais là, et j'ai vu qu'on est tout de même arrivé, à la fin, à ce à quoi on aurait pu parvenir au début si on s'était un peu plus parlé. Mais tout cela est très logique : les Allemands ont l'indépendance de la Banque centrale ; M. Duisenberg est le premier président ; M. Trichet est également coopté ou nommé par anticipation par le Conseil européen, et il sera le second très vite. Il ne faut pas en faire un drame, honnêtement. Je conçois que le chancelier Kohl ait pu vivre cela assez mal, notamment par rapport à sa propre majorité, par rapport à M. Waigel ou M. Tietmeyer, qui étaient très présents ce jour-là. Mais en même temps, l'amitié franco-allemande reste ce qu'elle est. Et je pense que cela va bien se passer, même si c'est vrai que c'est un peu...
Q - Vous, vous dites cela, Monsieur Moscovici. On a le sentiment que l'opinion allemande est quand même un peu remontée...
R - Il y a une chose qu'il ne faut pas négliger dans l'opinion allemande : c'est qu'elle n'est pas favorable à l'euro. L'euro, pour les Allemands, c'est la renonciation au mark, une monnaie extrêmement forte, qui domine, ou qui dominait.
Q - En plus, par un président français, cela fait beaucoup...
R - Elle trouve surtout que renoncer au mark, et puis avoir la sensation que, quelque part, des politiques se mêlent de la monnaie, cela fait beaucoup. Alors, si en plus ces politiques sont français, peut-être que cela fait énormément. En même temps, je pense que tout cela ce sont des péripéties au sens où l'arbre ne doit pas cacher la forêt. La forêt c'est qu'on a décidé de faire l'euro ; on a décidé de faire l'euro à Onze ; c'est une percée absolument historique, et je pense que les Allemands comme les autres, en sont, au fond, satisfaits. Le reste, c'est la politique.
Q - Est-ce une péripétie aussi, Monsieur Moscovici, que le ministre des Finances allemand - qui n'est quand même pas n'importe qui - ait déclaré hier que si le président néerlandais, récemment nommé président de la Banque, veut rester plus longtemps à la tête de la BCE, personne ne pourra l'empêcher ?
R - Mais, c'est vrai que personne ne pourra l'empêcher. En même temps, moi qui ai assisté à sa déclaration devant le Conseil européen, où j'étais avec quelques ministres français, aux côtés du président de la République, j'ai bien compris qu'il souhaitait partir, qu'il partirait. Certes, ce serait une décision de son propre chef, mais il partira en 2002, il s'y est engagé. Malgré tout, nous étions dans un Conseil européen, c'est-à-dire au plus haut niveau. Les engagements individuels valent quelque chose. C'est consigné au procès-verbal. Donc, moi, je n'ai pas de doute : la parole donnée sera tenue.
Q - Et pourquoi le ministre allemand a-t-il fait cette déclaration ?
R - Je pense que c'est peut-être à usage interne, pour souligner justement que le président de la Banque centrale européenne reste indépendant, et qu'il s'en ira quand il veut. Il s'en ira quand il veut mais il a dit aussi quand il voudrait.
Q - Monsieur Moscovici, est-ce - parce qu'on en parle comme si c'était une réussite de toute façon promise - qu'il y a un risque que l'euro soit un échec ? Est-ce imaginable ?
R - Je pense que l'euro a franchi samedi et dimanche une étape essentielle. Jusqu'à présent on se posait des questions, on se demandait : cela va-t-il arriver ? Va-t-on respecter les critères, les fameux 5 %, 60 %, etc ? Cette étape-là est derrière nous. La décision est prise, et c'est une décision politique, encore une fois fondamentale et formidable parce qu'on n'a jamais vu cela dans l'histoire - onze pays qui renoncent à leur souveraineté monétaire. Mais il reste des risques devant nous : si l'euro ne signifie pas plus de cohésion sociale, si l'euro venait à menacer les salaires, la protection sociale et l'emploi, alors l'euro serait en difficulté. Donc, n'imaginons pas que tout est fait. Tant qu'on n'a pas dans la poche des pièces et des billets en euros en 2002, je considère qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir. Et ce chemin, c'est adapter tout cela. J'étais hier dans un Centre Leclerc pour traiter de l'Europe au quotidien, et j'ai pu voir que les problèmes qui se posent aux consommateurs sont des problèmes assez sévères : la conversion - nos grands-mères sont encore habituées à calculer un centime et l'euro va réintroduire les centimes, donc cela n'est pas simple -, il y a aussi des problèmes de protection sociale et d'harmonisation fiscale. Il faut réussir la sortie par le haut vers l'euro. Il faut que l'euro soit perçu comme un plus. J'ai confiance mais il faut se battre. L'euro est un combat.
Q - Sur les élections européennes, faut-il, d'urgence, avant les prochaines élections, changer le mode de scrutin ?
R - D'abord, une chose doit être claire ; c'est qu'il vaut mieux changer un mode de scrutin avant les élections qu'après. Je pense que l'affaire des régionales l'aura montré à l'envi. Et donc nous allons changer le mode de scrutin avant les européennes. C'est ce qu'a annoncé le président de la République. C'est ce que le Premier ministre a confirmé dans son interview au Monde, où il disait "qu'il s'agissait d'une priorité". Donc, je pense qu'il faut le faire, et qu'il faut le faire assez vite. Je souhaiterais qu'on ait d'ici à l'été une proposition sur la table, que l'on puisse discuter avec les autres formations politiques. Et mon système, ce serait de garder la proportionnelle - parce que c'est la logique européenne - mais de le faire dans des grandes régions. Parce qu'aujourd'hui, le principal problème du député européen - je l'ai été - c'est que l'on est élu sur une liste nationale. Donc, en fait, il suffit d'avoir un bon numéro sur une liste d'appareil ou de parti, d'être septième, huitième, neuvième - en tant que spécialiste moi j'étais neuvième - pour être député européen, mais sans avoir de compte à rendre à des électeurs. Et aujourd'hui ce n'est pas comme cela que l'on fait de la politique. Il faut faire de la politique autrement, ce n'est pas vous qui me démentirez.
Q - Je ne vais pas vous contredire. Pensez-vous que tout le monde sera d'accord ? Et si tout le monde n'est pas d'accord, imposeriez-vous cette réforme ?
R - C'est vrai que c'est extrêmement compliqué. On sait que pour réformer un mode de scrutin, quel qu'il soit, il faut non pas un consensus - parce qu'un gouvernement doit savoir prendre ses responsabilités - mais un consentement. C'est-à-dire le fait que personne ne se mette à hurler à la mort qu'il est dépossédé. Et nous, nous veillerons bien sûr dans cette affaire à ce que les formations, disons petites - celle qui font moins de 10 %, il y en a quelques-unes à gauche, je pense au Parti communiste, au Mouvement des citoyens, aux Verts -, y retrouvent leur compte. Mais je pense qu'il est possible de les convaincre. J'ai fait des simulations rustiques, à ce stade, qui montrent qu'un mode de scrutin, dans les grandes régions - prenons l'exemple de Midi-Pyrénées-Aquitaine, de la Bretagne, PACA-Languedoc-Roussillon ou des deux Normandies, cela ne déforme pas le résultat des élections. On doit pouvoir parvenir à combiner la proportionnelle et le rapprochement. Je suis optimiste et je suis tout prêt à y travailler. D'ailleurs, j'y travaille.
Q - Si les gens ne consentaient pas, vous l'imposeriez ?
R - Si personne n'est d'accord cela n'a forcément grand intérêt parce que c'est un mode de scrutin, c'est mieux de faire comme cela. Il y a aussi des inconvénients et on peut dire : est-ce que dans la région PACA-Languedoc-Roussillon où il y a huit députés, c'était vraiment des gens proches ? Ce n'est pas sûr. Et donc, je reçois aussi les inconvénients. Il faut convaincre que c'est un bon mode de scrutin. Je crois que c'est quelque chose d'important parce qu'on ne peut pas parler de la modernisation de la vie publique et ne pas la faire.
Q - Retour sur l'euro, dont vous savez mieux que personne, que c'est une affaire fondamentale pour la France et que cela va gouverner beaucoup de choses de notre vie quotidienne. N'est-il pas inquiétant - même si c'était connu, et je sais bien que c'était connu à l'avance - que deux partis de l'opposition aient, ensemble et en totalité voté contre l'euro ?
R - Si, c'est tout à fait inquiétant. C'est même un peu bizarre s'agissant de l'un deux, le RPR, parce que nous savions que les partis de l'opposition allaient voter contre.
Q - Oui, mais cela ne change rien...
