Déclaration de M. Dominique Perben, ministre de la justice, sur la politique de lutte contre le racisme et l'antisémitisme et sur les mesures mises en place pour faire face aux menaces terroristes, à Paris le 15 octobre 2003.

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Circonstance : Colloque intitulé "Terrorisme international, racisme,antisémitisme, un défi au droit. Quelles réponses et quelles stratégies ?" organisé à Paris du 15 au 17 octobre 2003 par l'Association internationale des juristes juifs (AIJJ)

Texte intégral

Madame La Présidente, Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaiterais tout d'abord vous dire à quel point j'ai été sensible à l'invitation que vous m'avez faite à parrainer votre colloque et à en introduire les travaux.
Je me réjouis d'y rencontrer nombre d'interlocuteurs de la Chancellerie, avec qui j'ai noué d'étroites et chaleureuses relations de travail.
Je suis heureux également de saluer et de féliciter Madame Françoise RUDETZKI, que son action inlassable en faveur des victimes du terrorisme et sa conviction dans la force du droit et de la démocratie vous ont conduit à distinguer à travers la remise du diplôme d'honneur René CASSIN.
Comme responsable du fonctionnement de la justice, comme ministre du droit, comme responsable politique et - -peut-être surtout - comme homme et comme citoyen, je ne puis que souscrire à la pertinence - à l'inquiétante pertinence devrais-je dire - du thème de votre colloque.
Le terrorisme international, tout comme le racisme et l'antisémitisme sont en effet autant de défis au droit et à l'état de droit qu'il appartient à toute démocratie de combattre.
Il convient bien sûr d'en empêcher le développement, et s'agissant du racisme et de l'antisémitisme, de continuer de mettre en oeuvre une politique fondée sur les valeurs républicaines les plus fondamentales que sont la laïcité, l'éducation, l'égalité, l'intégration et le respect d'autrui.
Toutes ces valeurs ont été rappelées avec force par le Président de la République. Elles doivent guider chacune de nos actions.
Le racisme, la xénophobie en général sont des comportements radicalement contraires à tous nos idéaux républicains, réaffirmés et refondés au lendemain de la guerre.
Dans sa signification tant juridique qu'historique, la première phrase du Préambule de la Constitution de 1946 est un point cardinal : " au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ".
Sur ce socle, notre législation en matière de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations n'a cessé d'évoluer pour se renforcer. L'actualité législative la plus récente - comme vous le savez - illustre cet engagement du Gouvernement et de la représentation nationale.
Du point de vue des objectifs, c'est une excellente chose. Je rappelle que j'ai personnellement soutenu devant le Parlement la proposition de loi déposée par Pierre LELLOUCHE, devenue la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe en créant, pour la première fois dans notre droit, une circonstance aggravante liée à l'intention raciste ou antisémite de son auteur.
Ces nouvelles dispositions sont désormais régulièrement utilisées par les parquets auxquels j'ai demandé au printemps dernier, par une instruction générale, de poursuivre ces faits sous leur plus haute qualification pénale.
Dans le projet de loi que je viens de faire adopter par le Sénat, je propose d'améliorer les conditions de la poursuite des infractions racistes et antisémites commises par voie de presse en allongeant le délai de prescription de 3 mois à 1 an.
Enfin je rappelle que le Président de la République a souhaité que notre dispositif législatif soit complété par la création d'une autorité administrative indépendante, dont la mise en place a été confiée à M. Bernard STASI, et qui sera chargée notamment d'améliorer la détection et la prévention de tout comportement discriminatoire.
Si l'on considère maintenant les raisons de cette évolution législative, il faut en revanche s'alarmer des violences racistes ou antisémites commises sur notre sol, souvent liées à un contexte international troublé.
Les chiffres restent préoccupants en 2002 : 95 enquêtes en cours ; 16 informations judiciaires ouvertes, 10 procédures ayant abouti à une comparution immédiate. L'implication de mineurs dans certaines de ces affaires est un facteur de complication de leur traitement procédural. C'est surtout un facteur d'inquiétude quand à l'évolution de notre société.
Par ailleurs, en 2002, les juridictions ont prononcé 221 condamnations en matière de discrimination raciale (ce chiffre inclut les condamnations fondées sur la loi de 1881 sur la presse).
Responsables politiques, juristes, acteurs de la société civile, nous devons tous agir et être vigilants pour infléchir cette évolution. Je suis pour ma part déterminé à agir.
Sans doute peut-il y avoir des divergences d'approche entre les pouvoirs publics et les institutions représentatives de la communauté juive sur la méthode de recensement de ces faits. Il est heureux que nous puissions en parler régulièrement avec les organisations représentatives, comme je le fais avec mes collaborateurs et les services de la Chancellerie de façon habituelle depuis l'entrée en fonction du Gouvernement.
J'ai également demandé aux parquets de signaler à la Chancellerie tout acte dont les circonstances de commission pourrait donner à penser qu'il est déterminé par l'antisémitisme.
Je saisis d'ailleurs cette occasion pour dire à quel point je réfute l'expression d'acte "à connotation " antisémite, dont je comprends le caractère blessant à l'égard de la communauté juive : comme si la destruction ou la dégradation d'une synagogue, l'agression d'enfants juifs ou des graffitis abjects pouvaient n'avoir qu'un simple et lointain rapport de connotation avec un antisémitisme dont ils sont en réalité l'illustration la plus brutale et la plus barbare.
