Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la contribution des associations, fondations et ONG à la construction d'une Europe sociale et proche des citoyens, Paris le 26 mai 1998.

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Circonstance : Conclusion des travaux du comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et asoociatives (CNLAMCA), à Paris, le 26 mai 1998

Texte intégral

Messieurs les Présidents
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de m'avoir invité au moment important où vous tirez les conclusions de deux journées de travail intense sur le rôle des associations et fondations dans la construction européenne.
Je suis sûr que vos travaux ont été substantiels et fructueux.
La seule lecture du programme de votre Conférence permet de voir que figuraient à l'ordre du jour des thèmes essentiels, qui sont aujourd'hui au centre de nos préoccupations, en particulier l'emploi et le dialogue entre les pouvoirs publics et le monde associatif.
Ces questions sont au coeur de nos réflexions, tant au plan interne qu'au plan européen : nécessairement, puisque, comme vous le savez, les questions européennes sont de moins en moins des affaires étrangères, tant elles imprègnent notre vie nationale et la politique intérieure. Pour ma part, je ne fais plus de distinction entre les questions européennes et la politique intérieure.
L'objectif du gouvernement est de défendre auprès de ses partenaires, à Bruxelles, les principes et les valeurs qui fondent son action au plan national afin de contribuer à la construction de l'Europe, en renforçant sa dimension sociale et humaine : il s'agit de compléter, pour les rééquilibrer, -c'est important -, toutes les avancées en matière économique et financière et, ce qui est l'essentiel pour l'avenir, de porter une attention constante aux questions de l'emploi et de veiller à une meilleure prise en compte des droits des citoyens et de leurs aspirations à une plus grande justice sociale. Et je suis convaincu que, pour atteindre ces objectifs, le renforcement du rôle du monde associatif, au sens le plus large, est absolument nécessaire.
La mondialisation des échanges a changé la donne économique et financière mondiale et la mise en place de la monnaie unique devrait donner à l'Europe les moyens de mieux jouer son rôle dans ce contexte nouveau.
Mais la mondialisation a induit aussi de profondes mutations sociales, qui affectent directement les individus. Le sentiment d'une perte de repères peut avoir des conséquences parfois dramatiques, auxquelles les dispositifs institutionnels traditionnels ne sont pas toujours en mesure d'apporter, à temps, des réponses adaptées.
C'est là précisément que le monde associatif prend toute sa place. Sa capacité de réaction est plus grande parce que les associations sont sur le terrain, au contact direct des personnes qui rencontrent des difficultés.
En intervenant, la plupart du temps à la charnière entre les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les "populations concernées", elles sont les acteurs irremplaçables de la cohésion sociale et territoriale. Elles jouent un rôle structurant dans la société, qui permet, notamment, de compenser la perte de repères que j'évoquais précédemment, et de faire évoluer ainsi le tissu social.
La mise en oeuvre des dispositifs d'aide pour vaincre de l'exclusion et retrouver le chemin de l'emploi s'appuie directement sur le monde associatif. L'actualité l'illustre avec le vote de la loi sur la lutte contre l'exclusion.
Vous avez donc bien un rôle central à jouer dans la construction de l'Europe sociale, quelles que soient les spécificités du monde associatif d'un pays à l'autre au sein de l'Union européenne.
Alors, bien sûr, vous objecterez à cela que pour jouer pleinement le rôle qui est le vôtre et dont je n'ai rappelé qu'une partie, il vous faut un cadre juridique clair et des moyens adaptés et efficaces.
Arrêtons-nous un instant sur le cadre juridique d'ensemble de la construction européenne, tel qu'il se présente aujourd'hui après Amsterdam. J'emploie cette formule a dessein car je crois que, quelles que soient les vicissitudes, il faudra ratifier ce traité.
Car il y a des choses intéressantes, mêmes si les progrès accomplis restent insuffisants.
Je reconnais, parmi vous, des représentants d'associations que j'ai déjà eu l'occasion de rencontrer et dont je sais qu'ils ont contribué à l'introduction de dispositions nouvelles dans le traité d'Amsterdam pour renforcer cette dimension sociale qui avait été quelque peu reléguée au second plan.
Je sais aussi combien ils sont, combien vous êtes, frustrés de ne pas retrouver aujourd'hui, dans le nouveau traité, tout ce que vous souhaitiez y voir figurer, en particulier une forme d'institutionnalisation du dialogue civil, à laquelle pourtant, la France était favorable.
Mais, ces réserves très fortes étant faites, je considère que ce Traité contient aussi des avancées non négligeables. Il faut en prendre acte et voir ce que l'on peut construire à partir de là, pour atteindre l'objectif d'une Europe plus proche des citoyens.
