Déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur la notion de "métier" dans la fonction publique, la carrière des fonctionnaires, leur recrutement, leur mobilité et leur formation, Paris le 26 mars 2003.

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Circonstance : Introduction de la journée d'étude de l'Observatoire de l'Emploi Public sur le thème "l'approche "métier" dans le respect d'une fonction publique de carrière" à Paris le 26 mars 2003

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
En ouvrant cette troisième journée d'étude de l'Observatoire de l'emploi public, je ne puis que vous faire part de ma satisfaction.
A en juger par le nombre et la qualité des personnes ici présentes, ces journées d'étude sont un succès. Je tiens à en féliciter les initiateurs, les organisateurs et les intervenants.
A tous, je souhaite la bienvenue pour une journée studieuse et riche, je l'espère, de vos propositions.
Après " La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences " en 2001, " La fonction publique face au défi démographique " en 2002, vous avez choisi, cette année, d'aborder un thème difficile mais essentiel " L'approche " métier ", dans le respect d'une fonction publique de carrière ".
Sujet difficile, car les mots sont lourdement chargés d'une valeur symbolique. Un mot peut en cacher un autre et ouvrir la porte aux malentendus. Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause les principes de notre fonction publique qui repose sur la notion de carrière. Il s'agit de voir dans quelle mesure la notion de "métier" peut être prise en compte et, jusqu'à quel point, dans notre approche de la fonction publique. Il faut en débattre, mais il vous appartiendra au détour de l'une ou l'autre table ronde de chasser toute ambiguïté et de bien poser les problèmes.
Sujet essentiel néanmoins car le mot " métier " renvoie à la notion de savoir-faire qui est au cur de la vie de travail. Qui dit savoir-faire dit acquisition, exercice et évolution, trois thèmes qui seront eux aussi abordés au cours de cette journée.
Pour ma part, je voudrais évoquer plusieurs points qui sont directement en relation avec les préoccupations gouvernementales. Je tiens, tout d'abord, à souligner la pertinence du choix qui vous a conduit à placer cette journée dans une perspective inter-fonctions publiques ; je vous dirai ensuite comment cette approche par " métier " me paraît être un élément important de l'attractivité de la fonction publique ; j'ajouterai, enfin, l'intérêt d'une démarche prospective en ce domaine.
I - Une approche inter-fonctions publiques
L'Observatoire de l'emploi public présente dans son organisation deux caractéristiques qui méritent d'être relevées : la première est de mettre en présence, au sein de son conseil d'orientation, des représentants des organisations syndicales et des représentants de l'administration ; la seconde est de situer ses travaux dans une approche inter-fonctions publiques.
Cette orientation était heureuse, elle devient indispensable. Les problèmes auxquels sont confrontées la fonction publique hospitalière, la fonction publique territoriale et la fonction publique de l'Etat sont de même nature : qu'il s'agisse de l'évolution des modes de recrutement, de la formation, de la motivation des personnels, ou du problème que pose la relève des générations Il est donc naturel de comparer les solutions qui y sont apportées. Cette comparaison ne fait pas obstacle à l'existence de spécificités reconnues, voire revendiquées dans certains domaines.
Mais, aujourd'hui, la politique de décentralisation engagée par le Gouvernement donne une toute autre dimension aux relations inter-fonctions publiques. Les transferts de personnels qui accompagneront la délégation de nouvelles compétences aux régions et aux départements imposent d'aller plus loin : il ne s'agit plus de comparer les situations, comme le ferait un entomologiste de l'administration, mais de rendre la mobilité possible, de lever des barrières, d'ouvrir des passages entre toutes les fonctions publiques.
Le Gouvernement est déterminé à réussir cette nouvelle étape de la réforme de l'Etat et entend, pour y parvenir, prendre en compte les préoccupations des agents. C'est pourquoi j'ai entamé, à la demande du Premier ministre, depuis le mois de décembre 2002 un cycle de rencontres avec les organisations syndicales sur les modalités des transferts de personnels dans le cadre de la décentralisation.
Ces transferts seront d'autant plus aisés qu'au-delà des considérations juridiques ou statutaires, les métiers exercés dans l'une et l'autre fonction publique seront comparables.
