Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les députés,
Après 10 ans de débats, de rapports et d'hésitations, c'est avec la certitude que l'immobilisme et les fausses solutions seraient désastreux pour notre pacte social que je présente devant vous la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.
Cette réforme fait débat. Nos concitoyens éprouvent une certaine appréhension devant le changement, même si au fond d'eux-mêmes, ils sentent bien qu'il faut aller de l'avant.
La contestation actuelle est à l'image de la profondeur d'une réforme qui est au cur de nos pratiques sociales et économiques. Elle est aussi à l'image du malaise qui saisit l'Etat qui, faute d'avoir suffisamment évolué, conduit certains de ses agents à ne plus percevoir la clarté et l'honneur de leur mission.
Mais cette crispation souligne aussi une double caractéristique nationale :
celle du conflit qui s'exerce faute d'une véritable démocratie sociale, avec la faiblesse historique de nos corps intermédiaires. Cette situation n'est pas nouvelle ;
celle ensuite de la démission du politique devant la réforme et devant la nécessité de dessiner l'avenir. L'Etat en est venu à perdre son rôle de donneur de sens.
Le Ier tour de l'élection présidentielle a pourtant démontré que nos concitoyens peuvent être plus sévères vis-à-vis de l'impuissance publique qu'à l'égard de la volonté politique.
La détermination et le sens de la responsabilité qui nous animent sont d'autant plus essentiels qu'à travers la question des retraites, c'est tout notre modèle social qui est défié.
Face à ce défi, l'action est un devoir !
Mesdames et messieurs les députés,
Le Président de la République a défini les grands axes du projet. Le calendrier fixé par le Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, a été scrupuleusement respecté. Personne ne peut nous accuser d'avoir procédé par surprise ou dans la précipitation.
Ce calendrier a permis un dialogue social dont ce projet de loi est l'aboutissement.
La phase de concertation et de négociation fut longue et intense. Du début février à la mi-mai, le dialogue aura duré trois mois et demi au cours desquels tous les aspects de la réforme ont été abordés. Je n'ai aucun exemple d'une réforme économique et sociale ayant fait l'objet, dans un passé récent, d'un tel dialogue.
Notre méthode a porté ses fruits puisqu'un accord a été trouvé avec plusieurs organisations syndicales, le 15 mai 2003. Au nom de quoi ces organisations seraient-elles stigmatisées, voir méprisées, tandis que celles qui ont, en définitive, choisi la voie de la contestation seraient encensées ?
Pour ma part, je ne porte de jugements ni sur les unes, ni sur les autres : chacun a pris ses responsabilités. J'estime même que certaines organisations syndicales, aujourd'hui contestataires, ont apporté une contribution utile à notre projet.
Pouvais-je les convaincre de nous suivre jusqu'au bout ?
J'en doute.
Leur hostilité porte sur une réforme vieille de dix ans, celle de 1993. Elle porte également sur l'augmentation de la durée de cotisation dans le public, point sur lequel nous ne pouvons transiger. Cette équité, certains la contestent au nom d'une étrange défense du service public qui verrait ses fonctionnaires exonérés des efforts demandés à tous les Français. Telle n'est pas notre conception de l'égalité républicaine.
Quant aux " 37,5 annuités pour tous ", quel crédit pouvions-nous accorder à une revendication qui dit aux Français qu'en travaillant moins, leurs retraites pourraient y gagner ? Reste enfin l'option d'augmenter fortement les impôts ou d'introduire de nouvelles taxes Cette quête éperdue de certains à dénicher des prélèvements supplémentaires masque un objectif inavoué : financer à tout prix le statu quo ; financer, en définitive, l'absence même de réforme.
Au regard de tout cela, j'ai la conviction d'être allé aux limites de ce qu'autorise l'intérêt général.
Ceux qui réclament la réouverture des négociations manquent de sincérité, tant leur requête masque des non-dits et des refus... Mais surtout, dans une sorte de confusion des genres qui verrait la négociation permanente repousser les frontières de la décision, ils mélangent et affaiblissent deux légitimités distinctes : celle des partenaires sociaux et celle de l'Etat.
Nous sommes là au coeur de la réflexion sur l'avenir de notre démocratie sociale. Il ne passe pas par une abolition des frontières entre le social et le politique, mais bien au contraire par leur clarification, par une définition du rôle et des compétences de chacun, par une délimitation de la loi et du contrat.
Cette réforme traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays. Elle est le reflet de notre histoire et le miroir de notre société. Elle révèle à la fois les noeuds de la France et les défis qu'elle doit surmonter.
La question des retraites, c'est celle du vieillissement de la France.
La question des retraites, c'est celle du travail.
La question des retraites, c'est celle de la justice.
La question des retraites, c'est enfin celle de la conciliation entre le collectif et l'individuel.
C'est autour de ces quatre questions que je me propose d'engager le débat avec vous.
Mesdames et messieurs les députés,
La France va bientôt vivre une révolution sans précédent dans son histoire, la révolution du vieillissement.
Tout va basculer dans moins de trois ans. Entre 2006 et 2010 la France subira les effets d'un ciseau démographique sans précédent avec le départ massif à la retraite les générations du baby boom.
Mais ce ciseau n'est qu'une entrée en matière.
A partir de 2010, le vieillissement s'accélère globalement et massivement, cette fois-ci principalement du fait de l'allongement de la vie. Et nous savons déjà que les échéances de 2010 ou même de 2020 sont plutôt des points d'étape que d'arrivée.
Les facteurs démographiques sont connus. Ils ne souffrent aucun débat !
L'augmentation de l'âge moyen de la population tout d'abord, avec l'explosion des classes d'âge au-dessus de 60 ans, puis de celles au-dessus de 75 et 80 ans. La proportion des plus de 60 ans par rapport aux 20-59 ans en âge d'activité était de 39 % en 2000 ; elle sera de 54 % en 2015 !
A cela s'ajoute la chute de la fécondité provoquant cette fois-ci un vieillissement de la population par le bas. Du coup, le poids des plus de 45 ans s'accroît aux dépens des générations plus jeunes d'actifs. Bref, la population active vieillit elle aussi, indépendamment de l'explosion des retraités.
Cette révolution, nous devons en mesurer les implications.
Nous l'abordons aujourd'hui à travers le prisme de ce projet. Mais le vieillissement va bouleverser la société française dans toutes ses dimensions.
Aux alentours de 2020, chaque génération d'actifs devra entretenir trois, voir quatre générations à la fois : celle des enfants à scolarité toujours prolongée, celle des seniors ou grands-parents plus actifs encore qu'aujourd'hui, et enfin celle d'arrière-grands-parents parfois en situation de dépendance.
Du coup tout sera changé : nos façons d'envisager l'avenir et de travailler, de gérer les temps de la vie, de percevoir l'identité et le rôle de chaque âge, de concevoir les rapports entre les générations.
Mais nous jugeons une réforme des retraites dans la France d'aujourd'hui, avec nos regards d'aujourd'hui, alors que les principales mesures vont s'appliquer très progressivement dans une France qui aura entre temps beaucoup changé.
Lorsque nous examinerons tel ou tel article de ce projet de loi, gardons en tête, si vous le voulez bien, que ce décalage nous impose de nous projeter à chaque fois dans la France de demain, cette France beaucoup plus vieille qu'aujourd'hui. Le sens même du qualificatif " vieux " sera-t-il toujours celui dont nous parlons aujourd'hui ?
Prenons par exemple l'âge de départ effectif à la retraite, l'un des facteurs critiques du taux d'activité. Nous connaissons l'attachement des Français d'aujourd'hui au départ précoce, avant même 60 ans. Mais dans la France de demain, où chacun côtoiera tous les jours deux ou trois fois plus de seniors, qui plus est dynamiques, il sera sans doute considéré comme une évidence de garder une activité au-delà de 60 ans.
C'est bien pourquoi la progressivité et le pilotage dans la durée sont au cur de notre projet.
L'avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé ici et maintenant une bonne fois pour toutes. Dans les vingt prochaines années, les données du basculement démographique devront être constatées, tout comme leurs conséquences sur l'équilibre financier des régimes et l'attitude générale des Français devant le vieillissement.
C'est de cette nécessité qu'est née l'idée de la réforme en continu, avec des rendez-vous réguliers.
Mesdames et messieurs les députés, ce basculement démographique soulève un enjeu politique majeur : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement ? Faut-il continuer à socialiser la question des retraites par le biais de mécanismes contributifs universels ? Ou faut-il au contraire organiser la dévolution progressive vers la préparation individuelle de sa retraite ?
C'est le débat entre répartition et capitalisation.
Ce débat, le gouvernement l'a tranché.
Le projet de loi qui vous est soumis n'a qu'un seul but : assurer la viabilité et la sécurité de la répartition.
Notre choix en faveur de la répartition est d'abord un choix politique.
Nous choisissons la répartition parce que son principe est l'un de nos consensus.
Nous choisissons la répartition parce qu'elle est une résistance face à la désintégration du corps social.
Nous choisissons la répartition, parce que la répartition, c'est en définitive la République !
Ce choix n'est pas celui de la facilité : c'est celui de l'exigence.
Car sauver la répartition exige d'imposer l'intérêt général. Cela commande de rester ferme face à la montée des intérêts catégoriels.
