Texte intégral
Chers camarades,
Je suis heureux de me retrouver parmi vous. J'ai dû prendre une décision assez rude mais elle était la conséquence de choix que je ne pouvais approuver. Je vous dirai quelques mots seulement de la Corse. Je souhaite surtout faire le point avec vous trois ans après l'arrivée de la gauche plurielle au pouvoir. Je rappellerai ensuite quel projet nous portons. Je conclurai enfin par le mode d'emploi pour le faire avancer : la création d'un pôle républicain au sein de la gauche et dans le pays.
I - La Corse
Si j'ai retrouvé ma liberté, ce n'est pas mon choix personnel mais la conséquence d'un changement de politique que j'ai cherché à canaliser, en vain hélas, parce que je pense qu'il n'est bon ni pour la Corse ni pour le pays.
Rien n'est plus emblématique en effet que le dossier corse d'une dérive préoccupante pour la démocratie, pour la République et pour la France.
J'entends dire qu'il n'y a pas d'alternative au processus de Matignon, "pas de plan B" dit M. Talamoni. C'est faux. Il y a surtout dans la politique de l'État un manque de continuité et un manque d'unité. En Corse il y a d'abord un problème de violence. Or que dit M. Talamoni, par exemple il y a huit jours le 26 août à l'Irish Times de Dublin ?
Il réaffirme l'objectif de l'indépendance de la Corse et ajoute : "La violence est notre stratégie depuis plus de trente ans. Nous n'avons pas changé, car tout ce que nous avons obtenu jusqu'à ce jour s'est fait à travers le spectre de la violence. Nous voulons construire la paix mais la paix, ce n'est pas la tranquillité. La paix signifie élaborer quelque chose qui permette au peuple corse de prendre le contrôle de sa destinée."
Les élus avec lesquels on négocie sont -tout le monde le sait- les otages des organisations clandestines. IL y a donc d'abord en Corse un problème de démocratie face à la violence d'une minorité.
On peut certes simplifier le statut qui est une usine à gaz, voire le changer. J'ai d'ailleurs fait des propositions en ce sens. Mais la violence qui pèse sur les élus du suffrage universel fausse tout. La preuve en est que l'accord s'est fait aux conditions posées par les nationalistes : collectivité unique et surtout dévolution du pouvoir de faire la loi à l'Assemblée de Corse.
Comment expliquer que des députés corses puissent faire la loi à Paris et qu'elle ne s'applique pas en Corse ? La loi doit être la même pour tous. On prétend rompre avec l'uniformité. On rompt en réalité avec l'égalité. Ainsi s'ouvre une brèche préoccupante pour la République tout entière.
J'ai évoqué l'effet "I love you", du nom du virus informatique, pour décrire l'inévitable effet de contagion. Ce qui est en cause, c'est la définition de la France comme communauté de citoyens. Revenir à une définition par l'origine serait une terrible régression. La République n'est pas une parenthèse à refermer dans notre Histoire.
De quel poids la France pèserait-elle demain en Europe si elle renonçait à ce levier d'énergie qui est sa définition par la citoyenneté ?
Nous voulons construire l'Europe. Eh bien, nous ne le ferons qu'autour d'une étroite coopération de la France et de l'Allemagne. Nos deux nations sont très différentes. L'originalité de la France est d'être une construction politique et culturelle menée au long des siècles, alors que l'Allemagne s'identifie depuis l'origine à la germanité, au "Deutschtum", même si elle a heureusement modifié, l'an dernier, son droit de la nationalité.
La France doit veiller comme à la prunelle de ses yeux à cette définition par la citoyenneté qui brasse en son sein des peuples très divers venus du Nord et du Sud de l'Europe et même du monde entier depuis un demi-siècle, pour équilibrer dans un rapport fécond et dynamique la puissance retrouvée de l'Allemagne, nation amie qui a aussi besoin de la France, pour dominer et faire à nouveau son Histoire.
Ce serait ne rien comprendre à la réalité de la France que d'envisager de détricoter son unité, en acceptant qu'il y ait des lois corses, bretonnes, franc-comtoises, etc. et que soit ainsi rompu l'espace de débat public qui est depuis deux siècles au cur de notre histoire.
Si j'ai refusé de porter devant le Parlement le projet issu du processus de Matignon, c'est que j'ai toujours eu une certaine idée de la responsabilité politique : un homme politique doit avant tout croire à ce qu'il fait.
II - Où en sommes-nous ?
La longue marche que nous avons choisie au début des années 90 n'est pas un long fleuve tranquille. Il y a des rapides que nous ne prévoyions pas, mais c'est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source.
Depuis dix ans, nous savons que la gauche est à reconstruire et qu'il faut créer de nouveaux repères dans un monde déboussolé. Longtemps la social-démocratie a vécu paresseusement en rentabilisant au bénéfice des travailleurs sa position dans le face à face d'un capitalisme dominé par les États-Unis d'Amérique d'une part, et du communisme soviétique de l'autre. Depuis l'effondrement de celui-ci, elle cherche sa voie parce qu'elle continue à croire naïvement, dans le contexte de la mondialisation libérale, qu'elle pourra encore trouver des compromis sans s'aviser que le rapport de forces lui fait défaut. Pour autant, comme l'a écrit Éric Hobsbawm, "on ne peut laisser l'avenir de l'humanité à la concurrence d'entreprises privées, vouées au seul profit".
Nous savons que le rapport de forces à créer ne peut l'être que par la démocratie. Or, qu'on le veuille ou non, les nations restent le cadre irremplaçable de la prise de conscience et du débat démocratique, et des points d'appui indispensables.
Malheureusement la synthèse jauressienne du socialisme et de la République reste incomprise par les sociaux-démocrates.
On l'observe trois ans après l'arrivée de la gauche au pouvoir.
Ayant cessé d'exercer mes fonctions de ministre de l'Intérieur, je crois pouvoir dire, sans trop d'immodestie, que nous avons donné depuis trois ans de l'air à la gauche en assumant des fonctions ingrates, mais vitales, dans des domaines comme la sécurité ou la maîtrise des flux migratoires.
Nous n'avons pas pour autant été asphyxiés parce que nous avons montré qu'une politique de sécurité répondant aux attentes de tous nos concitoyens, y compris et d'abord ceux qui vivent dans les banlieues, était une politique sociale. Nous avons sorti le thème de l'immigration du débat pourri entre la droite et la gauche qui ne faisait que le jeu de l'extrême-droite. Et on voit bien aujourd'hui, alors que le patronat demande à nouveau qu'on recoure à l'immigration de travail, quels intérêts sociaux nous avons défendus : ceux des travailleurs et d'abord de ceux qui sont au chômage et qu'il faut réintroduire en priorité dans le circuit de la production, avant de faire appel aux trafiquants de main d'uvre
Le Ministère de l'Intérieur implique de lourdes contraintes. Il nous a amenés à privilégier la cohérence au détriment quelquefois de la clarté. Cette contrainte ne pèse plus de la même manière. Pour autant nous devons refuser la démagogie. Nous sommes des républicains. Si nous sommes passionnément attachés à l'égalité, nous croyons aussi à cette capacité collective de maîtriser la destinée commune qu'on appelle la démocratie. Celle-ci implique la responsabilité. C'est donc en responsables que nous nous exprimerons toujours, car nous avons le souci de la réussite, celle du gouvernement où nous ne sommes plus, mais plus généralement celle de la majorité à laquelle nous appartenons, et celle du pays. Nous ne jouons pas au petit jeu : "Plus républicain que moi tu meurs". La République n'est certes le monopole de personne mais elle est d'abord une exigence. Comme l'a bien dit Claude Nicolet : "la République est d'abord le parti de ceux qui prennent au sérieux ses principes". De cela, chacun est juge.
Le bilan de la gauche plurielle que seule la capacité politique de Lionel Jospin a rendu possible est largement positif : croissance et confiance retrouvées, modernisation technologique relancée, chômage en recul, accès à la citoyenneté facilité, solidarités resserrées, décentralisation renforcée, parité hommes-femmes enfin reconnue, fonctions vitales assumées sans faux fuyant : Nous avons réconcilié la gauche avec la règle démocratique, en contenant les excès d'un individualisme exacerbé. Nous pouvons en être légitimement fiers.
Pour autant force est de reconnaître que face à l'immense défi que représente une mondialisation libérale sans frein ni contrepoids, la réponse de la gauche est restée trop modeste.
La globalisation dont on nous rebat les oreilles se fait à l'enseigne des marchés financiers. Elle n'intègre ni la solidarité humaine ni le long terme.
a) En témoigne le négoce subtil engagé, sur l'ensemble du Vieux Continent, entre deux générations, l'une partisane d'une retraite de plus en plus précoce, l'autre inquiète d'avoir à financer à effectifs fondants cette lourde facilité, deux générations entre lesquelles se dressent pourtant d'obscurs intérêts financiers prônant le lancement de lucratifs fonds de pensions au détriment de la solidarité exercée dans des systèmes de répartition.
b) En témoigne aussi le troc dérisoire qui s'organise dans les entreprises entre modération salariale et baisse de la durée du travail, dans un environnement humiliant pour les salariés les moins aisés, marqué par l'accélération des profits et l'envol extravagant des cours de bourse.
c) En témoigne l'engouement des professionnels d'Internet et du GSM qui n'ont d'autre objectif que de transformer la rapidité d'accès au savoir en juteuses redevances téléphoniques et publicitaires ou en bulle financière explosive.
d) En témoignent ces cris d'orfraie poussés dès que l'euro baisse Mais vous le savez bien, chers camarades, la faiblesse de l'euro est peut-être préoccupante pour le capital financier et pour les États-Unis
mais elle ne l'est pas pour l'économie européenne et pour le monde du travail !
Cette faiblesse de l'euro est la contrepartie de "l'euro large" que nous avons voulu en 1996 et que Lionel Jospin a repris dans son programme électoral en 1997. Elle traduit aussi l'inconsistance politique qui a consisté à renverser l'ordre des priorités en construisant une monnaie sans avoir créé au préalable un gouvernement économique démocratiquement responsable pour sa gestion.
"L'abdication d'une démocratie selon Pierre Mendès-France peut prendre deux formes : soit le recours à une dictature intérieure, soit la délégation des pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique."
La Banque Centrale Européenne telle qu'elle fonctionne nous achemine dans cette voie funeste. Il faut rappeler que le chômage reste en Europe plus élevé que partout ailleurs. C'est pourquoi la périodicité et l'intensité des relèvements des taux d'intérêts de la BCE, désormais décidés par des autorités non directement responsables devant les peuples, et indifférentes aux soucis des citoyens, n'est pas acceptable.