Je sais que des représentants des trois fonctions publiques sont présents dans cette salle et que certains d'entre eux participeront aux tables rondes. J'y vois le gage d'une bonne compréhension, d'une entente entre les fonctions publiques qui, sans nourrir le mythe d'une fonction publique unique, inaccessible car ingérable, montre qu'il existe une articulation efficace entre les trois branches de notre administration.
II - Un élément de l'attractivité de la fonction publique
Le métier est, et sera de plus en plus, un élément de l'attractivité de la fonction publique.
On ne rentre pas seulement dans l'administration pour bénéficier d'un statut, avec ses avantages et ses contraintes, mais pour exercer un métier.
Rares sont, à vrai dire, les tâches de l'administration qui ne requièrent pas une certaine, voire une grande, technicité : ceci est vrai, à l'évidence, des filières techniques, mais aussi des filières sanitaires dans la fonction publique hospitalière, de la fonction militaire, de la magistrature, de l'enseignement...
Cette place des métiers au cur des fonctions publiques nous conduit à nous interroger sur deux temps de la vie du fonctionnaire : le recrutement et l'avancement.
S'agissant du recrutement, la voie du concours reste la voie du mérite.
Elle doit être pratiquée, et privilégiée, sous peine de nous écarter des grands principes républicains qui fondent l'accès aux charges publiques.
Pour autant, n'y a-t-il qu'un type de concours ? Faut-il répéter en les déclinant à l'infini, les " modèles " que seraient le concours de l'ENA pour la filière administrative, celui de Polytechnique pour la filière " ingénieurs " et celui de l'Ecole Normale Supérieure pour la fonction enseignante ? Poser la question c'est déjà, en partie, y répondre. Il n'empêche que la " déclinaison " de ces modèles a été très souvent, trop souvent, pratiquée.
Solution paresseuse, qui évite de chercher d'autres formes de recrutement et solution gratifiante par référence au modèle retenu.
Or, nous connaissons bien les limites de ces procédures de sélection trop " académiques ", qui font peu de place aux savoir-faire, à l'expérience acquise, aux qualités personnelles. C'est pour cette raison que, sans condamner les concours encyclopédiques qui ont fait la gloire de nos grandes Ecoles et sont incontestablement adaptés aux recrutements de certains types de fonctionnaires, notre politique vise aujourd'hui à " professionnaliser " les concours, voire à multiplier les examens professionnels.
Le mérite n'en est pas absent, bien entendu, l'objectif reste de sélectionner les meilleurs, mais les épreuves sont mieux adaptées, d'une part, aux tâches à accomplir et, d'autre part, aux aptitudes des candidats : ceci est vrai dans la fonction publique territoriale où de nombreux métiers (cuisiniers, jardiniers, puéricultrices, conducteurs d'engins) exigent un véritable savoir-faire, mais cela sera de plus en plus vrai, à l'avenir, dans la fonction publique d'Etat.
On trouve aussi dans la fonction publique hospitalière des exemples très intéressants d'adéquation entre la formation, le diplôme et la tâche à accomplir. C'est le cas des infirmières dont la connaissance du " métier " peut conduire les gestionnaires à procéder à des recrutements par voie de concours sur titres et non plus sur épreuves.
Même là où la notion de concours est, par exception, absente, comme pour le recrutement des sous-officiers dans les armées, celle de " métier " ne l'est pas. Une fois engagé, le jeune soldat devra faire à la fois la preuve de son adaptation au métier des armes tout en manifestant son aptitude à apprendre un " métier " pour exercer une " spécialité ".
D'une manière générale, le recrutement par contrat dans l'administration est étroitement lié à la connaissance d'un " métier ". On n'embauche sur cette base, ou on ne devrait embaucher, que des professionnels absents de la fonction publique ou qui y trouvent difficilement leur place. C'est là la principale raison de leur présence dans une fonction publique de carrière.
La notion de " métier " n'est pas étrangère à l'avancement.
En cours de carrière, l'agent va être confronté à un double défi : celui de l'évolution de son métier et celui de ses perspectives d'avancement au-delà de ses compétences initiales.
Tous les métiers sont soumis à la loi implacable de l'évolution. Les causes en sont multiples : il peut s'agir du progrès technique (l'intrusion des nouvelles technologies est un facteur permanent de remise en cause), de l'ouverture à la concurrence (entre le secteur public et le secteur privé, par exemple, pour la fourniture de certains services publics), de la réorganisation des services (à la faveur, par exemple, de la fusion de plusieurs départements ministériels, ou d'un mouvement de décentralisation).
