Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les grandes lignes du programme d'actions en faveur des personnes dépendantes, Paris le 6 novembre 2003.

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Circonstance : Présentation de la réforme de solidarité pour les personnes dépendantes, Paris le 6 novembre 2003

Texte intégral

- Version provisoire, seul le prononcé fait foi -
1) Un besoin d'action

Notre pays s'est toujours efforcé de développer des politiques publiques innovantes et ambitieuses pour la famille, pour la santé, pour la retraite.
Mon gouvernement s'est attaché depuis 18 mois à consolider par la réforme les bases de notre protection sociale : celle du SMIC, celle des retraites, celle de la politique familiale, la décentralisation parce que les politiques sociales doivent être mises en oeuvre au plus près du terrain.
Demain, celle de l'assurance maladie pour assurer son avenir.
Aujourd'hui je vous présente une grande réforme sociale, celle de la dépendance.
Pourtant, l'été dernier, notre pays a été meurtri par les conséquences de la canicule.
Cet évènement a été très douloureux.
Le drame que nous avons tous vécu a révélé un devoir d'action car nous avions pris du retard.
Nous vivons plus longtemps et nous avions jusqu'ici - reconnaissons-le - insuffisamment pris en compte l'ensemble des conséquences humaines de ce vieillissement : perte d'autonomie, isolement, fragilité.

Notre devoir est de remettre la France au meilleur niveau européen pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Une autre forme de dépendance frappe la société française, celle qui touche les personnes handicapées et polyhandicapées.
La loi fondatrice de 1975 a constitué un grand progrès car elle reconnaissait, pour la première fois, un ensemble cohérent de droits.
Mais nous voulons franchir une nouvelle étape.
C'est la volonté du Président de la République.
C'est la mienne et celle de tout mon Gouvernement.

L'attente légitime des personnes handicapées a évolué.
Avec leur famille, elles demandent à mieux participer aux décisions qui les concernent et à pouvoir mieux réaliser leur projet de vie.

C'est pour répondre à ces attentes qui sont aussi des souffrances, que mon gouvernement a décidé de mettre en uvre de nouveaux droits et tout particulièrement le droit à la compensation du handicap en vue de garantir une égalité des chances et une citoyenneté pleine et entière aux personnes handicapées.

La dépendance est une interpellation quotidienne pour chacun d'entre nous.
Il faut aujourd'hui y apporter des réponses ambitieuses qui vont nous engager durablement.
Je suis là aujourd'hui pour vous faire part des décisions que j'ai décidé d'engager.

Cette grande réforme sociale repose sur deux programmes et un financement :

- cette réforme consacre pour la première fois une prise en charge globale de la dépendance.
Aux nouveaux besoins ,nous répondons par de nouveaux droits et par la création d'une nouvelle branche de notre protection sociale.
- deux programmes car les besoins et les attentes sont spécifiques pour les personnes âgées d'une part et les personnes handicapées d'autre part.
- un financement sécurisé, faisant appel à la solidarité et à la fraternité des Françaises et des Français.
2) - Deux programmes d'actions sur 4 ans :
Pour les handicapés, la réforme de la loi de 1975 préparée par Mme Marie-Thérèse BOISSEAU et qui sera prochainement débattue au Parlement affirmera trois priorités :

- créer un véritable droit à compensation du handicap : c'est-à-dire la prise en charge de façon personnalisée des surcoûts de toutes natures liés au handicap : livres scolaires en braille, chien d'aveugle, fauteuils spécialisés, présence d'auxiliaires de vie pour des personnes lourdement handicapées...
- renforcer l'intégration dans la cité : c'est-à-dire généraliser et rendre effectif l'accès à l'école, à l'université, aux transports, aux bâtiments, à l'emploi ..., en développant l'accompagnement et la personnalisation des aides.
Dans cet esprit mon gouvernement a déjà multiplié par 6 le nombre d'auxiliaires de vie scolaire pour l'accompagnement des enfants handicapés (6000 AVS).
- simplifier l'accès aux droits : c'est-à-dire adapter les institutions et les procédures dans un souci de simplification et de clarification administratives, de transparence et d'efficacité, mais aussi de participation des intéressés et de leurs familles aux décisions qui les concernent, notamment en créant dans chaque département des " maisons des personnes handicapées ".
Pour les personnes âgées : trois priorités également :

- Privilégier le maintien à domicile pour répondre à la première exigence des personnes âgées : vivre chez eux le plus longtemps possible (ne l'oublions pas, près de 90% des personnes de 75 ans et plus vivent à domicile).
Pour y parvenir, nous mettrons en oeuvre toute la gamme des services indispensables, notamment avec le développement des prestations médicalisées à domicile. Il s'agit également de protéger le cadre familial, puisque c'est l'entourage qui est aujourd'hui le premier lien de soutien ou, à l'inverse, de rompre l'isolement dont elles peuvent se retrouver les victimes.