Le marché unique oui, le marché inique sûrement pas !
La question sociale reste posée à travers la précarité toujours présente, une flexibilité accrue, une ségrégation sociale et urbaine encore insuffisamment combattue.
Des choix heureux ont été faits -que nous saluons- en faveur du maintien d'un système de répartition en matière de retraites, ou pour affirmer le rôle de la loi et rejeter un faux paritarisme en matière d'assurance chômage, mais il manque une impulsion globale pour résorber les fractures de notre société : Il y a ainsi beaucoup à faire en matière de politique industrielle, tant la non-ingérence dans les affaires des grands groupes a été intériorisée.
Il y a beaucoup à faire en matière d'aménagement du territoire, de reconstruction de nos banlieues, d'accès à la citoyenneté, politique qui ne se résume pas à la stigmatisation des discriminations mais implique un effort continu de promotion des jeunes nés de l'immigration.
Il y a beaucoup à faire pour relever l'École en lui redonnant le sens de ses missions.
Il y a encore beaucoup à faire pour venir à bout des noyaux durs de la délinquance.
Il y a beaucoup à faire enfin pour redresser la justice, afin que la loi républicaine soit appliquée partout.
Sur tous ces sujets nous ferons des propositions, car nous refusons de nous enfermer dans des critiques stériles. Nous voulons relever la politique. La crise de l'État républicain et la crise de la démocratie sont en effet l'avers et l'envers d'une même médaille. Assurément nous ne rendons pas le gouvernement responsable d'une situation qu'il a déjà trouvée très dégradée en 1997.
Dois-je rappeler par exemple que le projet fumeux de réforme de la justice est au départ une initiative du Président de la République ? Ce n'est qu'ensuite qu'il est devenu un enfant de la cohabitation, mort en bas âge d'ailleurs.
Nous souhaitons plus de volontarisme et moins de sensibilité à l'air du temps. Un nouvel élan est nécessaire pour la gauche d'abord, mais aussi et surtout pour le pays. Nous sommes mieux placés pour le donner, dès lors que je n'assume plus cette fonction redoutable de "serre-file" du gouvernement. Quel sont donc les grandes orientations d'un projet destiné à donner un nouveau souffle à la gauche et au pays ?
III - Notre projet.
Il est de relever l'intelligence de la politique, et donc le citoyen.
Il est de relever l'État républicain face à la mondialisation libérale.
Il est de redonner à la France toutes ses chances dans la construction d'une Europe, où les valeurs de liberté, de laïcité et d'égalité ont encore beaucoup de chemin à faire.
Bref, nous voulons une République moderne en France pour pouvoir construire demain une Europe républicaine.
Reprenons ces différents points :
1) La République c'est le règne de la loi, égale pour tous parce que délibérée en commun. C'est l'amour du débat argumenté sanctionné par l'élection. C'est le respect retrouvé du Parlement. Si à cet égard nous sommes pour le quinquennat, c'est bien parce que celui-ci est une première étape pour aller vers un véritable régime présidentiel, condition de la revalorisation du Parlement.
C'est l'une des grandes forces du gouvernement de Lionel Jospin que d'avoir réussi à réconcilier la gauche avec l'idée simple que la liberté ne va pas sans quelques règles de vie commune.
2) Relever le débat politique c'est aussi relever le citoyen et d'abord à travers l'École rappelée à ses missions fondamentales : transmission des valeurs et des savoirs, formation du jugement et donc du citoyen. Bien entendu l'École aujourd'hui au sens large c'est aussi une presse libre, exigeante, soucieuse d'informer les citoyens.
3) Dans la société de communication il y a des repères à maintenir, des valeurs humaines à transmettre. L'ouragan de la mondialisation libérale menace au moins autant le terreau culturel de nos sociétés que leur environnement. La crise de la famille, la démission de trop de parents, la crise de l'École, la perte des repères nourrissent le désarroi de la jeunesse et sapent les fondements de la démocratie.
La "fracture numérique" se creuse et dessine implicitement un monde à deux vitesses : D'un côté les inclus, de l'autre les exclus d'un côté les branchés, de l'autre les débranchés d'un côté le "Nouveau Monde", de l'autre le "Vieux continent" d'un côté les membres du "village planétaire", de l'autre les adeptes du village gaulois d'un côté les légions civilisatrices libérales modernistes, de l'autre les hordes barbares socialisantes et régressives
Derrière cette mutation majeure se cache surtout une guerre des contenus qui va modifier durablement les rapports entre les nations et les grandes cultures : passé l'engouement compréhensible des uns et des autres pour le nouveau média planétaire qu'est l'Internet, le débat se portera en effet bientôt sur le contrôle des producteurs d'information, de biens culturels et de formation. Ici encore, ceux qui paieront les violons choisiront la musique et tenteront d'exercer leur domination.
Face à cela, l'Europe, pourtant dotée d'atouts artistiques, littéraires et éducatifs considérables, n'existe pas ou plutôt réagit comme une éponge. Elle reproduit "la civilisation des tuyaux" autour d'une communication vide, que ne structure aucun projet de civilisation. L'Europe ne devrait pourtant pas hésiter à investir massivement dans l'éducation et dans les industries de programmes pour conserver une longueur d'avance (celle de l'accumulation multi-séculaire d'un immense patrimoine) sur les offreurs de facilités multimédias dont le strabisme menace d'être américain.
4) La démocratie est à reconstruire à travers un projet de République moderne.
Je suis entièrement d'accord avec François Hollande quand il fustige ces faux débats entre modernes et archaïques, républicains et démocrates, jacobins et girondins.
Pourquoi vouloir opposer l'idée d'un espace public de débat à l'échelle du pays tout entier, débat sanctionné par le vote de la loi républicaine, et l'épanouissement des foyers d'initiative et de responsabilité décentralisés que rend possible le développement de nouvelles technologies ?
Pourquoi vouloir opposer la nécessaire décentralisation et la solidarité nationale ?
Le développement d'un véritable pouvoir d'agglomération, et plus généralement de l'intercommunalité va permettre une profonde recomposition de la carte territoriale du pays. A la fin de l'année, 14 communautés urbaines et 88 communautés d'agglomération auront été créées dans les plus grandes villes de France. En 2OO7 les conseillers communautaires pourraient être élus au suffrage universel au moins dans les grandes villes, en même temps que les conseillers municipaux. Parallèlement on pourrait calquer sur le paysage de l'intercommunalité l'élection des conseillers généraux dans les départements.
Il n'y a pas lieu de choisir entre le département et la région mais seulement de mieux cerner les blocs de compétence, comme le propose la Commission Mauroy. Parmi les propositions simples et pratiques qu'elle avance, citons particulièrement la spécialisation et l'impôt par niveau de collectivité et la désignation d'une collectivité chef de file pour la conduite des politiques contractuelles.
Ces propositions simples et pratiques feront plus avancer le débat sur la décentralisation que les arguments polémiques des faux frères Alain et Olivier Duhamel dont Pierre-André Taguieff nous a parlé hier après-midi.
Les républicains sont des démocrates. Il n'y a pas lieu d'opposer la République à la démocratie.
5) La République parce qu'elle porte l'exigence d'égalité se doit d'être une république sociale. C'est par la volonté politique qu'on peut combattre les fractures sociales et culturelles que creuse la mondialisation libérale.
a) A travers un secteur public fort et de grands opérateurs publics maintenus : EDF - GDF - SNCF - France Telecom - La Poste.
b) A travers des politiques publiques cohérentes dans le domaine du logement, de l'urbanisme, des banlieues, de l'emploi, de l'accès à la citoyenneté, de la sécurité, de l'aménagement du territoire. Partout, c'est la même ardente exigence qui doit se faire entendre, celle de l'égalité des chances donnée au départ à tous. C'est ce qu'en d'autres temps j'appelais "l'élitisme républicain", possibilité donnée à chacun de pouvoir aller au bout de ses possibilités, à commencer bien sûr par les plus pauvres. C'est cela la gauche : ni égalitarisme niveleur ni résignation à la jungle.
c) Comme ministre de l'Intérieur, je pense avoir conduit une politique sociale en matière de sécurité de proximité, de refus du laisser faire libéral en matière d'immigration, d'accès à la citoyenneté des jeunes issus des dernières vagues de l'immigration, en matière de dialogue avec l'Islam, de solidarité urbaine. Il faut saluer bien sûr en premier lieu l'immense travail effectué par Martine Aubry. Pour autant la question sociale reste bien sûr ouverte dans notre pays.
d) La gauche républicaine ne peut enfourcher le cheval de la baisse des impôts comme priorité première. Une baisse de la pression fiscale est certes nécessaire. Ne faisons pas la fine bouche. Mais la moitié des Français les plus pauvres qui ne paient pas d'impôt sur le revenu sont peu concernés. Une réforme fiscale d'ampleur se fait toujours attendre. La diabolisation de l'impôt, notamment sur le revenu, induit l'État modeste, le démantèlement du service public et des politiques sociales. L'impôt est l'instrument principal de la redistribution et l'un des ciments sur lequel on peut construire une République de citoyens solidaires.
e) La question des salaires doit être posée au moment où recule le chômage mais où apparaissent, comme aux U.S.A. des millions de travailleurs pauvres. Plus que les minima sociaux, la question d'une juste rémunération du travail doit être un thème pour la gauche républicaine, car il renvoie aux valeurs de justice et d'égalité plus qu'à la charité et à la commisération.
f) La remise en cause du droit du travail, la primauté du contrat sur la loi dans les relations sociales, doivent être combattues comme le fait d'ailleurs le gouvernement sur le dossier de l'UNEDIC.
g) Si la croissance a permis un rétablissement spectaculaire de nos comptes sociaux, il serait bon néanmoins, pour la financement de la protection sociale, de passer progressivement d'un système de cotisations principalement assis sur le travail vers un plus large financement par l'impôt pour éviter qu'il soit à nouveau déséquilibré, soit par le chômage, soit surtout par la détérioration du rapport actifs/inactifs. Un tel basculement pose bien sûr avec encore plus d'acuité le problème de la réforme fiscale. A ce point de vue, il serait temps de poser au niveau européen la question d'un rééquilibrage de la taxation du capital et du travail au bénéfice de celui-ci et de l'activité productive et au détriment de la rente et de la spéculation. La taxe Tobin procède d'une juste intuition. Il faudra préciser et pousser ce projet et d'abord dans l'administration française, où elle rencontre de fortes résistances.