C'est cette difficulté qui explique le renoncement de ces dernières années sur le dossier des retraites.
Mesdames et messieurs les députés,
Avec la révolution du vieillissement, l'autre grande question soulevée par cette réforme est la relation des Français avec la notion même de travail.
Le débat sur l'avenir de nos retraites est d'abord un débat sur la place du travail en France. Les crispations autour de l'allongement de la durée de cotisation le montrent.
Nous privilégions effectivement l'augmentation du taux d'activité et donc de la durée de cotisation, pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l'horizon 2020.
Telle est la clef de voûte du projet de réforme : demander à tous de travailler un peu plus, pour leur assurer un haut niveau de retraite sans accroître la pression fiscale qui est déjà l'une des plus élevées d'Europe.
Ce choix prend le contre-pied de la majorité précédente sur la question du travail.
Nous disons aux Français qu'en travaillant toujours moins, ils condamnent leur modèle de protection sociale. Nous leur disons qu'il n'y a pas d'autre choix que de travailler plus et mieux si nous voulons préserver nos acquis sociaux et notre position dans le monde.
Nous leur disons tout simplement qu'il n'y a pas de réussite sans effort.
Plus que jamais, le travail reste au centre du développement de nos sociétés. Penser qu'on peut le réduire ou le partager, surtout avec le choc démographique qui va être le nôtre, n'aboutit qu'à laisser se contracter inexorablement l'économie française.
Nous voulons réhabiliter la valeur travail. Face à la concurrence mondiale, la persistance du chômage et la montée de l'insécurité professionnelle, on a depuis trop longtemps cédé à l'illusion des théories sur la fin du travail.
Nous rompons avec cette spirale. Ce que nous vous proposons c'est un effort collectif par le travail pour sauver le coeur du pacte social : la solidarité entre les générations.
L'âge moyen de cessation d'activité des salariés est en France l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés : nous sommes au 23e rang des 29 pays de l'OCDE. Nous cumulons le triste record du taux d'activité des seniors le plus bas et celui du plus fort chômage des jeunes, preuve s'il en est qu'un départ à la retraite ne libère nullement la place pour un jeune. Tel est le résultat des politiques malthusiennes qu'il s'agit de renverser.
Ce renversement suppose une redéfinition sociale de l'âge de travailler. Si le choc démographique la rend indispensable, il la facilite aussi.
Il la rend indispensable parce que nous arrivons à une époque ou le nombre de sexagénaires va dépasser celui des jeunes de moins de vingt ans. Nous avons d'ores et déjà les étudiants les plus âgés et les retraités les plus jeunes des pays comparables au nôtre. La France est seule à être arrivée à cette situation incroyable où une seule génération - parmi des familles qui en comptent trois ou quatre - travaille !
La conclusion s'impose : sans augmenter le taux d'activité des Français, il n'y aura bientôt plus suffisamment d'actifs, non seulement pour payer les retraites, mais pour assurer ne serait-ce que le développement économique du pays !
Mais l'allongement de l'espérance de vie est l'autre grande donnée du choc démographique. Depuis les années 1930, l'espérance de vie a augmenté de 18 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. A 60 ans nous ne serons bientôt qu'aux deux tiers de notre existence.
C'est cette donnée qui permet raisonnablement de tabler sur l'augmentation du taux d'activité qui nous fait tant défaut. Pourtant, elle n'a jamais été prise en compte dans le financement des retraites.
C'est précisément ce que nous nous proposons de faire.
Jusque-là, l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans ne bénéficiait qu'à la retraite. Il semble normal qu'elle se traduise désormais par une augmentation proportionnelle de la vie active et de la retraite, ce d'autant plus que la vie active est déjà réduite par le recul constant de l'âge de fin d'études.
Pour y parvenir, le projet de loi qui vous est soumis repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé à l'horizon 2020 le partage actuel entre vie active et retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose. Mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi.
Cet allongement de la durée d'activité et d'assurance pour toucher une retraite à taux plein, en fonction de l'espérance de vie, est la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge écrasante.
La durée d'assurance doit d'abord être la même pour tous : ce préalable est une nécessité au regard de l'équité.
Une fois l'étape des 40 ans atteinte en 2008 dans les régimes de la fonction publique, la durée de cotisation augmentera très progressivement pour tout le monde de la même manière. La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de 41 ans en 2012.
Cette évolution, je n'ai pas voulu qu'elle soit automatique. Une Commission de garantie des retraites, spécialement constituée à cet effet, se réunira périodiquement, d'abord en 2008 puis en 2012, pour examiner objectivement les données démographiques, économiques et sociales, et tout spécialement les caractéristiques du marché du travail.
Ces rendez-vous permettront un pilotage dans la durée de notre système de retraite.
L'augmentation programmée de cette durée serait en effet impraticable si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité des Français. C'est pour cette raison que nous ne proposons pas d'augmenter dès 2004 la durée de cotisation dans le secteur privé. C'est également la raison pour laquelle nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 ans aujourd'hui à 59 ans en 2008.
La France a cinq ans pour préparer ce premier rendez-vous.
Réussir suppose un profond changement pour limiter la tendance au départ précoce des actifs qui caractérise notre marché du travail.
Pour y parvenir, il est d'abord indispensable de recentrer nos dispositifs de préretraite. Nous ne pouvons plus nous permettre d'encourager le départ anticipé des salariés âgés, comme l'ont fait la plupart des pays européens depuis quinze ans.
Certes les préretraites ne peuvent êtres supprimés du jour au lendemain. Mais il faut en limiter rapidement la portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l'entreprise est en jeu.
Au-delà des préretraites, le défi est d'inciter le monde du travail à réinvestir l'emploi, la carrière et la formation des salariés âgés.
Ici encore, le choc démographique devrait avoir un impact non négligeable sur le comportement des entreprises. Dès 2006, un besoin important de main d'oeuvre se fera nécessairement sentir.
La plupart de nos grandes entreprises prennent conscience du problème. En privilégiant l'allongement de la durée de cotisation pour assurer le financement des retraites, c'est en quelque sorte un marché que nous leur proposons : si les entreprises ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques en faveur de l'emploi des seniors, il n'y aura pas d'autre choix qu'une hausse drastique de leurs charges pour financer les retraites.
Il est désormais essentiel de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de 55 ans, mais aussi de changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes.
Notre projet de loi propose ainsi une série de mesures pour permettre aux seniors de repenser leur place dans l'entreprise, de trouver des activités complémentaires, de miser sur la transmission des savoirs et des métiers.
La retraite progressive reste une exception. Nous voulons l'assouplir : la liquidation de la pension aura un caractère provisoire afin que l'assuré puisse améliorer ses droits par la poursuite d'une activité à temps partiel. De même, le bénéfice de la retraite progressive sera largement ouvert aux assurés ne bénéficiant pas encore du taux plein.
L'application de la contribution Delalande a montré des effets pervers qui n'étaient pas dans les intentions de ses promoteurs. Elle sera également assouplie : l'âge limite sera ramené de 50 à 45 ans et la condition d'inscription comme demandeur d'emploi sera supprimée.
L'âge auquel un employeur peut mettre d'office un salarié à la retraite, s'il remplit les conditions pour bénéficier du taux plein, sera reportée de 60 à 65 ans.
Enfin, les règles de cumul d'un emploi et d'une retraite sont aujourd'hui prohibitives. Nous voulons les assouplir pour qu'un retraité qui le souhaite puisse reprendre une activité lui procurant des revenus.
Mais pour réussir, il faudra aller plus loin, au-delà même de ce projet de loi.
J'ai toujours pensé que la réforme de notre système de formation continue avait un rôle essentiel à jouer pour permettre l'essor du travail des seniors.
Il y a en France une discrimination au travail par l'âge qui est inacceptable. Passé la cinquantaine, la possibilité pour les salariés de changer de poste ou d'entreprise chute dramatiquement. Cette faible mobilité professionnelle de nos seniors s'explique en grande partie par la difficulté qu'ils éprouvent à se re-qualifier.
Ouvrir un véritable droit individuel à formation tout au long de la vie est donc indispensable. Il leur permettra de valoriser leur expérience, de changer de métier ou de poste après 50 ans, de retrouver le cas échéant une seconde carrière dans un autre secteur.
J'ai fortement incité les partenaires sociaux à engager une négociation sur le sujet. Leurs travaux avancent. Certes, de nombreuses difficultés restent en suspens, mais quoi qu'il advienne, l'engagement pris par le Président de la République sur ce sujet essentiel sera tenu par un projet de loi que je vous présenterai à l'automne.
Mais il faut aller plus loin encore.
S'il est crucial que les Français prennent conscience qu'ils doivent travailler un peu plus pour financer leur modèle social, autant faut-il que les conditions mêmes du travail ne les en détournent. Force est de constater qu'elles se sont singulièrement dégradées.
Toutes les enquêtes menées ces dernières années sur le climat social dans l'entreprise attestent la montée d'un sentiment de fragilisation des salariés. L'environnement concurrentiel et ses exigences de compétitivité, la montée des cadences par le passage aux 35 heures, la baisse continue de la représentation syndicale, la crainte du chômage bien sûr et les inquiétudes sur l'avenir : tout ceci peut avoir pour effet un mal-être au travail et une perte de confiance dans le sens même du métier.