R - Ce sont des partis qui représentent à eux deux 40 députés. Mais quand même, lorsque le parti du président, ou celui qui était le parti du président, ne vote pas comme voudrait le président, cela pose un petit problème au sein de l'opposition. Cela pose aussi un problème de gouvernement, parce que c'est un très grand parti. Ce parti est-il encore européen ? L'histoire retiendra, comme le dit Dominique Strauss-Kahn, que Philippe Seguin était contre l'euro avant, et qu'il était toujours contre au moment où il s'est fait. C'est finalement, là aussi, par-delà les péripéties, ce qu'il faudra retenir.
Q - On retiendra aussi, quand même, que vous préférez parler de vos adversaires que des problèmes de votre parti.
R - Il n'y a pas de problème.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2003)
ENTRETIEN AVEC "L'EST REPUBLICAIN" (Metz, 9 mai 1998)
Q - La Journée de l'Europe, vous ne croyez pas que cela fait un peu gadget ?
R - On pourrait pousser le raisonnement et qualifier de gadget toute forme de célébration. Ce n'est pas ma vision des choses. Il est important de commémorer la République, chaque 14 juillet. Il est important de célébrer la fin de la Première guerre mondiale, le 11 novembre, celle de la Seconde le 8 mai. De même, je crois qu'il est symboliquement fort de célébrer chaque année l'anniversaire du 9 mai 1950. Que s'est-il passé ce jour-là ? Le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Robert Schuman, a proposé à l'Allemagne et aux autres pays européens qui voudraient s'y associer, de fusionner avec la France leur production de charbon et d'acier, pour abolir entre eux, à tout jamais, la guerre. Fêter le 9 mai, c'est donc célébrer 50 ans de paix et de prospérité en Europe. Ce n'est pas ce que j'appelle un gadget, même si je préférerais, bien sûr, que chaque jour soit une "Journée de l'Europe" !
Q - Vous pensez vraiment que cela peut servir à donner aux Français une vision plus concrète de la construction européenne ?
R - Oui. Je suis très frappé de voir comment, le 9 mai, les initiatives de terrain deviennent chaque année plus nombreuses. Elles se chiffrent par milliers à travers toute la France - 3600 sont prévues ce 9 mai - et sont le fait des citoyens : des associations, des mairies, des lycées, des syndicats se mobilisent, le plus souvent pour illustrer tel ou tel aspect pratique de l'Europe. A Besançon, l'hôtel de ville organise ainsi cette année une grande exposition pour expliquer l'euro. Moi-même, j'irai, samedi 9 mai, au Centre Leclerc de Montbéliard, dans le cadre plus vaste de la campagne "Vivre l'Europe", que je viens de lancer pour rendre l'Europe proche et populaire. Il s'agit justement de montrer à nos concitoyens que l'Europe c'est aussi une meilleure défense de l'environnement, une meilleure protection de la santé, plus de croissance et d'emplois...
Q - Avec du recul et après le Sommet franco-allemand d'Avignon, que pensez-vous du Sommet de Bruxelles ?
R - Ce que l'Histoire retiendra du Sommet de Bruxelles c'est d'abord le lancement de l'euro, c'est cette formidable aventure qui voit, pour la première fois, 11 grands pays européens unir pacifiquement leurs monnaies. Le reste, comme la nomination difficile du président de la Banque centrale européenne, ce ne sont que des péripéties. Nous sommes parvenus à un bon compromis, qui respecte l'indépendance de la Banque centrale européenne, à laquelle les Allemands sont très attachés, mais qui fait aussi toute sa place à la conception française de l'Europe, comme construction politique : il était normal que les chefs d'Etat et de gouvernement prennent leurs responsabilités, normal aussi qu'un Français soit appelé très vite à présider la Banque centrale européenne qui sera située, il faut le rappeler, à Francfort. Je laisse les critiques à certains intégristes du monétarisme. A Avignon, j'ai pu constater à quel point l'amitié franco-allemande restait bien vivante, et je m'en réjouis.
Q - Pour simplifier ou tout simplement rationaliser le fonctionnement de l'Europe, ne faudrait-il pas modifier les institutions ?
R - Evidemment, et très vite ! A Quinze déjà, cela marche de moins en moins bien. Il faut, au sein du Conseil, qui rassemble les ministres des Etats membres de l'Union, pouvoir voter plus souvent à la majorité. Il faut que la Commission européenne, qui est l'organe de proposition et d'exécution de l'Europe, voit sa composition plus ramassée : on pourrait imaginer, comme dans les gouvernements nationaux, des commissaires européens dotés de vastes portefeuilles d'attributions, avec d'autres qui seraient leurs adjoints. J'ai fait des propositions en ce sens au Premier ministre. Je pense que la France reprendra bientôt l'initiative dans ce domaine. Et le concours de Jacques Delors pourrait être utile.
Q - L'euro est né mais c'est encore une réalité virtuelle. Comment préparer les esprits à son avènement ?
R - Dès le 1er janvier 1999, beaucoup de choses vont se faire en euros : par exemple, tous les mouvements d'argent d'une banque à l'autre se feront dans la monnaie européenne. Mais c'est seulement à partir de 2002 que commenceront à circuler les billets et les pièces en euro. Car il faut fabriquer cette monnaie et cela ne peut se faire en un jour. Lundi prochain, j'irai avec Dominique Strauss-Kahn à Pessac, en Gironde, pour lancer la frappe des premières pièces en euro. C'est donc seulement à partir de 2002 que les familles devront se mettre à compter tous les jours avec cette nouvelle monnaie. D'ici là, il y aura de grandes campagnes d'information, pour que les Français apprennent à connaître la valeur de l'euro, pour qu'ils sachent qu'ils ne perdront rien au change lors du changement de billets ... Au contraire, ils vont découvrir qu'ils pourront voyager presque partout en Europe sans changer d'argent. Et lorsqu'ils se rendront hors d'Europe, ils auront dans leur poche une monnaie aussi respectée et aussi forte que le dollar.
Q - Que faut-il attendre de la monnaie unique ?
R - L'euro sera une grande monnaie, qui donnera une formidable puissance aux Européens dans l'économie mondiale. L'euro va très vite devenir, dans les bourses du monde entier, une monnaie de placement, un instrument de réserve à la hauteur du dollar. Et nous allons attirer vers nous de plus en plus de richesse.
Q - Comment convaincre le citoyen moyen que l'euro est une chance pour le Vieux Continent ?
R - Le Vieux Continent aura maintenant une monnaie jeune, plus solide que le dollar. Ainsi, demain, au lieu d'acheter notre pétrole en dollars, nous le paierons sans doute avec notre propre monnaie, l'euro. Plus concrètement, pour tous les Français, l'euro, cela signifie un marché européen plus vaste, plus fluide, des taux d'intérêt plus bas, donc plus de croissance et à terme plus d'emplois.
Q - De quelle liberté chaque pays disposera-t-il pour définir sa politique économique et sociale dès lors qu'il est pris dans le carcan de l'euro ?
R - L'euro n'est pas un carcan. Au contraire, il nous rend des marges de manoeuvre que nous avions perdues, avec un franc qui était devenu une monnaie accrochée, presque soumise, au mark. L'euro n'est pas une fin en soi. Il peut et doit être un instrument au service du progrès économique et social. Il est normal que les pays qui auront l'euro en partage coordonnent leurs politiques budgétaires et fiscales. C'est l'objet du Conseil de l'euro, dont nous avons obtenu la création, qui regroupera les ministres de l'Economie et des Finances de la zone euro et qui se réunira pour la première fois début juin. Mais pour nous, l'harmonisation fiscale et sociale doit se faire par le haut. Avec l'euro, nous avons une bonne occasion de faire disparaître les distorsions de concurrence qui existent en Europe. Il faudra, pour y parvenir, mener un combat politique : les forces du marché n'iront pas spontanément dans ce sens et elles doivent être équilibrées par une action volontariste.
Q - Tout cela n'a de sens que si l'Europe politique suit l'Europe monétaire. Est-ce possible car plus d'Europe signifie moins de souveraineté des Etats ?
R - L'union monétaire, ce n'est pas seulement la fusion des monnaies, c'est aussi un acte politique fort. Mais il ne faut pas raisonner en termes de perte de souveraineté. L'autonomie de notre politique monétaire, par rapport au mark, par rapport au dollar, était depuis longtemps devenue une illusion, nous le savons bien. Avec l'euro, au contraire, nous retrouvons, collectivement, notre souveraineté : ce sera une souveraineté partagée entre les Européens, mais nous serons ensemble, plus puissants. C'est la même chose avec l'Europe politique. Si, demain, nous faisons travailler ensemble les armées française, allemande et anglaise, et si nous avons ainsi plus de poids pour faire respecter la paix dans le monde, si, d'un autre côté, nous renforçons les droits sociaux et environnementaux, l'égalité entre les hommes et les femmes, les services publics en Europe, qui s'en plaindra ? Moi je suis sûr, au contraire, que les Français y sont prêts.
