Article de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale , dans "Les Echos" du 7 mars 2000, sur la controverse sur l'utilisation de la cagnotte fiscale, intitulé "Fausse cagnotte et vrais choix".

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Texte intégral

La récente controverse sur la cagnotte fiscale mérite de figurer en bonne place dans l'anthologie des faux débats. Comment, en effet, parler de cagnotte quand l'Etat enregistre 200 milliards de déficit budgétaire annuel et consacre à la charge de sa dette l'équivalent du budget de l'Emploi et de la solidarité ?
S'il ne s'agissait que d'une discussion en trompe-l'oeil, spécialité assez prisée en France, peu importerait. Mais les inconvénients de cette affaire sont autrement sérieux. Elle accroît en effet la méfiance de l'opinion envers toute parole officielle. Elle fait oublier le chemin parcouru depuis 1997 dans le redressement des comptes publics. Surtout, elle éloigne de la question centrale que je veux aborder ici : quelles orientations précises pour nos finances publiques ?
Depuis deux ans et demi, la France a divisé par deux ses déficits, les ramenant en pourcentage de la richesse nationale d'un excessif 3,6 %, qui nous disqualifiait pour l'euro, à un honorable 1,8 %. Nous recollons ainsi au peloton européen. Ce résultat doit beaucoup à la croissance qui dope les rentrées fiscales et sociales. Mais cette croissance elle-même n'est pas tombée du ciel, elle est aussi le fruit d'une politique intelligente. L'évolution maîtrisée de nos dépenses a permis de financer nos priorités, tout en affectant l'essentiel du surplus de richesse au pouvoir d'achat et à l'emploi.
Le tort dans cette controverse a été de ne pas afficher plus clairement la donne. On comprend la prudence nécessaire en ces matières. Mais beaucoup de nos concitoyens ont eu le sentiment qu'on leur dissimulait la réalité, comme si on escomptait que les recettes supplémentaires engendrées par la croissance viendraient automatiquement et sans débat réduire le déficit. En démocratie, on n'échappe pas durablement au débat. La discussion doit se dérouler dans la transparence, avec des bilans et des objectifs établis aussi clairement que possible, afin que chacun puisse se déterminer en connaissance de cause.
A l'avenir, la sincérité des comptes, principe de valeur constitutionnelle, devra éclairer la discussion budgétaire, au lieu de relever d'un vague contrôle après coup. Les comptes publics devront être authentifiés par une institution indépendante de l'administration qui les établit. C'est pourquoi, parallèlement au renforcement des moyens autonomes d'expertise du Parlement, je souhaite que la Cour des comptes donne désormais un avis sur la sincérité des lois de finances avant leur dépôt. Bien des tentations seraient ainsi écartées. Par contrecoup, bien des soupçons pourraient être dissipés.
Cette opération-transparence aura en outre le mérite de centrer le débat sur les véritables enjeux des finances publiques, c'est-à-dire nos choix pour le moyen et le long terme. La première grande échéance à venir se situe à l'issue de cette législature, en l'année 2002, qui coïncidera avec la fin du septennat. A cet horizon nous pouvons nous fixer deux objectifs précis. D'une part, revenir à l'équilibre global des finances publiques (Etat + Sécurité sociale + collectivités locales) : la perspective est parfaitement crédible ; il convient pour cela de poursuivre le rythme de réduction des déficits suivi depuis juin 1997. La charge de la dette s'en trouvera allégée, dégageant de nouveaux moyens qui permettront de couvrir les besoins évidents de plusieurs services publics.
D'autre part, nous devons pour 2002 ramener les prélèvements obligatoires, qui ont considérablement gonflé, à leur niveau de 1995, c'est-à-dire au début de ce septennat. Cela représente une baisse d'impôts de 2 points, soit 170 milliards de francs sur 3 ans. L'objectif est, là aussi, à notre portée puisque le surplus de recettes attendu dès cette année devrait permettre d'ajouter dans le prochain collectif budgétaire au moins 40 milliards de baisses d'impôts aux 40 milliards déjà annoncés. Un plan triennal précis de réduction des impôts devrait être rapidement lancé, contribuant à endiguer le scepticisme compréhensible des Français.