La protection sociale a besoin d'être modernisée. Son rapport qualité-prix doit être amélioré. Une grande politique de prévention, notamment en milieu scolaire, reste à concevoir et à financer.
h) En matière de retraites le système de répartition est un principe de lien social et de solidarité entre les générations. L'accumulation de titres ne tient pas lieu de production de biens. Ce sont toujours les actifs qui payent. C'est la vitalité démographique, la croissance économique et la création d'emplois qui seules gagent le montant des retraites.
Veillons simplement à ce que le système de la capitalisation chassé par la porte par Lionel Jospin ne rentre pas par la fenêtre
6) La République que nous voulons doit être une République européenne. Nous ne sommes pas des antieuropéens, mais nous refusons l'enlèvement de l'Europe par l'ultralibéralisme. Nous voulons une Europe européenne, une Europe démocratique, construite avec les nations, et non pas sans elles et encore moins contre elles. Nous voulons une Union de nations, comme l'avait d'ailleurs fort bien exprimé Lionel Jospin dans son discours de Milan le 1er mars 1999.
Nos propositions sont simples et pratiques : avec l'élargissement de l'Europe à l'Est, nous voulons un rééquilibrage vers le Sud, vers la Méditerranée, une relance du processus de Barcelone, et d'abord vers le Maghreb.
Sur le plan institutionnel nous ne voulons pas voir se recréer un mur entre l'Est et l'Ouest, constitué en utopique "noyau dur fédéral". Nous voulons des coopérations renforcées et d'abord autour de l'axe franco-allemand, en privilégiant l'euro 12 sur le plan économique.
Notre ligne, c'est celle de la plate-forme MDC-PS aux européennes, rien de plus, rien de moins. Nous avons posé des conditions à l'euro en 1996, notamment l'euro large incluant l'Italie et l'Espagne. Nous avons ainsi rompu avec la désastreuse politique de la monnaie forte, responsable depuis 1983 d'un million et demi de chômeurs supplémentaires dans notre pays.
Attachons-nous maintenant à remplir les autres conditions que nous avions posées et notamment la constitution d'un gouvernement économique autour de l'euro 12. Une grande zone monétaire à l'échelle européenne peut avoir beaucoup d'avantages, si un certain pilotage politique peut être assuré.
Rappelons nos conditions pour la monnaie unique:
- modification des statuts de la BCE par l'introduction d'objectifs de croissance et de plein emploi, comme l'a d'ailleurs prévu la plate-forme MDC-PS aux élections européennes de juin 1999 ;
- négociation avec la Grande-Bretagne afin d'inclure celle-ci dans le cercle de l'euro à une date à convenir et si possible ensemble ;
- recherche d'un accord de stabilité entre l'euro, le dollar et le yen ;
- et surtout constitution d'un véritable gouvernement économique européen autour de l'euro douze.
Mais pour cela il faut que la France pèse, car notre pays est le seul capable d'équilibrer la puissance allemande redevenue centrale en Europe. Encore faut-il que la France reste la République et ne se dissolve pas dans un conglomérat d'euro-régions qui nous ramènerait en effet aux temps bénis, non pas des colonies, mais du Saint-Empire romain germanique. Nous voulons que la République française continue dans l'intérêt de l'Europe et de l'Allemagne même. Notre tâche historique, c'est de rapprocher nos nations en élaborant, chaque fois que cela est possible, non pas des politiques uniques mais des politiques partiellement communes en matière de politique étrangère, de défense, mais aussi de recherche ou d'infrastructures.
Nous ne devons pas châtrer les nations qui ont chacune leur vocation et enrichissent ainsi l'Europe, comme l'a d'ailleurs fort bien exprimé Jacques Delors lors du débat qui nous a réunis au Conseil Économique et Social le 26 juin dernier à l'initiative de la Fondation du 2 Mars. Je le cite : "Il faut avancer de manière pragmatique. Je suis favorable à des actions communes pour que les nations continuent en fonction de leurs intérêts nationaux, de leurs traditions, de leur situation géopolitique, à mener une action Le mieux est l'ennemi du bien".
De ce point de vue il faut éviter les fuites en avant, ainsi dans l'idée d'une Constitution européenne mise en avant bien légèrement par Jacques Chirac devant le Reichstag : Là où il y a trente peuples, ne faisons pas comme s'il n'y en avait qu'un seul.
Évitons ensuite la fuite en avant "procédurale", c'est-à-dire purement institutionnelle. Faisons l'Europe par la politique, par le débat, sur un projet.
S'agissant de la Charte des droits fondamentaux, je me retrouve aussi avec Jacques Delors pour adresser une mise en garde : ceux qui pensent que le progrès social passe par une Charte contraignante ayant valeur de traité se trompent, à moins qu'ils n'aient été trompés: il n'y a rien à gagner à substituer à la démocratie citoyenne et au pouvoir du Parlement, le pouvoir du juge européen. On l'a vu avec le travail de nuit des femmes. On le verrait dans d'autres domaines.
Jacques Delors a cité un exemple pédagogique de ce qu'une telle Charte contraignante pourrait signifier : "Nous risquons de mettre en cause notre système de sécurité sociale à cause des arrêts de la Cour de Justice et au nom de la liberté de circulation des travailleurs, ce que je refuse". Eh bien, nous aussi, et nous exprimons notre inquiétude vis-à-vis des organisations syndicales -y compris la CGT- qui le 3 juillet dernier semblent s'être ralliées à l'idée d'inscrire la Charte des Droits fondamentaux dans des instruments juridiques contraignants : C'est un piège !
Cette Charte doit comme la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen garder une valeur proclamatoire. Elle ne doit pas aboutir à substituer une jurisprudence européenne, forcément frileuse et aléatoire, aux luttes politiques et sociales, c'est-à-dire en définitive à la démocratie même !
7) La France doit enfin continuer à parler au monde et c'est aussi pour cela qu'elle doit veiller à préserver sa définition républicaine. Aider les pays du Sud c'est d'abord favoriser la construction d'États de droit, porteurs des valeurs républicaines de citoyenneté, d'égalité devant la loi, et de laïcité, ou tout au moins de neutralité religieuse.
Comment pourrions-nous accomplir cet immense travail en restant fidèles à la défense des "immortels principes", si nous commencions chez nous par mettre ceux-ci en congé ?
J'ajoute que nous devons aussi arrimer la Russie à l'Europe. C'est la condition d'une paix durable sur notre continent. Là aussi les valeurs républicaines importent à l'avenir de ce grand pays qui doit surmonter le défi de sa diversité ethnique. C'est ainsi que nous construirons une Europe européenne, qui pourra d'autant mieux préserver une relation amicale avec les États-Unis que ceux-ci n'auront plus à s'investir dans un continent trop compliqué pour eux. Ils ont tant de choses à faire par ailleurs !
Voilà, notre projet, citoyens. Il me plaît de pouvoir l'énoncer avec plus de clarté, dès lors que le même devoir de réserve ne s'impose plus à moi, depuis que j'ai dû quitter le gouvernement.
Je sais que certains me critiquent de l'avoir fait pour la troisième fois. Mais croyez-vous que je m'y suis résigné de gaieté de cur ? Quitter le gouvernement peut être la marque d'une exigence mais c'est toujours aussi une peine pour ce que l'on quitte.
D'autres que moi, plus prestigieux, ont démissionné aussi souvent que moi : Sans évoquer De Gaulle, Mendès-France et Alain Savary. Ils ne trouveraient évidemment pas grâce aux yeux d'Alain Madelin qui, lui, a été viré avant d'avoir eu le temps de démissionner. Je me bornerai à lui rappeler ce mot de Rivarol : "C'est un terrible avantage de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser".
Notre projet est très ambitieux, citoyens ! Nous sommes au pied de l'Himalaya. Quel est le mode d'emploi ? Il faut pour cela une immense réserve de courage : cela ne nous fait pas défaut. Il faut aussi un peu d'ingéniosité. Nous devons nous perfectionner. Nous devons surtout être des rassembleurs, et pour cela développer un pôle républicain dans la gauche et dans le pays.
IV - Créer un pôle républicain dans la gauche et dans le pays.
Si le cap de juin 1997 s'est infléchi, c'est parce que l'attelage était tiré dans un seul sens, celui qu'imprimaient non seulement les pressions des verts mais plus généralement celles des socio-libéraux.
Il a manqué un pôle capable d'exercer une attraction aussi forte, en faveur des thèses républicaines.
Notre tâche est à présent de l'organiser et d'abord pour donner à la gauche une dynamique sociale et politique.
Le dessein de la gauche dépasse le "stabcroissance" prônée par Laurent Fabius. L'État républicain ne doit pas se mettre aux abonnés absents comme y a incité bien inutilement par exemple Daniel Cohn Bendit, avec sa troisième gauche verte, au moment de l'affaire Michelin. Le même n'a pas besoin de rappeler aux patrons du MEDEF que le capitalisme se moque de la morale et d'ajouter "C'est très bien ainsi". Les patrons se marrent et nous aussi. Les Verts devraient prendre garde à ne pas favoriser les mauvais penchants du PS, je veux dire les courants libéraux qui sont assez puissants comme cela.
Si vraiment ils sont pour la taxe Tobin, comme le dit Mme Voynet, il faut qu'ils pèsent de l'intérieur comme nous pèserons de l'extérieur pour donner forme à ce projet.
La politique de la gauche ne doit pas être à la remorque des thématiques qui sont d'abord celles d'une petite bourgeoisie qui prétend confisquer la modernité au nom de la mondialisation libérale. La gauche doit réellement faire la synthèse entre les classes populaires et les couches moyennes et elle ne peut le faire que si elle désigne aussi ceux auxquels elle s'oppose: les rentiers de la finance, les agioteurs, tous ceux qui s'enrichissent en dormant, ou plutôt en spéculant. La gauche doit aussi rassembler en faisant voler en éclat les problématiques désuètes, en faisant bouger les lignes dans le pays.
Le MDC est attaché au succès de la France et de son gouvernement.
Nous apporterons donc au gouvernement de Lionel Jospin notre soutien au Parlement, à l'occasion du vote du budget et, nous l'espérons en maintes autres occasions, mais nous garderons notre autonomie de vote, comme les Verts et le PCF l'ont fait quand il s'est agi par exemple de voter la loi sur l'immigration. Nous nous interdirons cependant la démagogie à laquelle ils ont cédé en soutenant sans pudeur les manifestations sans-papiéristes alors même que la loi proposée par moi-même au nom du gouvernement auquel ils participaient, avait été votée par le Parlement.
