Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la relation entre la démocratie et les médias en Afrique, Hourtin le 25 août 1998.

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Circonstance : Universite d'été de la communication à Hourtin du 24 au 28 août 1998-table ronde "Médias et démocratie en Afrique" le 25

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je ne serais pas dans mon rôle si pour ouvrir notre débat sur démocratie et médias en Afrique, je ne prenais l'engagement devant vous d'une introduction aussi brève que possible : car nous allons essayer ensemble, de témoigner sur la place des médias dans l'histoire qu'écrit l'Afrique en cette fin de siècle.
Mais vous diriez que je le suis encore moins si j'éludais, sous le prétexte de votre qualité d'observateurs et d'analystes, ma conviction politique, et ma responsabilité dans le gouvernement. Je prendrai donc le risque de planter le décor.
Le risque car la vie du couple médias-démocratie est par nature faite d'émulation réciproque. Elle est, pour le sujet qui nous concerne, plutôt chiche de lunes de miel. Médias et démocratie font cheminer l'histoire. Celle-ci répartit en principe les rôles entre ceux qui ont mandat de la faire et ceux qui la commentent et même si ce schéma est simpliste, je respecterai l'ordre des choses pour vous donner notre façon de voir.
L'enjeu en tous cas en vaut la peine et il m'occupe suffisamment pour que je remercie les organisateurs de cette 19ème Université de la Communication de l'avoir inscrit à son agenda, et singulièrement Marcel DESVERGNE, son délégué général.
Cet enjeu, c'est l'AFRIQUE, ce sont ses presque 650 millions d'habitants qui à marches forcées depuis le grand mouvement des indépendances, assistées d'abord, maintenant affranchies des contraintes des blocs, vont vers la démocratie.
C'est le sens de l'histoire. Il est irréversible.
Et c'est de là, je crois qu'il faut partir si l'on veut essayer de comprendre la dialectique subtile qu'entretiennent les évolutions politiques du continent, et celles des médias. Surtout si l'on veut discerner, aujourd'hui, comment nous tous qui en sommes parties prenantes, pouvons y apporter notre contribution.
Il s'agit évidemment d'
1 Une relation complexe.
En accueillant les médias dans la sphère des pouvoirs, certains se demandent parfois si le 20ème siècle a joué avec le feu ou tout simplement enregistré le fait, que l'information, grande bénéficiaire de la dernière révolution technologique, irait aussi loin que possible pour satisfaire un besoin collectif de liberté, d'expression et de droit. De ce point de vue, la réalité est à la hauteur de la fiction.
Le fait et que, dans ce domaine, les progrès ont été si conséquents, et ils sont à ce point imprévisibles que l'ordre des choses depuis la dernière guerre en a été complètement bouleversé.
Et quand on parle de mondialisation, de globalisation, on sait ce que ces images doivent d'abord à la fluidité de l'information, à une capacité en principe universelle de connaître l'événement et d'y réagir en temps réel, et de le faire au mépris de toute frontière. Dans l'ordre économique, on en mesure les effets quotidiennement et cette année-ci n'est pas en reste pour administrer la preuve de réactions en chaîne qui n'épargnent aucune région du monde.
Quant à notre société politique, pour faire simple, elle a dans la même période compris que toute tentative de contrôle, voire d'asservissement de l'information, quel que soit le système de monopole qu'on ait pu mettre en place, était tôt ou tard mis en échec par des systèmes de communication qui en déjouent les leurres.
Tout cela naturellement ne se fait pas sans discontinuités car on ne comprendrait pas alors que la carte politique du monde soit aussi contrastée. Il n'empêche : on connaît peu de pouvoirs autoritaires qui, criant un jour à la tyrannie des ondes courtes, à l'ingérence dans leur souveraineté, ne tirent tôt ou tard les conséquences du fait qu'on ne peut plus affamer les peuples d'information.
Et ce n'est pas Internet, bien au contraire, qui renversera le cours des choses : à la communication collective offerte par les médias classiques il ajoute désormais une capacité illimitée d'échanges entre personnes et institutions tous moins contrôlables au bout du compte les uns que les autres.
Plus que toute autre région du monde, l'Afrique est touchée par ce grand mouvement. Si je la singularise dans mon propos, c'est tout simplement parce que son histoire récente en est au sens chimique du terme un précipité étonnant.
En moins d'une décennie, dans les 3 ordres économiques, culturel et politique, la donne a en effet changé du tout au tout.
La mondialisation de l'Afrique, c'est un apprentissage accéléré du libéralisme et du pluralisme démocratique dans un contexte d'ouverture soudaine de la liberté de savoir et de s'exprimer.
Il reste à prouver que cette capacité là n'engendrera pas un nouvel ordre plus inégalitaire que le précédent. Mais la Renaissance de l'Afrique pour reprendre la belle expression du vice président de l'Afrique du Sud, Thabo MBECKI, reprise ici ou là dans quelques capitales d'Afrique, est un phénomène réel.
Et, la Renaissance, comme archétype du changement historique, ne s'est pas faite sans heurts, sans reculs parfois sanglants ni sans angoisse. Mais, jamais, elle ne s'est fait sans espoir.