Q - Sur l'Europe, il y a des divergences au sein de la majorité. Comment gérer ces contradictions ? Et n'est-ce pas la confirmation que l'Europe n'est pas l'idée la mieux partagée aussi bien à droite qu'à gauche ?
R - La gauche, c'est vrai, est diverse sur l'Europe. Mais l'euro a fait exploser le RPR et la droite ! Les différences au sein de la majorité existaient avant les élections de juin 1997. Nous ne les avons pas cachées aux Français. Nos concitoyens se sont exprimés, en toute connaissance de cause : au sein de la majorité plurielle, le Parti socialiste occupe la première place. Chacun connaît ses convictions européennes anciennes et profondes, et aussi sa volonté de rééquilibrer l'Europe, pour qu'elle soit au service de la croissance et de l'emploi. Nos partenaires et amis du Parti communiste et du Mouvement des Citoyens reconnaissent d'ailleurs les premiers succès du gouvernement dans cette direction, même s'ils ne sont pas encore complètement convaincus. Cela n'a, en tout cas, rien à voir avec le spectacle affligeant auquel se livre devant nous le RPR, qui a changé quatre fois de position sur l'euro en trois jours, avec toutefois une constante : Philippe Seguin, à l'opposé du président Chirac, était contre l'euro au départ, il est toujours contre à l'arrivée. La cohésion de la majorité plurielle est intacte. Le gouvernement de Lionel Jospin est le pôle de stabilité de la vie politique française, qui en a bien besoin.
EDITORIAL DANS LE NUMERO SPECIAL DE "7 JOURS EUROPE" (Paris, 15 mai 1998)
Le premier train de l'euro est maintenant lancé. Pour avoir été inscrite dans le marbre d'un traité, attendue avec espoir par certains, avec crainte par d'autres, la réalisation de la monnaie unique restait, il y a moins d'un an, encore incertaine.
La France a marqué son engagement irrévocable dans l'entreprise lancée par François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors il y a presque dix ans, rêvée par d'autres fondateurs de l'Europe avant eux, poursuivie par leurs successeurs. Des efforts considérables ont été soutenus pour être au rendez-vous de la convergence et participer à ce grand projet commun. Ils commencent à être récompensés.
Au-delà de cette satisfaction légitime, faisons maintenant face aux autres enjeux devant nous. Bien vivre avec l'euro, tel doit être désormais notre objectif, car la monnaie unique n'est pas une fin en soi. C'est une étape qui doit donner un second souffle à l'Europe que nous voulons sociale et démocratique, tournée vers la croissance et l'emploi. La création du Conseil de l'euro, instance politique de dialogue avec la BCE - et préfiguration d'un gouvernement économique -, la mise en oeuvre d'une stratégie européenne coordonnée de lutte contre le chômage, illustrent la réorientation de la construction européenne dans ce sens, amorcée depuis le Conseil européen d'Amsterdam en juin dernier. Il faut aussi que tous nos concitoyens s'approprient concrètement leur nouvelle monnaie. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour faciliter son introduction.
Facteur de stabilité interne et de puissance vis-à-vis du monde extérieur, l'euro nous offre de nouveaux degrés de liberté dans une souveraineté librement partagée. Dans le contexte de la mondialisation, telle est la seule voie pour nous permettre d'assumer notre destin national.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2003)
le 5 mai 1998
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Vous m'avez convié à participer à la conférence de presse de présentation de l'édition 1998 de la Journée de l'Europe, et je vous en remercie.
Je réponds toujours avec le plus grand plaisir aux invitations du Mouvement européen. Au delà du sens que revêt cette commémoration pour le ministre des Affaires européennes que je suis, c'est d'abord une satisfaction profonde que j'éprouve aujourd'hui, celle de me retrouver au sein de la famille européenne, puisque, vous le savez, j'ai été et je reste des vôtres. Comme aime à le rappeler votre président, Jean-Louis Bourlanges, le premier rôle du Mouvement européen est, paraît-il, de soutenir la politique du ministre des Affaires européennes : je souscris volontiers à cette définition, même si je sais qu'elle est d'abord celle de la courtoisie et de l'humour, elle traduit aussi l'intensité et la qualité de nos échanges.
C'est vrai que la célébration qui nous réunit en ce jour se situe dans un contexte exceptionnellement riche. La Journée de l'Europe arrive dans un moment particulier. Je fais évidemment référence au Conseil européen extraordinaire du 2 mai qui fera date dans l'histoire de la construction européenne.
Vous le savez, les Quinze viennent de décider que 11 pays participeront au lancement de la monnaie unique le 1er janvier 1999. L'euro se fera sur une base large, comme nous l'avons souhaité. Comme prévu, ont été annoncées les parités bilatérales qui s'appliqueront à cette date. L'ensemble du dispositif institutionnel a été parachevé avec la nomination du président de la Banque centrale européenne et des membres de son directoire.
Cette nomination a été obtenue dans des conditions difficiles et surtout longues. Elle a fait couler beaucoup d'encre et de salive. Que l'on ne s'y trompe toutefois pas. Il ne s'agissait pas d'un "combat inutile", contrairement à ce que j'ai pu lire, ici ou là, mais bel et bien d'une question politique importante : qui, en Europe, doit décider ? Des banquiers centraux, des hauts fonctionnaires ou le Conseil européen ? Quelle doit y être la place de la France ? Le résultat obtenu ne doit pas faire crier victoire. Il s'agit d'un compromis entre certaines thèses allemandes et les nôtres. Cet équilibre me fait dire qu'il n'y a pas de "crise" franco-allemande. Il s'agit, tout simplement, d'un bon compromis, où la conception française de l'Europe, celle d'une construction politique, trouve sa place. L'arbre toutefois ne doit pas cacher la forêt, l'accessoire effacer l'essentiel.
Le premier train de l'euro est maintenant lancé. La France y participe. Comment aurait-il pu en être autrement ? Si l'événement était programmé et inscrit dans le marbre d'un traité, sa réalisation, dans les délais et aux conditions souhaitées par le gouvernement, restait incertaine, il y a encore moins d'un an. Nous y sommes. Nous pouvons nous y reconnaître, tout comme les Français qui nous ont fait confiance, sans les efforts desquels rien n'aurait été possible.
Je ne dissimule pas un certaine satisfaction. Mais prenons garde maintenant à ne pas relâcher ces efforts. Car le débat se déplace, mais ne s'interrompt pas. D'autres enjeux sont devant nous, pour bien vivre avec l'euro. Quelles conséquences sociales, fiscales ? Quel type d'harmonisation sera nécessaire ? Ce sont des enjeux très concrets. L'euro n'est pas une fin en soi, il n'est en effet qu'une première étape, qu'un instrument. Il s'agit non seulement d'en faire un facteur favorable à la croissance et à l'emploi, mais aussi de parvenir à un nouvel équilibre de développement, de refonder un modèle européen conciliant compétitivité économique et progrès social.
C'est ainsi, et seulement ainsi, que nous parviendrons à faire adhérer les peuples à ce qui est encore trop souvent perçu comme une idée lointaine, une entreprise un peu désincarnée où n'apparaît que de la contrainte. L'Europe doit être ou redevenir un projet.
Je suis convaincu que notre responsabilité première est de répondre à ce qui soucie nos compatriotes. D'où cette priorité accordée par le gouvernement à la réorientation de la construction européenne dans un sens favorable à la croissance, à l'emploi et à la cohésion sociale. A cet égard, le Conseil européen de Cardiff, en juin prochain, constitue la prochaine échéance importante. Les Quinze y présenteront leurs plans nationaux pour l'emploi et continueront la mise en place d'une stratégie européenne coordonnée de lutte contre le chômage.
Vous connaissez la part active prise par la France dans ce processus depuis juin dernier. Les orientations décidées au Conseil européen de Luxembourg en novembre 1997 sont mises en oeuvre. Notre mobilisation reste entière pour avancer sur cette voie nouvelle.
Je continue de penser qu'il y a plusieurs façons de vivre avec l'euro, qui n'est qu'un instrument.
Mon propos n'est pas aujourd'hui de dresser devant vous un tableau complet de la construction européenne. Mais le contexte actuel ne saurait être présenté sans rappeler que le processus d'élargissement est maintenant lancé. Les autres grands dossiers, liés à la perspective d'une Europe élargie, sont ouverts : je fais référence d'abord à la réforme des politiques communes et à l'élaboration du cadre financier futur de l'Union européenne, le Paquet Santer. Ce dossier va nous occuper au moins jusqu'au milieu de l'année 99.
Le second thème est celui qu'évoquait le président de la République dans son message, celui de la réforme des institutions européennes. C'est une impérieuse nécessité. Il y va de l'intérêt majeur de l'Union européenne, comme des pays qu'elle s'apprête à accueillir, que de procéder à des réformes profondes.