Qu'apporte le Traité d'Amsterdam ?
Je ne vais pas me livrer à une analyse détaillée du traité, ce n'est pas le lieu et ce serait peut-être fastidieux. Je rappellerai simplement les points importants s'agissant des thèmes qui nous occupent.
Tout d'abord, et ce n'est pas négligeable, l'énoncé de droits fondamentaux. C'est un précédent dans l'histoire de la construction européenne.
L'un des objectifs du Traité d'Amsterdam était de rapprocher l'Europe du citoyen, parce que la construction européenne est engagée pour les citoyens et avec eux. Ceci suppose d'énoncer clairement leurs droits et de prévoir des dispositions spécifiques liées à la citoyenneté européenne.
En outre, le Traité comporte une clause générale visant à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine éthique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. Surtout, il intègre le principe de l'égalité entre hommes et femmes.
Ces objectifs, qui rejoignent ceux du gouvernement, ne pourront que conforter son action en faveur d'un véritable modèle social européen fondé sur la parité - et vous savez que, sur ce point, le gouvernement a annoncé son intention de proposer une réforme constitutionnelle -, la transparence, la démocratie et le respect des droits fondamentaux des citoyens.
Dans le domaine social, on peut se réjouir de la confirmation de l'attachement des Etats membres aux droits sociaux fondamentaux définis dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 et qui figurent désormais dans le préambule du nouveau Traité.
Surtout, il faut saluer l'intégration dans le corps du Traité du protocole sur la politique sociale qui avait été conclu entre les Etats membres à l'exception du Royaume-Uni.
De plus, la lutte contre l'exclusion sociale trouve enfin une base juridique dans le Traité : le Conseil aura ainsi la possibilité d'adopter, dans ce domaine, à la majorité qualifiée, des mesures incitatives. Et c'est un domaine dans lequel le monde associatif est particulièrement présent et actif.
Enfin, il y a le chapitre consacré à l'emploi.
L'emploi a été pris en compte parmi les priorités de l'Union européenne, au titre des questions d'intérêt commun entre les Etats membres. Un niveau d'emploi élevé figure parmi les grands objectifs de l'Union européenne. Il devra être atteint par la coordination des politiques de l'emploi des Etats membres, qui développeront une stratégie commune.
En outre, et c'est une avancée importante, l'emploi fait l'objet d'un chapitre spécifique. Concrètement, cela signifie que la dimension emploi est prise en compte dans toutes les autres politiques communautaires. Cela veut dire aussi que les Etats membres mettent en place des mécanismes de coordination.
Nous disposerons donc avec le Traité d'Amsterdam d'un ensemble de normes et d'instruments relativement conséquents, même si certains d'entre vous le jugeront insuffisant. Mais les normes juridiques seules ne suffisent pas.
Si nous voulons pouvoir progresser sur la voie d'une Europe sociale plus proche des citoyens, il y faut une volonté politique. Celle-ci s'est exprimée lorsque la France a pris, lors du Conseil européen d'Amsterdam, il y a un an, l'initiative d'un Conseil européen extraordinaire consacré exclusivement à l'emploi. Il a permis de définir une méthode de travail. Nous avons enclenché un processus de concertation régulière dont la première traduction concrète a été la présentation par chaque Etat membre, il y a quelques semaines, d'un Plan d'action pour l'emploi. Le Conseil européen de Cardiff se tiendra dans quelques jours. Le premier rendez-vous de bilan aura lieu à Vienne, en décembre prochain.
Le plan français, qui, comme vous le savez - malgré quelques égratignures ! -, a été salué par la Commission pour ses qualités, se développe autour de trois axes : une croissance plus forte, une croissance plus riche en emplois, une croissance qui puisse profiter à tous. Chacune de ces priorités se retrouve dans les lignes directrices définies au niveau européen et que l'on peut regrouper en 4 piliers :
- améliorer la capacité d'insertion professionnelle des jeunes et des adultes demandeurs d'emploi,
- développer l'esprit d'entreprise,
- encourager la capacité d'adaptation des entreprises et des travailleurs,
- renforcer les politiques d'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
Il y a donc là un ensemble d'avancées qui sont loin d'être négligeables. Il faut examiner maintenant comment faire plus, comment faire mieux et quel rôle les associations peuvent jouer à cet égard, compte tenu, notamment, du rôle charnière qu'elles jouent dans la mise en oeuvre des programmes en faveur de l'insertion et du retour de l'emploi.