Le Ministre des affaires sociales est naturellement à l'écoute de ce malaise français.
Nous devons engager une action à long terme pour redresser cette situation. L'entreprise doit retrouver sa vocation de projet social dans lequel chacun puisse mieux inscrire son devenir professionnel.
Pour cela, réformer les modalités du dialogue social largement héritées d'une autre époque est une priorité.
C'est pourquoi j'attache une grande importance aux discussions nouées avec les partenaires sociaux sur la question de la modernisation de notre démocratie sociale. J'entends vous présenter sous peu un projet de loi qui adaptera enfin le dialogue social aux conditions de notre temps.
Mesdames et Messieurs les députés,
Tout au long de cette bataille pour la réforme des retraites, je n'ai cessé d'entendre ceux qui rejettent notre projet nous opposer la question du chômage.
Lorsque nous disons aux Français qu'ils doivent travailler plus, on nous objecte les licenciements. Et d'avancer de soi-disant contre-propositions et prétendues alternatives ayant toutes pour point commun d'esquiver le rallongement de la durée de cotisation : ici on réclame une ponction sur les revenus financiers, là un renforcement de la pression fiscale via la CSG.
La gauche, qui avait fini par comprendre au pouvoir que la baisse des charges favorisait l'emploi s'empresse dans l'opposition à vouloir les alourdir au motif qu'il ne faut surtout pas demander aux Français de travailler un peu plus pour financer les retraites de demain.
Comment l'opposition parvient-elle à se convaincre que cela n'aurait pas de conséquences catastrophiques sur l'emploi ?
La gauche, qui fait de la consommation l'alpha et l'oméga de la relance, insiste du même souffle pour réduire massivement le pouvoir d'achat afin de financer les retraites par l'impôt et des hausses de cotisation.
Comment l'opposition parvient-elle à se convaincre que cela n'aurait pas d'incidence sur la croissance et donc sur l'emploi ?
La gauche réclame d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers ou les bénéfices des entreprises - ressources par nature incertaines et volatiles - en lieu et place des revenus stables du travail.
Comment mieux faire le lit de la capitalisation qu'elle dit par ailleurs refuser ?
Toute réforme des retraites qui ruinerait la lutte contre le chômage serait parfaitement vaine. Inversement, la diminution du chômage à long terme est indispensable à la sauvegarde de notre système de retraite par répartition.
A partir du moment où l'on décide de ne plus aggraver la diminution du niveau des pensions, le choix se réduit à allonger la durée de cotisation ou à faire monter le chômage par la voie des prélèvements.
C'est bien pourquoi notre projet fait l'hypothèse d'une diminution progressive du taux de chômage à l'horizon 2020. Dans son scénario central, le COR a retenu un chiffre de 4,5 % en 2020 contre 9 % aujourd'hui. Nous avons basé le financement de notre réforme sur un objectif de 5% à 6 %, toujours à l'horizon 2020.
C'est cette hypothèse qui nous permet de rester cohérents avec la volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires tout en assurant le financement des retraites.
Je constate au passage que l'opposition qui conteste cette hypothèse se garde bien de préciser quel niveau de chômage elle retient pour 2020 dans ses contre-propositions. Et pour cause !
Si le niveau de chômage retenu est plus important que le nôtre, alors que l'opposition veuille bien nous expliquer comment elle se propose de financer les retraites sans une hausse inavouable des prélèvements ou sans un plongeon tout aussi inavouable du niveau des pensions.
Il va bien falloir se résoudre à accepter la réalité : il n'y a pas de " trésor caché " ni d'échappatoire pour sécuriser l'avenir des retraites.
Si nous disons qu'il n'y a pas de vraie alternative à cette réforme, ce n'est ni par arrière pensée tactique, ni par arrogance. C'est qu'il est objectivement difficile de concevoir un plan dont l'architecture soit radicalement différente.
On sait que le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est chiffré par le COR à 43 milliards d'euros en 2020.
Les mesures d'allongement de la durée d'assurance et l'indexation des pensions sur les prix que nous proposons permettent de dégager 21 milliards d'euros, soit plus de 46 % du besoin de financement en 2020.
Mais les mesures de justice sociale et d'équité que nous nous proposons d'introduire par la réforme - et sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants - ont naturellement un coût. Nous l'évaluons à 2,7 milliards d'euros par an en 2020.
L'impact net de la réforme devrait donc s'établir à plus de 18 milliards d'euros, ce qui représente plus de 42 % du déficit prévu à l'horizon 2020.
Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, nous proposons de financer le solde, qui représente les deux tiers du déficit prévu pour le régime général, par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse.
Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est donc tout simplement faux.
Faux puisque les mesures de justice sociale que nous introduisons seront financées par une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % en 2006.
Faux puisque nous proposons d'assurer l'équilibre du régime général par une augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008, et jusqu'en 2020, de l'ordre de 3 points. Cela représente un peu moins de 10 milliards d'euros par an.
Simplement, nous voulons assurer l'équilibre de la répartition à prélèvements obligatoires constants pour ne pas handicaper la lutte pour l'emploi. Voilà pourquoi, nous avons prévu de " gager " l'augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée des cotisations d'assurance chômage.
En effet, avec un taux de chômage à 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d'euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards nécessaires.
Enfin, pour être complet, les régimes de la fonction publique seront équilibrés par des prélèvements supplémentaires.
Au regard de ces éléments, la réforme permet d'assurer l'intégralité des déficits de nos régimes de retraite, tels qu'ils sont aujourd'hui prévus pour 2020.
Elle est donc financée à 100 %.
Notre objectif était de consolider la répartition pour les deux prochaines décennies et de mettre en place les outils nécessaires au pilotage de son évolution.
Cet objectif est atteint.
Mesdames et messieurs les députés,
La question des retraites a mis en lumière des injustices profondes.
Dans les replis des grands et beaux mots " solidarité " et " répartition ", il y a donc des réalités avec lesquelles le conservatisme s'arrange toujours ! Le statu quo n'est pas l'allié de la justice mais souvent celui de l'injustice.
Quelles sont ces injustices les plus flagrantes ?
La première d'entre elles, c'est l'inégalité qui caractérise la durée de cotisation entre le public et le privé. Cette distinction ne repose sur aucune justification. Ni la moyenne des salaires, ni celle des conditions de travail, n'autorise une telle disparité de traitement entre les Français.
Nul ne pourrait comprendre que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l'effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C'est tout le sens du rendez-vous de l'équité en 2008.
Face à la retraite, le sort réservé aux salariés les plus modestes a été délaissé depuis plus d'une décennie. Le statu quo reviendrait à aggraver encore leur sort. A juste titre, les partenaires sociaux ont fait de ce sujet l'une des conditions de l'accord du 15 mai. Le projet de loi définit un objectif, associant le régime de base et les régimes complémentaires, en faveur des salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre, je le rappelle, 81 % aujourd'hui.
La demande de ceux qui ont travaillé très tôt, et qui doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite, malgré une très longue durée d'assurance, est inlassablement relayée depuis des années, par les partenaires sociaux comme par les parlementaires.
Jusqu'à ce jour, rien ne se faisait, rien n'était appelé à bouger.
Avec la réforme, les choses changeront enfin. Nous avons ouvert un droit nouveau à ceux travaillant depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans. Ils pourront partir en retraite à taux plein, entre 56 et 59 ans. C'est une avancée considérable, unique en Europe.
Avec ce projet, la pénibilité, difficilement mesurable et par nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, fait son entrée dans notre champ social. Les partenaires sociaux seront invités, dans chaque branche, à en définir les contours avant trois ans.
La réforme met également fin aux inégalités de traitement entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés, entre salariés et non salariés. Les commerçants bénéficieront désormais d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, qui permettra d'améliorer leurs pensions, tandis que les professions libérales, à leur demande, connaîtront une réforme profonde de leur régime de base, dans le sens d'une plus grande équité. La mensualisation des retraites des exploitants agricoles ne sera plus, quant à elle, une éternelle promesse, mais une réalité !
Le projet de loi comprend également une réforme de la réversion dans le régime général et les régimes alignés : la pension de réversion sera attribuée désormais sans condition d'âge. C'est un progrès considérable. Le système sera rendu davantage lisible et équitable, en remplaçant la double condition de ressources et de cumul par un plafond de ressources. Il s'agit d'une très importante simplification au bénéfice des veuves.
Justice aussi pour les familles avec le maintien des avantages familiaux, notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Dans les régimes de la fonction publique, la prise en compte de la jurisprudence européenne s'avère nécessaire, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Les bonifications de durée d'assurance seront ainsi ouvertes aux hommes comme aux femmes, sous condition d'une cessation effective, totale ou partielle, d'activité. Mais elles ne seront plus limitées à un an : elles pourront prendre en compte jusqu'à trois ans par enfant.
Enfin, la garantie du pouvoir d'achat de tous les retraités, à travers l'indexation sur les prix, est également une importante mesure d'équité. Nous ne pouvions sur ce point, comme sur d'autres, tourner le dos au fait que l'avantage des uns ignorait l'effort des autres. Le projet de loi propose que, tous les trois ans, une conférence réunisse le Gouvernement et les partenaires sociaux, afin qu'ils définissent ensemble si un " coup de pouce " peut être donné, en fonction de la croissance et de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse.
