Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur les projet de loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité, à l'Assemblée nationale, le 18 janvier 2000.

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Texte intégral

L'examen du projet de loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité par votre Assemblée au mois de février dernier avait conduit à des débats très riches et à de nombreuses améliorations du texte initial.
Les modifications apportées par le Sénat puis l'insuccès de la Commission mixte paritaire ont mis en lumière l'existence de conceptions différentes de ce que doit être le système électrique français. Nous sommes donc amenés - à partir d'aujourd'hui - à réexaminer ce texte pour revenir à l'équilibre politique issu de la première lecture.
Mais avant d'aborder plus particulièrement le sujet de la loi électrique, je voudrais revenir sur les événements qui sont intervenus ces trois dernières semaines. Les conséquences de la tempête illustrent qu'un système électrique est à la fois essentiel et fragile, face à des aléas qui peuvent être de multiples natures, comme des conditions climatiques extrêmes ou un bouleversement du contexte géopolitique de l'énergie.
Nous pouvons en tirer des leçons immédiates :
1. Toutes tendances politiques confondues, je crois que nous devons saluer le talent, les efforts et le mérite des agents d'EDF et des distributeurs non nationalisés ; ils montrent que même si le service public doit évoluer, celui-ci constitue une valeur fondamentale très présente dans les entreprises électriques, qui mobilise les agents pour satisfaire les attentes légitimes du pays, et qui mérite admiration et reconnaissance.
2. Ces valeurs du service public sont bien celles que le Gouvernement met au coeur de ses préoccupations, comme il l'a montré tout au long des débats sur la nouvelle organisation du système électrique français.
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Par ailleurs, une analyse approfondie des dégâts occasionnés et de leurs causes doit être réalisée afin de prendre rapidement les mesures permettant d'éviter que de tels événements ne puissent se reproduire. Différentes questions doivent être explorées.
Tout d'abord, celle de la résistance mécanique des pylônes et des lignes. J'ai d'ores et déjà demandé à mes services d'engager le travail sur la modification des spécifications techniques de résistance au vent et à la neige des pylônes et poteaux électriques, et sur la modification des exigences de distance par rapport aux arbres.
Par ailleurs, l'enfouissement des lignes présente l'avantage certain de réduire leur exposition aux intempéries et de respecter le paysage même s'il pose également certaines difficultés qu'il ne faut pas négliger, comme un accès plus difficile en cas de panne. EDF a déjà entrepris des efforts importants en matière d'enfouissement. Le taux d'enfouissement actuel en France reste cependant inférieur à celui de nos voisins européens. J'ai donc demandé une réflexion sur la manière de relancer efficacement la politique d'enfouissement des lignes électriques
Dans les zones rurales, ce sont les communes ou leurs groupements qui sont maîtres d'ouvrage des travaux d'électrification et il faut leur donner les moyens de traduire dans les faits ces objectifs. Au début de décembre 1999, j'avais ainsi veillé à ce que soit modifiée la répartition des ressources en faveur du financement de l'enfouissement dans les zones rurales.
.Par ailleurs, la politique du Gouvernement en faveur du développement de la production décentralisée trouve déjà sa traduction dans un certain nombre de dispositions du projet de loi que nous allons examiner aujourd'hui.
Certes, ces installations décentralisées de production ne sont pas une panacée, et ne peuvent pas remplacer la sécurité d'alimentation à laquelle tend l'interconnexion généralisée et la mutualisation des aléas au niveau national, voire européen. En particulier, le parc de production d'EDF - notamment nucléaire - permet à EDF de disposer d'une électricité parmi les plus compétitives en Europe.
De même, la meilleure garantie pour l'approvisionnement électrique du pays reste un réseau interconnecté alimenté par des unités de puissance importante. Il n'en reste pas moins que les installations de production décentralisées peuvent permettre des économies de réseaux, et qu'elles pourraient également contribuer à la sécurité du système électrique.