Le simple accroissement du nombre d'Etats membres entraîne, si rien n'est fait, un effet mécanique de dilution, d'engorgement et de paralysie.
Je suis frappé de constater le succès en France de cette manifestation depuis son instauration par le Conseil européen de Milan en juin 1985. Il apparaît que notre pays se place régulièrement en tête par le nombre de manifestations, en comparaison des autres Etats membres. Je rappelle que 3000 manifestations ont eu lieu chez nous en 1997, sur un total de 6000 en Europe. Environ 3600 événements sont recensés cette année.
Certains y verront peut-être notre goût immodéré pour le passé et le culte de la mémoire nationale. Vous avez tous à l'esprit les grandes célébrations qui scandent cette année notre vie collective : l'Edit de Nantes, le "J'accuse" de Zola, la révolution de 1848, l'abolition de l'esclavage, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Il est vrai que c'est une caractéristique française, mais qui peut en nier l'importance ?
A travers ce rapide survol historique, je souhaite simplement souligner toute l'importance qui doit être attachée à une telle démarche. Tel était d'ailleurs le sens de l'initiative des Quinze en instaurant la Journée de l'Europe. Il s'agit bien de contribuer à créer une mémoire collective pour célébrer les grands actes fondateurs de notre pays, de notre nation, des Communautés, de notre Europe.
Pour ma part, j'y vois deux enseignements d'une actualité toujours aussi forte.- Le premier renvoie à la symbolique de l'Union. Après la seconde guerre, la mise en commun de ressources telles que le charbon et l'acier était emblématique de la volonté des Nations de bannir la guerre et de se réconcilier, alors même que leur puissance était traditionnellement mesurée à l'aune des tonnages sortant des mines et des hauts fourneaux. Aujourd'hui, la souveraineté que nous acceptons librement de partager s'incarne dans la monnaie.
A près de 50 ans d'intervalle, nous retrouvons le même "ferment d'une communauté plus large et plus profonde", pour reprendre les termes de Robert Schuman.
- Le second enseignement, tu l'as dit, Jean-Louis, est d'ordre méthodologique. Jean Monnet et Robert Schuman - deux français - sont les pères de ce qu'il est convenu d'appeler la méthode communautaire. Là aussi, la déclaration du 9 mai 1950 garde toute sa valeur opérationnelle : "L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait." Au fil du temps, c'est ainsi que l'Europe s'est construite. Et les résultats dans le domaine de l'Union économique et monétaire en constituent l'illustration la plus récente. Comment, là encore, ne pas souligner la place qu'y ont pris des responsables français, - et on comprendra qu'auprès du Président de la République, Jacques Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin, je cite les noms de Valéry Giscard d'Estaing, de Jacques Delors et de François Mitterrand.
Vous partagerez donc ma détermination à donner à cette Journée de l'Europe toute sa portée, en cherchant avant tout à valoriser et à amplifier les initiatives de tous les partenaires mobilisés à cette occasion, qu'il s'agisse des collectivités locales, des associations, des établissements d'enseignement, des administrations ou des entreprises. Je considère en effet que tous ces acteurs ont un rôle important à jouer pour mieux faire comprendre et aimer l'Europe.
Un dernier mot pour dire comment mon ministère s'associe à cette Journée de l'Europe. Comme je l'avais annoncé lors du lancement de la campagne "Vivre l'Europe" le 9 avril dernier, les actions culmineront en cette semaine.
- Hier, une série de conférences de presse a été donnée par les Préfets de région pour valoriser les apports concrets de l'Union européenne.
- Aujourd'hui, je me rendrai, juste après vous avoir quitté, dans un centre Leclerc à Bois d'Arcy. J'ai souhaité en effet mettre en place une campagne de communication de proximité, dans les lieux de vie des Français, pour mettre en pratique ma volonté, celle du gouvernement, inlassablement répétée depuis maintenant près d'un an : rendre l'Europe populaire. Dans cet esprit, un partenariat a été conclu avec le groupe de Michel-Edouard Leclerc, dont l'engagement en faveur de l'Europe est ancien et connu.
Dans une trentaine d'hypermarchés dans toute la France, des stands seront installés du 6 au 9 mai. Animés par des acteurs du monde associatif, ils permettront une meilleure connaissance de l'Europe, notamment grâce à la distribution des brochures "Vivre l'Europe".
- Ce soir, je participerai entre 21h30 et 22h30 à un forum AOL pour répondre aux questions des internautes.
- Dans le même esprit, j'ai souhaité contribuer au plein succès de cette édition de la Journée de l'Europe. Nous avons aussi mis à la disposition du Comité d'organisation un serveur vocal avec un numéro facile à retenir (0 803 09 05 98), facile à retenir surtout pour les militants européens. Une campagne d'annonce dans la presse quotidienne régionale aura lieu le 6 mai.
- Pour ma part, je serai à Besançon samedi prochain, pour célébrer, au milieu de ceux qui me sont les plus proches, cet événement.
Pour conclure, je souhaite d'abord féliciter le Mouvement européen pour son engagement actif. Il me reste aussi à féliciter et encourager les femmes et les hommes qui se mobilisent chez nous pour rendre l'Europe populaire. Je sais qu'ils sont nombreux. Je me sens en communion avec eux. Et n'oublions pas de faire la fête !
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2003)
ENTRETIEN AVEC LES INTERNAUTES FRANCAIS SUR "AOL FRANCE" (Paris, 5 mai 1998)
Q - Monsieur le Ministre, pourquoi la France s'est-elle ridiculisée à exiger une présidence française de la BCE ? De deux choses l'une : ou cette banque est indépendante et peu importe la nationalité de son responsable, ou elle ne le sera pas et on ne voit pas l'utilité de faire l'euro...
R - Mais ce n'est pas ridicule. C'était un problème très important. La question était de savoir si c'était aux politiques ou aux banquiers centraux de nommer le président de la Banque centrale. La France a toujours pensé que l'Europe était politique. Il fallait donc se battre pour cela.
Q - La fête de l'euro a été gâchée par la querelle à propos de la présidence à la tête la Banque centrale européenne (BCE). Pouvez-vous nous dire quels enjeux représentent cette présidence ? Pourquoi semble-t-elle si importante ?
R - La Banque centrale européenne a un rôle essentiel. Elle va diriger toute la politique monétaire européenne et d'abord fixer les taux d'intérêt en Europe. Sa présidence est donc très importante. Même si la Banque centrale est indépendante, il est nécessaire que la désignation de son président soit faite par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Q - Pour quelle raison fallait-il un Français à la BCE ?
R - Pour des raisons politiques. La France a toujours été un pays très présent dans les institutions financières internationales. Le siège de la Banque centrale est à Francfort en Allemagne. Il était donc important que le président de la Banque centrale européenne soit un Français très rapidement.
Q - Monsieur le ministre, quel bilan tirez-vous de ce week-end si décrié, notamment à l'étranger ?
R - D'abord, j'en retire l'essentiel : l'euro va se faire et on oubliera très vite le débat sur la présidence de la Banque centrale. Ce sera un euro comme nous le voulions, regroupant un très grand nombre d'Etats européens, onze, dont l'Italie. On se souviendra aussi d'une rude bataille politique qui laissera peut-être des traces.
Q - Monsieur le Ministre, à quand un vrai front européen pour développer Internet ?
R - Est ce que vous pensez vraiment avoir besoin de l'Union européenne pour développer Internet ? Les internautes sont assez grands pour cela, mais l'Europe a besoin d'avoir ses propres serveurs.
Q - L'Europe est très active en matière de législation dans tous les domaines. Mais on ne le sait pas. L'Europe ne sait-elle pas communiquer ou est-ce les gouvernements nationaux qui font barrage pour ne pas admettre une réduction de leur pouvoir ?
R - L'Europe a déjà un pouvoir énorme, que certains trouvent plutôt trop grand. Le problème, c'est que la législation européenne est souvent très complexe, et donc difficile à comprendre. Et, c'est vrai, l'Europe ne sait pas bien communiquer, il faudra simplifier tout cela.
Q - Pouvez-vous nous dire si l'euro va réduire le nombre de chômeurs en 1999 et combien ?
R - On ne peut pas vraiment dire cela ne serait pas exact. Ce qui est vrai, c'est que l'euro signifie une certaine confiance et donc, un certain climat pour les entreprises, il permet aussi d'avoir des taux d'intérêts très bas et donc, des emprunts moins chers. Au total, il permet la croissance et indirectement favorise l'emploi. Ce dont je suis sûr, c'est que sans l'euro, le chômage serait encore bien plus important et que la situation se dégraderait.
Q - Sur la question Internet : que vouliez-vous dire par "avoir ses propres serveurs" ?
R - Il existe déjà des serveurs qui portent sur les questions européennes. Par exemple, il y a le serveur de Sources d'Europe : "www.info-europe.fr", ou celui du ministère des Affaires étrangères "www.france-diplomatie.fr" et la Commission européenne a le sien : "europa.eu.int", le Parlement européen en a aussi un...
