Texte intégral
F. Laborde-. Nous allons commencer par les mouvements de protestation des débitants de tabac, qui prévoient une grande manifestation le lundi 24 novembre. Vous leur avez envoyé une lettre aujourd'hui, pour leur dire que vous allez compenser intégralement leur manque à gagner lié au plafonnement des prix ?
- "Oui, à la demande du Premier ministre, on leur a envoyé un contrat d'avenir, pour que cette profession qui vendait beaucoup de tabac et qui en vend encore, puisse organiser sa mutation vers d'autres activités. Le Gouvernement a une politique très cohérente : d'un côté, il engage la plus formidable lutte qu'on ait jamais engagée contre le cancer..."
Moins 20 % de fumeurs d'ici 2007, disait M. Mattei ?
- "Chaque année, 60.000 Français fumeurs meurent du cancer. Ce n'est pas rien, c'est vraiment quelque chose sur lequel on doit donner un grand coup de marteau. Mais il n'y a aucune raison que ce coup de marteau soit donné sur les buralistes, qui sont des entrepreneurs, qui ont acheté des fonds de commerce..."
Qui sont 34.000 et qui ont aussi une influence auprès de l'électorat qui peut être assez importante ?
- "Je ne crois pas que ce soit cela. Si nous avions simplement eu une politique électoraliste, nous aurions fait ce qu'ils demandaient, c'est-à-dire que nous aurions renoncé à notre politique de hausse des prix du tabac. Nous n'avons pas cédé à cette demande. En revanche, nous sommes équitables, nous sommes justes et nous ne voulons pas que ce réseau disparaisse. Nous voulons donc leur donner des compensations financières. Ils vont vendre moins de tabac, c'est évident, ils le savent. Mais en revanche, ils auront un revenu qui sera garanti, quel que soit le lieu d'implantation. Même au bord de la frontière espagnole, au bord de la frontière luxembourgeoise, là où on voit bien que la concurrence est très forte, les buralistes ne verront pas leurs revenus diminués, quel que soit le prix au 1er janvier 2004."
Vous aviez annoncé 130 millions d'euros. C'est un ordre de grandeur ?
- "Il y a un coût budgétaire et ce sera d'autant plus cher que la chute de la vente de tabac sera forte..."
Et il faudra compenser...
- "C'est donc vraiment vertueux, parce qu'en même temps, s'il y a moins de fumeurs et moins de cancers, de l'autre côté, toute la société y trouve son compte."
Quelles activités de remplacement pour ces débitants de tabac ?
- "Ce réseau est formidable, ce sont des gens qui sont ouverts toute la semaine pratiquement et ils sont disponibles pour les Français. Il faut donc mettre en place de nouvelles activités : 2.000 points Poste, y compris en zone rurale..."
Mais qu'est-ce que cela veut dire, des points Poste ? Cela existe déjà...
- "Ce seront des points Poste là où cela n'existe pas justement..."
Ils vont vendre des timbres, seront des boîtes aux lettres ?
- "Oui, les lettres recommandées par exemple, un certain nombre de choses qui, aujourd'hui, ne sont pas disponibles dans certains territoires. Deuxième chose : la Française des Jeux va monter avec eux des partenariats plus importants - ils font déjà d'ailleurs pas mal d'activités de jeux. Troisième chose : je souhaite installer, dans chaque bureau de tabac, une borne Internet multiservices, qui permettre à chaque Français de trouver tous les formulaires - et Dieu sait s'il y a des formulaires en France -, qui sont souvent indisponibles et qu'on pourra trouver là, avec peut-être d'autres services, comme des réservations de spectacle, la possibilité de consulter les sites ANPE, tous les services possibles sur Internet, avec un conseil du buraliste apporté à chaque Français."
Si j'ai bien compris, vous allez offrir des terminaux Internet aux débitants de tabac...
- "On ne va peut-être pas leur offrir. On va voir avec eux comment on installe de nouvelles activités dans leur débit de tabac. Et petit à petit, ils vont passer à d'autres activités."
Cela veut dire que l'administration française fera en sorte que la plupart des formulaires soit mis à disposition sur Internet ?
- "Oui, c'est-à-dire rendre un vrai service aux Français, qui souvent ne savent pas où aller trouver le formulaire pour le permis conduire... C'est ce que l'on appelle les formulaires Cerfa. Il y en a des centaines, c'est parfois même ahurissant de voir le nombre de formulaires que l'on a. J'essaie d'en diminuer le nombre. Mais ces formulaires seront disponibles par Internet, chez les buralistes. Voilà des choses nouvelles. Il y a les monnaies et médailles, il y a les timbres de chasse pour les chasseurs, il y a toute sorte de chose que l'on peut mettre en place dans ces endroits de proximité..."
Les timbres-amendes pour les PV, qu'on ne trouve pas toujours...
- "Voilà. Et pour cela, nous travaillons avec eux. Il y a deux parlementaires en mission, Y. Bur et L. Luca, qui vont suivre ce dossier de très près. C'est un contrat de confiance, c'est un contrat sur la durée, qui va leur permettre d'assurer leur mutation. Il y a d'autres professions qui ont bougé, comme cela, et je pense qu'ils sont tout à fait capables de le faire."
