Interview de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, à BFM le 7 octobre 2003, sur les mesures d'aide à la création d'entreprise prévues par la loi pour l'initiative économique, notamment le lancement des premiers comités d'initiative économique.

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P. Manière-. A 43 ans, il a déjà écumé cinq partis politiques : le PR, l'UDF, DL, le RPR puis l'UMP. Il a même inventé, il y a deux ans, avec quelques amis, le précurseur de l'UMP, la défunte UEM, un parti voulu par A. Juppé, au service de J. Chirac, son champion. Il est fan de Tocqueville, il est l'auteur de l'un des très rares bons livres écrits par un homme politique : "La république des âmes mortes", mais ce normalien qui sourit presque aussi bien que Schwarzenegger n'est pas bégueule, puisqu'il passe une grande partie de son temps à inaugurer des foires au saucisson ou des concours gastronomiques, quand il n'est pas en tournée avec le fameux "Train de la création d'entreprises". Dans dix ans, il n'y aura pas un Français qui ne lui aura pas serré la main. L'intitulé de son portefeuille est l'un des plus longs de l'histoire de la République : Secrétaire d'Etat aux PME, au Commerce, aux Professions libérales et à la Consommation, auprès du ministre de l'Economie et des Finances... Et même si certains pensent qu'on aurait pu lui trouver mieux en juin 2002, lui, semble s'épanouir dans cette forêt d'obligations mais aussi de réformes possibles. La réforme, c'est son dada.
R. Dutreil, cet après-midi, c'est la première conférence nationale de vos CIEL : les Comités d'Initiative Economique Locale. C'est une de vos inventions. Qu'est-ce que c'est ?
- "C'est du SAV, du Service Après Vote. En France, que fait-on souvent ? On vote des lois et puis après on les oublie, elles restent lettre morte. L'idée, c'est de faire vivre la loi, en la faisant connaître par tous ceux pour qui elle est faite, et qui mieux que les auteurs de la loi peuvent devenir les acteurs de la loi, c'est-à-dire ceux qui vont la faire vivre sur le terrain. Donc, les députés et les sénateurs vont créer, dans leurs espaces économiques, dans leurs marchés de l'emploi, des comités dans lesquels il y aura tout le monde. Et qui n'ont pas de budget, qui n'ont pas de structures, qui sont simplement des outils d'information, de communication, de mobilisation. Et, ce soir, nous lançons les premiers CIEL de France."
Vous nous dites que ça ne crée pas d'emploi public, ça crée de l'emploi privé à terme ?
- "Il faut, aujourd'hui, créer de l'emploi privé et surtout libérer l'envie d'entreprendre qui était étouffée depuis de nombreuses années et qui est vivace chez les Français. Les Français sont des entrepreneurs. Et d'ailleurs, en réalité, tous les êtres humains sont entrepreneurs par nature. C'est la société qui les a faits salariés puis assistés, mais chacun doit retrouver, aujourd'hui, cette envie d'entreprendre qui est en lui, et il faut la libérer avec de nouveaux outils, notamment cette loi qui vient d'être votée."
Ces CIEL, c'est une des dimensions seulement de votre fameuse loi Initiative économique, qui aura bientôt trois mois. Trois mois, c'est trop tôt pour faire un bilan. Mais on peut rappeler tout de même ce qu'elle change pour les gens qui veulent créer une entreprise.
- "D'abord, simplifier, c'est la première chose. Deuxième chose : mobiliser les financements nouveaux pour ceux qui ont besoin de capital pour créer leurs entreprises. Troisième chose : sécuriser parce que l'esprit d'entreprendre ça va aussi avec le besoin de protéger sa maison, de protéger son patrimoine. Et puis, quatrième chose : accompagner les gens, la solitude du créateur, c'est souvent l'échec. Et donc, nous mobilisons tous les réseaux, les experts-comptables, les avocats, les notaires, les Chambres de commerce, les Chambres des métiers pour être vraiment aux côtés des créateurs d'entreprise."