Une réflexion sera engagée sur les conditions qui permettraient d'avoir véritablement recours à ces installations comme secours en cas de situation dégradée du réseau. Guy HASCOET, qui vient d'être chargé par le Premier Ministre d'une mission auprès de moi, pourra apporter des réponses.
J'en viens au projet de loi.
A l'issue de la lecture au Sénat en octobre, malgré l'important travail réalisé, j'avais indiqué mon opposition à un certain nombre de modifications retenues par la Haute assemblée : le renforcement des pouvoirs de la Commission de régulation de l'électricité dans des domaines qui relèvent de la politique énergétique, alors que celle-ci est par nature de la compétence du Gouvernement, sous le contrôle démocratique du Parlement ; le choix en faveur d'un système de grossistes sans encadrement et le relèvement des seuils de simple déclaration et d'obligation d'achat ; enfin, un début de séparation du GRT d'EDF alors que les intempéries ont démontré - s'il en était encore besoin - l'importance de conserver une entreprise intégrée.
Je souhaite donc que cette nouvelle lecture à l'Assemblée Nationale permette de revenir à un texte plus équilibré.
Croyez bien que je serai particulièrement attentif aux amendements qui iront dans ce sens.
Je voudrais maintenant insister sur quelques aspects qui me semblent essentiels dans le projet de loi qui vous est soumis.
1. Le projet de loi a pour ambition de dessiner un service public de l'électricité conforté, qui allie dynamisme, équité et solidarité. Pour la première fois, le projet de loi définit le contenu du service public de l'électricité : il précise les différentes missions de service public, les catégories de clients auxquelles elles s'adressent et les opérateurs qui en ont la charge, qu'il s'agisse du développement équilibré des capacités de production d'électricité, du développement des réseaux, ou de la fourniture d'électricité.
.Ce projet donne ainsi, pour la première fois, une valeur législative au principe de péréquation nationale des tarifs. Je tiens également à saluer la création d'une tarification "produit de première nécessité" qui a été souhaitée par votre Assemblée à l'initiative de Claude BILLARD lors de la première lecture
. Ce dispositif, associé au renforcement du mécanisme d'aide pour la fourniture d'électricité aux plus démunis et aux dispositions en matière de prévention des coupures aux personnes en situation de précarité, doit permettre la mise en uvre concrète d'un véritable droit à l'énergie dans le domaine de l'électricité.
Le projet de loi met en place des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du secteur, et de garantir le bon accomplissement de ces missions. -
Dans le domaine de la production, domaine ouvert à la concurrence, ces charges feront l'objet d'une répartition au moyen d'un "fonds des charges d'intérêt général de l'électricité". -
Dans le domaine de la distribution, qui reste sous monopole, ces charges feront l'objet d'une mutualisation entre les distributeurs, par le biais du fonds de péréquation de l'électricité institué par la loi de 1946.
Le service public doit aussi être démocratisé : afin de répondre au mieux aux besoins des citoyens, le projet de loi prévoit que les instances compétentes au niveau local, et tout particulièrement les collectivités locales organisatrices de la distribution d'électricité, apportent leur contribution à la mise en oeuvre du service public de l'électricité, et veillent au bon accomplissement de ses missions.
2. Le projet de loi donne également au Gouvernement les moyens de mettre en oeuvre une politique nationale de l'énergie recueillant l'assentiment le plus large, en garantissant le rôle qui doit être le sien au Parlement. L'énergie n'est pas un bien de consommation comme les autres et fait l'objet, compte tenu des enjeux qui y sont attachés, d'une politique publique forte, la politique énergétique.
La programmation pluriannuelle des investissements traduira concrètement cette politique énergétique dans le domaine de l'électricité. Elle garantira la sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement et la compétitivité de la fourniture, à travers un développement équilibré des capacités de production. Afin d'assurer le maintien d'une politique énergétique cohérente, la délivrance des autorisations devra être compatible avec la programmation pluriannuelle des investissements de production.
