Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à RTL le 15 avril 2003, sur les négociations avec les partenaires sociaux pour la réforme des retraites.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt-. La phase de concertation s'achève cette semaine en ce qui concerne la réforme des retraites. Vous allez encore rencontrer les syndicats de fonctionnaires, aujourd'hui et demain et puis, vendredi, en compagnie de F. Fillon. Vous recevrez un à un les partenaires sociaux. Ils attendent tous l'annonce de direction de réforme précise. Est-ce que c'est ce que vous allez leur proposer ?
- " Après le temps de l'écoute, du dialogue, de la discussion, nous rentrons maintenant dans le temps de la décision, puisque le Premier ministre a très clairement indiqué que son projet serait communiqué en conseil des ministres le 7 mai. Et donc effectivement je reçois pendant deux jours l'ensemble des syndicats à la fonction publique. Avec F. Fillon, nous recevons les confédérations, et on fera à ce moment-là le point de nos divergences et de nos convergences. Je voudrais d'ailleurs, rebondissant sur les propos de C. Clerc, dire qu'il n'a jamais été question de réduire les avantages familiaux, et que par contre nous partageons son analyse selon laquelle la réussite de la réforme de la retraite passera par deux conditions essentielles : augmenter le taux d'activité des plus de 50 ans dans notre pays et des moins de 25 ans, et redonner une force à une politique nataliste et familiale, qui permette de concilier vie professionnelle et éducation des enfants. "
Pour reprendre ma question, serez-vous précis, vendredi ? Etes-vous déjà en mesure de proposer...
- " Les points de discussions sont maintenant connus, et d'ailleurs chacun les connaît. Il s'agit des taux de remplacement, il s'agit de la durée de cotisations. Nous aurons quelques indications, quelques convictions à faire partager. Bien évidemment, l'ensemble des décisions sera arrêté par le Premier ministre d'ici le début du mois de mai. "
Alors quelques éléments de contexte : d'abord, vous savez que la Sofrès a commencé, le mois dernier, à publier pour RTL/Le Monde et Notre Temps, un baromètre de la réforme des retraites. Dans celui qui paraît ce mois-ci et qui a été réalisé la semaine dernière, 66 % des Français se déclarent plutôt inquiets quand ils pensent à leur retraite. Ils était 58 % il y a un mois.
- " Ils ont raison. "
Raison d'être inquiets...
- " Le danger des retraites, c'est de ne pas les réformer. Car ne pas les réformer, on va dans le mur. C'est-à-dire qu'on va demander à nos jeunes de travailler de plus en plus pour toucher de moins en moins. Et ça c'est totalement intolérable. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, chacun est conscient de l'urgence de la réforme, de la nécessité de la réforme ; chacun est inquiet pour savoir quelles sont les décisions et les conséquences personnelles de ces décisions. Or, cette réforme ne sera ni brutale, ni imposée brutalement à la date du 1er septembre. Elle sera progressive, elle sera crédible, et elle demandera un effort équilibré à chacun. "
71 % des Français - toujours selon ce baromètre - considèrent que d'accord il faut aligner la durée des cotisations des fonctionnaires sur celle du privé, c'est-à-dire 40 ans. Mais concernant les fonctionnaires eux-mêmes, ils étaient 55 % à accepter cette idée d'alignement. Ils ne sont plus que 43 %.
- " Chacun doit être conscient que plus la durée de vie s'allongera, plus le partage entre le temps du travail et le temps de la retraite doit être équilibré. Deuxième élément, on ne peut pas vouloir tout et son contraire. Si nous sommes les uns et les autres attachés au système de répartition, ça veut dire quoi ? ça ne veut pas dire : j'ai cotisé toute ma vie, j'ai droit à... Pas du tout ! Ceux qui travaillent paient pour ceux qui sont en retraite ! Et donc s'il y a plus de retraités et moins de gens au travail, il y a un problème de déséquilibre. Et l'on voit bien que dans cette affaire, il faudra qu'il y ait un allongement de la durée des cotisations. Nous pensons nous que la convergence vers les 40 ans n'est absolument pas choquante. "
Le journal Les Echos - c'est un autre élément dans le contexte de cette semaine - publie ce matin les conclusions d'un rapport de la Cour des Comptes assez intéressant, qui doit paraître bientôt, qui dénonce vigoureusement "des dérives dans les régimes de retraites des fonctionnaires". Il est question de départs à 55 ans, voire 50, de promotion injustifiée en fin de carrière pour accroître les droits à la retraite, d'intégration dérogatoire de primes dans le calcul des retraites et puis d'autres choses du même genre. Qu'est-ce que vous en dites ?