Nous ne voterons pas non plus les motions de censure présentées par le RPR qui ne manque pas de culot en lançant une pétition sur la Corse oubliant et le vote de ses élus à l'Assemblée de Corse et le fait que le Président de la République le 14 juillet se soit mis aux abonnés absents sur cette grave question. Il a ainsi pris la coresponsabilité de la dérive corse qu'on pouvait déjà voir venir et qui a suivi dans la semaine suivante, dérive dangereuse pour l'unité de la République, que j'ai cherché de toutes mes forces à éviter, mais dont j'ai tiré les conséquences, quand elle s'est produite.
La cohabitation tire la démocratie vers le bas. On l'avait déjà vu sur d'autres sujets : la guerre des Balkans, guerre disproportionnée dans laquelle la France s'est laissée entraîner contre ses intérêts, la réforme de la justice, et aujourd'hui la Corse.
En créant un pôle républicain dans le pays, nous sommes sûrs de contribuer aussi à hausser le niveau de l'exigence républicaine chez ceux qui ont la charge de défendre la République. C'est la raison pour laquelle je vous invite non seulement à ne pas soutenir la pétition hypocrite du RPR mais à participer aux initiatives que nous prendrons pour amener le gouvernement à revoir le processus, en opérant le nécessaire "recadrage".
Notre soutien sera donc un soutien vigilant, avec le souci de faire gagner la gauche en relevant le niveau de son ambition. La question de notre participation au gouvernement n'est pas essentielle. Nous ne conditionnons pas notre soutien à l'obtention d'un maroquin. Nous prendrons cette décision, s'il y a lieu, en fonction de l'intérêt du pays.
Quant aux prochaines élections, nous souhaitons être associés aux discussions programmatiques avec le PS et le PCF. Les accords conclus doivent être respectés par tous les partenaires de la gauche. L'expérience des manquements passés -onze au moment des élections régionales et cantonales de mars 1998- nous a enseigné que le respect des engagements pris dépendait moins des services rendus que de l'intérêt électoral. Bref s'il faut créer des rapports de forces nous nous y résignerons, puisque telle est la loi du genre, mais nous faisons confiance au bon sens de chacun, afin que la gauche plurielle puisse s'enrichir de ses différences.
Le pôle républicain que nous voulons construire, nous l'organiserons dans la gauche et dans le pays.
1) L'organiser dans la gauche.
Nous ne sommes pas isolés au sein de la gauche. Le dossier corse le montre -avec tout ce qu'il sous-tend : refus de la violence, attachement à la démocratie, à l'égalité et à la France. L'écho est grand parmi les socialistes et parmi leurs élus, parmi les communistes à qui la direction ne peut faire avaler sans réaction un alignement surprenant sur l'affaire corse, parmi les radicaux de gauche, où des républicains sincères comme Émile Zuccarelli et Nicolas Alfonsi, se sont fait entendre avec courage.
Les valeureuses phalanges du MDC doivent impérativement se redéployer. Il faut recruter massivement, s'ouvrir, donner des responsabilités aux jeunes et aux femmes. Ensuite il est nécessaire de créer des passerelles, de faciliter les contacts entre ceux qui comprennent ce qu'exige la République. Les cercles "République moderne" peuvent en être le cadre : ils seront ouverts à ceux qui souhaitent établir ces contacts, sans rompre les engagements politiques qu'ils peuvent avoir par ailleurs : socialistes, communistes, radicaux et gaullistes de gauche, voire militants formés dans les organisations de l'extrême gauche, mais ayant compris qu'ils n'avaient rien à rabattre de leurs exigences en l'investissant dans le combat républicain.
2) Organiser le pôle républicain dans le pays.
Mais le plus important sera d'organiser ce pôle républicain dans le pays et non dans un face à face lassant et souvent peu fécond entre les formations politiques.
Aller vers la jeunesse.
La tâche la plus urgente est d'aller vers la jeunesse. La République est une promesse d'égalité. Les jeunes en ont le pressentiment. Les grands mouvements qui l'ont agité dans un passé tout proche étaient fondés sur l'exigence d'égalité des chances, face à des projets qui la compromettaient. La démagogie "jeuniste" a mauvaise presse auprès des jeunes eux-mêmes. En leur proposant des repères plus exigeants, nous servons leur liberté future et ils le savent.
Les jeunes issus de l'immigration, plus que d'autres, savent que la République est la seule promesse d'égalité et de citoyenneté accomplie.
Dans un premier temps, la charité communautaire, les discours de compassion peuvent les flatter ; mais ils découvrent vite leurs limites : celles d'une "assignation à résidence communautaire", celles d'un "développement séparé". Nous devons tenir aux jeunes issus de l'immigration un seul discours : celui de l'égalité ! Nous savons parfaitement que l'immense majorité aspire à réussir sa vie, trouver un emploi, fonder une famille. Nous n'acceptons pas ces amalgames qui confondent une infime minorité délinquante avec "les jeunes des cités". Car les jeunes des cités, ils veulent s'en sortir ! En étudiant, en travaillant ! Et seule la République peut leur ouvrir un horizon de pleine égalité. C'est le sens que j'ai donné à la création des CODAC dans les départements.
Les jeunes issus de l'immigration sont aujourd'hui nos nouveaux citoyens, ils seront demain les meilleurs militants de la République moderne. Eux savent que face à la réussite par l'argent, face aux privilèges de la naissance ou de la fortune, face aux discriminations, face aux différences religieuses, la République laïque peut seule garantir l'égalité des droits, l'égalité des chances à tous les siens. Qu'ils soient d'origine auvergnate ou marocaine, blancs noirs ou jaunes, athées, chrétiens ou musulmans, qu'ils s'appellent Ali ou Alain, Leila ou Liliane, Norbert ou Norredine : tous citoyens de la République française !
Nous avons là un vaste horizon : amener à la vie publique, à l'engagement politique, aux responsabilités électives les meilleurs de cette génération.
Je me tourne aussi vers le monde du travail et vers les syndicalistes qui peuvent apprécier la constance de nos engagements dans la durée : je leur demande de prendre contact avec nous, quelle que soit leur confédération ou leur fédération d'origine.
Je me tourne vers le milieu associatif où il y a des milliers de militants qui ont envie que ça bouge et que ça décoiffe.
Les Républicains de l'autre rive.
La République n'est le monopole de personne, mais elle a besoin d'une aile marchante. Notre action s'enracine dans la gauche. Nous avons fait avec le CERES le congrès d'Épinay en 1971: et quand la besogne du renouveau du parti socialiste fut accomplie, beaucoup accoururent alors dans les locaux remis à neuf. Ce n'est pas un reproche, mais -convenez-en-, ce n'est pas une raison suffisante pour donner aujourd'hui des leçons de socialisme !
François Morvan et ses amis d'Utopie critique nous permettront de les inviter à participer à cette entreprise : la République est le chemin par lequel leur exigence intacte pourra avancer.
J'affirme donc sans complexe que le dialogue avec les Républicains de l'autre rive est précieux à mes yeux. Nous l'avons poursuivi aujourd'hui à notre Université d'été avec Paul-Marie Couteaux et je m'en réjouis. Nous nous sommes souvent retrouvés dans des combats qui concernaient l'essentiel, et nous nous retrouverons encore à l'avenir.
Cela ne contrarie en rien notre engagement au sein de la majorité. Mais pour mener aujourd'hui en France un combat novateur, il faut se fixer non pas aux repères et aux clivages anciens mais aux réalités. Certes j'ai bien entendu François Hollande me rappeler qu'il n'existait rien en dehors de l'opposition de la droite et de la gauche. Quand même, François, l'art, l'amour, et même l'amitié, nous permettent heureusement de transcender ces clivages ! Il m'est même arrivé de faire voter des lois à l'unanimité du Parlement sur les polices municipales ou sur l'intercommunalité par exemple. La gauche doit savoir être rassembleuse.
Il faut pour cela se déterminer par rapport aux questions posées aujourd'hui : l'avenir de la France dans l'Europe et dans la mondialisation, la question de la citoyenneté, le respect de la loi, l'École de la République, le service public Ces problèmes opposent bien souvent républicains et libéraux. Telles sont à mes yeux les vraies questions en débat ; elles sont plus importantes que les routines ou les classements politiques ressassés et qui ne correspondent pas aux attentes des citoyens.
J'attacherai donc du prix à ce que nous poursuivions nos échanges fructueux et à ce que nous continuions d'éclairer, des deux rives, l'unique objet de nos ambitions : la République accomplie, la République moderne.
Les mouvements tels Attac
Nous voyons dans tout le pays de profonds mouvements d'opinion, comme celui qu'ont fait naître et qu'ont organisé nos amis d'Attac. Ils témoignent de ce qu'il est possible de rassembler des femmes et des hommes d'horizons divers, non engagés le plus souvent dans des politiques.
L'exigence de maîtrise de la mondialisation, l'exigence de démocratie face à la logique libérale planétaire a besoin d'appuis ; elle a besoin de leviers pour agir dans les institutions françaises et européennes. Le premier de ces leviers, c'est l'État, qu'il ne faut pas démoniser.
C'est le rôle d'un mouvement républicain que d'exprimer, dans les institutions, ces aspirations, de montrer que l'État-nation n'est pas forcément un adversaire mais peut-être le premier allié de ceux qui veulent maîtriser la mondialisation et combattre le libéralisme sauvage.
Organiser un pôle républicain dans la gauche et dans le pays, c'est donc à la fois créer des repères, promouvoir un projet et aussi nous adresser, sans sectarisme et sans volonté d'embrigadement, à tous ceux, où qu'ils se trouvent, qui veulent travailler au ressaisissement nécessaire de la France et qui refusent la globalisation sauvage.
Ensemble nous saurons prendre les moyens nécessaires en pariant sur la jeunesse, en utilisant tous les moyens des technologies modernes de communication.
Nous trouverons des relais politiques, médiatiques, organisationnels.
J'ai quelques idées sur le sujet et je suis preneur de toutes celles que vous me donnerez.
Je lance donc un appel à tous ceux qui croient en la force vivante de la démocratie, à ceux qui savent que la République est une idée toujours neuve.
Je les appelle à prendre contact avec le Mouvement des Citoyens - 9, rue du Faubourg Poissonnière Paris 9ème - et avec "République Moderne" - 52, rue de Bourgogne Paris 7ème - pour qu'ensemble nous nous organisions afin de peser sur l'avenir.
Certes la tâche sera rude. Nos adversaires, nombreux, feront tout pour étouffer ou, mieux, discréditer notre voix. Cela nous le savons par avance. Nous nous y sommes mentalement préparés, car nous avons confiance en nos idées. Nous savons qu'à la longue tous les mensonges finissent par tomber.
Oui, citoyens, l'énergie que nous allons dégager, nous saurons la réinvestir dans les années qui viennent, au service de la République, au service de la France !