Si l'on veut être complet, il faut citer également d'autres dispositions qui figurent dans Amsterdam et qui sont tout aussi importantes, dans la perspective des actions que vous menez. Ce sont les nouvelles dispositions contraignantes relatives à la santé publique et, de manière générale, au respect des droits des consommateurs à l'égard de la qualité des produits. Je ne manquerais pas, enfin, de rappeler les dispositions nouvelles relatives à la protection des services publics dont la contribution à la cohésion sociale et territoriale est expressément reconnue dans le Traité.
Il y a donc, dans ce Traité, toute une palette de dispositions qui appellent une action des associations.
Le secteur, à la fois vaste par le nombre et riche par la diversité des activités qu'il recouvre, que l'on désigne par le terme "d'économie sociale" a, de toute évidence, un rôle majeur à jouer dans la construction d'une Europe soucieuse de préserver les valeurs et les principes communs qui fondent un modèle social que nous voulons développer et consolider.
L'économie sociale est en elle-même porteuse des valeurs essentielles : la démocratie, la citoyenneté et la solidarité.
Or, l'économie sociale est un secteur qui pèse lourd aussi en termes économiques. Le chiffre d'affaires annuel des secteurs cumulés de la coopération, des mutualités, et des associations représente au total un montant de plus de 3000 milliards de francs !
C'est tout à fait considérable et cela justifie qu'une attention particulière soit portée aux évolutions qui peuvent avoir une influence sur l'organisation de ce secteur, qu'elles soient de nature économique, juridique ou fiscale.
La première évolution majeure à prendre en compte aujourd'hui c'est la mise en place de l'euro. La monnaie unique n'est pas une fin en soi, mais elle va modifier en profondeur les données économiques, au sens le plus large.
Cela nous impose très rapidement d'engager une réflexion de fond sur la protection sociale et la fiscalité. Il faudra progressivement arriver à l'établissement d'un socle commun de règles, un code de bonne conduite. Mais il ne s'agit pas de les ramener au plus petit dénominateur commun. Nous voulons, au contraire, une harmonisation par le haut. Nous devons être conscients que c'est un des dossiers les plus importants pour les mois qui viennent.
Je sais que d'autres questions vous préoccupent, des questions non moins importantes, dont certaines sont en discussions depuis longtemps à Bruxelles. Je vais les évoquer.
Comme vous le savez, c'est en 1989 que, pour la première fois, le Conseil Marché intérieur a abordé le sujet de l'économie sociale, sur la base d'une communication de la Commission sur "les entreprises de l'économie sociale et la réalisation du marché intérieur".
Elle faisait le double constat, d'une part, de la place importante occupée par les entreprises de l'économie sociale dans le marché intérieur, dans des secteurs variés et relevant de politiques communautaires très diverses, d'autre part, des spécificités d'organisation de ces entreprises, qui s'accommodent mal des dispositions du droit commun. La France avait alors plaidé et obtenu la mise en place d'une unité "Economie sociale " au sein de la Commission.
C'était un premier pas, même s'il n'a pas permis tous les développements que l'on pouvait en attendre.
Parallèlement, comme vous le savez, la France a plaidé pour la mise en place d'un cadre juridique adapté au plan communautaire.
Des progrès avaient pu être enregistrés sur le statut de la coopérative européenne sous notre présidence. Nous ne pouvons que regretter depuis l'enlisement des travaux et la suspension de l'examen des textes. C'est un chantier que nous devrons rouvrir.
En revanche, s'agissant de la société européenne, les choses ont avancé de manière significative. Les plus pessimistes relèveront que nous ne sommes pas parvenus à un accord, comme nous l'espérions, lors du Conseil Marché intérieur du 18 mai dernier. J'observe toutefois qu'il ne reste plus, s'agissant des aspects statutaires de la société européenne, qu'un seul point de désaccord avec les Pays-Bas qui devrait pouvoir être levé prochainement.
Pour autant, l'accord ne sera complet que lorsque nous aurons levé tous les obstacles sur le volet social qui sera traité par les ministres du Travail et des Affaires sociales le 4 juin.
C'est un dossier difficile mais nous devons garder espoir. Par ailleurs, nous pouvons espérer que ces avancées, quand elles seront confirmées, permettront de débloquer d'autres dossiers, notamment celui des mutuelles, dont nous tenons à préserver la spécificité. Dans ce secteur particulier se pose, comme vous le savez, un problème de transposition des "directives assurances". Ce problème nous préoccupe. Le gouvernement et moi-même, en particulier, ne ménageons pas nos efforts pour trouver une solution au plan communautaire et mettre, si possible, un terme au contentieux ouvert par la Commission. Cela n'est pas acquis.