- " On voit bien que le procès fait aux fonctionnaires est injuste, car ce sont des gens formidables, dévoués à la cause publique, mais le procès fait au système, lui, est juste. Et j'ai demandé depuis très longtemps à ce que notamment sur le système des retraites on mette en place la transparence des flux financiers. On ne peut pas en tant que citoyen demander la transparence, et cultiver en tant que système l'opacité. Je crois que plus on met les choses sur la table, plus les gens connaissent la situation et plus les gens sont déterminés à trouver de bonnes solutions, justes. Deuxième élément : on ne peut plus aujourd'hui avoir des espèces de petits privilèges qui apparaissent, comme ça, au gré de la volonté des uns et des autres et qui sont en train d'accroître les inégalités. Donc, moi, je veux un système transparent : qui paie quoi ? Je veux un système juste : qui a droit à ? Et ensuite que l'on ait très clairement avec les syndicats un dialogue extrêmement riche et fertile, sur la responsabilisation, les contrats d'objectifs, et faire en sorte que lorsque l'on a un système de retraites, c'est pas une libération. Il faut que l'on incite les fonctionnaires à travailler plus longtemps, c'est-à-dire poser la question du plaisir au travail. D'où le temps partiel, le cumul emploi-retraite, la seconde carrière. Et faire en sorte ensuite que les règles de la retraite soient claires et applicables pour tous. "
Ce rapport de la Cour des Comptes sur l'opacité vous rend service ? ou au contraire il vous force à être beaucoup plus précis dans la réforme, ce qui n'est pas forcément l'intention.
- " Tout ce qui va dans la cause de la transparence me sert. Je ne supporte pas, aujourd'hui, celles et ceux qui cherchent à garder un pouvoir en camouflant les choses. Je crois qu'on doit tout mettre sur la table, et on ne peut pas demander aux citoyens de se rapprocher de la politique ou de se rapprocher de ses fonctionnaires, s'ils ont la suspicion ou le soupçon de quelque chose de caché. Je crois que personne n'a à craindre la vérité. "
La semaine dernière, le Premier ministre a demandé à chaque ministre de proposer un programme ambitieux de réduction du nombre de corps de fonctionnaires. Et puis par ailleurs, il a été précisé que tous les fonctionnaires partant en retraite ne seront pas forcément remplacés. Le premier critère de bonne gestion pour un ministre de la Fonction publique, est--ce d'arriver à diminuer le nombre de fonctionnaires ?
- " C'est d'arriver à augmenter la qualité du service, qui ne passe pas forcément par le nombre de fonctionnaires. Vous parliez des corps. C'est quoi un corps ? Un corps, c'est un métier dans une situation donnée. Il y en a combien dans la fonction publique ? 1.600. J'ai découvert qu'il y avait 1.800 corps de conducteurs-autos comme si un chauffeur au ministère X était différent du ministère Y. Il faut réduire ce nombre de corps. Je crois qu'avec 200 corps on peut parfaitement y arriver. Donc il faut qu'on simplifie très clairement la hiérarchie administrative, la promotion des carrières, l'ascenseur social dans la fonction publique. Je pense que la notion de métier doit aussi apparaître. Enfin, il y a des tas de missions inutiles. Savez-vous que dans les préfectures, on demandait encore aux préfets de donner l'autorisation pour l'installation des coiffeurs, et que derrière ce service, il y a forcément des fonctionnaires ! Donc supprimons les missions inutiles. "
Les coiffeurs pourront s'installer comme ils veulent.
- " Attendez, mais pourquoi voulez-vous, alors que quand vous êtes psychiatre, vous pouvez le faire. Donc vous voyez bien, là, l'aberration du système qui continue à garder des services, tout simplement parce qu'on dit : ce service est inutile, mais si on le supprime on supprime des fonctionnaires. Pas du tout ! il faut faire confiance aux fonctionnaires et leur permettre de s'épanouir dans leur travail, en valorisant leurs compétences. Donc, aujourd'hui, le combat sur le nombre de fonctionnaires est un mauvais combat. Le combat sur la qualité du service public est un vrai combat ! "
Un mot pour finir sur une question très précise : la Banque de France - et ça concerne en fait l'aménagement du territoire - qui pourrait réduire de moitié le nombre de ses succursales. Qu'est-ce que vous pensez qui peut être décidé ?
- " J'ai rencontré le gouverneur de la Banque de France à plusieurs reprises. Je suis d'accord pour la fermeture de succursales - le passage à l'euro, forcément change la mission. Par contre, je lui a demandé, dans le contrat du service public, à garantir les services aux collectivités locales, notamment sur les commissions de surendettement, et sur l'information des tissus économiques locales. Je crois qu'il appartient, département par département, de discuter avec les élus locaux pour leur offrir la garantie du maintien du service rendu. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 avril 2003)