Les primes des fonctionnaires n'ont jamais été intégrées dans le calcul de leur retraite. Ici encore, l'équité commandait de remédier à cette situation : la création d'un régime additionnel obligatoire le rendra désormais possible à hauteur de 20 % du traitement indiciaire.
Toutes ces avancées démontrent que c'est bien la réforme par l'effort demandé à tous qui permet de dégager les marges de manoeuvre qui font progresser la justice sociale.
Il est temps de reconnaître en France que l'immobilisme creuse les inégalités et que le mouvement les fait reculer !
Mesdames et messieurs les députés,
Avec le vieillissement, le travail et la justice, une autre question a surgi au cours du débat de ces dernières semaines : malgré l'attachement à l'" unicité " de notre système de retraite, un désir de liberté s'est fait jour. Les Français sont attachés aux règles communes, mais n'en sont pas moins soucieux d'exprimer leurs choix individuels pour préparer leur retraite.
Derrière cette double aspiration, il y a un grand enjeu contemporain : comment réaffirmer la force du collectif tout en élargissant l'autonomie de chacun ! Cet enjeu traverse l'ensemble de notre modèle social dont la modernisation passe par une réévaluation de la responsabilité de chacun dans l'usage des droits communs.
Il faut mesurer l'impact que des années de débat et de controverses sur la réforme des retraites a produit chez les Français. Ils ont été invités à s'interroger, à évaluer, et parfois même à découvrir les conditions qui régissent leur retraite.
Ils ont découvert que les droits universels qui caractérisent notre système n'étaient pas indépendants d'une responsabilité individuelle vis à vis de leur retraite.
Ils se sont aperçu que ces droits masquaient souvent des options parmi lesquelles ils leur revenait d'arbitrer. Ils ont ainsi découvert que le droit à la retraite à 60 ans à taux plein ne s'était jamais appliqué que sous certaines conditions, en particulier celle de la durée de cotisation dont chacun est libre de respecter ou non les clauses avec ses avantages et inconvénients.
L'un des mérites du débat est d'avoir provoqué chez nos concitoyens une prise de conscience sur la nécessité d'anticiper, de maîtriser, d'aménager leur parcours personnel dans la perspective de la retraite.
La réforme se devait d'élargir la palette des choix. Tout en fixant un cadre commun sécurisé, nous misons aussi sur la liberté et la responsabilité.
Je le sais, pour certains, liberté et responsabilité individuelles sont ennemies de l'égalité et de la solidarité. Cette conflictualité étouffe le modèle français. Pour nous, ces principes ne s'opposent pas, ils s'enrichissent mutuellement !
La société participative que nous appelons de nos voeux table sur la confiance, la créativité et la lucidité de chacun.
Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l'idée d'une " retraite à la carte ", une " carte " cependant encadrée, car il ne s'agit pas d'échapper aux principaux généraux de la solidarité et de la répartition. Dans cet esprit, un repère et un pivot demeure : je veux parler du droit de liquider sa retraite à 60 ans.
Ce droit est confirmé.
Ceux qui nous accusent de le remettre en cause oublient que la retraite, dans le régime général et les régimes alignés, repose à la fois sur l'âge et sur la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein. Il n'y a jamais eu un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance. Ce droit est donné à 65 ans. Ce sera le cas demain : rien ne change donc en la matière.
En revanche, ce qui va changer ce sont les modalités qui entoureront le choix du départ.
Aujourd'hui, si un salarié souhaite partir à 60 ans alors qu'il ne dispose pas de la durée d'assurance nécessaire, il est soumis à une " décote ", au taux dissuasif de 10 % par année manquante.
Pour donner davantage de choix, nous allègerons ce taux, pour atteindre progressivement 5 % par année manquante. La décote sera la même pour tous, que l'on soit salarié du privé ou fonctionnaire, comme l'exige l'équité, grâce à l'introduction très progressive d'une durée d'assurance tous régimes dans la fonction publique.
Cette " décote " est logiquement complétée par un mécanisme de " surcote ", dont le taux sera de 3 % par an. Ceux qui souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise seront ainsi incités à le faire.
Avec l'assouplissement des mécanismes de retraite progressive et l'élargissement dans la fonction publique de la cessation progressive d'activité, nous ouvrons un espace pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du " tout travail " au " tout retraite ".
La retraite ne sera plus le couperet de naguère.
La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes. Ce rachat sera possible pour les années d'études dans la limite de douze trimestres, soit trois ans.
L'accès de tous à des outils d'épargne retraite élargira l'éventail des possibilités offertes aux Français. Ils s'ajouteront à la répartition mais ne se substitueront pas à elle. Ce qui est possible dans la fonction publique avec la Préfon, doit l'être pour les salariés du privé. Je ne vois pas pourquoi ce droit réservé aux fonctionnaires serait condamnable dès lors qu'il franchit le seuil de nos administrations !
Tout salarié du secteur privé - dans le cadre d'un plan individuel ou collectif - bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Par ailleurs, le projet de loi simplifie considérablement la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il allonge la durée du " plan partenarial d'épargne salariale volontaire ", créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.
Pour choisir, il faut savoir. L'exercice de la liberté suppose la transparence et la connaissance des données.
Notre projet instaure pour la première fois un véritable droit à l'information de chacun sur sa retraite.
Ce droit comprendra d'abord une information générale sur la situation financière des régimes de retraite et sur l'évolution des niveaux de vie entre actifs et retraités : cette mission sera confiée au COR. Il fournira à tous une information individuelle sur le calcul des droits.
Toutes ces innovations sont des atouts mis à la disposition de chacun pour construire sa retraite. Les Français seront libres de doser, de choisir tel ou tel paramètre pour leur future retraite en évaluant, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, les avantages et les inconvénients.
Mesdames et messieurs les députés,
Tel est l'esprit qui anime cette réforme.
Jadis, la France, avec quelques autres nations, a dominé le monde et ses richesses. Cette prééminence nous a permis, non sans conquêtes sociales, de construire les bases de notre modèle social ; un modèle original et envié.
Les conditions de cette domination au service de notre prospérité se sont évanouies. L'émergence de nouvelles puissances place la France dans l'obligation de réajuster son contrat social. Cette obligation nourrit des nostalgies à l'égard d'une prospérité que l'on croit parfois encore sans limite.
Mais les faits sont là.
Six milliards d'habitants réclament désormais leur part de progrès. La France n'a d'autre choix que de se retrousser les manches et de développer ses atouts qui restent nombreux. Nul ne doit s'y tromper : les risques du déclin existent. Les instruments du sursaut aussi. C'est à nous de choisir !
Autour de cette réforme, les crispations étaient inéluctables. Sans doute même ne sont-elles pas inutiles dans le franchissement d'une étape collective.
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les députés, Cette réforme devrait nous rassembler.
Elle peut nous rassembler car elle n'est inspirée par aucune considération dogmatique.
Cette réforme peut nous rassembler car beaucoup d'entre nous ont contribué à en préparer le terrain. Nous sommes partis du constat partagé et des pistes définis par le COR, mais aussi explorés dans le livre blanc de Michel Rocard. Dans cette démarche d'explication et d'évolution progressive, je n'oublie pas la réforme d'Edouard Balladur en 1993, je n'oublie pas celle d'Alain Juppé car le revers des uns préparent parfois les avancées des autres, je n'oublie pas enfin le COR et le Fonds de Réserve des Retraites décidés par Lionel Jospin.
Cette réforme peut nous rassembler car elle est juste, équitable, marquée par des avancées sociales uniques en Europe.
Elle peut nous rassembler car elle est progressive, rythmée par des rendez-vous dont cette majorité et les suivantes feront un usage responsable. Contrairement à ce que prétend aujourd'hui l'opposition, il n'y a pas 36.000 solutions pour maîtriser la révolution démographique. Il existe quelques paramètres - certains sont structurels, d'autres financiers, d'autres culturels - sur lesquels il faudra jouer en fonction des données sociales et économiques du moment.
Ces paramètres forment l'architecture de notre projet. Nous les avons tous plus ou moins actionnés. Nos successeurs en feront de même. Ces successeurs, ils sont peut être d'ailleurs là, sur ces bancs, hostiles aujourd'hui à une réforme qu'ils appliqueront - j'en fais le pari - demain ! Ils l'appliqueront certes avec leurs nuances Et chacun se souviendra alors, non sans sourire, que c'est au nom de ces nuances que l'opposition réclamait à grand cri, quelques années auparavant, le retrait de ce texte.
Enfin et surtout, cette réforme peut nous rassembler comme le souhaite le Président de la République, car elle s'inscrit dans un choix de société qui nous unit : celui de la solidarité et de la répartition. Nous ne changeons pas de système. Nous le réformons pour continuer à le faire vivre ! J'en ai l'intime conviction : cette réforme fera du système des retraites français l'un des plus généreux et des plus solidaires d'Europe.
Oui cette réforme nous rassemblera un jour. Dans dix ou quinze ans, ce ne sera plus la réforme Fillon, la réforme Delevoye ou même la réforme Raffarin...
Autour d'elle, il n'y aura alors ni vainqueur, ni vaincu.
Ce sera une réforme pour la France.