"Sécuriser", vous le disiez, c'est important. A partir de maintenant, grâce à la loi, quelqu'un qui veut créer une entreprise a quelles sécurités supplémentaires ?
- "S'il est travailleur indépendant, ce qui est plus de la moitié des entreprises en France, il peut aller chez le notaire et demander la protection de sa résidence principale. C'est-à-dire qu'en cas d'échec économique, les créanciers ne pourront pas saisir sa maison. Le toit, c'est important, c'est ce qui protège la famille, et donc c'est une grande révolution, qui était demandée depuis 25 ans par les artisans. On va également améliorer les conditions d'assurance-chômage pour ceux qui créent une entreprise. Aujourd'hui, beaucoup de gens sont salariés en France, ils ont envie de créer mais ils se disent : si "je me plante", qu'est-ce qui se passe ? Et donc, aujourd'hui, on peut bénéficier pendant trois ans d'une couverture assurance-chômage, même quand on démissionne pour créer une entreprise. Et ça, c'est quand même une grande nouveauté dans notre système de sécurité."
Et en plus, on sera pas obligé de démissionner, on peut être salarié et créateur d'entreprise ?
- "Et on peut pendant un an, un an seulement, être, à la fois, salarié, donc faire ses obligations, peut-être 35 heures, un peu plus, et puis, en même temps, créer sa boîte, et donc tester le projet. Parce qu'une entreprise, il faut d'abord la faire rouler un peu sur la piste d'essai avant de la lancer."
Vous le disiez, "les Français sont créateurs d'entreprises", d'ailleurs je crois qu'il y a des bons chiffres sur la création d'entreprises.
- "Oui, depuis dix mois, il y a de très bons chiffres. Nous avions un encéphalogramme assez plat depuis 15 ans - 175 000 entreprises créées chaque année -, et aujourd'hui, nous remontons vers les 200 000."
200 000 entreprises créées chaque année ?
- "Oui. Et j'attends les résultats du mois de septembre, je pense qu'ils vont être exceptionnels."
En même temps, on n'a jamais eu autant de chômage depuis assez longtemps, le chômage grimpe. Alors, est-ce que ça veut dire que la création d'entreprises ne crée pas d'emplois ?
- "La création d'entreprises crée des emplois, l'Insee a fait une étude très intéressante au mois d'août, qui montre que, la création d'entreprises c'est chaque année à peu près 500 000 emplois sauvegardés ou crées. Et aujourd'hui, on voit bien que notre économie est en mutation, elle va vers une économie différente, et les nouvelles entreprises sont celles qui portent cette mutation. Donc, c'est très important si on veut préparer l'avenir d'avoir beaucoup de nouvelles entreprises."
Bientôt, on va voir à la télévision et entendre aussi à la radio, une campagne de pub pour développer justement l'esprit d'entreprise. Donnez-nous le slogan...
- "Libérez votre esprit d'entreprise". Ce que je veux, c'est que créer une entreprise soit à la portée du plus grand nombre. Il ne faut pas que ça soit réservé à une petite minorité de privilégiés. Ca doit être, aujourd'hui, le french dream, la possibilité de réussir en France pour tous."
"L'esprit d'entreprise", c'est un peu le contraire des 35 heures non, vous me voyez venir ... ?
- "Je vous vois venir, oui, avec vos gros sabots. Donc, "l'esprit d'entreprise", c'est quelque chose qui existe partout, pas seulement dans les petites entreprises, mais aussi, je le souhaite, dans l'administration, dans les collectivités territoriales, dans les grandes entreprises. Et au fond, on assiste à une mutation sociétale, que la crise des 35 heures montre bien. Les Français ne veulent pas être enfermés dans un moule unique, avec tout le monde au même pas, au même rythme, avec les mêmes horaires. Ils ont besoin, à la fois, de sécurité et de liberté. Sécurité et liberté, ça va être les grandes donnes de demain. Et aujourd'hui, ils se sentent à l'étroit dans ce cadre des 35 heures, ils ont envie de pousser un petit peu les murs et en même temps, ils ont peur de perdre leurs avantages, les avantages acquis."