(source http://www.mdc-france.org, le 5 novembre 2001)
Je suis heureux de me retrouver parmi vous. J'ai dû prendre une décision assez rude mais elle était la conséquence de choix que je ne pouvais approuver. Je vous dirai quelques mots seulement de la Corse. Je souhaite surtout faire le point avec vous trois ans après l'arrivée de la gauche plurielle au pouvoir. Je rappellerai ensuite quel projet nous portons. Je conclurai enfin par le mode d'emploi pour le faire avancer : la création d'un pôle républicain au sein de la gauche et dans le pays.
I - La Corse
Si j'ai retrouvé ma liberté, ce n'est pas mon choix personnel mais la conséquence d'un changement de politique que j'ai cherché à canaliser, en vain hélas, parce que je pense qu'il n'est bon ni pour la Corse ni pour le pays.
Rien n'est plus emblématique en effet que le dossier corse d'une dérive préoccupante pour la démocratie, pour la République et pour la France.
J'entends dire qu'il n'y a pas d'alternative au processus de Matignon, "pas de plan B" dit M. Talamoni. C'est faux. Il y a surtout dans la politique de l'État un manque de continuité et un manque d'unité. En Corse il y a d'abord un problème de violence. Or que dit M. Talamoni, par exemple il y a huit jours le 26 août à l'Irish Times de Dublin ?
Il réaffirme l'objectif de l'indépendance de la Corse et ajoute : "La violence est notre stratégie depuis plus de trente ans. Nous n'avons pas changé, car tout ce que nous avons obtenu jusqu'à ce jour s'est fait à travers le spectre de la violence. Nous voulons construire la paix mais la paix, ce n'est pas la tranquillité. La paix signifie élaborer quelque chose qui permette au peuple corse de prendre le contrôle de sa destinée."
Les élus avec lesquels on négocie sont -tout le monde le sait- les otages des organisations clandestines. IL y a donc d'abord en Corse un problème de démocratie face à la violence d'une minorité.
On peut certes simplifier le statut qui est une usine à gaz, voire le changer. J'ai d'ailleurs fait des propositions en ce sens. Mais la violence qui pèse sur les élus du suffrage universel fausse tout. La preuve en est que l'accord s'est fait aux conditions posées par les nationalistes : collectivité unique et surtout dévolution du pouvoir de faire la loi à l'Assemblée de Corse.
Comment expliquer que des députés corses puissent faire la loi à Paris et qu'elle ne s'applique pas en Corse ? La loi doit être la même pour tous. On prétend rompre avec l'uniformité. On rompt en réalité avec l'égalité. Ainsi s'ouvre une brèche préoccupante pour la République tout entière.
J'ai évoqué l'effet "I love you", du nom du virus informatique, pour décrire l'inévitable effet de contagion. Ce qui est en cause, c'est la définition de la France comme communauté de citoyens. Revenir à une définition par l'origine serait une terrible régression. La République n'est pas une parenthèse à refermer dans notre Histoire.
De quel poids la France pèserait-elle demain en Europe si elle renonçait à ce levier d'énergie qui est sa définition par la citoyenneté ?
Nous voulons construire l'Europe. Eh bien, nous ne le ferons qu'autour d'une étroite coopération de la France et de l'Allemagne. Nos deux nations sont très différentes. L'originalité de la France est d'être une construction politique et culturelle menée au long des siècles, alors que l'Allemagne s'identifie depuis l'origine à la germanité, au "Deutschtum", même si elle a heureusement modifié, l'an dernier, son droit de la nationalité.
La France doit veiller comme à la prunelle de ses yeux à cette définition par la citoyenneté qui brasse en son sein des peuples très divers venus du Nord et du Sud de l'Europe et même du monde entier depuis un demi-siècle, pour équilibrer dans un rapport fécond et dynamique la puissance retrouvée de l'Allemagne, nation amie qui a aussi besoin de la France, pour dominer et faire à nouveau son Histoire.
Ce serait ne rien comprendre à la réalité de la France que d'envisager de détricoter son unité, en acceptant qu'il y ait des lois corses, bretonnes, franc-comtoises, etc. et que soit ainsi rompu l'espace de débat public qui est depuis deux siècles au cur de notre histoire.
Si j'ai refusé de porter devant le Parlement le projet issu du processus de Matignon, c'est que j'ai toujours eu une certaine idée de la responsabilité politique : un homme politique doit avant tout croire à ce qu'il fait.
II - Où en sommes-nous ?
La longue marche que nous avons choisie au début des années 90 n'est pas un long fleuve tranquille. Il y a des rapides que nous ne prévoyions pas, mais c'est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source.
Depuis dix ans, nous savons que la gauche est à reconstruire et qu'il faut créer de nouveaux repères dans un monde déboussolé. Longtemps la social-démocratie a vécu paresseusement en rentabilisant au bénéfice des travailleurs sa position dans le face à face d'un capitalisme dominé par les États-Unis d'Amérique d'une part, et du communisme soviétique de l'autre. Depuis l'effondrement de celui-ci, elle cherche sa voie parce qu'elle continue à croire naïvement, dans le contexte de la mondialisation libérale, qu'elle pourra encore trouver des compromis sans s'aviser que le rapport de forces lui fait défaut. Pour autant, comme l'a écrit Éric Hobsbawm, "on ne peut laisser l'avenir de l'humanité à la concurrence d'entreprises privées, vouées au seul profit".
Nous savons que le rapport de forces à créer ne peut l'être que par la démocratie. Or, qu'on le veuille ou non, les nations restent le cadre irremplaçable de la prise de conscience et du débat démocratique, et des points d'appui indispensables.
Malheureusement la synthèse jauressienne du socialisme et de la République reste incomprise par les sociaux-démocrates.
On l'observe trois ans après l'arrivée de la gauche au pouvoir.
Ayant cessé d'exercer mes fonctions de ministre de l'Intérieur, je crois pouvoir dire, sans trop d'immodestie, que nous avons donné depuis trois ans de l'air à la gauche en assumant des fonctions ingrates, mais vitales, dans des domaines comme la sécurité ou la maîtrise des flux migratoires.
Nous n'avons pas pour autant été asphyxiés parce que nous avons montré qu'une politique de sécurité répondant aux attentes de tous nos concitoyens, y compris et d'abord ceux qui vivent dans les banlieues, était une politique sociale. Nous avons sorti le thème de l'immigration du débat pourri entre la droite et la gauche qui ne faisait que le jeu de l'extrême-droite. Et on voit bien aujourd'hui, alors que le patronat demande à nouveau qu'on recoure à l'immigration de travail, quels intérêts sociaux nous avons défendus : ceux des travailleurs et d'abord de ceux qui sont au chômage et qu'il faut réintroduire en priorité dans le circuit de la production, avant de faire appel aux trafiquants de main d'uvre
Le Ministère de l'Intérieur implique de lourdes contraintes. Il nous a amenés à privilégier la cohérence au détriment quelquefois de la clarté. Cette contrainte ne pèse plus de la même manière. Pour autant nous devons refuser la démagogie. Nous sommes des républicains. Si nous sommes passionnément attachés à l'égalité, nous croyons aussi à cette capacité collective de maîtriser la destinée commune qu'on appelle la démocratie. Celle-ci implique la responsabilité. C'est donc en responsables que nous nous exprimerons toujours, car nous avons le souci de la réussite, celle du gouvernement où nous ne sommes plus, mais plus généralement celle de la majorité à laquelle nous appartenons, et celle du pays. Nous ne jouons pas au petit jeu : "Plus républicain que moi tu meurs". La République n'est certes le monopole de personne mais elle est d'abord une exigence. Comme l'a bien dit Claude Nicolet : "la République est d'abord le parti de ceux qui prennent au sérieux ses principes". De cela, chacun est juge.
Le bilan de la gauche plurielle que seule la capacité politique de Lionel Jospin a rendu possible est largement positif : croissance et confiance retrouvées, modernisation technologique relancée, chômage en recul, accès à la citoyenneté facilité, solidarités resserrées, décentralisation renforcée, parité hommes-femmes enfin reconnue, fonctions vitales assumées sans faux fuyant : Nous avons réconcilié la gauche avec la règle démocratique, en contenant les excès d'un individualisme exacerbé. Nous pouvons en être légitimement fiers.
Pour autant force est de reconnaître que face à l'immense défi que représente une mondialisation libérale sans frein ni contrepoids, la réponse de la gauche est restée trop modeste.
La globalisation dont on nous rebat les oreilles se fait à l'enseigne des marchés financiers. Elle n'intègre ni la solidarité humaine ni le long terme.
a) En témoigne le négoce subtil engagé, sur l'ensemble du Vieux Continent, entre deux générations, l'une partisane d'une retraite de plus en plus précoce, l'autre inquiète d'avoir à financer à effectifs fondants cette lourde facilité, deux générations entre lesquelles se dressent pourtant d'obscurs intérêts financiers prônant le lancement de lucratifs fonds de pensions au détriment de la solidarité exercée dans des systèmes de répartition.
b) En témoigne aussi le troc dérisoire qui s'organise dans les entreprises entre modération salariale et baisse de la durée du travail, dans un environnement humiliant pour les salariés les moins aisés, marqué par l'accélération des profits et l'envol extravagant des cours de bourse.
c) En témoigne l'engouement des professionnels d'Internet et du GSM qui n'ont d'autre objectif que de transformer la rapidité d'accès au savoir en juteuses redevances téléphoniques et publicitaires ou en bulle financière explosive.
d) En témoignent ces cris d'orfraie poussés dès que l'euro baisse Mais vous le savez bien, chers camarades, la faiblesse de l'euro est peut-être préoccupante pour le capital financier et pour les États-Unis
mais elle ne l'est pas pour l'économie européenne et pour le monde du travail !
Cette faiblesse de l'euro est la contrepartie de "l'euro large" que nous avons voulu en 1996 et que Lionel Jospin a repris dans son programme électoral en 1997. Elle traduit aussi l'inconsistance politique qui a consisté à renverser l'ordre des priorités en construisant une monnaie sans avoir créé au préalable un gouvernement économique démocratiquement responsable pour sa gestion.
"L'abdication d'une démocratie selon Pierre Mendès-France peut prendre deux formes : soit le recours à une dictature intérieure, soit la délégation des pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique."
La Banque Centrale Européenne telle qu'elle fonctionne nous achemine dans cette voie funeste. Il faut rappeler que le chômage reste en Europe plus élevé que partout ailleurs. C'est pourquoi la périodicité et l'intensité des relèvements des taux d'intérêts de la BCE, désormais décidés par des autorités non directement responsables devant les peuples, et indifférentes aux soucis des citoyens, n'est pas acceptable.