Le pluralisme, la liberté d'expression, le besoin de débat, d'opposition, comptaient sur le continent africain parmi les attentes sociales les plus fortes, en contrepoint d'un monologue étatique, qui, dans bien des cas, différait sous divers prétextes toute forme de débat réel : tantôt il fallait garantir intégrité et souveraineté nationales, tantôt il fallait repousser des conflits ethniques, ou tout simplement défendre des idéologies anticoloniales pour construire des Etats et des sociétés indépendants.
Il est clair dans cette mesure, et quelque jugement qu'on porte sur cette période, que l'appétit de démocratie correspond en Afrique d'abord au refus de louvoyer davantage avec la liberté et les droits. Mais il signale aussi l'avènement d'une forme politique permettant à ce continent de prendre sa place dans le monde.
La vie démocratique, c'est un besoin, et quand on ne l'a pas cela devient un idéal.
Dans la mondialisation, c'est aussi une carte d'identité. Il est devenu difficilement justifiable de ne pas la détenir tant sont faibles les arguments contraires au besoin de liberté, de droit, de développement.
Cette brève analyse, que l'on me comprenne bien, est loin de considérer l'Afrique comme un continent sans histoire et c'est justement à l'aune des médias que l'on peut apprécier le chemin parcouru. S'il a été très facile au début des années 90 d'observer la relation étroite qu'entretenaient notamment en Afrique francophone l'expansion des médias et l'ouverture démocratique, je ne veux pas oublier que la presse en Afrique est ancienne ; que partout et de façon peut-être plus nette en Afrique anglophone, sa présence jalonne la lente conquête des droits. La force de la presse d'Afrique du Sud n'étant que la manifestation extrême, et dans le contexte singulier de l'apartheid, de sa pugnacité.
En Afrique francophone la césure est probablement plus nette entre deux époques : les 30 ans qui ont immédiatement suivi les Indépendances, marquées de façon assez générale par des situations de monopole et de législations restrictives sur l'information, et la décennie qui s'achève, remodelant ensemble le paysage politique et celui des médias.
En tout cas, l'étonnante et soudaine vitalité de la presse écrite à partir de 1988, concerne la plupart des pays d'Afrique, au début de la décennie. Dans certains cas, soit parce que la tradition y était plus ancienne, soit que pour d'autres, le besoin d'expression longtemps contenu y fût plus grand, le nombre de titres de presse explose, dans des situations il est vrai instables ; mais partout il signale le rôle incomparable que jouent les médias pour construire l'espace des libertés conquises à l'opinion.
On a beaucoup glosé à cette époque sur le discours de la Baule et sur cette phrase clé, je cite :
"c'est le chemin de la liberté sur lequel vous avancerez en même temps que vous avancerez sur le chemin du développement. On pourrait d'ailleurs inverser la formule : c'est en prenant la route du développement que vous serez engagés sur le chemin de la démocratie".
C'est naturellement la situation particulière de son auteur qui en fit une leçon de l'histoire. Mais celle-ci avait pris les devants, l'Afrique inaugurait la formule originale des conférences nationales et la force du message tenait plus sûrement au fait qu'il sonnait le glas de systèmes verrouillés, inadéquats aux règles de l'échange social et du développement économique, à un moment doublement charnière de l'histoire contemporaine du continent : la fin des blocs, mais aussi crise économique sans précédent, contraignant à rebattre complètement les cartes entre des Etats naguère tout puissants et les forces sociales à la fois désireuses et forcées de prendre le relais.
Oui la relation médias-démocratie est une relation complexe
C'est aussi surtout
2. Une relation exigeante.
L'observation des faits montre que l'espace démocratique est plus souvent une conquête qu'un don de l'histoire.
Les médias qui la précédent ou l'accompagnent participent de cette conquête ou au contraire de ses reculs.
On voit bien ce que cette relation emporte de conséquences : au coeur de la vie publique dont ils sont à la fois les ferments et les révélateurs, les médias portent une lourde responsabilité :
- politique, car le fait démocratique tire sa force de l'opinion qui le fait vivre, donc de la densité et de la qualité de la communication sociale
- culturelle, puisque la richesse du dialogue est proportionnelle au professionnalisme de ceux qui l'entretiennent. Et de ce point de vue, les médias comme les politiques sont en effet d'excellents révélateurs de la maturité d'une société et de l'effort à fournir pour enrichir, réguler, rendre possible et utile ce dialogue.
- responsabilité économique, en troisième lieu : car on sait bien que la démocratie a un coût d'abord financier : on compte aujourd'hui en Afrique plus de 700 périodiques réguliers et pas moins de 200 radios privées, sans compter les chaînes de télévisions qui elles aussi voient le jour hors de la sphère publique. Tout cela est dans le circuit de l'économie. Mais, on sait aussi que la part laissée aux médias dans ce circuit est très relative. Elle se conquiert, à l'égal des conquêtes démocratiques : elle résulte à la fois de la volonté des pouvoirs et de l'aptitude des médias à s'organiser en véritables entreprises.
Cette logique circulaire, vous la connaissez aussi bien que moi en théorie :
* La démocratie veut des médias libres et exigeants.