Vous ne pouvez pas leur donner le beurre et l'argent du beurre ? Vous ne pouvez pas leur garder les avantages des 35 heures, etc...
- "Pour la partie qui me concerne, je sens un mouvement culturel, qui est de sortir du salariat, et d'aller vers un autre mode d'épanouissement personnel, qui est l'indépendance au travail. C'est très intéressant de voir aujourd'hui que ceux qui créent des entreprises sont des gens qui considèrent que le salariat est un mode de fonctionnement archaïque. Le salariat a été construit au moment du taylorisme, c'est-à-dire la production de masse, avec des ouvriers devant des machines, qui répétaient inlassablement les mêmes gestes. Et les 35 heures, la réforme Aubry, c'est la dernière réforme du travail taylorien, c'est-à-dire du travail parcellaire, du travail ingrat, du travail qui se mesure uniquement en temps."
Donc, c'est dépassé ?
- "Et je crois que personne ne voit aujourd'hui la révolution qui est en train de se passer : c'est que demain, on ne regardera plus le temps de travail, mais le contenu du travail. Et donc, ce que je souhaiterais, c'est qu'au lieu de renouveler ce débat éternel sur les 35 heures - faut-il les abroger ou pas ?
Le débat, c'est un peu le Gouvernement qui l'a rouvert quand même la semaine dernière !
- "Le Gouvernement, lui, souhaite donner de nouveaux outils aux Français pour s'exprimer, s'épanouir par leur travail. Alors, ça peut être un contrat de travail différent, il y a une commission, la commission Virville, qui travaille à l'heure actuelle sur un assouplissement du Code du travail, et je pense qu'elle fera des propositions intéressantes. Mais ça peut être aussi des formules mixtes. Par exemple, je souhaite qu'on puisse avoir des statuts de salariés, des statuts d'entrepreneurs, à la fois, c'est-à-dire la loi l'a prévu, pendant une durée d'un an."
A la fin de l'année, un certain nombre de petites entreprises qui sont encore je crois à 36 heures devraient normalement passer à 35 heures. Ce n'est pas le sens de ce que pense le Gouvernement. Allez-vous suspendre ce dispositif ?
- "La loi Fillon a prévu un régime particulier pour les entreprises de moins de 20 salariés, qui échappent en réalité aux 35 heures, puisqu'elles vont pouvoir faire travailler leurs salariés 39 heures, avec une surcote de 10 %, entre 35 et 39. Donc, nous avons, pour les petites entreprises, mis en place un régime qui ressemble étrangement, comme une soeur, à ce qui existait avant les lois Aubry."
Trois questions express : que faites-vous en sortant du studio de BFM ?
- "Je vais m'occuper du budget des 15-25 ans, les ados qui ont de l'argent mais qui, souvent, ne savent pas comment l'utiliser. Donc, on lance une grande campagne pour : "Comment gérer son budget quand on est un ado ?
La question perso : on vous a vu en maillot de bain dans Match, cet été. Est-on parti pour vous voir en combinaison de ski cet hiver ?
- "Pour l'instant, j'essaye d'avoir la tenue de plongée dans les difficultés économiques et de surnager, et de donner surtout l'envie d'entreprendre aux maximum de Français. Donc, l'habit en fait pas le moine ."
Dernière question, la plus difficile : quel est votre pronostic pour la croissance en France en 2004 ?
- "2004, ça devrait repartir. Pourquoi ? Parce que ça repart aux Etats-Unis et c'est mathématique, quand ça part aux Etats-Unis, ça arrive six ou neuf mois plus tard en France. Donc, ça va venir. Il faut maintenant avoir un moral d'acier, et y croire, et ça viendra beaucoup plus vite."
Un chiffre ?
"Pas de chiffre, simplement un mouvement pour la croissance."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2003)