Le marché unique oui, le marché inique sûrement pas !
La question sociale reste posée à travers la précarité toujours présente, une flexibilité accrue, une ségrégation sociale et urbaine encore insuffisamment combattue.
Des choix heureux ont été faits -que nous saluons- en faveur du maintien d'un système de répartition en matière de retraites, ou pour affirmer le rôle de la loi et rejeter un faux paritarisme en matière d'assurance chômage, mais il manque une impulsion globale pour résorber les fractures de notre société : Il y a ainsi beaucoup à faire en matière de politique industrielle, tant la non-ingérence dans les affaires des grands groupes a été intériorisée.
Il y a beaucoup à faire en matière d'aménagement du territoire, de reconstruction de nos banlieues, d'accès à la citoyenneté, politique qui ne se résume pas à la stigmatisation des discriminations mais implique un effort continu de promotion des jeunes nés de l'immigration.
Il y a beaucoup à faire pour relever l'École en lui redonnant le sens de ses missions.
Il y a encore beaucoup à faire pour venir à bout des noyaux durs de la délinquance.
Il y a beaucoup à faire enfin pour redresser la justice, afin que la loi républicaine soit appliquée partout.
Sur tous ces sujets nous ferons des propositions, car nous refusons de nous enfermer dans des critiques stériles. Nous voulons relever la politique. La crise de l'État républicain et la crise de la démocratie sont en effet l'avers et l'envers d'une même médaille. Assurément nous ne rendons pas le gouvernement responsable d'une situation qu'il a déjà trouvée très dégradée en 1997.
Dois-je rappeler par exemple que le projet fumeux de réforme de la justice est au départ une initiative du Président de la République ? Ce n'est qu'ensuite qu'il est devenu un enfant de la cohabitation, mort en bas âge d'ailleurs.
Nous souhaitons plus de volontarisme et moins de sensibilité à l'air du temps. Un nouvel élan est nécessaire pour la gauche d'abord, mais aussi et surtout pour le pays. Nous sommes mieux placés pour le donner, dès lors que je n'assume plus cette fonction redoutable de "serre-file" du gouvernement. Quel sont donc les grandes orientations d'un projet destiné à donner un nouveau souffle à la gauche et au pays ?
III - Notre projet.
Il est de relever l'intelligence de la politique, et donc le citoyen.
Il est de relever l'État républicain face à la mondialisation libérale.
Il est de redonner à la France toutes ses chances dans la construction d'une Europe, où les valeurs de liberté, de laïcité et d'égalité ont encore beaucoup de chemin à faire.
Bref, nous voulons une République moderne en France pour pouvoir construire demain une Europe républicaine.
Reprenons ces différents points :
1) La République c'est le règne de la loi, égale pour tous parce que délibérée en commun. C'est l'amour du débat argumenté sanctionné par l'élection. C'est le respect retrouvé du Parlement. Si à cet égard nous sommes pour le quinquennat, c'est bien parce que celui-ci est une première étape pour aller vers un véritable régime présidentiel, condition de la revalorisation du Parlement.
C'est l'une des grandes forces du gouvernement de Lionel Jospin que d'avoir réussi à réconcilier la gauche avec l'idée simple que la liberté ne va pas sans quelques règles de vie commune.
2) Relever le débat politique c'est aussi relever le citoyen et d'abord à travers l'École rappelée à ses missions fondamentales : transmission des valeurs et des savoirs, formation du jugement et donc du citoyen. Bien entendu l'École aujourd'hui au sens large c'est aussi une presse libre, exigeante, soucieuse d'informer les citoyens.
3) Dans la société de communication il y a des repères à maintenir, des valeurs humaines à transmettre. L'ouragan de la mondialisation libérale menace au moins autant le terreau culturel de nos sociétés que leur environnement. La crise de la famille, la démission de trop de parents, la crise de l'École, la perte des repères nourrissent le désarroi de la jeunesse et sapent les fondements de la démocratie.
La "fracture numérique" se creuse et dessine implicitement un monde à deux vitesses : D'un côté les inclus, de l'autre les exclus d'un côté les branchés, de l'autre les débranchés d'un côté le "Nouveau Monde", de l'autre le "Vieux continent" d'un côté les membres du "village planétaire", de l'autre les adeptes du village gaulois d'un côté les légions civilisatrices libérales modernistes, de l'autre les hordes barbares socialisantes et régressives
Derrière cette mutation majeure se cache surtout une guerre des contenus qui va modifier durablement les rapports entre les nations et les grandes cultures : passé l'engouement compréhensible des uns et des autres pour le nouveau média planétaire qu'est l'Internet, le débat se portera en effet bientôt sur le contrôle des producteurs d'information, de biens culturels et de formation. Ici encore, ceux qui paieront les violons choisiront la musique et tenteront d'exercer leur domination.
Face à cela, l'Europe, pourtant dotée d'atouts artistiques, littéraires et éducatifs considérables, n'existe pas ou plutôt réagit comme une éponge. Elle reproduit "la civilisation des tuyaux" autour d'une communication vide, que ne structure aucun projet de civilisation. L'Europe ne devrait pourtant pas hésiter à investir massivement dans l'éducation et dans les industries de programmes pour conserver une longueur d'avance (celle de l'accumulation multi-séculaire d'un immense patrimoine) sur les offreurs de facilités multimédias dont le strabisme menace d'être américain.
4) La démocratie est à reconstruire à travers un projet de République moderne.
Je suis entièrement d'accord avec François Hollande quand il fustige ces faux débats entre modernes et archaïques, républicains et démocrates, jacobins et girondins.
Pourquoi vouloir opposer l'idée d'un espace public de débat à l'échelle du pays tout entier, débat sanctionné par le vote de la loi républicaine, et l'épanouissement des foyers d'initiative et de responsabilité décentralisés que rend possible le développement de nouvelles technologies ?
Pourquoi vouloir opposer la nécessaire décentralisation et la solidarité nationale ?
Le développement d'un véritable pouvoir d'agglomération, et plus généralement de l'intercommunalité va permettre une profonde recomposition de la carte territoriale du pays. A la fin de l'année, 14 communautés urbaines et 88 communautés d'agglomération auront été créées dans les plus grandes villes de France. En 2OO7 les conseillers communautaires pourraient être élus au suffrage universel au moins dans les grandes villes, en même temps que les conseillers municipaux. Parallèlement on pourrait calquer sur le paysage de l'intercommunalité l'élection des conseillers généraux dans les départements.
Il n'y a pas lieu de choisir entre le département et la région mais seulement de mieux cerner les blocs de compétence, comme le propose la Commission Mauroy. Parmi les propositions simples et pratiques qu'elle avance, citons particulièrement la spécialisation et l'impôt par niveau de collectivité et la désignation d'une collectivité chef de file pour la conduite des politiques contractuelles.
Ces propositions simples et pratiques feront plus avancer le débat sur la décentralisation que les arguments polémiques des faux frères Alain et Olivier Duhamel dont Pierre-André Taguieff nous a parlé hier après-midi.
Les républicains sont des démocrates. Il n'y a pas lieu d'opposer la République à la démocratie.
5) La République parce qu'elle porte l'exigence d'égalité se doit d'être une république sociale. C'est par la volonté politique qu'on peut combattre les fractures sociales et culturelles que creuse la mondialisation libérale.
a) A travers un secteur public fort et de grands opérateurs publics maintenus : EDF - GDF - SNCF - France Telecom - La Poste.
b) A travers des politiques publiques cohérentes dans le domaine du logement, de l'urbanisme, des banlieues, de l'emploi, de l'accès à la citoyenneté, de la sécurité, de l'aménagement du territoire. Partout, c'est la même ardente exigence qui doit se faire entendre, celle de l'égalité des chances donnée au départ à tous. C'est ce qu'en d'autres temps j'appelais "l'élitisme républicain", possibilité donnée à chacun de pouvoir aller au bout de ses possibilités, à commencer bien sûr par les plus pauvres. C'est cela la gauche : ni égalitarisme niveleur ni résignation à la jungle.
c) Comme ministre de l'Intérieur, je pense avoir conduit une politique sociale en matière de sécurité de proximité, de refus du laisser faire libéral en matière d'immigration, d'accès à la citoyenneté des jeunes issus des dernières vagues de l'immigration, en matière de dialogue avec l'Islam, de solidarité urbaine. Il faut saluer bien sûr en premier lieu l'immense travail effectué par Martine Aubry. Pour autant la question sociale reste bien sûr ouverte dans notre pays.
d) La gauche républicaine ne peut enfourcher le cheval de la baisse des impôts comme priorité première. Une baisse de la pression fiscale est certes nécessaire. Ne faisons pas la fine bouche. Mais la moitié des Français les plus pauvres qui ne paient pas d'impôt sur le revenu sont peu concernés. Une réforme fiscale d'ampleur se fait toujours attendre. La diabolisation de l'impôt, notamment sur le revenu, induit l'État modeste, le démantèlement du service public et des politiques sociales. L'impôt est l'instrument principal de la redistribution et l'un des ciments sur lequel on peut construire une République de citoyens solidaires.
e) La question des salaires doit être posée au moment où recule le chômage mais où apparaissent, comme aux U.S.A. des millions de travailleurs pauvres. Plus que les minima sociaux, la question d'une juste rémunération du travail doit être un thème pour la gauche républicaine, car il renvoie aux valeurs de justice et d'égalité plus qu'à la charité et à la commisération.
f) La remise en cause du droit du travail, la primauté du contrat sur la loi dans les relations sociales, doivent être combattues comme le fait d'ailleurs le gouvernement sur le dossier de l'UNEDIC.
g) Si la croissance a permis un rétablissement spectaculaire de nos comptes sociaux, il serait bon néanmoins, pour la financement de la protection sociale, de passer progressivement d'un système de cotisations principalement assis sur le travail vers un plus large financement par l'impôt pour éviter qu'il soit à nouveau déséquilibré, soit par le chômage, soit surtout par la détérioration du rapport actifs/inactifs. Un tel basculement pose bien sûr avec encore plus d'acuité le problème de la réforme fiscale. A ce point de vue, il serait temps de poser au niveau européen la question d'un rééquilibrage de la taxation du capital et du travail au bénéfice de celui-ci et de l'activité productive et au détriment de la rente et de la spéculation. La taxe Tobin procède d'une juste intuition. Il faudra préciser et pousser ce projet et d'abord dans l'administration française, où elle rencontre de fortes résistances.