(source http://www.retraites.gouv.fr, le 12 juin 2003)
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les députés,
Après 10 ans de débats, de rapports et d'hésitations, c'est avec la certitude que l'immobilisme et les fausses solutions seraient désastreux pour notre pacte social que je présente devant vous la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.
Cette réforme fait débat. Nos concitoyens éprouvent une certaine appréhension devant le changement, même si au fond d'eux-mêmes, ils sentent bien qu'il faut aller de l'avant.
La contestation actuelle est à l'image de la profondeur d'une réforme qui est au cur de nos pratiques sociales et économiques. Elle est aussi à l'image du malaise qui saisit l'Etat qui, faute d'avoir suffisamment évolué, conduit certains de ses agents à ne plus percevoir la clarté et l'honneur de leur mission.
Mais cette crispation souligne aussi une double caractéristique nationale :
celle du conflit qui s'exerce faute d'une véritable démocratie sociale, avec la faiblesse historique de nos corps intermédiaires. Cette situation n'est pas nouvelle ;
celle ensuite de la démission du politique devant la réforme et devant la nécessité de dessiner l'avenir. L'Etat en est venu à perdre son rôle de donneur de sens.
Le Ier tour de l'élection présidentielle a pourtant démontré que nos concitoyens peuvent être plus sévères vis-à-vis de l'impuissance publique qu'à l'égard de la volonté politique.
La détermination et le sens de la responsabilité qui nous animent sont d'autant plus essentiels qu'à travers la question des retraites, c'est tout notre modèle social qui est défié.
Face à ce défi, l'action est un devoir !
Mesdames et messieurs les députés,
Le Président de la République a défini les grands axes du projet. Le calendrier fixé par le Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, a été scrupuleusement respecté. Personne ne peut nous accuser d'avoir procédé par surprise ou dans la précipitation.
Ce calendrier a permis un dialogue social dont ce projet de loi est l'aboutissement.
La phase de concertation et de négociation fut longue et intense. Du début février à la mi-mai, le dialogue aura duré trois mois et demi au cours desquels tous les aspects de la réforme ont été abordés. Je n'ai aucun exemple d'une réforme économique et sociale ayant fait l'objet, dans un passé récent, d'un tel dialogue.
Notre méthode a porté ses fruits puisqu'un accord a été trouvé avec plusieurs organisations syndicales, le 15 mai 2003. Au nom de quoi ces organisations seraient-elles stigmatisées, voir méprisées, tandis que celles qui ont, en définitive, choisi la voie de la contestation seraient encensées ?
Pour ma part, je ne porte de jugements ni sur les unes, ni sur les autres : chacun a pris ses responsabilités. J'estime même que certaines organisations syndicales, aujourd'hui contestataires, ont apporté une contribution utile à notre projet.
Pouvais-je les convaincre de nous suivre jusqu'au bout ?
J'en doute.
Leur hostilité porte sur une réforme vieille de dix ans, celle de 1993. Elle porte également sur l'augmentation de la durée de cotisation dans le public, point sur lequel nous ne pouvons transiger. Cette équité, certains la contestent au nom d'une étrange défense du service public qui verrait ses fonctionnaires exonérés des efforts demandés à tous les Français. Telle n'est pas notre conception de l'égalité républicaine.
Quant aux " 37,5 annuités pour tous ", quel crédit pouvions-nous accorder à une revendication qui dit aux Français qu'en travaillant moins, leurs retraites pourraient y gagner ? Reste enfin l'option d'augmenter fortement les impôts ou d'introduire de nouvelles taxes Cette quête éperdue de certains à dénicher des prélèvements supplémentaires masque un objectif inavoué : financer à tout prix le statu quo ; financer, en définitive, l'absence même de réforme.
Au regard de tout cela, j'ai la conviction d'être allé aux limites de ce qu'autorise l'intérêt général.
Ceux qui réclament la réouverture des négociations manquent de sincérité, tant leur requête masque des non-dits et des refus... Mais surtout, dans une sorte de confusion des genres qui verrait la négociation permanente repousser les frontières de la décision, ils mélangent et affaiblissent deux légitimités distinctes : celle des partenaires sociaux et celle de l'Etat.
Nous sommes là au coeur de la réflexion sur l'avenir de notre démocratie sociale. Il ne passe pas par une abolition des frontières entre le social et le politique, mais bien au contraire par leur clarification, par une définition du rôle et des compétences de chacun, par une délimitation de la loi et du contrat.
Cette réforme traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays. Elle est le reflet de notre histoire et le miroir de notre société. Elle révèle à la fois les noeuds de la France et les défis qu'elle doit surmonter.
La question des retraites, c'est celle du vieillissement de la France.
La question des retraites, c'est celle du travail.
La question des retraites, c'est celle de la justice.
La question des retraites, c'est enfin celle de la conciliation entre le collectif et l'individuel.
C'est autour de ces quatre questions que je me propose d'engager le débat avec vous.
Mesdames et messieurs les députés,
La France va bientôt vivre une révolution sans précédent dans son histoire, la révolution du vieillissement.
Tout va basculer dans moins de trois ans. Entre 2006 et 2010 la France subira les effets d'un ciseau démographique sans précédent avec le départ massif à la retraite les générations du baby boom.
Mais ce ciseau n'est qu'une entrée en matière.
A partir de 2010, le vieillissement s'accélère globalement et massivement, cette fois-ci principalement du fait de l'allongement de la vie. Et nous savons déjà que les échéances de 2010 ou même de 2020 sont plutôt des points d'étape que d'arrivée.
Les facteurs démographiques sont connus. Ils ne souffrent aucun débat !
L'augmentation de l'âge moyen de la population tout d'abord, avec l'explosion des classes d'âge au-dessus de 60 ans, puis de celles au-dessus de 75 et 80 ans. La proportion des plus de 60 ans par rapport aux 20-59 ans en âge d'activité était de 39 % en 2000 ; elle sera de 54 % en 2015 !
A cela s'ajoute la chute de la fécondité provoquant cette fois-ci un vieillissement de la population par le bas. Du coup, le poids des plus de 45 ans s'accroît aux dépens des générations plus jeunes d'actifs. Bref, la population active vieillit elle aussi, indépendamment de l'explosion des retraités.
Cette révolution, nous devons en mesurer les implications.
Nous l'abordons aujourd'hui à travers le prisme de ce projet. Mais le vieillissement va bouleverser la société française dans toutes ses dimensions.
Aux alentours de 2020, chaque génération d'actifs devra entretenir trois, voir quatre générations à la fois : celle des enfants à scolarité toujours prolongée, celle des seniors ou grands-parents plus actifs encore qu'aujourd'hui, et enfin celle d'arrière-grands-parents parfois en situation de dépendance.
Du coup tout sera changé : nos façons d'envisager l'avenir et de travailler, de gérer les temps de la vie, de percevoir l'identité et le rôle de chaque âge, de concevoir les rapports entre les générations.
Mais nous jugeons une réforme des retraites dans la France d'aujourd'hui, avec nos regards d'aujourd'hui, alors que les principales mesures vont s'appliquer très progressivement dans une France qui aura entre temps beaucoup changé.
Lorsque nous examinerons tel ou tel article de ce projet de loi, gardons en tête, si vous le voulez bien, que ce décalage nous impose de nous projeter à chaque fois dans la France de demain, cette France beaucoup plus vieille qu'aujourd'hui. Le sens même du qualificatif " vieux " sera-t-il toujours celui dont nous parlons aujourd'hui ?
Prenons par exemple l'âge de départ effectif à la retraite, l'un des facteurs critiques du taux d'activité. Nous connaissons l'attachement des Français d'aujourd'hui au départ précoce, avant même 60 ans. Mais dans la France de demain, où chacun côtoiera tous les jours deux ou trois fois plus de seniors, qui plus est dynamiques, il sera sans doute considéré comme une évidence de garder une activité au-delà de 60 ans.
C'est bien pourquoi la progressivité et le pilotage dans la durée sont au cur de notre projet.
L'avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé ici et maintenant une bonne fois pour toutes. Dans les vingt prochaines années, les données du basculement démographique devront être constatées, tout comme leurs conséquences sur l'équilibre financier des régimes et l'attitude générale des Français devant le vieillissement.
C'est de cette nécessité qu'est née l'idée de la réforme en continu, avec des rendez-vous réguliers.
Mesdames et messieurs les députés, ce basculement démographique soulève un enjeu politique majeur : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement ? Faut-il continuer à socialiser la question des retraites par le biais de mécanismes contributifs universels ? Ou faut-il au contraire organiser la dévolution progressive vers la préparation individuelle de sa retraite ?
C'est le débat entre répartition et capitalisation.
Ce débat, le gouvernement l'a tranché.
Le projet de loi qui vous est soumis n'a qu'un seul but : assurer la viabilité et la sécurité de la répartition.
Notre choix en faveur de la répartition est d'abord un choix politique.
Nous choisissons la répartition parce que son principe est l'un de nos consensus.
Nous choisissons la répartition parce qu'elle est une résistance face à la désintégration du corps social.
Nous choisissons la répartition, parce que la répartition, c'est en définitive la République !
Ce choix n'est pas celui de la facilité : c'est celui de l'exigence.
Car sauver la répartition exige d'imposer l'intérêt général. Cela commande de rester ferme face à la montée des intérêts catégoriels.