Ceux qui ont suivi de près l'évolution de la politique gouvernementale concernant le prix du tabac, se sont aussi émus parfois de voir que vous aviez décidé une forte augmentation et que devant la protestation des débitants de tabac, un moratoire de quatre ans a été annoncé par J.-P. Raffarin. Est-ce qu'effectivement, ce n'est pas une façon de revenir en arrière ?
- "J.-P. Raffarin a été particulièrement courageux sur cette affaire, parce qu'il est vrai que ce n'est pas forcément très populaire d'augmenter le prix des cigarettes comme il l'a fait. Et il l'a fait comme on ne l'a jamais fait depuis la loi Veil de 1976. On a maintenant atteint un prix dissuasif, c'est-à-dire qui vraiment incite les Français à moins fumer. On voit déjà les résultats : dans les files d'attente des consultations anti-tabac, dans la vente de patchs, on n'a jamais eu une telle prise de conscience, aujourd'hui en France, que le tabac tue. Donc cette politique obtient déjà des résultats. Mais on n'est pas tellement totalement irresponsables. C'est comme sur les autoroutes : on est à 130 km/h, mais ce n'est parce qu'il y a des morts et qu'on lutte contre les morts que l'on va baisser sur la vitesse sur les autoroutes à 30 km/h. Il faut donc être raisonnable. Donc cette pause dans l'augmentation de la fiscalité du tabac, ce n'est pas du tout le renoncement à une politique de lutte contre le cancer. C'est au contraire un moment de respiration, après une phase choc qui va aujourd'hui produire ses effets."
Un mot sur la TVA dans la restauration : vous l'aviez annoncée, on l'attend, et puis on l'attend encore, puisqu'il va y avoir une décision au niveau européen. Cette TVA dans la restauration va-t-elle oui ou non baisser ?
- "Le Gouvernement est totalement déterminé à l'obtenir de ses partenaires européens, et tout particulièrement de l'Allemagne, qui est réticente, on le sait bien... C'est un problème européen, mais le Gouvernement français, lui, ne faiblira pas, il veut mettre en place la baisse de la TVA dans la restauration en 2004. Pour cela, il lui faut le feu vert de l'ensemble des Etats membres européens. Nous attendons donc les prochains conseils Ecofin des ministres des Finances, qui vont prendre cette décision."
Et vous pensez que les Allemands vont évoluer sur ce dossier ?
- "Pour l'instant, nous ne le savons pas, puisque les Allemands continuent à dire qu'ils ne veulent pas de cette mesure."
Autre question qui préoccupe les chefs d'entreprise, c'est la conjoncture économique et la baisse du dollar qui pénalise l'euro. Celui-ci se retrouve à peu près à 20 % au-dessus de ce qui serait une bonne parité d'un euro pour un dollar. Est-ce effectivement inquiétant ? Est-ce qu'effectivement, cela nous fait perdre de la croissance, comme le disent un certain nombre d'experts ?
- "La croissance tient à beaucoup de facteurs. Le premier facteur, c'est le moteur consommation, et le deuxième facteur, c'est le facteur investissement des entreprises. Et puis il y a les exportations, troisième moteur, qui tiennent compte en grande partie de la parité euro-dollar. Aujourd'hui, ce qu'il faut dire aux Français, c'est que ça repart. Cela repart dans le coeur de l'économie. Alors, les Français ne le voient pas forcément très bien, parce qu'ils ont l'impression que le taux de chômage s'est stabilisé mais que ce n'est pas encore ça... Mais nous leur disons ce qui se passe dans les entreprises : ça redémarre au troisième trimestre de l'année 2004, la croissance repart. Donc cela va arriver jusqu'à eux. Et cela dépend aussi d'eux, mais parce que si maintenant, ils se disent que ça y est, que l'avenir s'éclaircit et qu'ils recommencent à consommer, eh bien, la croissance sera plus rapidement en France et on aura moins de chômeurs plus vite. C'est donc aussi aux Français - la consommation des ménages représentant 60 % du PIB - d'ouvrir leur portefeuille et de dépenser un peu plus, parce qu'on est un pays d'écureuils, on épargne énormément, et il faut moins épargner et plus consommer..."
Vous avez regardé N. Sarkozy, hier soir sur France 2. Il a dit à un moment donné que la présidence, il pouvait y penser parfois, et pas seulement en se rasant. Donne-t-il le fond de sa pensée en disant cela ?
- "Il est très difficile de courir deux lièvres à la fois. Un ministre c'est fait pour atteindre un certain nombre d'objectifs, et notamment ceux qui ont été fixés par le président de la République..."
C'est un conseil que vous lui donnez ?
- "C'est la seule chose à laquelle doit penser un ministre du gouvernement Raffarin aujourd'hui : c'est remplir le contrat de confiance qui a été passé avec les Français et faire en sorte que les résultats soient là le plus possible. Dans son domaine, c'est la sécurité. Dans le mien, c'est par exemple la création d'entreprises - on a de très bons résultats. Dans d'autres domaines, G. de Robien, en matière d'accidents de la route, obtient des résultats. C'est un gouvernement qui a l'obsession du résultat. Ce n'est pas toujours facile aujourd'hui, parce qu'il n'y a pas beaucoup de vent, mais nous y arriverons."
C'est donc un petit conseil à N. Sarkozy : obsession du résultat et c'est tout !
- "Mais je crois qu'il l'a."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 novembre 2003)