La protection sociale a besoin d'être modernisée. Son rapport qualité-prix doit être amélioré. Une grande politique de prévention, notamment en milieu scolaire, reste à concevoir et à financer.
h) En matière de retraites le système de répartition est un principe de lien social et de solidarité entre les générations. L'accumulation de titres ne tient pas lieu de production de biens. Ce sont toujours les actifs qui payent. C'est la vitalité démographique, la croissance économique et la création d'emplois qui seules gagent le montant des retraites.
Veillons simplement à ce que le système de la capitalisation chassé par la porte par Lionel Jospin ne rentre pas par la fenêtre
6) La République que nous voulons doit être une République européenne. Nous ne sommes pas des antieuropéens, mais nous refusons l'enlèvement de l'Europe par l'ultralibéralisme. Nous voulons une Europe européenne, une Europe démocratique, construite avec les nations, et non pas sans elles et encore moins contre elles. Nous voulons une Union de nations, comme l'avait d'ailleurs fort bien exprimé Lionel Jospin dans son discours de Milan le 1er mars 1999.
Nos propositions sont simples et pratiques : avec l'élargissement de l'Europe à l'Est, nous voulons un rééquilibrage vers le Sud, vers la Méditerranée, une relance du processus de Barcelone, et d'abord vers le Maghreb.
Sur le plan institutionnel nous ne voulons pas voir se recréer un mur entre l'Est et l'Ouest, constitué en utopique "noyau dur fédéral". Nous voulons des coopérations renforcées et d'abord autour de l'axe franco-allemand, en privilégiant l'euro 12 sur le plan économique.
Notre ligne, c'est celle de la plate-forme MDC-PS aux européennes, rien de plus, rien de moins. Nous avons posé des conditions à l'euro en 1996, notamment l'euro large incluant l'Italie et l'Espagne. Nous avons ainsi rompu avec la désastreuse politique de la monnaie forte, responsable depuis 1983 d'un million et demi de chômeurs supplémentaires dans notre pays.
Attachons-nous maintenant à remplir les autres conditions que nous avions posées et notamment la constitution d'un gouvernement économique autour de l'euro 12. Une grande zone monétaire à l'échelle européenne peut avoir beaucoup d'avantages, si un certain pilotage politique peut être assuré.
Rappelons nos conditions pour la monnaie unique:
- modification des statuts de la BCE par l'introduction d'objectifs de croissance et de plein emploi, comme l'a d'ailleurs prévu la plate-forme MDC-PS aux élections européennes de juin 1999 ;
- négociation avec la Grande-Bretagne afin d'inclure celle-ci dans le cercle de l'euro à une date à convenir et si possible ensemble ;
- recherche d'un accord de stabilité entre l'euro, le dollar et le yen ;
- et surtout constitution d'un véritable gouvernement économique européen autour de l'euro douze.
Mais pour cela il faut que la France pèse, car notre pays est le seul capable d'équilibrer la puissance allemande redevenue centrale en Europe. Encore faut-il que la France reste la République et ne se dissolve pas dans un conglomérat d'euro-régions qui nous ramènerait en effet aux temps bénis, non pas des colonies, mais du Saint-Empire romain germanique. Nous voulons que la République française continue dans l'intérêt de l'Europe et de l'Allemagne même. Notre tâche historique, c'est de rapprocher nos nations en élaborant, chaque fois que cela est possible, non pas des politiques uniques mais des politiques partiellement communes en matière de politique étrangère, de défense, mais aussi de recherche ou d'infrastructures.
Nous ne devons pas châtrer les nations qui ont chacune leur vocation et enrichissent ainsi l'Europe, comme l'a d'ailleurs fort bien exprimé Jacques Delors lors du débat qui nous a réunis au Conseil Économique et Social le 26 juin dernier à l'initiative de la Fondation du 2 Mars. Je le cite : "Il faut avancer de manière pragmatique. Je suis favorable à des actions communes pour que les nations continuent en fonction de leurs intérêts nationaux, de leurs traditions, de leur situation géopolitique, à mener une action Le mieux est l'ennemi du bien".
De ce point de vue il faut éviter les fuites en avant, ainsi dans l'idée d'une Constitution européenne mise en avant bien légèrement par Jacques Chirac devant le Reichstag : Là où il y a trente peuples, ne faisons pas comme s'il n'y en avait qu'un seul.
Évitons ensuite la fuite en avant "procédurale", c'est-à-dire purement institutionnelle. Faisons l'Europe par la politique, par le débat, sur un projet.
S'agissant de la Charte des droits fondamentaux, je me retrouve aussi avec Jacques Delors pour adresser une mise en garde : ceux qui pensent que le progrès social passe par une Charte contraignante ayant valeur de traité se trompent, à moins qu'ils n'aient été trompés: il n'y a rien à gagner à substituer à la démocratie citoyenne et au pouvoir du Parlement, le pouvoir du juge européen. On l'a vu avec le travail de nuit des femmes. On le verrait dans d'autres domaines.
Jacques Delors a cité un exemple pédagogique de ce qu'une telle Charte contraignante pourrait signifier : "Nous risquons de mettre en cause notre système de sécurité sociale à cause des arrêts de la Cour de Justice et au nom de la liberté de circulation des travailleurs, ce que je refuse". Eh bien, nous aussi, et nous exprimons notre inquiétude vis-à-vis des organisations syndicales -y compris la CGT- qui le 3 juillet dernier semblent s'être ralliées à l'idée d'inscrire la Charte des Droits fondamentaux dans des instruments juridiques contraignants : C'est un piège !
Cette Charte doit comme la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen garder une valeur proclamatoire. Elle ne doit pas aboutir à substituer une jurisprudence européenne, forcément frileuse et aléatoire, aux luttes politiques et sociales, c'est-à-dire en définitive à la démocratie même !
7) La France doit enfin continuer à parler au monde et c'est aussi pour cela qu'elle doit veiller à préserver sa définition républicaine. Aider les pays du Sud c'est d'abord favoriser la construction d'États de droit, porteurs des valeurs républicaines de citoyenneté, d'égalité devant la loi, et de laïcité, ou tout au moins de neutralité religieuse.
Comment pourrions-nous accomplir cet immense travail en restant fidèles à la défense des "immortels principes", si nous commencions chez nous par mettre ceux-ci en congé ?
J'ajoute que nous devons aussi arrimer la Russie à l'Europe. C'est la condition d'une paix durable sur notre continent. Là aussi les valeurs républicaines importent à l'avenir de ce grand pays qui doit surmonter le défi de sa diversité ethnique. C'est ainsi que nous construirons une Europe européenne, qui pourra d'autant mieux préserver une relation amicale avec les États-Unis que ceux-ci n'auront plus à s'investir dans un continent trop compliqué pour eux. Ils ont tant de choses à faire par ailleurs !
Voilà, notre projet, citoyens. Il me plaît de pouvoir l'énoncer avec plus de clarté, dès lors que le même devoir de réserve ne s'impose plus à moi, depuis que j'ai dû quitter le gouvernement.
Je sais que certains me critiquent de l'avoir fait pour la troisième fois. Mais croyez-vous que je m'y suis résigné de gaieté de cur ? Quitter le gouvernement peut être la marque d'une exigence mais c'est toujours aussi une peine pour ce que l'on quitte.
D'autres que moi, plus prestigieux, ont démissionné aussi souvent que moi : Sans évoquer De Gaulle, Mendès-France et Alain Savary. Ils ne trouveraient évidemment pas grâce aux yeux d'Alain Madelin qui, lui, a été viré avant d'avoir eu le temps de démissionner. Je me bornerai à lui rappeler ce mot de Rivarol : "C'est un terrible avantage de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser".
Notre projet est très ambitieux, citoyens ! Nous sommes au pied de l'Himalaya. Quel est le mode d'emploi ? Il faut pour cela une immense réserve de courage : cela ne nous fait pas défaut. Il faut aussi un peu d'ingéniosité. Nous devons nous perfectionner. Nous devons surtout être des rassembleurs, et pour cela développer un pôle républicain dans la gauche et dans le pays.
IV - Créer un pôle républicain dans la gauche et dans le pays.
Si le cap de juin 1997 s'est infléchi, c'est parce que l'attelage était tiré dans un seul sens, celui qu'imprimaient non seulement les pressions des verts mais plus généralement celles des socio-libéraux.
Il a manqué un pôle capable d'exercer une attraction aussi forte, en faveur des thèses républicaines.
Notre tâche est à présent de l'organiser et d'abord pour donner à la gauche une dynamique sociale et politique.
Le dessein de la gauche dépasse le "stabcroissance" prônée par Laurent Fabius. L'État républicain ne doit pas se mettre aux abonnés absents comme y a incité bien inutilement par exemple Daniel Cohn Bendit, avec sa troisième gauche verte, au moment de l'affaire Michelin. Le même n'a pas besoin de rappeler aux patrons du MEDEF que le capitalisme se moque de la morale et d'ajouter "C'est très bien ainsi". Les patrons se marrent et nous aussi. Les Verts devraient prendre garde à ne pas favoriser les mauvais penchants du PS, je veux dire les courants libéraux qui sont assez puissants comme cela.
Si vraiment ils sont pour la taxe Tobin, comme le dit Mme Voynet, il faut qu'ils pèsent de l'intérieur comme nous pèserons de l'extérieur pour donner forme à ce projet.
La politique de la gauche ne doit pas être à la remorque des thématiques qui sont d'abord celles d'une petite bourgeoisie qui prétend confisquer la modernité au nom de la mondialisation libérale. La gauche doit réellement faire la synthèse entre les classes populaires et les couches moyennes et elle ne peut le faire que si elle désigne aussi ceux auxquels elle s'oppose: les rentiers de la finance, les agioteurs, tous ceux qui s'enrichissent en dormant, ou plutôt en spéculant. La gauche doit aussi rassembler en faisant voler en éclat les problématiques désuètes, en faisant bouger les lignes dans le pays.
Le MDC est attaché au succès de la France et de son gouvernement.
Nous apporterons donc au gouvernement de Lionel Jospin notre soutien au Parlement, à l'occasion du vote du budget et, nous l'espérons en maintes autres occasions, mais nous garderons notre autonomie de vote, comme les Verts et le PCF l'ont fait quand il s'est agi par exemple de voter la loi sur l'immigration. Nous nous interdirons cependant la démagogie à laquelle ils ont cédé en soutenant sans pudeur les manifestations sans-papiéristes alors même que la loi proposée par moi-même au nom du gouvernement auquel ils participaient, avait été votée par le Parlement.