Pour y faire face, l'agent doit s'adapter. L'administration lui propose deux solutions, parfois cumulatives : la formation et l'enrichissement des tâches.
La formation continue est ainsi l'auxiliaire d'une approche par métier, qu'elle contribue à entretenir et à perfectionner.
L'enrichissement des tâches vise à donner à l'agent une palette plus large de moyens pour exercer ses talents. La notion de " métier " s'élargit alors à celle de " filière ", comme on en trouve à La Poste ou dans les cadres d'emplois de la fonction publique territoriale.
Le deuxième défi auquel est confronté l'agent est de savoir comment il pourra progresser tout en gardant son métier.
Nous savons tous, d'expérience, que cette perspective est d'autant plus facile que la formation initiale est large et d'un niveau élevé. Il n'est pas rare de voir un ingénieur occuper un poste administratif. L'inverse tout en restant possible est plus rare : le nombre d'administrateurs civils occupant les fonctions de directeur départemental de l'Equipement est peu élevé.
Nous voyons cependant qu'il y a une certaine contradiction à vouloir, d'un côté, professionnaliser davantage (c'est-à-dire, en réalité, spécialiser) les recrutements et, de l'autre, favoriser des déroulements de carrière aussi poussés que possible. La promotion professionnelle suppose donc un équilibre délicat entre la spécialisation, que les services recherchent, et l'aptitude à évoluer qui suppose une formation de départ et un dispositif de mobilité.
Que ce soit au stade du recrutement ou tout au long de la carrière, le " métier " est donc une composante essentielle des parcours individuels dans la fonction publique.
III - Une démarche prospective.
Comme on l'a vu, les métiers évoluent et ceci nous contraint à avoir une démarche prospective dans la fonction publique.
Cette préoccupation se retrouve dans le terme même de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences, en voie d'acclimatation dans nos services publics. Il est symptomatique de trouver le mot de " compétences " associé à celui de gestion prévisionnelle. Il renvoie, bien entendu, à celui de " métier " pour l'exercice duquel des compétences sont nécessaires.
Cette préoccupation est relativement récente dans l'administration, mais elle ne lui est pas propre, loin de là.
Une des réussites de l'Observatoire de l'emploi public -et cette journée en témoigne- est d'attirer l'attention sur la diversité des métiers exercés au sein de l'administration et leur évolution prévisible.
Ce rôle de catalyseur exercé par l'OEP n'est pas exclusif des initiatives plus ciblées prises par la fonction publique hospitalière avec la création en 2002 d'un Observatoire national des emplois et des métiers hospitaliers ou par le Centre national de la fonction publique territoriale dont vous parlera, j'imagine, tout à l'heure, l'un de mes prédécesseurs, M. André ROSSINOT.
Dans cette démarche, il est toujours instructif de voir ce qui se passe dans le secteur privé et également de découvrir les évolutions en cours à l'étranger, le Canada, les Pays-Bas, la Finlande me paraissent de bons exemples à cet égard. Sur ces deux points, vous aurez, je crois, un éclairage intéressant aujourd'hui.
En guise de conclusion, vous ne manquerez pas sans doute de vous poser la question de savoir si la notion de " métier " pourrait à la fois permettre de structurer la fonction publique et de gérer mieux les personnels.
L'adéquation n'est pas certaine. On devine bien les attentes et les exigences des administrations en matière de métiers à exercer et de compétences à présenter. Comme tout employeur, l'Etat, les hôpitaux, les collectivités locales souhaitent disposer d'une main d'uvre qualifiée, apte à s'acquitter rapidement des tâches qui lui sont confiées, mais capable aussi d'évoluer et de s'adapter à des outils, des méthodes, un public, un environnement différents.
De l'autre côté, les hommes sont là, pas toujours bien formés, ni toujours motivés, ni en mesure de s'adapter rapidement aux contraintes d'un métier en évolution.
Il appartient aux gestionnaires de rapprocher ces deux points de vue, d'intégrer tous les éléments, d'en ordonner le fonctionnement, d'en dynamiser les résultats. C'est une affaire de temps, de patience et de détermination.
Mesdames,
Messieurs,
Au seuil de cette longue mais passionnante journée qu'organise la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, je vous souhaite, à nouveau, de fructueux échanges sur les métiers, la carrière et la fonction publique.
Je serai personnellement attentif aux résultats de vos travaux.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 26 mars 2003)