Notre programme permettra donc d'augmenter et de diversifier l'offre de places en matière de services de soins infirmiers à domicile, d'hébergement temporaire et de formules d'accueil ou de services innovantes destinées à accompagner et soutenir les personnes âgées et leurs familles.
Sur 4 ans près de 30 000 places supplémentaires seront créées dont 17 000 places en soins infirmiers à domicile et 13 000 places d'hébergement temporaires et d'accueil de jour.
Favoriser le maintien à domicile des personnes âgées nécessite également que soit mis en place un système de vigilance et d'alerte, le plan vermeil, pour être en mesure de faire face sans délai à des risques comme celui que nous avons connu l'été dernier.
Enfin le gouvernement développera toutes les filières professionnelles de l'aide à domicile (TVA à taux réduit)
- moderniser nos 6500 maisons de retraite en renforçant leur médicalisation par l'accroissement du nombre d'infirmières et d'aides-soignants.
C'est un effort considérable que va réaliser le gouvernement : 15 000 personnels soignants recrutées d'ici 2007 dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées.

10 000 places nouvelles seront médicalisées en maisons de retraite soit l'équivalent de plus de 200 maisons de retraite nouvelle d'ici 2007.
A cet effort financier supplémentaire doit s'ajouter une amélioration de la qualité de l'organisation de ces établissements.
J'ai demandé à M. FALCO, secrétaire d'Etat aux personnes âgées d'organiser une mission d'évaluation et de propositions.

La modernisation des maisons de retraite passera également par une modernisation des normes, notamment en matière de climatisation.
D'ici 2007, toutes les maisons de retraite devront disposer d'au moins une pièce climatisée.

- Troisième priorité du gouvernement, améliorer la prise en charge sanitaire des personnes âgées par le développement des services gériatriques qui rassembleront toutes les compétences nécessaires.
Nous disposerons ainsi de pôles d'excellence, qui pourront diffuser les bonnes pratiques gériatriques sur l'ensemble des hôpitaux français.
Par ailleurs, le plan Hôpital 2007 notamment pour les urgences participera à cette action.
9 milliards d'Euros pour les personnes dépendantes

Ces deux programmes nécessiteront des moyens financiers très importants.
Ils monteront en charge progressivement d'ici 2008, soit 9 milliards d'Euros supplémentaires.
Ils s'ajouteront aux 660 millions déjà décidés dans le cadre du PLFSS 2004, pour la prise en charge de la dépendance des personnes âgées ou handicapées (création de places) et aux mesures fiscales décidées en faveur des personnes âgées dépendantes et des handicapés (extension du champ du crédit d'impôt).
Ces financements permettront enfin de sécuriser et de pérenniser le financement de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) qui, je dois le rappeler, ne l'était absolument pas.

3) Ces financements nouveaux seront affectés en totalité à une nouvelle Caisse Nationale qui en garantira l'utilisation exclusive au profit des personnes âgées et des personnes handicapées :

Cette nouvelle Caisse Nationale - la Caisse Nationale de solidarité pour l'autonomie - rassemblera les moyens mobilisés par l'Etat et l'assurance maladie pour prendre en charge la dépendance des personnes âgées et des personnes handicapées.
Elle prendra progressivement en charge la totalité des financements de cette nouvelle branche de notre protection sociale.

Elle veillera à assurer l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire et mènera les études, recherches et évaluations nécessaires sur les phénomènes de dépendance.

Elle n'a pas vocation à gérer le risque de la dépendance.
En cela elle sera différente des Caisses de sécurité sociale, telle que la CNAM ou la CNAV.
Elle déléguera les moyens financiers aux départements qui seront responsables de la mise en uvre globale de la politique de la dépendance (aides financières à la personne dépendante, aide technique, aide humaine, structures d'hébergement ou de travail).
Pour garantir la transparence de l'affectation des fonds issus de la solidarité et de la fraternité et son utilisation au profit des personnes âgées et handicapées, ses organes de surveillance associeront les élus, les partenaires sociaux et les représentants des milieux associatifs.