En cette matière pas plus qu'en aucune autre il ne faut avoir peur des mots : le racisme et l'antisémitisme sont des réalités de notre société qu'il faut combattre par l'éducation et aussi par la sanction.
En ce qui concerne le traitement de ces faits par la justice pénale, je n'ignore pas les incompréhensions qui peuvent parfois résulter du choix de tel ou tel mode de poursuite ou encore de la nature ou du quantum de la sanction prononcée.
Dans le respect de l'indépendance des magistrats du siège, mon souci permanent est d'assurer la cohérence de l'application du droit. Je l'exerce en veillant à ce que les parquets utilisent les qualifications juridiques les mieux appropriées.
Je l'exerce également en veillant à ce que les voies de recours soient utilisées lorsque c'est nécessaire.
Ceci suppose, pour fonctionner, que les représentants associatifs et institutionnels de la communauté juive ainsi que les associations de lutte contre le racisme puissent s'adresser à un interlocuteur identifié.
Je sais que les procureurs de la République des parquets les plus importants les rencontrent régulièrement.
Je souhaite pour ma part aller plus loin et institutionnaliser enfin les voies de ce dialogue, en confiant à un magistrat du parquet général de chacune des 35 cours d'appel la coordination de la politique d'action publique en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
Au plus près des réalités du terrain, ce magistrat sera un interlocuteur identifié, de niveau régional et en relation directe avec les parquets d'une part et avec la chancellerie d'autre part.
Le dialogue avec les procureurs généraux et avec les procureurs de le République doit avoir pour objet, comme je l'ai indiqué, d'accompagner et d'expliquer le fonctionnement de l'action publique et de ne pas laisser les victimes, directes et indirectes, d'actes racistes ou antisémites dans l'ignorance - et donc dans l'incertitude - concernant l'effectivité du fonctionnement de la justice.
Mais au delà, un tel dialogue doit également permettre de briser les réticences qui peuvent encore exister pour faire en sorte que plus aucun acte raciste ou antisémite ne demeure inconnu ou tu, par peur ou par découragement des victimes.
Ce dispositif sera articulé au niveau national avec la nouvelle architecture de pilotage de l'action publique dont j'ai annoncée la mise en place aux procureurs généraux que j'ai réunis la semaine dernière.
Dans chacun des domaines d'intervention de la justice pénale, je souhaite en effet désormais que les directives adressées aux parquets soient élaborées au sein de commissions associant le ministère de la justice, des procureurs généraux et des procureurs de la République mais également les partenaires institutionnels de la justice et des intervenants de référence dans chaque domaine concerné.
Il s'agira ainsi de mieux marquer le caractère opérationnel de l'action publique, mais également d'établir clairement ce lien entre l'action du parquet, représentant de l'intérêt général, et les structures de notre société.
La lutte contre le racisme et l'antisémitisme me semble se prêter parfaitement à cette nouvelle méthode de travail, s'agissant d'un sujet dont nous devons tous avoir conscience qu'il porte atteinte aux valeurs mêmes de notre République.
Vous vous apprêtez également à débattre de cet autre défi au droit et à la démocratie qu'est le terrorisme international, au travers notamment d'une table ronde consacrée à la lutte contre le terrorisme face aux droits de l'homme.
Je n'ai nul besoin d'insister devant vous sur les efforts déployés dans ce domaine par la France et la communauté internationale, avant comme après le 11 septembre 2001. Le constat est simple et il dicte notre méthode : la France et toutes les démocraties sont en guerre contre le terrorisme, une guerre juste, fondée sur le droit et d'abord sur le droit international.
Il existe au plan international une dizaine de conventions applicables. La France a élaboré, depuis 1986, une législation originale, qui je l'observe, n'a jamais posé de difficulté constitutionnelle ou conventionnelle. Car elle respecte en effet les équilibres posés par les principes de nécessité et de proportionnalité et qu'elle réserve l'intervention d'un magistrat du siège lorsqu'il s'agit de prendre des mesures coercitives dérogatoires du droit commun.
Cette législation connaît des améliorations régulières et je voudrais à ce titre citer :
- La loi du 18 mars 2003 qui permet d'incriminer le fait pour une personne de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie alors qu'elle est en relation habituelle avec une ou plusieurs personnes se livrant à des actes de terrorisme ;
- La loi du 9 septembre 2002 qui a aggravé la répression du terrorisme écologique ;
- Le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui aura des impacts sur le déroulement des procédures anti-terroristes.
Comme responsable du bon fonctionnement de la justice, il m'appartenait également de donner à la justice anti-terroriste les moyens de fonctionner avec la plus grande efficacité.
J'ai donc renforcé l'équipe des juges spécialisés en matière de terrorisme ainsi que la section anti-terroriste du parquet de Paris. Dans le même temps, un poste de procureur adjoint a été créé afin de coordonner les activités du parquet de Paris en matière de lutte anti-terroriste et également en matière de criminalité organisée.
C'est en effet au croisement de la criminalité organisée, de la délinquance financière et du terrorisme que se situe à mon sens le défi le plus difficile qui nous est lancé.
La menace terroriste évolue en effet au travers de ses méthodes de financement et de recrutement.
Elle appelle donc une diversification de la vigilance, qui implique bien évidemment les services de police et de renseignement spécialisés et la justice, mais également l'ensemble des acteurs du monde économique et toutes les sentinelles de la démocratie.
Je vous remercie.
(source http://www.crif.org, le 13 novembre 2003)