C'est cette difficulté qui explique le renoncement de ces dernières années sur le dossier des retraites.
Mesdames et messieurs les députés,
Avec la révolution du vieillissement, l'autre grande question soulevée par cette réforme est la relation des Français avec la notion même de travail.
Le débat sur l'avenir de nos retraites est d'abord un débat sur la place du travail en France. Les crispations autour de l'allongement de la durée de cotisation le montrent.
Nous privilégions effectivement l'augmentation du taux d'activité et donc de la durée de cotisation, pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l'horizon 2020.
Telle est la clef de voûte du projet de réforme : demander à tous de travailler un peu plus, pour leur assurer un haut niveau de retraite sans accroître la pression fiscale qui est déjà l'une des plus élevées d'Europe.
Ce choix prend le contre-pied de la majorité précédente sur la question du travail.
Nous disons aux Français qu'en travaillant toujours moins, ils condamnent leur modèle de protection sociale. Nous leur disons qu'il n'y a pas d'autre choix que de travailler plus et mieux si nous voulons préserver nos acquis sociaux et notre position dans le monde.
Nous leur disons tout simplement qu'il n'y a pas de réussite sans effort.
Plus que jamais, le travail reste au centre du développement de nos sociétés. Penser qu'on peut le réduire ou le partager, surtout avec le choc démographique qui va être le nôtre, n'aboutit qu'à laisser se contracter inexorablement l'économie française.
Nous voulons réhabiliter la valeur travail. Face à la concurrence mondiale, la persistance du chômage et la montée de l'insécurité professionnelle, on a depuis trop longtemps cédé à l'illusion des théories sur la fin du travail.
Nous rompons avec cette spirale. Ce que nous vous proposons c'est un effort collectif par le travail pour sauver le coeur du pacte social : la solidarité entre les générations.
L'âge moyen de cessation d'activité des salariés est en France l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés : nous sommes au 23e rang des 29 pays de l'OCDE. Nous cumulons le triste record du taux d'activité des seniors le plus bas et celui du plus fort chômage des jeunes, preuve s'il en est qu'un départ à la retraite ne libère nullement la place pour un jeune. Tel est le résultat des politiques malthusiennes qu'il s'agit de renverser.
Ce renversement suppose une redéfinition sociale de l'âge de travailler. Si le choc démographique la rend indispensable, il la facilite aussi.
Il la rend indispensable parce que nous arrivons à une époque ou le nombre de sexagénaires va dépasser celui des jeunes de moins de vingt ans. Nous avons d'ores et déjà les étudiants les plus âgés et les retraités les plus jeunes des pays comparables au nôtre. La France est seule à être arrivée à cette situation incroyable où une seule génération - parmi des familles qui en comptent trois ou quatre - travaille !
La conclusion s'impose : sans augmenter le taux d'activité des Français, il n'y aura bientôt plus suffisamment d'actifs, non seulement pour payer les retraites, mais pour assurer ne serait-ce que le développement économique du pays !
Mais l'allongement de l'espérance de vie est l'autre grande donnée du choc démographique. Depuis les années 1930, l'espérance de vie a augmenté de 18 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. A 60 ans nous ne serons bientôt qu'aux deux tiers de notre existence.
C'est cette donnée qui permet raisonnablement de tabler sur l'augmentation du taux d'activité qui nous fait tant défaut. Pourtant, elle n'a jamais été prise en compte dans le financement des retraites.
C'est précisément ce que nous nous proposons de faire.
Jusque-là, l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans ne bénéficiait qu'à la retraite. Il semble normal qu'elle se traduise désormais par une augmentation proportionnelle de la vie active et de la retraite, ce d'autant plus que la vie active est déjà réduite par le recul constant de l'âge de fin d'études.
Pour y parvenir, le projet de loi qui vous est soumis repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé à l'horizon 2020 le partage actuel entre vie active et retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose. Mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi.
Cet allongement de la durée d'activité et d'assurance pour toucher une retraite à taux plein, en fonction de l'espérance de vie, est la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge écrasante.
La durée d'assurance doit d'abord être la même pour tous : ce préalable est une nécessité au regard de l'équité.
Une fois l'étape des 40 ans atteinte en 2008 dans les régimes de la fonction publique, la durée de cotisation augmentera très progressivement pour tout le monde de la même manière. La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de 41 ans en 2012.
Cette évolution, je n'ai pas voulu qu'elle soit automatique. Une Commission de garantie des retraites, spécialement constituée à cet effet, se réunira périodiquement, d'abord en 2008 puis en 2012, pour examiner objectivement les données démographiques, économiques et sociales, et tout spécialement les caractéristiques du marché du travail.
Ces rendez-vous permettront un pilotage dans la durée de notre système de retraite.
L'augmentation programmée de cette durée serait en effet impraticable si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité des Français. C'est pour cette raison que nous ne proposons pas d'augmenter dès 2004 la durée de cotisation dans le secteur privé. C'est également la raison pour laquelle nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 ans aujourd'hui à 59 ans en 2008.
La France a cinq ans pour préparer ce premier rendez-vous.
Réussir suppose un profond changement pour limiter la tendance au départ précoce des actifs qui caractérise notre marché du travail.
Pour y parvenir, il est d'abord indispensable de recentrer nos dispositifs de préretraite. Nous ne pouvons plus nous permettre d'encourager le départ anticipé des salariés âgés, comme l'ont fait la plupart des pays européens depuis quinze ans.
Certes les préretraites ne peuvent êtres supprimés du jour au lendemain. Mais il faut en limiter rapidement la portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l'entreprise est en jeu.
Au-delà des préretraites, le défi est d'inciter le monde du travail à réinvestir l'emploi, la carrière et la formation des salariés âgés.
Ici encore, le choc démographique devrait avoir un impact non négligeable sur le comportement des entreprises. Dès 2006, un besoin important de main d'oeuvre se fera nécessairement sentir.
La plupart de nos grandes entreprises prennent conscience du problème. En privilégiant l'allongement de la durée de cotisation pour assurer le financement des retraites, c'est en quelque sorte un marché que nous leur proposons : si les entreprises ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques en faveur de l'emploi des seniors, il n'y aura pas d'autre choix qu'une hausse drastique de leurs charges pour financer les retraites.
Il est désormais essentiel de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de 55 ans, mais aussi de changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes.
Notre projet de loi propose ainsi une série de mesures pour permettre aux seniors de repenser leur place dans l'entreprise, de trouver des activités complémentaires, de miser sur la transmission des savoirs et des métiers.
La retraite progressive reste une exception. Nous voulons l'assouplir : la liquidation de la pension aura un caractère provisoire afin que l'assuré puisse améliorer ses droits par la poursuite d'une activité à temps partiel. De même, le bénéfice de la retraite progressive sera largement ouvert aux assurés ne bénéficiant pas encore du taux plein.
L'application de la contribution Delalande a montré des effets pervers qui n'étaient pas dans les intentions de ses promoteurs. Elle sera également assouplie : l'âge limite sera ramené de 50 à 45 ans et la condition d'inscription comme demandeur d'emploi sera supprimée.
L'âge auquel un employeur peut mettre d'office un salarié à la retraite, s'il remplit les conditions pour bénéficier du taux plein, sera reportée de 60 à 65 ans.
Enfin, les règles de cumul d'un emploi et d'une retraite sont aujourd'hui prohibitives. Nous voulons les assouplir pour qu'un retraité qui le souhaite puisse reprendre une activité lui procurant des revenus.
Mais pour réussir, il faudra aller plus loin, au-delà même de ce projet de loi.
J'ai toujours pensé que la réforme de notre système de formation continue avait un rôle essentiel à jouer pour permettre l'essor du travail des seniors.
Il y a en France une discrimination au travail par l'âge qui est inacceptable. Passé la cinquantaine, la possibilité pour les salariés de changer de poste ou d'entreprise chute dramatiquement. Cette faible mobilité professionnelle de nos seniors s'explique en grande partie par la difficulté qu'ils éprouvent à se re-qualifier.
Ouvrir un véritable droit individuel à formation tout au long de la vie est donc indispensable. Il leur permettra de valoriser leur expérience, de changer de métier ou de poste après 50 ans, de retrouver le cas échéant une seconde carrière dans un autre secteur.
J'ai fortement incité les partenaires sociaux à engager une négociation sur le sujet. Leurs travaux avancent. Certes, de nombreuses difficultés restent en suspens, mais quoi qu'il advienne, l'engagement pris par le Président de la République sur ce sujet essentiel sera tenu par un projet de loi que je vous présenterai à l'automne.
Mais il faut aller plus loin encore.
S'il est crucial que les Français prennent conscience qu'ils doivent travailler un peu plus pour financer leur modèle social, autant faut-il que les conditions mêmes du travail ne les en détournent. Force est de constater qu'elles se sont singulièrement dégradées.
Toutes les enquêtes menées ces dernières années sur le climat social dans l'entreprise attestent la montée d'un sentiment de fragilisation des salariés. L'environnement concurrentiel et ses exigences de compétitivité, la montée des cadences par le passage aux 35 heures, la baisse continue de la représentation syndicale, la crainte du chômage bien sûr et les inquiétudes sur l'avenir : tout ceci peut avoir pour effet un mal-être au travail et une perte de confiance dans le sens même du métier.
