Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à Europe 1 le 19 mai 2003, sur le marché communautaire, notamment les règles concernant les offres publiques d'achat et les services publics.

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Média : Europe 1

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Q - Noëlle Lenoir, vous êtes en ligne avec nous depuis Bruxelles où les ministres de l'Europe des vingt-cinq parlent aujourd'hui compétitivité, affaires générales. Alors quand on dit compétitivité en "jargon bruxellois", cela veut dire qu'on parle surtout d'harmonisation, d'approfondissement du Grand marché, c'est cela ?
R - On parle du Grand marché, de son meilleur fonctionnement. On parle à la fois d'ouverture, c'est à dire de capacité pour nos entreprises et nos consommateurs de tirer parti de ce marché qui va bientôt être constitué de près d'un demi-milliard d'habitants. Et on parle aussi de protection à la fois des actionnaires et des consommateurs.
Q - C'est aussi pour cette raison que ces conseils se tiennent déjà à vingt-cinq, même si les dix nouveaux n'ont pour l'instant qu'une voix consultative ?
R - Tout à fait. Et pour symboliser cette Europe élargie, j'indique que je suis assise d'un côté auprès du ministre polonais et de l'autre auprès du ministre slovène. Cela fonctionne et je peux vous dire que nos futurs nouveaux partenaires sont très impliqués dans les dossiers.
Q - Ce n'est pas un peu plus compliqué maintenant que vous êtes vingt-cinq à réfléchir ?
R - C'est toujours un peu plus compliqué de devoir s'entendre à vingt-cinq plutôt qu'à quinze. Simplement la conjoncture est assez favorable pour que se dégagent des compromis entre nous et nos futurs partenaires, parce que eux ont besoin de s'affirmer comme des marchés de consommation avec des acteurs économiques qui tirent leur croissance vers le haut. Déjà, comme vous le savez, cette croissance est élevée puisqu'ils ont entre 3 et 6 % de taux de croissance, ce qui est sensiblement supérieur à nous.
Q - C'est trois à six fois plus, carrément ! Est-ce que cela veut dire que vous percevez ces pays-là comme une opportunité pour la croissance des pays déjà dans l'Europe ? Et éventuellement vous regretteriez qu'on ne présente pas cette réalité sous ce jour là, notamment en France ?
R - C'est une forte opportunité. Ce dont il était question ce matin, c'est à la fois des entreprises et des consommateurs. Par exemple, la directive sur les OPA dont nous avons beaucoup discuté, quel est son objet ? C'est simplement de faciliter la constitution de grandes entreprises de dimension européenne ou mondiale pour pouvoir être de taille et affronter la concurrence internationale. Cela est indispensable si l'on veut peser vis-à-vis des Etats-Unis par exemple.
Q - L'idée c'est de leur permettre de se rapprocher en créant des règles communes pour les offres publiques d'achat, les OPA ?
R - Absolument. C'est faciliter les opérations qui ont lieu entre entreprises d'Etat de pays différents dans des conditions d'autant plus faciles que nous éviterons la distorsion de concurrence, l'opacité. Ce que nous exigeons, c'est la transparence des opérations en question pour rassurer les marchés et donc faciliter des opérations qui sont véritablement saines.
Q - Il y a beaucoup de protections qui restent. On sait en particulier que l'Allemagne protège beaucoup ses entreprises contre les OPA. Dans les pays scandinaves, il y a des droits de vote multiples pour les actionnaires minoritaires. On arrive à lever ces obstacles les uns après les autres ; vous y arriverez ?
R - Tout le monde est d'accord autour de l'idée qu'il faut vraiment arriver à un résultat si possible avant juillet. Néanmoins comme vous l'avez indiqué, il y a encore des attitudes protectionnistes de la part de certains. La France est prête à certaines concessions mais pas toutes. Nous voulons vraiment qu'il ne puisse pas y avoir de pratiques déloyales et notamment que certains pays que je ne nommerai pas - puisque vous venez de le faire - puissent continuer à mettre en place des systèmes défensifs qui empêchent en quelque sorte, les entreprises françaises par exemple, d'opérer dans ces pays et sur ces marchés, ce qui est le cas aujourd'hui. Donc nous travaillons encore et nous pensons pouvoir finaliser un texte, qui ne sera pas la perfection mais qui sera un progrès, d'ici quelques semaines.
Q - Un des grands débats du moment, c'est l'avenir du service public. On sait que la France est en pointe sur ce dossier, qu'elle a longtemps résisté à l'ouverture à la concurrence de ce qui apparaissait chez nous comme des monopoles naturels, pour l'énergie, pour les transports. Ce dossier va-t-il avancer ?
R - Tout à fait. D'abord la France a une position très claire sur les services publics économiques du secteur concurrentiel, par exemple les transports, la poste, l'électricité, le gaz, les télécoms. Nous sommes d'accord pour l'ouverture parce que, avec l'expertise qui est la nôtre en matière ferroviaire, avec nos TGV et notre ingénierie, nous allons pouvoir conquérir des parts de marchés dans des conditions extrêmement intéressantes qui vont valoriser notre savoir-faire.
Q - Mais il va falloir accepter la concurrence chez nous.
R - Nous allons accepter la concurrence parce que nous sommes très forts. EDF est quand même la première entreprise mondiale avec là encore une expertise très importante. Par exemple le président de la République a reçu récemment le président de la Lituanie qui lui a demandé que nos entreprises d'énergie et d'électricité puissent l'aider à démanteler des centrales nucléaires qui ne sont pas aux normes et à reconstruire d'autres centrales, d'autres réacteurs nucléaires. Nous sommes très demandés et c'est pourquoi nous voulons porter cette idée du service public économique avec toutes les garanties de qualité et d'accessibilité qui nous sont chères en France.
Q - Oui. On ne renie pas les valeurs du service d'intérêt général. Si je vous entends bien, ce que je comprends de votre démarche, c'est qu'elle est plutôt offensive alors qu'auparavant en matière européenne on a vu la France assez souvent sur la défensive. J'ai bien résumé votre démarche ?
R - Nous ne sommes pas frileux. Nous voulons une harmonisation vers le haut et pas vers le bas. Nous avons des points forts. Je viens de parler des services publics économiques, là nous avons quand même des points forts du point de vue qualitatif. Nous sommes prêts à jouer le jeu du marché si nous conservons cette qualité et cette accessibilité. De la même façon, pour le crédit à la consommation, pour que le consommateur puisse faire appel à des crédits sur l'ensemble du marché européen dans des conditions qui lui apparaissent les plus favorables, là aussi nous sommes ouverts, mais nous voulons une harmonisation par le haut parce que nous avons, en ce qui concerne la protection du consommateur, un niveau extrêmement élevé et nous avons tout intérêt à ce que ce niveau soit celui de l'Europe tout entière./.
http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mai 2003)