Nous ne voterons pas non plus les motions de censure présentées par le RPR qui ne manque pas de culot en lançant une pétition sur la Corse oubliant et le vote de ses élus à l'Assemblée de Corse et le fait que le Président de la République le 14 juillet se soit mis aux abonnés absents sur cette grave question. Il a ainsi pris la coresponsabilité de la dérive corse qu'on pouvait déjà voir venir et qui a suivi dans la semaine suivante, dérive dangereuse pour l'unité de la République, que j'ai cherché de toutes mes forces à éviter, mais dont j'ai tiré les conséquences, quand elle s'est produite.
La cohabitation tire la démocratie vers le bas. On l'avait déjà vu sur d'autres sujets : la guerre des Balkans, guerre disproportionnée dans laquelle la France s'est laissée entraîner contre ses intérêts, la réforme de la justice, et aujourd'hui la Corse.
En créant un pôle républicain dans le pays, nous sommes sûrs de contribuer aussi à hausser le niveau de l'exigence républicaine chez ceux qui ont la charge de défendre la République. C'est la raison pour laquelle je vous invite non seulement à ne pas soutenir la pétition hypocrite du RPR mais à participer aux initiatives que nous prendrons pour amener le gouvernement à revoir le processus, en opérant le nécessaire "recadrage".
Notre soutien sera donc un soutien vigilant, avec le souci de faire gagner la gauche en relevant le niveau de son ambition. La question de notre participation au gouvernement n'est pas essentielle. Nous ne conditionnons pas notre soutien à l'obtention d'un maroquin. Nous prendrons cette décision, s'il y a lieu, en fonction de l'intérêt du pays.
Quant aux prochaines élections, nous souhaitons être associés aux discussions programmatiques avec le PS et le PCF. Les accords conclus doivent être respectés par tous les partenaires de la gauche. L'expérience des manquements passés -onze au moment des élections régionales et cantonales de mars 1998- nous a enseigné que le respect des engagements pris dépendait moins des services rendus que de l'intérêt électoral. Bref s'il faut créer des rapports de forces nous nous y résignerons, puisque telle est la loi du genre, mais nous faisons confiance au bon sens de chacun, afin que la gauche plurielle puisse s'enrichir de ses différences.
Le pôle républicain que nous voulons construire, nous l'organiserons dans la gauche et dans le pays.
1) L'organiser dans la gauche.
Nous ne sommes pas isolés au sein de la gauche. Le dossier corse le montre -avec tout ce qu'il sous-tend : refus de la violence, attachement à la démocratie, à l'égalité et à la France. L'écho est grand parmi les socialistes et parmi leurs élus, parmi les communistes à qui la direction ne peut faire avaler sans réaction un alignement surprenant sur l'affaire corse, parmi les radicaux de gauche, où des républicains sincères comme Émile Zuccarelli et Nicolas Alfonsi, se sont fait entendre avec courage.
Les valeureuses phalanges du MDC doivent impérativement se redéployer. Il faut recruter massivement, s'ouvrir, donner des responsabilités aux jeunes et aux femmes. Ensuite il est nécessaire de créer des passerelles, de faciliter les contacts entre ceux qui comprennent ce qu'exige la République. Les cercles "République moderne" peuvent en être le cadre : ils seront ouverts à ceux qui souhaitent établir ces contacts, sans rompre les engagements politiques qu'ils peuvent avoir par ailleurs : socialistes, communistes, radicaux et gaullistes de gauche, voire militants formés dans les organisations de l'extrême gauche, mais ayant compris qu'ils n'avaient rien à rabattre de leurs exigences en l'investissant dans le combat républicain.
2) Organiser le pôle républicain dans le pays.
Mais le plus important sera d'organiser ce pôle républicain dans le pays et non dans un face à face lassant et souvent peu fécond entre les formations politiques.
Aller vers la jeunesse.
La tâche la plus urgente est d'aller vers la jeunesse. La République est une promesse d'égalité. Les jeunes en ont le pressentiment. Les grands mouvements qui l'ont agité dans un passé tout proche étaient fondés sur l'exigence d'égalité des chances, face à des projets qui la compromettaient. La démagogie "jeuniste" a mauvaise presse auprès des jeunes eux-mêmes. En leur proposant des repères plus exigeants, nous servons leur liberté future et ils le savent.
Les jeunes issus de l'immigration, plus que d'autres, savent que la République est la seule promesse d'égalité et de citoyenneté accomplie.
Dans un premier temps, la charité communautaire, les discours de compassion peuvent les flatter ; mais ils découvrent vite leurs limites : celles d'une "assignation à résidence communautaire", celles d'un "développement séparé". Nous devons tenir aux jeunes issus de l'immigration un seul discours : celui de l'égalité ! Nous savons parfaitement que l'immense majorité aspire à réussir sa vie, trouver un emploi, fonder une famille. Nous n'acceptons pas ces amalgames qui confondent une infime minorité délinquante avec "les jeunes des cités". Car les jeunes des cités, ils veulent s'en sortir ! En étudiant, en travaillant ! Et seule la République peut leur ouvrir un horizon de pleine égalité. C'est le sens que j'ai donné à la création des CODAC dans les départements.
Les jeunes issus de l'immigration sont aujourd'hui nos nouveaux citoyens, ils seront demain les meilleurs militants de la République moderne. Eux savent que face à la réussite par l'argent, face aux privilèges de la naissance ou de la fortune, face aux discriminations, face aux différences religieuses, la République laïque peut seule garantir l'égalité des droits, l'égalité des chances à tous les siens. Qu'ils soient d'origine auvergnate ou marocaine, blancs noirs ou jaunes, athées, chrétiens ou musulmans, qu'ils s'appellent Ali ou Alain, Leila ou Liliane, Norbert ou Norredine : tous citoyens de la République française !
Nous avons là un vaste horizon : amener à la vie publique, à l'engagement politique, aux responsabilités électives les meilleurs de cette génération.
Je me tourne aussi vers le monde du travail et vers les syndicalistes qui peuvent apprécier la constance de nos engagements dans la durée : je leur demande de prendre contact avec nous, quelle que soit leur confédération ou leur fédération d'origine.
Je me tourne vers le milieu associatif où il y a des milliers de militants qui ont envie que ça bouge et que ça décoiffe.
Les Républicains de l'autre rive.
La République n'est le monopole de personne, mais elle a besoin d'une aile marchante. Notre action s'enracine dans la gauche. Nous avons fait avec le CERES le congrès d'Épinay en 1971: et quand la besogne du renouveau du parti socialiste fut accomplie, beaucoup accoururent alors dans les locaux remis à neuf. Ce n'est pas un reproche, mais -convenez-en-, ce n'est pas une raison suffisante pour donner aujourd'hui des leçons de socialisme !
François Morvan et ses amis d'Utopie critique nous permettront de les inviter à participer à cette entreprise : la République est le chemin par lequel leur exigence intacte pourra avancer.
J'affirme donc sans complexe que le dialogue avec les Républicains de l'autre rive est précieux à mes yeux. Nous l'avons poursuivi aujourd'hui à notre Université d'été avec Paul-Marie Couteaux et je m'en réjouis. Nous nous sommes souvent retrouvés dans des combats qui concernaient l'essentiel, et nous nous retrouverons encore à l'avenir.
Cela ne contrarie en rien notre engagement au sein de la majorité. Mais pour mener aujourd'hui en France un combat novateur, il faut se fixer non pas aux repères et aux clivages anciens mais aux réalités. Certes j'ai bien entendu François Hollande me rappeler qu'il n'existait rien en dehors de l'opposition de la droite et de la gauche. Quand même, François, l'art, l'amour, et même l'amitié, nous permettent heureusement de transcender ces clivages ! Il m'est même arrivé de faire voter des lois à l'unanimité du Parlement sur les polices municipales ou sur l'intercommunalité par exemple. La gauche doit savoir être rassembleuse.
Il faut pour cela se déterminer par rapport aux questions posées aujourd'hui : l'avenir de la France dans l'Europe et dans la mondialisation, la question de la citoyenneté, le respect de la loi, l'École de la République, le service public Ces problèmes opposent bien souvent républicains et libéraux. Telles sont à mes yeux les vraies questions en débat ; elles sont plus importantes que les routines ou les classements politiques ressassés et qui ne correspondent pas aux attentes des citoyens.
J'attacherai donc du prix à ce que nous poursuivions nos échanges fructueux et à ce que nous continuions d'éclairer, des deux rives, l'unique objet de nos ambitions : la République accomplie, la République moderne.
Les mouvements tels Attac
Nous voyons dans tout le pays de profonds mouvements d'opinion, comme celui qu'ont fait naître et qu'ont organisé nos amis d'Attac. Ils témoignent de ce qu'il est possible de rassembler des femmes et des hommes d'horizons divers, non engagés le plus souvent dans des politiques.
L'exigence de maîtrise de la mondialisation, l'exigence de démocratie face à la logique libérale planétaire a besoin d'appuis ; elle a besoin de leviers pour agir dans les institutions françaises et européennes. Le premier de ces leviers, c'est l'État, qu'il ne faut pas démoniser.
C'est le rôle d'un mouvement républicain que d'exprimer, dans les institutions, ces aspirations, de montrer que l'État-nation n'est pas forcément un adversaire mais peut-être le premier allié de ceux qui veulent maîtriser la mondialisation et combattre le libéralisme sauvage.
Organiser un pôle républicain dans la gauche et dans le pays, c'est donc à la fois créer des repères, promouvoir un projet et aussi nous adresser, sans sectarisme et sans volonté d'embrigadement, à tous ceux, où qu'ils se trouvent, qui veulent travailler au ressaisissement nécessaire de la France et qui refusent la globalisation sauvage.
Ensemble nous saurons prendre les moyens nécessaires en pariant sur la jeunesse, en utilisant tous les moyens des technologies modernes de communication.
Nous trouverons des relais politiques, médiatiques, organisationnels.
J'ai quelques idées sur le sujet et je suis preneur de toutes celles que vous me donnerez.
Je lance donc un appel à tous ceux qui croient en la force vivante de la démocratie, à ceux qui savent que la République est une idée toujours neuve.
Je les appelle à prendre contact avec le Mouvement des Citoyens - 9, rue du Faubourg Poissonnière Paris 9ème - et avec "République Moderne" - 52, rue de Bourgogne Paris 7ème - pour qu'ensemble nous nous organisions afin de peser sur l'avenir.
Certes la tâche sera rude. Nos adversaires, nombreux, feront tout pour étouffer ou, mieux, discréditer notre voix. Cela nous le savons par avance. Nous nous y sommes mentalement préparés, car nous avons confiance en nos idées. Nous savons qu'à la longue tous les mensonges finissent par tomber.
Oui, citoyens, l'énergie que nous allons dégager, nous saurons la réinvestir dans les années qui viennent, au service de la République, au service de la France !
(source http://www.mdc-france.org, le 5 novembre 2001)