Le Ministre des affaires sociales est naturellement à l'écoute de ce malaise français.
Nous devons engager une action à long terme pour redresser cette situation. L'entreprise doit retrouver sa vocation de projet social dans lequel chacun puisse mieux inscrire son devenir professionnel.
Pour cela, réformer les modalités du dialogue social largement héritées d'une autre époque est une priorité.
C'est pourquoi j'attache une grande importance aux discussions nouées avec les partenaires sociaux sur la question de la modernisation de notre démocratie sociale. J'entends vous présenter sous peu un projet de loi qui adaptera enfin le dialogue social aux conditions de notre temps.
Mesdames et Messieurs les députés,
Tout au long de cette bataille pour la réforme des retraites, je n'ai cessé d'entendre ceux qui rejettent notre projet nous opposer la question du chômage.
Lorsque nous disons aux Français qu'ils doivent travailler plus, on nous objecte les licenciements. Et d'avancer de soi-disant contre-propositions et prétendues alternatives ayant toutes pour point commun d'esquiver le rallongement de la durée de cotisation : ici on réclame une ponction sur les revenus financiers, là un renforcement de la pression fiscale via la CSG.
La gauche, qui avait fini par comprendre au pouvoir que la baisse des charges favorisait l'emploi s'empresse dans l'opposition à vouloir les alourdir au motif qu'il ne faut surtout pas demander aux Français de travailler un peu plus pour financer les retraites de demain.
Comment l'opposition parvient-elle à se convaincre que cela n'aurait pas de conséquences catastrophiques sur l'emploi ?
La gauche, qui fait de la consommation l'alpha et l'oméga de la relance, insiste du même souffle pour réduire massivement le pouvoir d'achat afin de financer les retraites par l'impôt et des hausses de cotisation.
Comment l'opposition parvient-elle à se convaincre que cela n'aurait pas d'incidence sur la croissance et donc sur l'emploi ?
La gauche réclame d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers ou les bénéfices des entreprises - ressources par nature incertaines et volatiles - en lieu et place des revenus stables du travail.
Comment mieux faire le lit de la capitalisation qu'elle dit par ailleurs refuser ?
Toute réforme des retraites qui ruinerait la lutte contre le chômage serait parfaitement vaine. Inversement, la diminution du chômage à long terme est indispensable à la sauvegarde de notre système de retraite par répartition.
A partir du moment où l'on décide de ne plus aggraver la diminution du niveau des pensions, le choix se réduit à allonger la durée de cotisation ou à faire monter le chômage par la voie des prélèvements.
C'est bien pourquoi notre projet fait l'hypothèse d'une diminution progressive du taux de chômage à l'horizon 2020. Dans son scénario central, le COR a retenu un chiffre de 4,5 % en 2020 contre 9 % aujourd'hui. Nous avons basé le financement de notre réforme sur un objectif de 5% à 6 %, toujours à l'horizon 2020.
C'est cette hypothèse qui nous permet de rester cohérents avec la volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires tout en assurant le financement des retraites.
Je constate au passage que l'opposition qui conteste cette hypothèse se garde bien de préciser quel niveau de chômage elle retient pour 2020 dans ses contre-propositions. Et pour cause !
Si le niveau de chômage retenu est plus important que le nôtre, alors que l'opposition veuille bien nous expliquer comment elle se propose de financer les retraites sans une hausse inavouable des prélèvements ou sans un plongeon tout aussi inavouable du niveau des pensions.
Il va bien falloir se résoudre à accepter la réalité : il n'y a pas de " trésor caché " ni d'échappatoire pour sécuriser l'avenir des retraites.
Si nous disons qu'il n'y a pas de vraie alternative à cette réforme, ce n'est ni par arrière pensée tactique, ni par arrogance. C'est qu'il est objectivement difficile de concevoir un plan dont l'architecture soit radicalement différente.
On sait que le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est chiffré par le COR à 43 milliards d'euros en 2020.
Les mesures d'allongement de la durée d'assurance et l'indexation des pensions sur les prix que nous proposons permettent de dégager 21 milliards d'euros, soit plus de 46 % du besoin de financement en 2020.
Mais les mesures de justice sociale et d'équité que nous nous proposons d'introduire par la réforme - et sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants - ont naturellement un coût. Nous l'évaluons à 2,7 milliards d'euros par an en 2020.
L'impact net de la réforme devrait donc s'établir à plus de 18 milliards d'euros, ce qui représente plus de 42 % du déficit prévu à l'horizon 2020.
Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, nous proposons de financer le solde, qui représente les deux tiers du déficit prévu pour le régime général, par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse.
Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est donc tout simplement faux.
Faux puisque les mesures de justice sociale que nous introduisons seront financées par une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % en 2006.
Faux puisque nous proposons d'assurer l'équilibre du régime général par une augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008, et jusqu'en 2020, de l'ordre de 3 points. Cela représente un peu moins de 10 milliards d'euros par an.
Simplement, nous voulons assurer l'équilibre de la répartition à prélèvements obligatoires constants pour ne pas handicaper la lutte pour l'emploi. Voilà pourquoi, nous avons prévu de " gager " l'augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée des cotisations d'assurance chômage.
En effet, avec un taux de chômage à 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d'euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards nécessaires.
Enfin, pour être complet, les régimes de la fonction publique seront équilibrés par des prélèvements supplémentaires.
Au regard de ces éléments, la réforme permet d'assurer l'intégralité des déficits de nos régimes de retraite, tels qu'ils sont aujourd'hui prévus pour 2020.
Elle est donc financée à 100 %.
Notre objectif était de consolider la répartition pour les deux prochaines décennies et de mettre en place les outils nécessaires au pilotage de son évolution.
Cet objectif est atteint.
Mesdames et messieurs les députés,
La question des retraites a mis en lumière des injustices profondes.
Dans les replis des grands et beaux mots " solidarité " et " répartition ", il y a donc des réalités avec lesquelles le conservatisme s'arrange toujours ! Le statu quo n'est pas l'allié de la justice mais souvent celui de l'injustice.
Quelles sont ces injustices les plus flagrantes ?
La première d'entre elles, c'est l'inégalité qui caractérise la durée de cotisation entre le public et le privé. Cette distinction ne repose sur aucune justification. Ni la moyenne des salaires, ni celle des conditions de travail, n'autorise une telle disparité de traitement entre les Français.
Nul ne pourrait comprendre que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l'effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C'est tout le sens du rendez-vous de l'équité en 2008.
Face à la retraite, le sort réservé aux salariés les plus modestes a été délaissé depuis plus d'une décennie. Le statu quo reviendrait à aggraver encore leur sort. A juste titre, les partenaires sociaux ont fait de ce sujet l'une des conditions de l'accord du 15 mai. Le projet de loi définit un objectif, associant le régime de base et les régimes complémentaires, en faveur des salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre, je le rappelle, 81 % aujourd'hui.
La demande de ceux qui ont travaillé très tôt, et qui doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite, malgré une très longue durée d'assurance, est inlassablement relayée depuis des années, par les partenaires sociaux comme par les parlementaires.
Jusqu'à ce jour, rien ne se faisait, rien n'était appelé à bouger.
Avec la réforme, les choses changeront enfin. Nous avons ouvert un droit nouveau à ceux travaillant depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans. Ils pourront partir en retraite à taux plein, entre 56 et 59 ans. C'est une avancée considérable, unique en Europe.
Avec ce projet, la pénibilité, difficilement mesurable et par nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, fait son entrée dans notre champ social. Les partenaires sociaux seront invités, dans chaque branche, à en définir les contours avant trois ans.
La réforme met également fin aux inégalités de traitement entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés, entre salariés et non salariés. Les commerçants bénéficieront désormais d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, qui permettra d'améliorer leurs pensions, tandis que les professions libérales, à leur demande, connaîtront une réforme profonde de leur régime de base, dans le sens d'une plus grande équité. La mensualisation des retraites des exploitants agricoles ne sera plus, quant à elle, une éternelle promesse, mais une réalité !
Le projet de loi comprend également une réforme de la réversion dans le régime général et les régimes alignés : la pension de réversion sera attribuée désormais sans condition d'âge. C'est un progrès considérable. Le système sera rendu davantage lisible et équitable, en remplaçant la double condition de ressources et de cumul par un plafond de ressources. Il s'agit d'une très importante simplification au bénéfice des veuves.
Justice aussi pour les familles avec le maintien des avantages familiaux, notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Dans les régimes de la fonction publique, la prise en compte de la jurisprudence européenne s'avère nécessaire, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Les bonifications de durée d'assurance seront ainsi ouvertes aux hommes comme aux femmes, sous condition d'une cessation effective, totale ou partielle, d'activité. Mais elles ne seront plus limitées à un an : elles pourront prendre en compte jusqu'à trois ans par enfant.
Enfin, la garantie du pouvoir d'achat de tous les retraités, à travers l'indexation sur les prix, est également une importante mesure d'équité. Nous ne pouvions sur ce point, comme sur d'autres, tourner le dos au fait que l'avantage des uns ignorait l'effort des autres. Le projet de loi propose que, tous les trois ans, une conférence réunisse le Gouvernement et les partenaires sociaux, afin qu'ils définissent ensemble si un " coup de pouce " peut être donné, en fonction de la croissance et de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse.