Q - Les pilotes privés ont, ce week-end, manifesté pour obtenir la libre circulation des personnes prévue par les Accords de Schengen. Pourquoi les administrations françaises ont autant de mal à accepter le changement ?
R - Parce que ce sont des administrations ... je plaisantais, bien sûr ! Encore une fois, on retrouve le problème d'une législation complexe qui a besoin d'être adaptée dans les droits nationaux. Il n'y a aucune mauvaise volonté, et les choses vont progressivement se mettre en place.
Q - L'euro va-t-il faire diminuer le taux de la TVA ?
R - L'euro, je ne sais pas, mais l'Europe, j'espère, notamment sur les produits qui ont un fort contenu en main d'oeuvre. C'est nécessaire pour développer l'emploi. Nous allons faire des propositions à l'Europe là-dessus.
Q - Le principe de la monnaie unique est acquis mais on peut s'interroger sur ce que sera la prochaine étape de la construction européenne ? Pouvez-vous nous présenter celle qui vous semble la plus opportune ?
R - Je pense à l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, comme la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, hier communistes, et qui souhaitent nous rejoindre. C'est la grande échéance pour le début du prochain siècle, celle de la réunification de toute l'Europe.
Q - Monsieur le Ministre, l'euro doit-il nous permettre une unification des charges sociales en Europe et par là, avoir des coûts de fabrication plus proches les uns des autres ou pas ?
R - Il faut qu'il y ait des coûts de fabrication plus proches, mais cela n'implique pas l'uniformisation des charges sociales. Par exemple, en France, les salaires sont plus bas qu'en Allemagne, mais il faudra éviter d'avoir des prix plus élevés que nos concurrents.
Q - Comment peut-on affirmer que "sans l'euro, le chômage s'aggraverait" ? Quels sont les arguments objectifs et pertinents plutôt que ce "il est évident que..." qui relève davantage du dogme ?
R - Je n'affirme rien, je ne suis pas dogmatique, ni croyant, je sais seulement qu'avec des taux d'intérêt plus élevés les entreprises et les consommateurs souffrent. Je sais aussi ce que nous coûtent les dévaluations de nos partenaires. Tout cela crée du chômage. Avec l'euro, ces problèmes disparaissent.
Q - Que représente la "puissance" de l'euro vis-à-vis du dollar ?
R - Nous sommes déjà la première puissance économique du monde, la première puissance commerciale, nous avons une population plus importante que les Etats-Unis, tout cela à condition que nous soyons unis. Et demain, l'euro sera la monnaie de cette puissance, il doit devenir un instrument de réserve et d'échanges tout à fait comparable au dollar.
Q - La prochaine étape est-elle un gouvernement économique européen pour gérer l'euro. Est-ce nécessaire et quelle forme prendra-t-il ?
R - C'est indispensable, si la Banque centrale est indépendante, il faut qu'elle ait en face d'elle une autorité politique qui agisse pour la croissance et l'emploi. C'est pour cela que Dominique Strauss-Kahn a proposé la création d'un conseil de l'euro qui réunira les ministres de l'Economie et des Finances des onze pays sélectionnés.
Q - Les institutions européennes actuelles peuvent-elles prétendre devenir un gouvernement européen ? Si non, quelles propositions institutionnelles vous paraissent devoir être discutées ?
R - Non, cela ne marche plus, il faut réformer les institutions européennes, les rendre plus efficaces, capables à nouveau de décider notamment par ce qu'on appelle le vote à majorité qualifiée, c'est-à-dire la fin de l'unanimité sur tous les sujets, et elles doivent être aussi plus démocratiques.
Q - On parle beaucoup de l'Europe économique et monétaire, beaucoup moins de l'Europe sociale. L'euro ne risque t-il d'installer la précarité de l'emploi à l'instar du modèle anglo-saxon ?
R - Il y a un risque, si on laisse le marché tout faire. Mais, l'Europe n'est pas que le marché. C'est un ensemble politique dont l'aspect social doit être puissamment renforcé, il faudra y veiller dans les années qui viennent.
Q - Combien gagne le président du Parlement européen ?
R - Je ne sais pas, car je n'ai jamais été président du Parlement européen, mais, j'ai été député européen de base et c'était déjà bien payé, à peu près 35 000 francs par mois, avec des indemnités pour payer deux collaborateurs et des frais de transport. Il n'y a pas à se plaindre, mais ce n'est pas immérité.
Q - L'euro va-t-il faciliter le commerce extérieur des entreprises qui exportent aux Etats-Unis ?
R - Oui, à condition que le dollar reste aussi fort qu'il l'est aujourd'hui et donc que l'euro ne soit pas surévalué, ce qui est le cas et qui doit le rester. Un euro stable, c'est bien, un euro trop fort, ce n'est pas bon pour le commerce.
Q - Qu'allez-vous faire dans les mois qui viennent sur le volet social du Traité d'Amsterdam ? Y a-t-il quelque chose de concret qui est prévu ?
R - Il faut déjà ratifier le Traité d'Amsterdam, et il faut le faire justement parce qu'il comporte des progrès sociaux. Ensuite, nous devrons développer le dialogue social européen pour éviter de nouveaux Vilvorde et aussi garantir la protection sociale.
Q - Franco-polonais de naissance, j'ai fait mes études de médecine en Pologne. J'habite en France depuis 12 ans et je ne peux pas exercer ma profession. Je souhaite savoir où en est l'intégration de la Pologne et notamment la reconnaissance des diplômes.
R - Je n'ai pas de réponse précise à votre question. La Pologne est candidate à l'Union européenne et son adhésion prendra un peu de temps, mais le problème de l'équivalence des diplômes, notamment en médecine, est redoutablement compliqué, même entre les Etats de l'Union européenne, écrivez-moi.
Q - Etes-vous favorable à l'idée d'une constitution européenne qui marquerait la volonté de l'Europe de s'affirmer comme une puissance politique, et qui permettrait une meilleur répartition des compétences entre l'Union européenne et les nations qui la composent ?
R - Pourquoi pas ? Mais il faut sans doute être plus pragmatique si l'on veut avancer. Comme l'Europe est très compliquée, il vaut mieux réformer les institutions en pratique que de chercher un construction théorique d'ensemble.
Q - Etes-vous vraiment sur de la réussite de l'euro ?
R - Non, l'euro est un combat. Pour le réussir, il fallait remplir des critères économiques, c'est fait. Maintenant, il faut aussi convaincre que l'euro peut être utile pour l'emploi. Nous nous battons pour cela. J'ai confiance, mais rien n'est évident.
Q - Monsieur le Ministre, que la France ait la vice-présidence de la BCE est-ce un handicap ou au contraire est-ce préférable d'avoir la présidence dans quatre ans seulement ?
R - Tout cela ne pose pas de problème, car nous aurons l'un et l'autre, la vice-présidence tout de suite, et la présidence dans 4 ans. Cela va plutôt bien pour nous.
Q - Qu'allez-vous mettre en place pour que nos grand-mères, qui sont encore en anciens francs, s'y retrouvent ?
R - C'est un vrai problème. Je ne parle pas des grand-mères, mais de la conversion en euro ... Il faudra sans doute un grand travail de pédagogie. Par exemple, les centres Leclerc, avec qui je travaille, distribuent des calculettes pour effectuer simplement les conversions, ce n'est pas une publicité. Mais on ne peut pas empêcher le fait qu'une nouvelle monnaie dérange les habitudes.
Q - Comment peut-on être la première puissance économique et commerciale mondiale quand l'ensemble de nos places boursières capitalisent 4 fois moins que Wall Street ?
R - Vous parlez de la finance. Je parle du commerce et de l'économie et ce n'est pas la même chose. Je pense par ailleurs que l'euro va donner un coup de fouet extraordinaire aux places financières européennes. Rendez-vous dans quatre ans.
Q - J'aimerais connaître votre point de vue sur les perspectives s'offrant aux personnes sourdes grâce a l'Union européenne.
R - Le Traité d'Amsterdam pose le principe de la non-discrimination des personnes, notamment en fonction des handicaps. Par ailleurs l'Union européenne met en place des programmes comme le programme Hélios, justement destinés à aider les personnes handicapées. Je suis persuadé que l'Union européenne est un facteur d'égalité entre les individus. Cela vaut bien sûr aussi pour les personnes sourdes.
Q - Peut-on redouter une volte-face de l'Allemagne suite au changements politiques actuels et au pouvoir controversé d'Helmut Kohl ? Si oui, cela peut-il remettre en cause l'implication française et le système euro en entier ?
R - Il n'y a rien à craindre, les gouvernements passent, les Etats restent. La parole de l'Allemagne, comme celle de la Hollande ou celle de la France est engagée, et ses promesses seront tenues.