Vous l'avez bien compris : le dispositif est national mais sa gestion, qui doit être marquée par la proximité, sera décentralisée.

Bien entendu, beaucoup de travail reste à faire.

Pour cela deux personnalités reconnues, M. Raoul BRIET, Conseiller Maître à la Cour des Comptes, et M. Pierre JAMET, Directeur Général des services du département du Rhône, travailleront ensemble à la création de cette Caisse, sa gouvernance et ses objectifs.
Ils animeront la nécessaire concertation avec les élus départementaux, les partenaires sociaux, les professionnels et les représentants des associations concernées.
Cette caisse sera opérationnelle avant la fin 2004.
4) Le financement
Pour financer ces programmes, nous avons besoin de contributions qui fasse appel à la solidarité et à la fraternité.
J'ai beaucoup consulté.
ll y a peu d'alternative ; c'est soit l'impôt par le biais de la CSG, mais il a le défaut de peser sur le pouvoir d'achat des salariés, soit de demander un engagement personnel des Français par leur travail.

Le Gouvernement a choisi cette voie en leur demandant de travailler un jour de plus pour assurer une part du financement de ces programmes d'actions.

En contrepartie de cette journée de travail supplémentaire, les entreprises à l'exception des entreprises uni-personnelles mais aussi l'Etat, les collectivités locales, les établissements publics paieront une contribution qui ira en totalité à la nouvelle caisse.
Cette cotisation sera de 0,3 %.
Elle sera à la charge de leurs employeurs, public ou privé qui vont bénéficier de cette journée de travail supplémentaire.
Ce montant correspond au surcroît de valeur ajoutée.

Ce financement sera solidaire.
C'est pourquoi les revenus du capital - à l'exception de l'épargne populaire tel que le livret A- seront soumis à la même contribution.

Pour cette journée de travail supplémentaire, cette journée d'engagement, l'Etat et les institutions qui en dépendent choisiront le lundi de Pentecôte.
Il en sera de même pour les autres secteurs d'activité sauf si les partenaires sociaux en disposent autrement.
En effet, soucieux du dialogue social et conscient de la diversité de situations professionnelles ou géographiques, des accords de branches ou d'entreprises pourront prévoir une autre date.

Cette réforme nécessitera des dispositions législatives nouvelles qui ne pourront intervenir qu'au premier semestre 2004.
Elle aura besoin également de temps pour la négociation dans les branches ou les entreprises.
J'ai écouté et entendu certaines réserves.
Je souhaite laisser le temps de s'organiser différemment à tous ceux qui ont d'ores et déjà pris des engagements personnels ou programmés des manifestations culturelles, religieuses, sportives ou touristiques.
C'est la raison pour laquelle, en ce qui concerne l'année prochaine, le lundi de Pentecôte 2004 continuera à être férié.
Ainsi le jour de travail supplémentaire devra être effectué pour la première année entre le 1er juillet 2004 et le 1er juillet 2005.
C'est pourquoi la contribution de solidarité de 0 ,3 % à la charge des employeurs et sur les revenus du patrimoine s'appliquera dès juillet 2004.
CONCLUSION

Au mois d'août dernier, j'avais évoqué mon souci d'engager les moyens nécessaires là où ils seraient utiles.
Nous y sommes parvenus.
Ces moyens nouveaux sont des moyens garantis dans le temps .

J'avais également souligné la nécessité de ne pas se limiter à des réponses techniciennes.
J'en appelais à un " surcroît de fraternité " : c'est le sens de cet engagement de solidarité demandé aux Français à travers l'instauration de ce qu'il convient bien d'appeler une véritable " journée de la solidarité et de la fraternité ".

- Face aux douleurs de la dépendance, n'oublions jamais cependant que la réponse à apporter ne pourra être que collective.
Etat, collectivités locales, réseaux associatifs, réseaux de soins, établissements hospitaliers et d'hébergement des personnes âgées doivent concevoir et mettre en uvre ensemble une chaîne de soutien du vieillissement , du simple accompagnement à la prise en charge et sanitaire et sociale.

- Face au phénomène de la dépendance, n'oublions jamais non plus que la seule réponse financière restera insuffisante.
Les attentes fortes qui s'expriment nous renvoient chacun à la question du lien social dans notre pays, du lien entre générations en particulier.

- Pour sa part, le gouvernement prend aujourd'hui ses responsabilités, il s'engage résolument et dans la durée et il appelle à une solidarité nationale.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 6 novembre 2003)