Si les capacités de production installées s'écartent des objectifs de cette programmation, les pouvoirs publics pourront décider de ne plus accorder temporairement d'autorisations pour certains types d'installations. Une telle décision devra bien entendu respecter la plus grande transparence et faire l'objet d'une annonce publique.
Corrélativement, les Pouvoirs publics pourront décider de recourir à la procédure d'appels d'offres quand les investissements spontanés ne suffisent pas afin de répondre aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements de production.
La politique énergétique pourra donc, en tant que de besoin, être conduite avec un "frein" constitué par le système des autorisations et un "accélérateur" constitué par le système des appels d'offres.
L'obligation d'achat, dont le champ a été utilement précisé et renforcé, constituera également un outil indispensable pour favoriser le développement de la production décentralisée.
Ainsi pourront continuer d'être aidées des installations qui présentent un réel intérêt pour la collectivité tout en étant trop petites et pouvoir ainsi, raisonnablement, rechercher des consommateurs éligibles.
3. Le projet de loi vise enfin à développer le rôle des collectivités locales, pour concilier autonomie locale et principe d'égalité, et pour accroître la production décentralisée. Le projet de loi réaffirme pour les collectivités locales leur qualité d'autorité concédante de la distribution, ainsi que leur mission de contrôle des missions de service public concédées.
Il précise et élargit la possibilité pour les collectivités locales d'intervenir en matière de production décentralisée, notamment à partir d'énergies renouvelables, de déchets, et au moyen de techniques de cogénération.
De plus, la possibilité d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité, notamment chez les particuliers, reçoit un fondement législatif clair. Ce projet ne doit laisser planer aucun doute : les initiatives locales doivent être libérées, dès lors qu'elles coïncident avec la politique nationale de l'énergie décidée par le Gouvernement et placée sous le contrôle du Parlement.

4. Le projet de loi met en place les conditions nécessaires pour garantir l'avenir industriel d'EDF et lui permettre de demeurer le premier électricien européen, présent dans le monde entier. EDF demeurera une entreprise publique intégrée de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. EDF sera en particulier le gestionnaire désigné du réseau de transport français.
L'objet légal d'EDF, c'est-à-dire son domaine autorisé d'intervention en tant qu'établissement public, est notablement accru vis-à-vis des clients éligibles, pour lui permettre d'affronter la concurrence à armes égales. La demande industrielle peut, en effet, inclure des prestations qui constituent le complément technique ou commercial de la fourniture d'électricité.
Les concurrents d'EDF pourront offrir ces prestations aux clients éligibles alors qu'EDF, en vertu de son objet légal, ne le peut pas légalement aujourd'hui. Le projet de loi propose donc d'élargir les marges de manoeuvre d'EDF vis-à-vis des clients éligibles, dans le respect du principe d'égalité dans la concurrence. Doter EDF des mêmes capacités que les autres producteurs, à saisir les opportunités d'un marché européen en véritable mutation : voilà notre ambition pour la grande entreprise publique !
En deux mots : faisons de l'Europe le marché domestique d'EDF. La réussite et le développement de l'entreprise publique se feront au bénéfice du pays.
J'ai insisté sur les ambitions de ce texte en matière de développement et de modernisation du service public de l'électricité et de politique énergétique. Je ne reviens pas sur le caractère particulièrement équilibré de ce texte qui se traduira par une ouverture à la concurrence maîtrisée et équitable, assurant aux utilisateurs des réseaux publics un accès dans des conditions transparentes et non discriminatoires dans le cadre d'une régulation transparente et efficace.
Vous le savez, ce texte permet également de conforter l'acquis d'un demi-siècle d'histoire industrielle dans le secteur électrique. Ainsi, le statut du personnel des industries électriques et gazières sera conforté. Il est maintenant crucial pour l'avenir des entreprises du secteur électrique français que cette réforme soit réalisée rapidement et dans de bonnes conditions.
(source http://www.industrie.gouv.fr, le 24 janvier 2000)