Q - N'aurait-il pas été plus judicieux de garder les noms des monnaies locales des pays de l'Union européenne (franc, livre etc.) et de les mettre toutes au même cours ? Psychologiquement peut-être plus acceptable par les populations ?
R - Cela existe déjà. Les cours des monnaies sont fixes depuis des années. Cela ne serait pas l'euro et le coût politique serait beaucoup plus faible. L'euro, c'est peut-être plus difficile, mais c'est mieux comme cela.
Q - Serait-il possible que d'autres pays s'assemblent contre l'Europe pour rivaliser ?
R - Dans notre galaxie ? Il y a déjà les Etats-Unis et c'est suffisant.
Q - Comment expliquer que Jacques Chirac, qui déteste Jean-Claude Trichet, se soit acharné à défendre sa candidature pour la BCE, au point de gâcher la fête européenne que constituait le lancement de l'euro ?
R - Il faut croire que Jacques Chirac adore Jean-Claude Trichet. Plus sérieusement, la politique n'est pas affaire de personnes, contrairement à ce que l'on pense trop souvent, parfois à juste titre, il faut le reconnaître. C'est aussi une question d'intérêt général et d'intérêt national. Ce n'est donc pas l'homme, Jean-Claude Trichet que Jacques Chirac a défendu, mais le gouverneur de la banque centrale française.
Q - Y a-t-il un risque d'évasion fiscale vers des pays européens à imposition moins lourde ? Y aura-t-il un jour harmonisation fiscale (de préférence à la baisse...) ?
R - Il y a des risques, mais il faudra y répondre par une harmonisation fiscale vers le haut, ce qui ne veut pas dire à la hausse, mais signifie qu'il faut moins imposer le travail, et davantage les revenus du capital.
Q - La Russie attend beaucoup de l'Union européenne. Quels sont les interlocuteurs politiques du président Eltsine ?
R - Pour l'instant, rien n'a changé, ce sont toujours les mêmes Helmut Kohl, Tony Blair, Jacques Chirac, Lionel Jospin et les autres. Cela changera le jour où l'Europe aura un président ou un gouvernement.
Q - Si les pays d'Asie surenchérissent avec une monnaie unique pour leur zone, à quand une monnaie mondiale d'après vous ?
R - Sans doute jamais, mais si le Système monétaire international s'organisait autour de trois zones, une zone dollar, une zone euro et une zone asiatique, ce serait un gros progrès.
Q - Pourquoi l'Angleterre n'a-t-elle pas voulu entrer dans l'euro ?
R - Sans doute parce qu'elle n'était pas prête. Les Anglais ne sont pas assez pro-européens mais c'est en train d'évoluer et je suis sûr que la livre sera partie intégrante de l'euro.
Q - Avec l'Europe, pourra-t-on obliger les Anglais à rouler à droite et à uniformiser leurs unités ?
R - L'Europe n'est pas l'uniformité. Elle n'a pas vocation à changer les identités nationales ou à brider les moeurs. Les Anglais resteront les Anglais.
Q - Pourquoi toujours parler de la place de la France dans l'euro avant de réfléchir à ce qui est bon ou mauvais pour l'Europe ?
R - Il n'y a pas de contradictions, on peut tout à fait être français et européens.
Pourquoi ce qui est bon pour la France ne serait pas bon pour l'Europe, et réciproquement ?
Q - Combien coûtent les institutions européennes à chaque Français ?
R - Sur le budget de la France, c'est-à-dire environ 1 600 milliards de francs, à peu près 90 vont à l'Europe. C'est beaucoup et c'est peu, car l'Europe nous en rend à peu près autant, notamment pour l'agriculture et les régions en difficultés. Au total, l'Europe nous "coûte" à peu près 3 milliards de francs pour 60 millions d'habitants, ce n'est pas trop cher.
Q - C'était la dernière question... Voulez-vous ajouter quelques mots pour conclure ?
R - Oui, l'euro c'est très bien, mais ce n'est pas toute l'Europe. L'Europe que nous voulons doit être plus politique, plus sociale, plus démocratique, plus populaire, bref, j'ai encore du pain sur la planche !
Q - Monsieur le Ministre, merci beaucoup d'avoir participé à cet auditorium sur AOL.
R - Nous n'avons pas pu répondre à toutes les questions, nous allons le faire dans les prochains jours.
ENTRETIEN AVEC "RMC" (Paris, 6 mai 1998)
Q - Le 71ème Sommet franco-allemand a lieu tout à l'heure à Avignon. On a le sentiment que le soleil du Midi sera bien nécessaire pour réchauffer des liens, peut-être malmenés, entre la France et l'Allemagne. Y a-t-il de la vaisselle cassée entre les deux pays ?
R - Non, je ne crois pas. Il y avait deux conceptions qu'on savait un peu différentes : les Allemands sont très attachés à l'indépendance absolue de la Banque centrale, c'est leur culture. Ils souhaitaient pour cela que le candidat néerlandais, M. Duisenberg, soit le président de cette Banque centrale européenne. Et nous, tout en étant également très attachés à l'indépendance de la Banque centrale, nous pensons toujours que l'Europe est un processus de construction politique et donc qu'il fallait que ce soient les politiques - le Conseil européen en l'occurrence - qui nomment le président de la Banque centrale européenne. Et puis, nous voulions aussi qu'un Français soit très vite président de cette banque. Je crois qu'on a trouvé un compromis au total ; ce n'est jamais facile, mais....
Q - Après 12 heures de bataille, y a-t-il des cicatrices ?
R - Mais 12 heures de bataille, cela veut dire aussi que cette affaire n'avait peut-être pas été suffisamment préparée. J'étais là, et j'ai vu qu'on est tout de même arrivé, à la fin, à ce à quoi on aurait pu parvenir au début si on s'était un peu plus parlé. Mais tout cela est très logique : les Allemands ont l'indépendance de la Banque centrale ; M. Duisenberg est le premier président ; M. Trichet est également coopté ou nommé par anticipation par le Conseil européen, et il sera le second très vite. Il ne faut pas en faire un drame, honnêtement. Je conçois que le chancelier Kohl ait pu vivre cela assez mal, notamment par rapport à sa propre majorité, par rapport à M. Waigel ou M. Tietmeyer, qui étaient très présents ce jour-là. Mais en même temps, l'amitié franco-allemande reste ce qu'elle est. Et je pense que cela va bien se passer, même si c'est vrai que c'est un peu...
Q - Vous, vous dites cela, Monsieur Moscovici. On a le sentiment que l'opinion allemande est quand même un peu remontée...
R - Il y a une chose qu'il ne faut pas négliger dans l'opinion allemande : c'est qu'elle n'est pas favorable à l'euro. L'euro, pour les Allemands, c'est la renonciation au mark, une monnaie extrêmement forte, qui domine, ou qui dominait.
Q - En plus, par un président français, cela fait beaucoup...
R - Elle trouve surtout que renoncer au mark, et puis avoir la sensation que, quelque part, des politiques se mêlent de la monnaie, cela fait beaucoup. Alors, si en plus ces politiques sont français, peut-être que cela fait énormément. En même temps, je pense que tout cela ce sont des péripéties au sens où l'arbre ne doit pas cacher la forêt. La forêt c'est qu'on a décidé de faire l'euro ; on a décidé de faire l'euro à Onze ; c'est une percée absolument historique, et je pense que les Allemands comme les autres, en sont, au fond, satisfaits. Le reste, c'est la politique.
Q - Est-ce une péripétie aussi, Monsieur Moscovici, que le ministre des Finances allemand - qui n'est quand même pas n'importe qui - ait déclaré hier que si le président néerlandais, récemment nommé président de la Banque, veut rester plus longtemps à la tête de la BCE, personne ne pourra l'empêcher ?
R - Mais, c'est vrai que personne ne pourra l'empêcher. En même temps, moi qui ai assisté à sa déclaration devant le Conseil européen, où j'étais avec quelques ministres français, aux côtés du président de la République, j'ai bien compris qu'il souhaitait partir, qu'il partirait. Certes, ce serait une décision de son propre chef, mais il partira en 2002, il s'y est engagé. Malgré tout, nous étions dans un Conseil européen, c'est-à-dire au plus haut niveau. Les engagements individuels valent quelque chose. C'est consigné au procès-verbal. Donc, moi, je n'ai pas de doute : la parole donnée sera tenue.
Q - Et pourquoi le ministre allemand a-t-il fait cette déclaration ?
R - Je pense que c'est peut-être à usage interne, pour souligner justement que le président de la Banque centrale européenne reste indépendant, et qu'il s'en ira quand il veut. Il s'en ira quand il veut mais il a dit aussi quand il voudrait.
Q - Monsieur Moscovici, est-ce - parce qu'on en parle comme si c'était une réussite de toute façon promise - qu'il y a un risque que l'euro soit un échec ? Est-ce imaginable ?