Les primes des fonctionnaires n'ont jamais été intégrées dans le calcul de leur retraite. Ici encore, l'équité commandait de remédier à cette situation : la création d'un régime additionnel obligatoire le rendra désormais possible à hauteur de 20 % du traitement indiciaire.
Toutes ces avancées démontrent que c'est bien la réforme par l'effort demandé à tous qui permet de dégager les marges de manoeuvre qui font progresser la justice sociale.
Il est temps de reconnaître en France que l'immobilisme creuse les inégalités et que le mouvement les fait reculer !
Mesdames et messieurs les députés,
Avec le vieillissement, le travail et la justice, une autre question a surgi au cours du débat de ces dernières semaines : malgré l'attachement à l'" unicité " de notre système de retraite, un désir de liberté s'est fait jour. Les Français sont attachés aux règles communes, mais n'en sont pas moins soucieux d'exprimer leurs choix individuels pour préparer leur retraite.
Derrière cette double aspiration, il y a un grand enjeu contemporain : comment réaffirmer la force du collectif tout en élargissant l'autonomie de chacun ! Cet enjeu traverse l'ensemble de notre modèle social dont la modernisation passe par une réévaluation de la responsabilité de chacun dans l'usage des droits communs.
Il faut mesurer l'impact que des années de débat et de controverses sur la réforme des retraites a produit chez les Français. Ils ont été invités à s'interroger, à évaluer, et parfois même à découvrir les conditions qui régissent leur retraite.
Ils ont découvert que les droits universels qui caractérisent notre système n'étaient pas indépendants d'une responsabilité individuelle vis à vis de leur retraite.
Ils se sont aperçu que ces droits masquaient souvent des options parmi lesquelles ils leur revenait d'arbitrer. Ils ont ainsi découvert que le droit à la retraite à 60 ans à taux plein ne s'était jamais appliqué que sous certaines conditions, en particulier celle de la durée de cotisation dont chacun est libre de respecter ou non les clauses avec ses avantages et inconvénients.
L'un des mérites du débat est d'avoir provoqué chez nos concitoyens une prise de conscience sur la nécessité d'anticiper, de maîtriser, d'aménager leur parcours personnel dans la perspective de la retraite.
La réforme se devait d'élargir la palette des choix. Tout en fixant un cadre commun sécurisé, nous misons aussi sur la liberté et la responsabilité.
Je le sais, pour certains, liberté et responsabilité individuelles sont ennemies de l'égalité et de la solidarité. Cette conflictualité étouffe le modèle français. Pour nous, ces principes ne s'opposent pas, ils s'enrichissent mutuellement !
La société participative que nous appelons de nos voeux table sur la confiance, la créativité et la lucidité de chacun.
Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l'idée d'une " retraite à la carte ", une " carte " cependant encadrée, car il ne s'agit pas d'échapper aux principaux généraux de la solidarité et de la répartition. Dans cet esprit, un repère et un pivot demeure : je veux parler du droit de liquider sa retraite à 60 ans.
Ce droit est confirmé.
Ceux qui nous accusent de le remettre en cause oublient que la retraite, dans le régime général et les régimes alignés, repose à la fois sur l'âge et sur la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein. Il n'y a jamais eu un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance. Ce droit est donné à 65 ans. Ce sera le cas demain : rien ne change donc en la matière.
En revanche, ce qui va changer ce sont les modalités qui entoureront le choix du départ.
Aujourd'hui, si un salarié souhaite partir à 60 ans alors qu'il ne dispose pas de la durée d'assurance nécessaire, il est soumis à une " décote ", au taux dissuasif de 10 % par année manquante.
Pour donner davantage de choix, nous allègerons ce taux, pour atteindre progressivement 5 % par année manquante. La décote sera la même pour tous, que l'on soit salarié du privé ou fonctionnaire, comme l'exige l'équité, grâce à l'introduction très progressive d'une durée d'assurance tous régimes dans la fonction publique.
Cette " décote " est logiquement complétée par un mécanisme de " surcote ", dont le taux sera de 3 % par an. Ceux qui souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise seront ainsi incités à le faire.
Avec l'assouplissement des mécanismes de retraite progressive et l'élargissement dans la fonction publique de la cessation progressive d'activité, nous ouvrons un espace pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du " tout travail " au " tout retraite ".
La retraite ne sera plus le couperet de naguère.
La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes. Ce rachat sera possible pour les années d'études dans la limite de douze trimestres, soit trois ans.
L'accès de tous à des outils d'épargne retraite élargira l'éventail des possibilités offertes aux Français. Ils s'ajouteront à la répartition mais ne se substitueront pas à elle. Ce qui est possible dans la fonction publique avec la Préfon, doit l'être pour les salariés du privé. Je ne vois pas pourquoi ce droit réservé aux fonctionnaires serait condamnable dès lors qu'il franchit le seuil de nos administrations !
Tout salarié du secteur privé - dans le cadre d'un plan individuel ou collectif - bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Par ailleurs, le projet de loi simplifie considérablement la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il allonge la durée du " plan partenarial d'épargne salariale volontaire ", créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.
Pour choisir, il faut savoir. L'exercice de la liberté suppose la transparence et la connaissance des données.
Notre projet instaure pour la première fois un véritable droit à l'information de chacun sur sa retraite.
Ce droit comprendra d'abord une information générale sur la situation financière des régimes de retraite et sur l'évolution des niveaux de vie entre actifs et retraités : cette mission sera confiée au COR. Il fournira à tous une information individuelle sur le calcul des droits.
Toutes ces innovations sont des atouts mis à la disposition de chacun pour construire sa retraite. Les Français seront libres de doser, de choisir tel ou tel paramètre pour leur future retraite en évaluant, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, les avantages et les inconvénients.
Mesdames et messieurs les députés,
Tel est l'esprit qui anime cette réforme.
Jadis, la France, avec quelques autres nations, a dominé le monde et ses richesses. Cette prééminence nous a permis, non sans conquêtes sociales, de construire les bases de notre modèle social ; un modèle original et envié.
Les conditions de cette domination au service de notre prospérité se sont évanouies. L'émergence de nouvelles puissances place la France dans l'obligation de réajuster son contrat social. Cette obligation nourrit des nostalgies à l'égard d'une prospérité que l'on croit parfois encore sans limite.
Mais les faits sont là.
Six milliards d'habitants réclament désormais leur part de progrès. La France n'a d'autre choix que de se retrousser les manches et de développer ses atouts qui restent nombreux. Nul ne doit s'y tromper : les risques du déclin existent. Les instruments du sursaut aussi. C'est à nous de choisir !
Autour de cette réforme, les crispations étaient inéluctables. Sans doute même ne sont-elles pas inutiles dans le franchissement d'une étape collective.
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les députés, Cette réforme devrait nous rassembler.
Elle peut nous rassembler car elle n'est inspirée par aucune considération dogmatique.
Cette réforme peut nous rassembler car beaucoup d'entre nous ont contribué à en préparer le terrain. Nous sommes partis du constat partagé et des pistes définis par le COR, mais aussi explorés dans le livre blanc de Michel Rocard. Dans cette démarche d'explication et d'évolution progressive, je n'oublie pas la réforme d'Edouard Balladur en 1993, je n'oublie pas celle d'Alain Juppé car le revers des uns préparent parfois les avancées des autres, je n'oublie pas enfin le COR et le Fonds de Réserve des Retraites décidés par Lionel Jospin.
Cette réforme peut nous rassembler car elle est juste, équitable, marquée par des avancées sociales uniques en Europe.
Elle peut nous rassembler car elle est progressive, rythmée par des rendez-vous dont cette majorité et les suivantes feront un usage responsable. Contrairement à ce que prétend aujourd'hui l'opposition, il n'y a pas 36.000 solutions pour maîtriser la révolution démographique. Il existe quelques paramètres - certains sont structurels, d'autres financiers, d'autres culturels - sur lesquels il faudra jouer en fonction des données sociales et économiques du moment.
Ces paramètres forment l'architecture de notre projet. Nous les avons tous plus ou moins actionnés. Nos successeurs en feront de même. Ces successeurs, ils sont peut être d'ailleurs là, sur ces bancs, hostiles aujourd'hui à une réforme qu'ils appliqueront - j'en fais le pari - demain ! Ils l'appliqueront certes avec leurs nuances Et chacun se souviendra alors, non sans sourire, que c'est au nom de ces nuances que l'opposition réclamait à grand cri, quelques années auparavant, le retrait de ce texte.
Enfin et surtout, cette réforme peut nous rassembler comme le souhaite le Président de la République, car elle s'inscrit dans un choix de société qui nous unit : celui de la solidarité et de la répartition. Nous ne changeons pas de système. Nous le réformons pour continuer à le faire vivre ! J'en ai l'intime conviction : cette réforme fera du système des retraites français l'un des plus généreux et des plus solidaires d'Europe.
Oui cette réforme nous rassemblera un jour. Dans dix ou quinze ans, ce ne sera plus la réforme Fillon, la réforme Delevoye ou même la réforme Raffarin...
Autour d'elle, il n'y aura alors ni vainqueur, ni vaincu.
Ce sera une réforme pour la France.
(source http://www.retraites.gouv.fr, le 12 juin 2003)