* Cette liberté et cette exigence ne deviennent des droits qu'à partir du moment où n'étant plus des obligés les uns pour les autres, monde politique et médias entrent dans une relation d'obligations imprescriptibles par rapport à leur rôle respectif. Et là, on le voit depuis 10 ans, tout est à inventer, tout s'invente : refonte des règles du jeu dans l'échange politique, élaboration de codes dans le dialogue public.
De ce point de vue, tout n'est peut être pas parfait. J'ai le sentiment tout de même que les choses avancent et vite.
Je lancerai le débat si notre animateur le veut bien avec une image et une question :
"Ni griots serviles, ni détracteurs stériles". C'était l'expression qu'Hervé Bourges, l'actuel président de votre Conseil supérieur de l'audiovisuel utilisait pour faire comprendre à ses étudiants journalistes de YAOUDE où placer leur curseur professionnel.
Dans bien des cas, l'effervescence des dernières années a montré qu'on ne passe pas brutalement d'un système politique à un autre sans risque. Et dans ces cas-là, chacun a bien perçu le risque de franchir la ligne jaune car la crédibilité des médias, dans un contexte politique et social fragile pèse sur l'équilibre démocratique. Elle aussi se conquiert. Si on la laisse en jachère, les pouvoirs, et la profession en paient le prix.
Mais j'observe qu'à partir du moment où tout le monde prend conscience du risque, et singulièrement les professionnels, on peut trouver des solutions. Il me semble que l'Union des Journalistes de COTE D'IVOIRE l'a montré en créant l'observatoire de la liberté de la presse, de l'éthique et de la déontologie. Monsieur SY SAVANE, Directeur commercial de FRATERNITE MATIN pourra nous dire s'il est vraiment l'organe de régulation que ses initiateurs souhaitaient et quelles conclusions on en tire aujourd'hui.
De façon générale, la multiplication des autorités régulatrices de l'audiovisuel en Afrique est de bon augure.
Je souhaite que cet échange nous donne les moyens d'évaluer le processus qui conduit vers une indépendance accrue des médias par rapport aux pouvoirs politiques. Je crois que dans l'audiovisuel, la distribution et le contrôle des fréquences sont bien compris désormais comme un système indispensable pour encourager le professionnalisme des opérateurs et surtout empêcher les abus de toutes sortes. En matière de protection des droits des personnes, de respect du pluralisme, de prévention contre les abus de pouvoirs dont certains exemples sont dans les mémoires, ce sont des institutions dont on ne peut se passer.
Et vous le savez, j'encourage vivement le partenariat qui s'est instauré entre les hautes autorités de régulation : ce forum est la garantie d'une responsabilisation des opérateurs, d'une transparence et d'une éthique professionnelles dont la démocratie tire sa force. Tout cela exige des procédures auquel un large espace de concertation devrait donner la hauteur de vue et la solidité nécessaires.
Mesdames et Messieurs
* L'Afrique est-elle condamnée à être à l'écoute du monde ?
Ici ma question n'est plus éthique ni politique. Elle est d'abord économique et culturelle.
Elle pointe le risque, dont chacun est conscient, d'une écologie de la communication qui, dans un premier temps favorable à la vie démocratique du continent, ne doit pas lui être contraire dans l'avenir immédiat.
Car pour reprendre la belle image de CESAIRE, il n'a pas été inutile d'abord que l'Afrique par les médias internationaux fut poreuse à tous les souffles du monde. Mais la société de l'information est ce qu'elle est : rapports de forces et concurrence, organisés par l'argent, avec toutes les conséquences que cela emporte. L'Afrique sait bien qu'elle est partie prenante de réseaux médiatiques internationaux dont elle est consommatrice. Peut-elle en être un simple prolongement sans dommage pour la place qu'elle veut occuper dans le monde, supposant que sa vision des choses, sa capacité à produire et à diffuser ses créations, de l'information consommable par d'autres parties du monde soient entièrement repensées ?
Bien des questions sont à ouvrir ici :
- Etroitesse des marchés qui rend difficile l'éclosion d'un professionnalisme de la presse dès lors que celui-ci dépend d'un accès organisé aux sources mondiales de l'information. Ne faut-il pas repenser en réseau l'organisation parafricaine des médias, belle idée de l'UNESCO dans les années 80, piégée par des visions trop nationales ?
- Niveau culturel des professionnels, condition d'un professionnalisme qui passe par la formation mais aussi d'une réflexion de fond sur l'éducation dans la construction démocratique.
- Part d'investissement à libérer enfin en direction de la production audiovisuelle, qui est la clé aujourd'hui d'une présence internationale (cela vaut dans les échanges intra et inter continentaux) mais qui ne soit pas inattentive à l'attente des publics non africains par rapport à ce continent.
Nous pourrons revenir si vous le voulez sur la façon dont les coopérations, et la notre en particulier situe ses interventions pour que le développement des médias profite au développement du débat démocratique. Mon propos, je crois, en a suggéré les contours.
Mais place d'abord au débat.

(source http://www.crepac.com, le 16 octobre 2001)