R - Je pense que l'euro a franchi samedi et dimanche une étape essentielle. Jusqu'à présent on se posait des questions, on se demandait : cela va-t-il arriver ? Va-t-on respecter les critères, les fameux 5 %, 60 %, etc ? Cette étape-là est derrière nous. La décision est prise, et c'est une décision politique, encore une fois fondamentale et formidable parce qu'on n'a jamais vu cela dans l'histoire - onze pays qui renoncent à leur souveraineté monétaire. Mais il reste des risques devant nous : si l'euro ne signifie pas plus de cohésion sociale, si l'euro venait à menacer les salaires, la protection sociale et l'emploi, alors l'euro serait en difficulté. Donc, n'imaginons pas que tout est fait. Tant qu'on n'a pas dans la poche des pièces et des billets en euros en 2002, je considère qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir. Et ce chemin, c'est adapter tout cela. J'étais hier dans un Centre Leclerc pour traiter de l'Europe au quotidien, et j'ai pu voir que les problèmes qui se posent aux consommateurs sont des problèmes assez sévères : la conversion - nos grands-mères sont encore habituées à calculer un centime et l'euro va réintroduire les centimes, donc cela n'est pas simple -, il y a aussi des problèmes de protection sociale et d'harmonisation fiscale. Il faut réussir la sortie par le haut vers l'euro. Il faut que l'euro soit perçu comme un plus. J'ai confiance mais il faut se battre. L'euro est un combat.
Q - Sur les élections européennes, faut-il, d'urgence, avant les prochaines élections, changer le mode de scrutin ?
R - D'abord, une chose doit être claire ; c'est qu'il vaut mieux changer un mode de scrutin avant les élections qu'après. Je pense que l'affaire des régionales l'aura montré à l'envi. Et donc nous allons changer le mode de scrutin avant les européennes. C'est ce qu'a annoncé le président de la République. C'est ce que le Premier ministre a confirmé dans son interview au Monde, où il disait "qu'il s'agissait d'une priorité". Donc, je pense qu'il faut le faire, et qu'il faut le faire assez vite. Je souhaiterais qu'on ait d'ici à l'été une proposition sur la table, que l'on puisse discuter avec les autres formations politiques. Et mon système, ce serait de garder la proportionnelle - parce que c'est la logique européenne - mais de le faire dans des grandes régions. Parce qu'aujourd'hui, le principal problème du député européen - je l'ai été - c'est que l'on est élu sur une liste nationale. Donc, en fait, il suffit d'avoir un bon numéro sur une liste d'appareil ou de parti, d'être septième, huitième, neuvième - en tant que spécialiste moi j'étais neuvième - pour être député européen, mais sans avoir de compte à rendre à des électeurs. Et aujourd'hui ce n'est pas comme cela que l'on fait de la politique. Il faut faire de la politique autrement, ce n'est pas vous qui me démentirez.
Q - Je ne vais pas vous contredire. Pensez-vous que tout le monde sera d'accord ? Et si tout le monde n'est pas d'accord, imposeriez-vous cette réforme ?
R - C'est vrai que c'est extrêmement compliqué. On sait que pour réformer un mode de scrutin, quel qu'il soit, il faut non pas un consensus - parce qu'un gouvernement doit savoir prendre ses responsabilités - mais un consentement. C'est-à-dire le fait que personne ne se mette à hurler à la mort qu'il est dépossédé. Et nous, nous veillerons bien sûr dans cette affaire à ce que les formations, disons petites - celle qui font moins de 10 %, il y en a quelques-unes à gauche, je pense au Parti communiste, au Mouvement des citoyens, aux Verts -, y retrouvent leur compte. Mais je pense qu'il est possible de les convaincre. J'ai fait des simulations rustiques, à ce stade, qui montrent qu'un mode de scrutin, dans les grandes régions - prenons l'exemple de Midi-Pyrénées-Aquitaine, de la Bretagne, PACA-Languedoc-Roussillon ou des deux Normandies, cela ne déforme pas le résultat des élections. On doit pouvoir parvenir à combiner la proportionnelle et le rapprochement. Je suis optimiste et je suis tout prêt à y travailler. D'ailleurs, j'y travaille.
Q - Si les gens ne consentaient pas, vous l'imposeriez ?
R - Si personne n'est d'accord cela n'a forcément grand intérêt parce que c'est un mode de scrutin, c'est mieux de faire comme cela. Il y a aussi des inconvénients et on peut dire : est-ce que dans la région PACA-Languedoc-Roussillon où il y a huit députés, c'était vraiment des gens proches ? Ce n'est pas sûr. Et donc, je reçois aussi les inconvénients. Il faut convaincre que c'est un bon mode de scrutin. Je crois que c'est quelque chose d'important parce qu'on ne peut pas parler de la modernisation de la vie publique et ne pas la faire.
Q - Retour sur l'euro, dont vous savez mieux que personne, que c'est une affaire fondamentale pour la France et que cela va gouverner beaucoup de choses de notre vie quotidienne. N'est-il pas inquiétant - même si c'était connu, et je sais bien que c'était connu à l'avance - que deux partis de l'opposition aient, ensemble et en totalité voté contre l'euro ?
R - Si, c'est tout à fait inquiétant. C'est même un peu bizarre s'agissant de l'un deux, le RPR, parce que nous savions que les partis de l'opposition allaient voter contre.
Q - Oui, mais cela ne change rien...
R - Ce sont des partis qui représentent à eux deux 40 députés. Mais quand même, lorsque le parti du président, ou celui qui était le parti du président, ne vote pas comme voudrait le président, cela pose un petit problème au sein de l'opposition. Cela pose aussi un problème de gouvernement, parce que c'est un très grand parti. Ce parti est-il encore européen ? L'histoire retiendra, comme le dit Dominique Strauss-Kahn, que Philippe Seguin était contre l'euro avant, et qu'il était toujours contre au moment où il s'est fait. C'est finalement, là aussi, par-delà les péripéties, ce qu'il faudra retenir.
Q - On retiendra aussi, quand même, que vous préférez parler de vos adversaires que des problèmes de votre parti.
R - Il n'y a pas de problème.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2003)
ENTRETIEN AVEC "L'EST REPUBLICAIN" (Metz, 9 mai 1998)
Q - La Journée de l'Europe, vous ne croyez pas que cela fait un peu gadget ?
R - On pourrait pousser le raisonnement et qualifier de gadget toute forme de célébration. Ce n'est pas ma vision des choses. Il est important de commémorer la République, chaque 14 juillet. Il est important de célébrer la fin de la Première guerre mondiale, le 11 novembre, celle de la Seconde le 8 mai. De même, je crois qu'il est symboliquement fort de célébrer chaque année l'anniversaire du 9 mai 1950. Que s'est-il passé ce jour-là ? Le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Robert Schuman, a proposé à l'Allemagne et aux autres pays européens qui voudraient s'y associer, de fusionner avec la France leur production de charbon et d'acier, pour abolir entre eux, à tout jamais, la guerre. Fêter le 9 mai, c'est donc célébrer 50 ans de paix et de prospérité en Europe. Ce n'est pas ce que j'appelle un gadget, même si je préférerais, bien sûr, que chaque jour soit une "Journée de l'Europe" !
Q - Vous pensez vraiment que cela peut servir à donner aux Français une vision plus concrète de la construction européenne ?
R - Oui. Je suis très frappé de voir comment, le 9 mai, les initiatives de terrain deviennent chaque année plus nombreuses. Elles se chiffrent par milliers à travers toute la France - 3600 sont prévues ce 9 mai - et sont le fait des citoyens : des associations, des mairies, des lycées, des syndicats se mobilisent, le plus souvent pour illustrer tel ou tel aspect pratique de l'Europe. A Besançon, l'hôtel de ville organise ainsi cette année une grande exposition pour expliquer l'euro. Moi-même, j'irai, samedi 9 mai, au Centre Leclerc de Montbéliard, dans le cadre plus vaste de la campagne "Vivre l'Europe", que je viens de lancer pour rendre l'Europe proche et populaire. Il s'agit justement de montrer à nos concitoyens que l'Europe c'est aussi une meilleure défense de l'environnement, une meilleure protection de la santé, plus de croissance et d'emplois...
Q - Avec du recul et après le Sommet franco-allemand d'Avignon, que pensez-vous du Sommet de Bruxelles ?