Un mot enfin sur les associations auxquelles, comme vous le savez, le gouvernement attache la plus grande attention. Leur préoccupation s'agissant de la fiscalité a été prise en compte, suite au rapport Goulard. En outre, le Premier ministre a souhaité qu'un large débat ait lieu, à l'automne, sur ce sujet, en liaison avec le Conseil national de la Vie associative. C'est, à mon sens, un élément important de la rénovation de notre vie publique.
Les associations jouent un rôle extrêmement important dans la vie sociale, économique, culturelle et sportive de la France. Elles contribuent de manière essentielle à la formation citoyenne des jeunes et des moins jeunes aussi, à la défense des droits et à la lutte contre les exclusions.
Je voudrais également, en tant que ministre des Affaires européennes, souligner leur action à l'étranger, en particulier dans les pays d'Europe centrale et orientale, candidats à l'adhésion à l'Union européenne. A cet égard, leur rôle dans la préparation de ces pays à leur entrée dans l'Union est irremplaçable. L'élargissement ouvre une formidable perspective historique dans laquelle nous devons nous investir. Je rencontrerai, d'ailleurs, l'ensemble des ONG qui interviennent dans cette zone, en juin prochain, pour préciser comment mieux utiliser leur savoir faire, mieux coordonner nos actions respectives afin qu'elles se complètent le plus efficacement possible.
A cet égard, je voudrais vous dire un mot à propos de la ratification par la France de la Convention européenne sur la Reconnaissance de la personnalité juridique des OING. J'ai moi-même présenté ce projet au Sénat , en octobre dernier, et il a été ratifié.
Il doit maintenant l'être par l'Assemblée. Le gouvernement a fait valoir l'intérêt qu'il y aurait à achever cette procédure. Mais, comme vous le savez, l'Assemblée nationale a un emploi du temps très chargé. Sachez, en tout état de cause, que nous n'oublions pas ce dossier.
Voilà les quelques mots que je voulais dire devant vous, en vous priant d'excuser le peu de temps dont je dispose et qui ne nous permet pas d'engager, aujourd'hui, un vrai débat. Mais nous aurons, j'en suis sûr, d'autres occasions de nous revoir et d'évoquer ces sujets plus longuement. J'ai déjà établi des contacts avec certains d'entre vous, qui, par le type d'actions qu'ils mènent, peuvent contribuer à rendre l'Europe populaire. J'insiste sur ce point. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'Europe est un sujet de politique intérieure et elle n'aura tout son sens pour les citoyens que lorsqu'elle sera populaire, dans les deux sens du terme : elle doit à la fois répondre aux attentes des citoyens et leur permettre de se reconnaître en elle. C'est un des buts de mon action au sein du gouvernement et c'est le sens de la campagne "Vivre l'Europe" que j'ai lancée en avril.
Mais je souhaite avoir des contacts également avec les autres représentants du monde associatif. Nous en aurons l'occasion très certainement dans le cadre de la préparation du grand colloque dont le Premier ministre souhaite la tenue avant la fin de cette année.
Il sera l'occasion d'un vaste débat sur le monde associatif et son rôle à l'aube du troisième millénaire. La dimension européenne ne saurait en être absente. Soyez certains que nous prendrons toute notre part à cette réflexion.
La solidarité est l'une des valeurs fondamentales sur laquelle nous souhaitons construire l'Europe de demain. Le monde associatif a donc vocation, par nature, a en être un des vecteurs principaux.
Comme vous le savez, une période très riche et très compliquée, marquée par un calendrier chargé, nous attend dans les mois qui viennent avec la révision des politiques communes et la définition du nouveau cadre financier européen, d'une part, et d'autre part, l'élargissement et l'entrée prochaine dans la phase de négociation avec les pays candidats. Parallèlement, il faudra mettre en place concrètement l'euro.
Il y a là une série d'enjeux complexes et étroitement imbriqués. Soit on bute sur les obstacles et alors, l'Europe risque de se défaire, soit on y arrive et il faudra réfléchir à l'architecture de l'Europe à plus long terme.
Parallèlement, il nous faudra préparer des échéances politiques et institutionnelles décisives : je veux parler des élections au Parlement européen, la nomination de la nouvelle Commission et du lancement des réflexions en vue de la réforme institutionnelle qui n'a pu être faite à Amsterdam. Quand je parlais tout à l'heure des insuffisances du Traité, c'est à ce volet là que je faisais allusion.
Voilà des perspectives stimulantes, malgré la part d'inconnu qu'elles contiennent, qui détermineront notre action et, en partie aussi la vôtre.
Bonne chance et à bientôt./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)