Au total, pour 2002 , retour à l'équilibre des comptes, allégement substantiel de la pression fiscale, recul du chômage à moins de deux millions de personnes et achèvement de plusieurs réformes structurelles : tout cela donnera à la France les meilleures chances pour l'avenir.
S'agissant de la prochaine législature 2002-2007 - qui coïncidera, je l'espère, avec l'institution du quinquennat - la baisse des prélèvements obligatoires devra se poursuivre. Pourquoi ? Parce que nos impôts sont souvent lourds et injustes et que, en l'absence d'harmonisation européenne, la France restera confrontée à la concurrence, voire au dumping fiscal de ses voisins. De plus, les baisses d'impôt ciblées sont une excellente façon de soutenir l'activité et l'emploi, comme on le voit actuellement avec le boom des travaux d'entretien dans le bâtiment, provoqué par la baisse de la TVA. Et qu'on n'espère pas convaincre les Français que les impôts baissent si les prélèvements obligatoires augmentent !
En réduisant entre 2002 et 2007 d'au moins 3 points nos prélèvements obligatoires, en centrant ces baisses pour éviter de freiner l'emploi et l'innovation (taxe d'habitation, IRPP, TVA ciblée, cotisation sociales), nous conforterons durablement notre croissance. L'équilibre total des comptes publics sera assuré à partir de 2002 et le déficit budgétaire proprement dit, lui, pourra être réduit à zéro en 2004 au plus tard. A partir de cette date et si la croissance se maintient autour de 3 %, nous dégagerons même pour la première fois depuis une quarantaine d'années un excédent budgétaire. Une telle évolution, spectaculaire, nous permettra à la fois d'alléger notre dette, de " recharger " l'arme budgétaire, utile si la conjoncture venait à faiblir, et de financer les retraites.
Car il faudra consacrer une partie des marges ainsi retrouvées aux retraites. On sait que des décisions doivent être annoncées bientôt sur ce point. Parmi celles-ci, je souhaite l'abondement rapide du Fonds créé à cet effet. Il devrait être doté de plusieurs centaines de milliards, dégagés notamment à partir de la cession partielle d'actifs aujourd'hui hypervalorisés, comme France-Telecom ou Thomson Multimedia. Cette cession sera utile socialement pour financer les retraites et positive économiquement pour les entreprises concernées auxquelles elle donnera plus de souplesse. Le Fonds contribuera à équilibrer l'alourdissement des dépenses qui, du fait de la démographie, interviendra à partir de 2007.
L'ensemble de ces dispositions devrait ramener à la fin de la prochaine législature notre endettement total à moins de 50 % de la richesse nationale, tout en accroissant le pouvoir d'achat et la compétitivité, avec les conséquences positives qui en découleront particulièrement sur l'emploi.
Cette politique d'ensemble impliquera de rendre dans le même temps la dépense publique plus efficace. C'est la voie dans laquelle l'Assemblée nationale s'est engagée, avec la création de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC). Nous devrons parallèlement réorganiser nos débats budgétaires pour rendre plus effectif notre contrôle et réviser l'ordonnance du 2 janvier 1959 dont certaines dispositions entravent les pouvoirs financiers du Parlement. Les Ministères devraient être incités à adopter une logique de résultats et non plus seulement une logique de dépenses. L'ensemble de ces impulsions contribueront à l'indispensable réforme de l'Etat.
Ces propositions, ces choix, j'ai voulu les résumer ici brièvement, même si cela conduit à une présentation malheureusement un peu trop sèche. Ce qui importe, c'est de baliser clairement l'horizon et d'indiquer les principales étapes d'une gestion sérieuse et dynamique des finances publiques. A ces conditions, la surréaliste affaire de la cagnotte se révélera paradoxalement utile.
(Source : http://www.assemblee-nationale.fr, le 8 mars 2000)