R - Ce que l'Histoire retiendra du Sommet de Bruxelles c'est d'abord le lancement de l'euro, c'est cette formidable aventure qui voit, pour la première fois, 11 grands pays européens unir pacifiquement leurs monnaies. Le reste, comme la nomination difficile du président de la Banque centrale européenne, ce ne sont que des péripéties. Nous sommes parvenus à un bon compromis, qui respecte l'indépendance de la Banque centrale européenne, à laquelle les Allemands sont très attachés, mais qui fait aussi toute sa place à la conception française de l'Europe, comme construction politique : il était normal que les chefs d'Etat et de gouvernement prennent leurs responsabilités, normal aussi qu'un Français soit appelé très vite à présider la Banque centrale européenne qui sera située, il faut le rappeler, à Francfort. Je laisse les critiques à certains intégristes du monétarisme. A Avignon, j'ai pu constater à quel point l'amitié franco-allemande restait bien vivante, et je m'en réjouis.
Q - Pour simplifier ou tout simplement rationaliser le fonctionnement de l'Europe, ne faudrait-il pas modifier les institutions ?
R - Evidemment, et très vite ! A Quinze déjà, cela marche de moins en moins bien. Il faut, au sein du Conseil, qui rassemble les ministres des Etats membres de l'Union, pouvoir voter plus souvent à la majorité. Il faut que la Commission européenne, qui est l'organe de proposition et d'exécution de l'Europe, voit sa composition plus ramassée : on pourrait imaginer, comme dans les gouvernements nationaux, des commissaires européens dotés de vastes portefeuilles d'attributions, avec d'autres qui seraient leurs adjoints. J'ai fait des propositions en ce sens au Premier ministre. Je pense que la France reprendra bientôt l'initiative dans ce domaine. Et le concours de Jacques Delors pourrait être utile.
Q - L'euro est né mais c'est encore une réalité virtuelle. Comment préparer les esprits à son avènement ?
R - Dès le 1er janvier 1999, beaucoup de choses vont se faire en euros : par exemple, tous les mouvements d'argent d'une banque à l'autre se feront dans la monnaie européenne. Mais c'est seulement à partir de 2002 que commenceront à circuler les billets et les pièces en euro. Car il faut fabriquer cette monnaie et cela ne peut se faire en un jour. Lundi prochain, j'irai avec Dominique Strauss-Kahn à Pessac, en Gironde, pour lancer la frappe des premières pièces en euro. C'est donc seulement à partir de 2002 que les familles devront se mettre à compter tous les jours avec cette nouvelle monnaie. D'ici là, il y aura de grandes campagnes d'information, pour que les Français apprennent à connaître la valeur de l'euro, pour qu'ils sachent qu'ils ne perdront rien au change lors du changement de billets ... Au contraire, ils vont découvrir qu'ils pourront voyager presque partout en Europe sans changer d'argent. Et lorsqu'ils se rendront hors d'Europe, ils auront dans leur poche une monnaie aussi respectée et aussi forte que le dollar.
Q - Que faut-il attendre de la monnaie unique ?
R - L'euro sera une grande monnaie, qui donnera une formidable puissance aux Européens dans l'économie mondiale. L'euro va très vite devenir, dans les bourses du monde entier, une monnaie de placement, un instrument de réserve à la hauteur du dollar. Et nous allons attirer vers nous de plus en plus de richesse.
Q - Comment convaincre le citoyen moyen que l'euro est une chance pour le Vieux Continent ?
R - Le Vieux Continent aura maintenant une monnaie jeune, plus solide que le dollar. Ainsi, demain, au lieu d'acheter notre pétrole en dollars, nous le paierons sans doute avec notre propre monnaie, l'euro. Plus concrètement, pour tous les Français, l'euro, cela signifie un marché européen plus vaste, plus fluide, des taux d'intérêt plus bas, donc plus de croissance et à terme plus d'emplois.
Q - De quelle liberté chaque pays disposera-t-il pour définir sa politique économique et sociale dès lors qu'il est pris dans le carcan de l'euro ?
R - L'euro n'est pas un carcan. Au contraire, il nous rend des marges de manoeuvre que nous avions perdues, avec un franc qui était devenu une monnaie accrochée, presque soumise, au mark. L'euro n'est pas une fin en soi. Il peut et doit être un instrument au service du progrès économique et social. Il est normal que les pays qui auront l'euro en partage coordonnent leurs politiques budgétaires et fiscales. C'est l'objet du Conseil de l'euro, dont nous avons obtenu la création, qui regroupera les ministres de l'Economie et des Finances de la zone euro et qui se réunira pour la première fois début juin. Mais pour nous, l'harmonisation fiscale et sociale doit se faire par le haut. Avec l'euro, nous avons une bonne occasion de faire disparaître les distorsions de concurrence qui existent en Europe. Il faudra, pour y parvenir, mener un combat politique : les forces du marché n'iront pas spontanément dans ce sens et elles doivent être équilibrées par une action volontariste.
Q - Tout cela n'a de sens que si l'Europe politique suit l'Europe monétaire. Est-ce possible car plus d'Europe signifie moins de souveraineté des Etats ?
R - L'union monétaire, ce n'est pas seulement la fusion des monnaies, c'est aussi un acte politique fort. Mais il ne faut pas raisonner en termes de perte de souveraineté. L'autonomie de notre politique monétaire, par rapport au mark, par rapport au dollar, était depuis longtemps devenue une illusion, nous le savons bien. Avec l'euro, au contraire, nous retrouvons, collectivement, notre souveraineté : ce sera une souveraineté partagée entre les Européens, mais nous serons ensemble, plus puissants. C'est la même chose avec l'Europe politique. Si, demain, nous faisons travailler ensemble les armées française, allemande et anglaise, et si nous avons ainsi plus de poids pour faire respecter la paix dans le monde, si, d'un autre côté, nous renforçons les droits sociaux et environnementaux, l'égalité entre les hommes et les femmes, les services publics en Europe, qui s'en plaindra ? Moi je suis sûr, au contraire, que les Français y sont prêts.
Q - Sur l'Europe, il y a des divergences au sein de la majorité. Comment gérer ces contradictions ? Et n'est-ce pas la confirmation que l'Europe n'est pas l'idée la mieux partagée aussi bien à droite qu'à gauche ?
R - La gauche, c'est vrai, est diverse sur l'Europe. Mais l'euro a fait exploser le RPR et la droite ! Les différences au sein de la majorité existaient avant les élections de juin 1997. Nous ne les avons pas cachées aux Français. Nos concitoyens se sont exprimés, en toute connaissance de cause : au sein de la majorité plurielle, le Parti socialiste occupe la première place. Chacun connaît ses convictions européennes anciennes et profondes, et aussi sa volonté de rééquilibrer l'Europe, pour qu'elle soit au service de la croissance et de l'emploi. Nos partenaires et amis du Parti communiste et du Mouvement des Citoyens reconnaissent d'ailleurs les premiers succès du gouvernement dans cette direction, même s'ils ne sont pas encore complètement convaincus. Cela n'a, en tout cas, rien à voir avec le spectacle affligeant auquel se livre devant nous le RPR, qui a changé quatre fois de position sur l'euro en trois jours, avec toutefois une constante : Philippe Seguin, à l'opposé du président Chirac, était contre l'euro au départ, il est toujours contre à l'arrivée. La cohésion de la majorité plurielle est intacte. Le gouvernement de Lionel Jospin est le pôle de stabilité de la vie politique française, qui en a bien besoin.
EDITORIAL DANS LE NUMERO SPECIAL DE "7 JOURS EUROPE" (Paris, 15 mai 1998)
Le premier train de l'euro est maintenant lancé. Pour avoir été inscrite dans le marbre d'un traité, attendue avec espoir par certains, avec crainte par d'autres, la réalisation de la monnaie unique restait, il y a moins d'un an, encore incertaine.
La France a marqué son engagement irrévocable dans l'entreprise lancée par François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors il y a presque dix ans, rêvée par d'autres fondateurs de l'Europe avant eux, poursuivie par leurs successeurs. Des efforts considérables ont été soutenus pour être au rendez-vous de la convergence et participer à ce grand projet commun. Ils commencent à être récompensés.
Au-delà de cette satisfaction légitime, faisons maintenant face aux autres enjeux devant nous. Bien vivre avec l'euro, tel doit être désormais notre objectif, car la monnaie unique n'est pas une fin en soi. C'est une étape qui doit donner un second souffle à l'Europe que nous voulons sociale et démocratique, tournée vers la croissance et l'emploi. La création du Conseil de l'euro, instance politique de dialogue avec la BCE - et préfiguration d'un gouvernement économique -, la mise en oeuvre d'une stratégie européenne coordonnée de lutte contre le chômage, illustrent la réorientation de la construction européenne dans ce sens, amorcée depuis le Conseil européen d'Amsterdam en juin dernier. Il faut aussi que tous nos concitoyens s'approprient concrètement leur nouvelle monnaie. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour faciliter son introduction.
Facteur de stabilité interne et de puissance vis-à-vis du monde extérieur, l'euro nous offre de nouveaux degrés de liberté dans une souveraineté librement partagée. Dans le contexte de la mondialisation, telle est la seule voie pour nous permettre d'assumer notre destin national.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2003)